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11 décisions à connaitre pour obtenir le paiement de sa prime d’objectif en 2021. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : mercredi 26 mai 2021
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La jurisprudence en matière de rémunération variable est ancienne et bien connue [1].
En 2021 les juges affinent leur position pour défendre de manière optimale les droits du salarié à sa rémunération variable.

Plusieurs décisions sont à relever en 2021, les voici présentées ci-après.

1. Une interprétation extensive du versement intégral de la rémunération variable lorsque les objectifs ont été communiqués tardivement au salarié [2].

Il est acquis désormais que le salarié dont les objectifs n’ont pas été fixés en début d’exercice peut solliciter le versement de l’intégralité du montant de sa prime [3].

La Cour de Cassation va plus loin en sanctionnant une cour d’appel qui a bien condamné l’employeur à verser la prime variable au salarié dont les objectifs ont été communiqués tardivement (au lieu du 31 mai, le 29 novembre)... mais pas suffisamment :

Les objectifs fixés prévoyaient un taux d’atteinte soit de 200% avec un bonus cible de 12% soit une atteinte à 100% avec un bonus cible de 6%. La Cour d’appel condamne l’employeur au versement de la prime d’objectif due au salarié pour communication tardive des objectifs mais elle applique la règle du bonus cible de 6% correspondant à 100% d’atteinte des objectifs.

La Cour de cassation casse cet arrêt au visa de la bonne foi contractuelle et constate que la rémunération variable « devait lui être versée intégralement à hauteur du bonus cible maximum de 12% ».

Ainsi, la notion du versement intégral est appliquée in extenso suivant les conditions prévues entre les parties ici le maximum correspondait bien au taux d’atteinte d’objectifs de 200% avec un bonus cible de 12%.

2. Le règlement prorata temporis de la prime d’objectifs : l’évolution de la jurisprudence en faveur du salarié.

Lorsqu’un salarié quitte l’entreprise avant la fin de l’exercice annuel, doit-il percevoir ou non sa prime d’objectifs au prorata de son temps de présence ?

Les juges du fond s’opposent sur la réponse apportée à cette question.

En 2019 la Cour d’appel de Lyon y répondait négativement :

« A défaut de stipulation prévoyant que la prime d’objectifs s’acquiert au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise au cours de l’exercice, la prime d’objectifs ne peut pas donner lieu à une proratisation dès lors que les objectifs sont définis sur une base annuelle et impliquent des objectifs eux-mêmes annuels » [4].

La Cour d’appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 9, 10 mars 2021 [5] est d’un avis contraire :
« La prime constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité de sorte qu’elle s’acquiert au fur et à mesure même si le départ du salarié est antérieur au versement de cette prime ».

Dans le même sens, la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 11, arrêt du 19 janvier 2021 [6] confirme que la prime « liée à l’activité du salarié s’acquiert au fur et à mesure… il sera fait droit à la demande au prorata temporis (du salarié) ».

En 2021, vous pouvez donc prétendre au prorata temporis de votre prime d’objectifs si vous partez en cours d’année de l’entreprise.

3. La fixation des objectifs par l’employeur sous le contrôle des Juges.

a) Une information précise doit être donnée par l’employeur au salarié en début d’exercice.

Pour protéger les salariés, les juges examinent précisément les documents communiqués par les deux parties pour vérifier si les objectifs ont bien été communiqués de manière claire et précise au salarié en début d’exercice.

Dans ce premier arrêt l’employeur prétendait avoir notifié les objectifs au salarié dans son entretien annuel d’évaluation alors que le salarié contestait toute information précise sur les conditions de fixation de ses objectifs.

La Cour d’appel de Versailles examinant les pièces communiquées conclut avec pertinence que :

« la société n’a pas respecté ses engagements contractuels en ne lui notifiant pas au salarié des objectifs précis. Les objectifs notifiés lors de l’entretien d’évaluation qui a pour objet d’évaluer la performance du salarié… n’ont pas le même objectif que la fiche de fixation des objectifs qui fixe le pourcentage de la rémunération variable » [7].

L’information donnée au salarié sur les conditions de fixation de sa prime d’objectifs est une information essentielle [8] :

« Seule une clause précise définissant objectivement l’étendue et les limites de l’obligation souscrite peut constituer une condition d’application (de la prime d’objectifs)... le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues ».

Dans cet arrêt, il s’agissait de vérifier si le salarié avait été ou non informé que son chiffre d’affaires pouvait être amputé rétroactivement de remises et pénalités affectant les marchés conclus par son employeur ce que la Cour d’appel n’avait pas vérifié, Alors même que le salarié contestait toute information de cette pratique qui selon lui « n’avait jamais été portée à sa connaissance ».

b) L’employeur à la charge de prouver qu’il a bien informé le salarié des conditions de fixation de sa prime d’objectifs.

Ainsi la Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 13 janvier 2021 [9] rappelle qu’il appartient à l’employeur :
« de prouver qu’il a ouvert des négociations (pour) négocier les objectifs avec le salarié... (à défaut) l’entreprise est débitrice des primes d’objectifs dont le montant doit être fixé par le juge ».

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 10, du 6 mars 2019 [10] répartit également la charge de la preuve de la prime d’objectif :

Si c’est au salarié de prouver :

« qu’il a droit à l’attribution d’une rémunération variable en fonction de convention d’usage », « l’employeur est tenu à une obligation de transparence qui le contraint à communiquer au salarié les éléments servant de base de calcul de son salaire notamment, de cette part variable ».

Dans le même sens la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 3, arrêt du 2 avril 2019 [11] condamne l’employeur :

« qui ne transmet pas ces modalités de calcul (de la part variable) à verser la prime d’objectifs au salarié ».

c) L’interdiction de modifier la rémunération variable du salarié en cours d’exercice.

Récemment, la Cour de cassation a rappelé dans son arrêt du 8 avril 2021 [12] que l’employeur ne peut pas modifier les objectifs dont il a informé le salarié en début d’exercice et qu’il ne peut :

« ni modifier le mode de calcul convenu de la rémunération, ni réduire le montant de la prime » unilatéralement à l’issue de l’exercice le salarié pouvant dès lors « prétendre un rappel de rémunération variable ».

4. L’immixtion des juges dans le pouvoir de décision de l’employeur [13].

Dans cette décision le salarié contestait le caractère réalisable de ses objectifs en invoquant :

« l’attitude des employeurs envers le client… en matière de pénalités et réductions des remises ayant contribué à ne pas lui permettre d’atteindre le seuil déclenchant le paiement du bonus ».

La Cour d’appel rejetait les demandes du salarié en considérant que c’était dans son pouvoir de direction que l’entreprise définissait une stratégie commerciale et notamment une politique de remise et avait informé le salarié que l’objectif ne serait réalisable que si la politique de remise était suivie pour le client, en considérant que le salarié était informé des « aléas commerciaux ».

Cet arrêt est cassé par la Cour Suprême qui reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché :
« si les objectifs fixés par l’employeur étaient réalisables compte tenu de sa politique commerciale ».

La cour de cassation demande ainsi aux juges du fond de s’immiscer dans le pouvoir de direction de l’employeur pour vérifier si l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction n’a pas rendu irréalisable par sa politique commerciale les objectifs exigés du salarié.

Une telle immixtion des juges dans le pouvoir de direction de l’employeur est suffisamment rare pour être ici relevée.

Ces 11 décisions confirment la volonté des juges clairement affirmée depuis de longues années de protéger sur tous les fronts le droit du salarié à sa rémunération.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[2(Cass Soc 25 novembre 2020 n°19-17246)

[4CA de Lyon, Chambre sociale, 5 avril 2019 RG n°17/04539.

[5(RG n°18/08996)

[6RG n°19/10471

[7CA de Versailles 17ème Chambre, 17 mars 2021 RG n°18/04163.

[8Cass. Soc. 24 juin 2020 n°18-19723

[9RG n°18/00436

[10RG n°17/11264

[11RG n°15-01952)

[12(n°19-15432)

[13Cass. Soc 24 juin 2020 n°18-19723 précité

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