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Synthèse des moyens dans les conclusions : une meilleure organisation pour juger mieux et plus vite ? Par Benoit Henry, Avocat.
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Parution : lundi 7 mars 2022
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Le nouveau décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 (JORF n°0304 du 31 décembre 2023) portant mesures simplification de la procédure d’appel en matière civile entre en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2024. Il est applicable aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter de cette date.
La proposition de réforme de la DACS du 27 août 2021 avait préconisé « la structuration des écritures des avocats » par l’insertion, avant le dispositif d’une synthèse des moyens invoqués dans la discussion.
Elle avait proposé de limiter la taille de cette synthèse à un maximum de 10% des conclusions dans la limite de 1.000 mots.
Elle obligeait de mentionner les pièces dans l’ordre des prétentions en citant les pièces correspondantes.
Les moyens qui ne figurent pas dans la synthèse ne seront pas examinés.
Pourquoi le législateur n’a-t-il de cesse que de compliquer la procédure ?
S’agit-il d’une volonté d’accélérer et de faciliter la prise de décision juridictionnelle ?
Article actualisé par son auteur en février 2024.
Cette chronique n’a pas la prétention d’une analyse procédurale approfondie, mais souhaite déterminer la finalité d’une proposition de réforme de la DACS du 27 août 2021 qui préconise « la structuration des écritures des avocats » par l’insertion, avant le dispositif d’une synthèse des moyens invoqués dans la discussion.
Ce texte s’inscrit dans le prolongement de la réforme de la procédure civile dite « Magendie » laquelle s’accompagne de la généralisation de la communication électronique entre les partenaires du procès civil par application des décrets du 6 mai 2017, du 9 décembre 2009, du 28 décembre 2010, des arrêtés des 5 mai 2010 et 30 mars 2011, ainsi que de la suppression des avoués à la Cour, que la profession fini tout juste d’absorber…
Il a fallu près de 10 années et bien des accidents procéduraux pour en définir les grandes lignes d’application à force de jurisprudences opposées et d’avis de la Cour de Cassation.
Alors que l’horizon procédural commençait à s’éclaircir, est intervenu le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile lequel a nécessité un travail de clarification important, notamment en ce qui concerne la saisine du tribunal judiciaire, la procédure et la compétence devant le tribunal judiciaire, l’unification et la simplification des modes de saisine du tribunal judiciaire, la mise en état devant le tribunal judiciaire et l’extension des pouvoirs du juge de la mise en état, la représentation obligatoire par avocat devant le tribunal judiciaire, la consécration du principe de l’exécution provisoire des décisions de justice.
Un nouveau décret n°2021-1322 du 11 octobre 2021 vient encore de modifier des règles adoptées quelques mois plutôt, relatifs à l’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocats et modifiant diverses dispositions de procédure civile telle que l’assignation à date et la suppression du double délai de placement concernant l’assignation à date de l’article 1108 du Code de Procédure Civile applicable aux procédures de divorce judiciaire, le dépôt du dossier de plaidoiries, la conciliation, la représentation obligatoire par avocat devant le Tribunal de Commerce, la procédure participative de mise en état.
Et maintenant intervient cette nouvelle réforme dont la finalité autre que celle de réduire le nombre de procédures est à rechercher.
Juger mieux et plus vite pourrait être la raison cardinale d’un tel bouleversement.
Ce nouveau texte y parviendra-t-il ?
S’interroger sur l’avenir de la synthèse des moyens dans la structuration des conclusions d’avocat, c’est aussi s’interroger sur l’avenir de la justice et la contraction du temps !
Une réforme pour une meilleure organisation des écritures pour juger mieux et plus vite ?
Une ébauche de réponse pourra être avancée à l’issue de cette réflexion.
Le nouveau décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 (JORF n°0304 du 31 décembre 2023) portant mesures simplification de la procédure d’appel en matière civile entre en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2024. Il est applicable aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter de cette date.
Le décret n°2023-1391 du 29 décembre 223 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile qui a été publié au Journal officiel du dimanche 31 décembre 2023 a procédé à un « « toilettage » de l’article 954 du Code de Procédure civile.
Le second alinéa dispose désormais que : « les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions ».
L’article 954 du Code de Procédure Civile pose donc par écrit :
L’exigence jurisprudentielle de demander l’annulation ou l’infirmation dans le dispositif des conclusions d’appelant.
L’obligation d’énoncer les chefs du dispositif du jugement critiqué dans le dispositif des conclusions d’appelant et d’appelant incident.
Attention ! Mécaniquement, une lecture croisée des nouveaux articles 915-2 et 954 du Code de Procédure Civile permettrait de déduire que si l’appelant n’a pas énoncé les chefs du dispositif du jugement critiqués dans ses premières conclusions d’appelant, c’est qu’il les a retranchés !
Peut-être faudrait-il se souvenir de la nécessaire collaboration de l’avocat et du juge dans la structuration des conclusions.
Il est souvent affirmé que l’avocat et le juge n’ont rien en commun.
Ils évolueraient dans des sphères différentes selon un statut propre.
Pour autant, la différence de ce statut et de fonction qui existe entre l’avocat et le juge suffit-elle à considérer que ces deux professionnels du droit sont condamnés à se côtoyer sans jamais pouvoir collaborer l’un avec l’autre ?
Singulièrement en matière de structuration des conclusions, ne peut-on pas estimer que l’avocat et le juge sont nécessairement amenés à travailler en étroite symbiose ?
En fait, cette idée de travail en commun suppose de remettre préalablement en question le préconçu selon lequel le juge serait le seul intervenant.
L’avocat joue un rôle non négligeable en cette matière et il ne doit pas se priver de rayonner dans la structuration des conclusions.
Mais force est de constater que le juge seul ne peut rien dans ce domaine.
Pour renforcer l’office du juge et développer son action et la rendre plus efficace, il doit nécessairement agir de concert avec l’avocat.
De son côté l’avocat a souvent besoin du juge pour mener à bien sa mission.
De cette interdépendance et de cette complémentarité naît une collaboration dont les manifestations se font sentir dans la structuration des conclusions.
L’avocat doit garder en tête que l’objectivité et la concision de l’exposé des faits, doublées de la clarté et de la précision de l’exposé des moyens de droit, seront un travail utile pour le juge qui a à rédiger la décision et donc au-delà pour obtenir satisfaction.
D’un point de vue pratique, on doit y voir un parallélisme évident entre le jugement rendu et les écritures signifiées tant sur l’exposé du litige, que la motivation, le dispositif.
Sur ce point, la structuration des conclusions soumises au juge améliore le respect du contradictoire et la clarté des débats.
En effet, mieux présentées et plus synthétiques les écritures permettent aux avocats des parties d’apporter une réponse plus claire à des moyens mieux identifiés.
Cette structuration des écritures conduit, par voie de conséquence, à un gain de temps pour le juge qui appréhendera plus facilement les faits sur lesquels les parties s’accordent et les moyens au soutien de leurs prétentions.
On le voit, la question des moyens invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ne permettra jamais de s’affranchir du débat relatif aux moyens de la Justice.
Le remède pour soigner le mal est pourtant connu de tous et depuis longtemps : il faut des moyens humains et matériels.
Les mesures déployées se contentent néanmoins d’en attaquer les symptômes par l‘accroissement des obligations des avocats dont les écritures seraient la cause première de la lenteur de la justice ou du nombre de pourvoi en cassation.
Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas de nier les bénéfices d’une meilleure structuration des écritures mais de souligner qu’elles ne doivent pas cacher l’effet recherché : simplifier et alléger le travail du juge pour accélérer le cours de la justice.
En gros réduire les délais de jugement des affaires civiles et le stock des dossiers non jugés.
Ceci, puisque l’hypothèse d’une absence de synthèse incomplète ou erronée seraient investie de conséquences procédurales radicales, le juge étant dispensé d’avoir à statuer sur les moyens de fait ou de droit dont il ne serait pas saisi.
In fine, c’est le justiciable qui pâtira de la radicalité de la sanction.
J’y trouve pour ma part des contraintes supplémentaires imposées aux avocats et aux juges qui augmentent considérablement les risques processuels des justiciables sans que l’on puisse en définir l’intérêt.
De graves conséquences sur le cours des procédures, en particulier en termes d’irrecevabilité de certaines demandes ou de moyens exprimés tardivement sont à craindre.
Ici, les justiciables pourraient être privés du bénéfice de leur droits au seul motif qu’un de leurs arguments a été omis de la synthèse ou que celle-ci est trop longue.
Il est dangereux d’organiser ainsi la primauté de la forme sur les droits des justiciables, au risque d’organiser l’injustice.
Le cœur du problème réside dans la sanction de ce nouveau formalisme.
Le contenu des conclusions d’appel.
Le décret semble donc exiger la formalité de demander l’infirmation du jugement dans la déclaration d’appel qui paraît totalement inutile dans la mesure où l’objet de l’appel énuméré dans la déclaration est défini par les chefs de jugement critiqués mais également dans les conclusions par l’énoncé des prétentions figurant dans le dispositif.
Le décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile qui a été publié au Journal officiel du dimanche 31 décembre 2023 a procédé à un « toilettage » de l’article 954 du Code de Procédure civile.
Le second alinéa dispose désormais que : « les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions ».
Nous savons depuis longtemps que juger mieux, juger plus vite, ne dépend pas exclusivement des avocats, et l’on pourrait attendre du législateur du XXIème siècle qu’il se penche sur le véritable intérêt du justiciable plutôt que de vouloir régler les flux judiciaires en limitant le nombre de dossiers dont les Tribunaux et les Cours auront à connaître. Il faut rappeler que compliquer la tâche des avocats n’a jamais amélioré la situation des justiciables qu’ils représentent.
Derrière la notion de « structuration des conclusions » se cache le spectre du renforcement de l’office du juge et de la simplification du contentieux.
Pour mémoire, l’office du juge consiste à trancher un différend et à apprécier les prétentions respectives.
Il est avant tout le « servant des plaideurs » et le « serviteur du droit ».
Le juge a pour fonction naturelle de « dire le droit et trancher les litiges ».
Or, la conséquence directe de cette proposition de réforme, il incomberait au juge désormais de : « passer son temps à compter lui-aussi les mots dans la synthèse et les mots dans les conclusions pour vérifier la recevabilité des moyens et écarter les moyens adverses ».
Le juge est de plus en plus associé à la mise en œuvre d’un véritable « management judiciaire » qui milite pour un activisme croissant au service d’une bonne administration de la justice pouvant prendre le pas sur les attentes des justiciables.
C’est en ce sens qu’à évolué le droit processuel au gré des réformes qui ont particulièrement affecté la procédure civile contemporaine qui jadis était essentiellement contradictoire s’est largement teintée d’inquisitoire.
La dégradation de la qualité des décisions résultent aussi de l’inflation des textes et des cadences infernales.
En effet, les juges sont pressés d’aller vite toujours plus vite par leur hiérarchie y compris sur des dossiers complexes.
Les juges et Conseiller de la mise en état débitent de la procédure à la chaîne : incidents et déféré.
Les juges sont mis à rude épreuve.
Ils doivent étudier la jurisprudence alors que le droit est de plus en plus complexe et opérer un contrôle de proportionnalité.
Dans le même temps, il est demandé au juge d’aller de plus en plus rapidement, y compris sur les dossiers les plus complexes.
L’indicateur qui obsède les chefs de juridiction est le nombre de décisions rendues par année et par magistrat.
Les auditeurs de justice, stagiaires, juristes assistants et autres contractuels rédigent à la chaine les décisions.
Par ailleurs, il n’est pas une seule Cour d’appel qui n’est les mêmes positions sur les nouveaux textes.
La Cour de Cassation n’a jamais été autant saisie, cherchez donc à comprendre pourquoi ?
35.000 arrêt rendus par an !
Or, la Cour de cassation est submergée par le nombre de pourvois.
(Sur la question La Cour de cassation a connu une dérive : elle est submergée par le nombre de pourvois et Le projet de réforme des pourvois propose une fonction de filtrage par la Cour de cassation).
La médiation présente des avantages objectifs.
Références :
Proposition de Réforme « Encadrer les conclusions d’avocat » de la DACS du 27 août 2021.
Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.
Actualités Procédure Civile - Les décrets Magendie : 100 ans déjà !
L’essentiel, à l’aube de ce vingt-deuxième siècle, qu’il nous soit permis de rendre hommage à une réforme essentielle qui signait définitivement la disparition du plaideur. Les décrets Magendie : 100 ans déjà ! Libres propos Stéphane Ceccaldi- Gazette du Palais édition Professionnelle.
N°262 et 263 Vendredi 19 et Samedi 20 Septembre 2014. Libres propos Stéphane Ceccaldi- Gazette du Palais édition Professionnelle.
N°262 et 263 Vendredi 19 et Samedi 20 Septembre 2014.
Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 (JORF n°0304 du 31 décembre 2023) portant mesures simplification de la procédure d’appel en matière civile entre en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2024.
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