Village de la Justice www.village-justice.com |
Salariés, sachez prouver votre harcèlement moral en 2016. Par Judith Bouhana, Avocat.
|
Parution : lundi 11 avril 2016
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/salaries-sachez-prouver-votre,21901.html Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. |
Selon les préconisations de la Commission dite Badinter, le nouveau Code du travail devrait insérer comme principe essentiel un article 7 prohibant le harcèlement moral ou sexuel (rapport de la Commission Badinter). Dans l’esprit de la loi, la Cour de cassation poursuit son travail de fond en édictant par ses décisions un véritable vade-mecum du harcèlement moral (en savoir plus).
Au visa de l’article L.1152-1 du Code du travail qui définit le harcèlement moral et de l’article L.1154-1 du Code du travail qui définit les conditions dans lesquelles le juge doit apprécier l’existence d’un harcèlement moral, la Cour suprême casse les arrêts des juges du fond qui se détournent de sa jurisprudence.
Cette appréciation exigeante conduit la Cour de cassation à effectuer le plus souvent, sous couvert d’une appréciation du droit, une analyse exhaustive des faits.
Voici une analyse du vade-mecum de la Cour de cassation édicté à l’usage des juges du fond.
1ère espèce 13 janvier 2016 n°14-10824 :
Dans cet arrêt, un salarié ingénieur système est débouté en appel de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral alors que :
Les juges du fond ont considéré que le salarié n’établissait pas l’existence d’agissements dont il aurait été personnellement victime.
Relevant d’autres faits non exploités par la Cour, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel aux motifs suivants :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans examiner l’ensemble des faits que le salarié invoquait comme permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, notamment
2ème arrêt : 18 mars 2016 n°14-18621 :
Il s’agissait d’une salariée décoratrice d’une société de carrelage s’estimant victime d’un harcèlement moral rejeté par les juges du fond qui considéraient :
La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel qui a jugé sans tenir compte de l’ensemble des pièces produites dont les justificatifs médicaux de la salariée :
« Qu’en statuant ainsi, sans analyser les documents médicaux produits par l’intéressée et sans apprécier si les éléments précis et concordants établis par celle-ci, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Pour rejeter le harcèlement moral invoqué par une salariée secrétaire de cabinet d’avocats, les juges d’appel constatent :
Cette appréciation individualisée est censurée par la Cour de cassation qui enjoint aux juges d’appel d’apprécier les faits dans leur ensemble :
« Qu’en statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par le salarié, alors qu’il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis et les certificats médicaux laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral, et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Dans cette espèce, un salarié avait été débouté de ses demandes relatives au harcèlement moral, la cour d’appel estimant qu’il n’établissait pas l’intention malveillante de l’employeur, même s’ils ont relevé un véritable mal être ressenti par le salarié.
La cour d’appel en concluait que les agissements de l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction même exercé de manière autoritaire et mal ressenti par le salarié ne caractérisaient pas un harcèlement moral.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en rappelant aux juges du fond :
« Qu’en statuant ainsi, alors que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (20 janvier 2016 n°14-20322).
Dans cette espèce, un directeur commercial s’estimait victime d’un harcèlement moral du 20 avril 2011 au 09 mai 2011 (il justifiait d’exigences soudainement très précises de l’employeur dont calendriers prévisionnels, rapports de visite de terrain, validation de ses déplacements, présences exigées sur le terrain, accusés réception des courriels, et d’un tout aussi soudain avertissement disciplinaire du 09 mai 2011).
La cour n’y voyait là aucun harcèlement mais :
« un profond désaccord (de l’employeur) avec la demande de rupture amiable de la relation de travail (qu’il interprétait comme) la volonté (du salarié) de ne plus travailler correctement pour la société (l’employeur ayant) entendu dès lors accroître son contrôle, il ne peut être considéré, compte tenu de la courte période durant laquelle ils se sont déroulés, (que ces faits) étaient consécutifs d’un harcèlement moral… ».
La Cour de cassation rejette l’appréciation des juges du fond qui ne pouvaient écarter l’existence d’un harcèlement moral au seul motif de la brièveté de la période de harcèlement :
« Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de la courte période durant laquelle les faits s’étaient déroulés, alors qu’il lui appartenait d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié qui soutenait que, postérieurement au 9 mai 2011, l’employeur avait poursuivi ses agissements en lui adressant, alors qu’il était en arrêt de travail, de nombreux courriers comportant des accusations et des menaces, puis de rechercher si les éléments matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, … ».
La Cour de cassation maintient en 2016 un contrôle particulièrement pointilleux et protecteur du salarié harcelé dont nous suivrons l’analyse au fil des décisions qui seront rendues dans les mois prochains.
Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.comCet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).