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Le cumul du délit d’association de malfaiteurs et de la circonstance aggravante de bande organisée. Par Charlotte Thominette, Avocate.
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Parution : mardi 9 janvier 2024
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Par un arrêt en date du 9 juin 2022, la Cour de cassation a jugé que le principe "non bis in idem" ne fait pas obstacle au cumul du délit d’association de malfaiteurs et d’une infraction commise en bande organisée, y compris lorsque les faits retenus pour établir l’association de malfaiteurs sont identiques à ceux caractérisant la bande organisée.
« Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement » [1].
La bande organisée se définit par « tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions » [2].
La première est une infraction délictuelle, la seconde une circonstance aggravante mais les mots sont les mêmes : pluralité de participants, préméditation, préparation d’une infraction.
En 2015, la Cour de cassation a considéré- ajoutant à la loi- qu’à la différence de l’association de malfaiteurs, la bande organisée suppose une organisation structurée entre ses membres, existant depuis un certain temps [3].
Mais cette différence laissait intacte la question d’un possible cumul entre le délit d’association de malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée.
En réponse, la Haute juridiction a longtemps invoqué le principe du « non bis in idem ».
En application de ce principe fondamental (littéralement « pas deux fois pour la même chose »), une « action unique caractérisée par une seule intention coupable », autrement dit un même fait, ne peut être retenue comme élément constitutif d’une infraction et circonstance aggravante d’une autre [4].
Dans les cas où le délit d’association de malfaiteurs était retenu en plus d’une infraction aggravée par la bande organisée, la Cour de cassation s’attachait alors à vérifier que les deux qualifications recouvraient des agissements distincts (les actes préparatoires au délit d’une part, et ceux constitutifs du délit lui-même d’autre part) [5]
Mais cette règle souffrait des exceptions.
En effet, la Cour de cassation considérait que le cumul était possible, sans méconnaître le principe « non bis in idem », lorsque le délit d’association de malfaiteurs visait la préparation d’infractions distinctes de l’infraction en bande organisée retenue [6], y compris lorsque les faits caractérisant l’association de malfaiteurs et la bande organisée étaient identiques [7].
Aussi, jusqu’à un arrêt du 9 juin 2022 (21-80.237), la jurisprudence était incertaine.
Avec cet arrêt, la Cour de cassation, au terme d’un raisonnement théorique complexe, apporte une réponse claire mais critiquable : le délit d’association de malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée peuvent se cumuler.
Après avoir rappelé les décisions que nous avons précédemment mentionnées, la Cour renvoie à l’arrêt du 15 décembre 2021 (21-81.864) [8] et en tire la conclusion suivante :
« l’interdiction du cumul de qualifications implique ainsi désormais que soient remplies deux conditions cumulatives, l’une tenant à l’identité des faits matériels caractérisant les infractions en concours, l’autre à leur définition légale. Le cumul est autorisé lorsqu’une seule de ces conditions n’est pas remplie » (§ 11).
De cette formulation alambiquée et obscure on comprend que les situations dans lesquelles le cumul n’est pas possible sont limitées aux cas où les deux conditions suivantes sont remplies :
1) les faits sont les mêmes et
2) les qualifications sont incompatibles car l’une exclut l’autre (on pense au vol et au recel de la chose volée) ;
ou une infraction spéciale incrimine une modalité particulière d’une infraction générale et c’est l’infraction spéciale qui doit alors être retenue ;
ou une qualification correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit être retenue.
S’agissant de l’association de malfaiteurs et de la bande organisée, on aurait pu penser qu’on se trouvait dans le dernier cas, celui de deux qualifications où l’une correspond à une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue.
Que nenni !
La Cour de cassation [9] juge que :
« la bande organisée est une circonstance aggravante réelle, qui a trait aux conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou préparée et n’implique pas que l’auteur de l’infraction aggravée y ait lui-même participé » (§15).
Autrement dit, on peut être condamné pour une infraction en bande organisée, sans avoir participé à la bande organisée. Mais on ne peut pas être condamné à une association de malfaiteurs sans avoir participé à l’association de malfaiteurs (cf. §16).
De cette distinction, la Cour de cassation déduit que l’élément constitutif de l’association de malfaiteurs ne correspond pas à la circonstance aggravante de bande organisée, ce qui les rend ainsi cumulables, même lorsque les faits que ces qualifications recouvrent sont les mêmes.
Et la Cour de conclure :
« En conséquence, l’infléchissement de la jurisprudence relative à l’interprétation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes doit conduire à considérer que ce principe ne s’oppose pas à ce qu’une même personne soit déclarée concomitamment coupable des chefs d’association de malfaiteurs et d’une infraction commise en bande organisée, y compris lorsque des faits identiques sont retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée et peu important que l’association de malfaiteurs ait visé la préparation de la seule infraction poursuivie en bande organisée » (§18).
Avec cette décision, ce n’est plus un à « infléchissement de la jurisprudence » mais à un revirement à 180 degrés que l’on assiste.
En un seul arrêt, la Cour de cassation a vidé de sa substance le principe « non bis in idem ».
Si elle devait se prononcer, il n’est pas certain que la Cour européenne des droits de l’homme valide cette solution. À Strasbourg, le principe « non bis in idem » interdit encore de poursuivre ou de juger pénalement une personne pour une seconde infraction « pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes » [10].
Une fois, pas deux !
[1] Article 450-1 du Code pénal.
[2] Article 132-71 du Code pénal.
[3] Crim. 8 juillet 2015, 14-88.329.
[4] Crim. 16 mai 2018, 17-81.151 ; Crim., 9 mai 2019, 18-82.800.
[5] Crim. 19 janvier 2010, 09-84.056 ; 2 octobre 2012, 11-81.730.
[6] Crim., 9 mai 2019, 18- 82.885.
[7] Crim., 22 avril 2020, 19-84.464.
[9] Crim., 15 septembre 2004, 04- 84.143.
[10] Gr. Ch., 10 février 2009, Zolotoukhine c/ Russie, § 82.
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