Plusieurs arrêts avaient rendu incertaine la réponse à la question du cumul de qualification de recel et d’abus de bien social. En effet, le cumul des infractions d’association de malfaiteurs et d’infractions poursuivies en bande organisée avait été accepté par la haute juridiction [1], puis la formation plénière de la Chambre criminelle avait par arrêt du 15 décembre 2021 [2] mis fin aux espoirs des avocats pénalistes dans l’application du principe « Ne bis in idem » en validant le cumul de qualification afin d’ « appréhender l’infraction délictueuse dans toutes ses dimensions ».
La chambre criminelle alors que la motivation ne l’exigeait pas, comme pour excuser sa position, rappelait l’application de l’article 132-3 du Code pénal, « lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé » et l’application de l’article 485-1 du Code pénal relatif à la motivation des jugements et arrêts au regard de la gravité des faits, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de leur auteur en tenant compte des éléments concrets de l’espèce.
L’application du principe « Ne bis in idem » était réduite à peau de chagrin, la cour considérant que
« l’interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes.
Dans la première, l’une des qualifications, telles qu’elles résultent des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue.
Dans la seconde, l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale ».
Les praticiens regrettaient un infléchissement grave du principe « Ne bis in idem » ; les mêmes faits pouvant assoir plusieurs qualifications pénales différentes.
Ainsi, l’arrêt du 13 avril 2022 [3] était attendu en ce que cette mise à mal du principe semblait annoncer la remise en cause du principe désormais très ancien de non-cumul du recel et du fait principal, parfois aussi appelé dans la littérature « auto-recel ».
Ainsi, la Cour, qui adopte désormais une pratique très anglo-saxonne en citant les précédents, se fonde dans ses propres motifs sur l’arrêt du 29 juin 1848 fixant le principe selon lequel l’infraction de recel ne peut être retenue à l’égard de celui qui a commis l’infraction originaire dont provient la chose recélée [4].
La cour rappelle l’impossibilité de retenir le cumul d’infraction au regard de sa jurisprudence et écarte expressément le fondement du principe « ne bis in idem » au bénéfice de la notion d’incompatibilité des infractions qui doit être retenu dans deux situations :
« l’une des qualifications, telle qu’elle résulte des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue » ;
« l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale » [5].
La détention du produit de l’infraction (abus de bien social, fraude fiscale etc…) étant l’un des éléments constitutifs de l’infraction principale ne pouvait assoir la qualification d’une seconde infraction de recel.
L’intérêt de retenir le recel pour le ministère public résidait clairement dans la possibilité d’échapper à la prescription, le recel étant un délit continu. La cour réaffirme le principe et sanctionne la qualification d’opportunité consistant à retenir le recel si l’infraction principale est prescrite.
La cour se réfère à un attendu de principe :
« Il convient de relever que la jurisprudence portant sur l’infraction de recel et l’infraction d’origine interdit non seulement de cumuler les qualifications mais également de retenir le recel, délit continu, à l’égard de l’auteur de l’infraction originaire lorsque cette dernière est prescrite » [6].
La Cour de cassation avait de longue date régulièrement rappelé le caractère continu du délit de recel
« Que le recel étant une infraction continue, la prescription de l’action publique, ne court que du jour où il a pris fin, alors même qu’à cette date l’infraction qui a procure la chose serait déjà prescrite » [7].
La motivation ne réside pas dans le principe « Ne bis in idem » mais dans la notion d’infractions incompatibles
C’est bien cette notion d’infractions incompatibles qui fonde le refus du cumul et qui motive la cassation de l’arrêt de la cour d’appel ayant retenu le prévenu dans les liens d’une triple qualification de recel, d’abus de biens sociaux et de banqueroute.
Les autorités de poursuite seront alors tentées de se tourner vers l’infraction de blanchiment qui offre des possibilités séduisantes à l’auteur des poursuites.
En effet, bien que le blanchiment soit un délit instantané, il offre une opportunité au Ministère public en termes de prescription. Le point de départ de la prescription est le dernier acte commis mais surtout son caractère d’infraction dissimulée au sens de l’article 9-1 alinéa-5 du Code de procédure pénale emporte un délai de prescription beaucoup plus confortable pour l’autorité de poursuite.
Le cumul de qualification reste fréquent notamment dans le cadre de la répression des infractions fiscales.
La Chambre criminelle [8] considère que « l’article 324-1 du Code pénal, instituant une infraction générale et autonome de blanchiment, distincte, dans ses éléments matériel et intentionnel, du crime ou du délit ayant généré un produit, réprime, quel qu’en soit leur auteur, des agissements spécifiques de placement, dissimulation ou conversion de ce produit, de sorte que cette disposition est applicable à celui qui blanchit le produit d’une infraction qu’il a commise » et rejette le grief opposé en défense de relever d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable.
Le cumul blanchiment - infraction principale reste possible en ce qu’il relève d’éléments matériels et intentionnels différents constituant une infraction autonome que devra caractériser le ministère public.
La qualification de blanchiment constitue une alternative sérieuse de poursuite de faits très anciens, là où la porte du recel est définitivement fermée à l’encontre de l’auteur de l’infraction principale.