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![]() Le choix du double Barreau en France et à l’étranger : témoignage d’une avocate exerçant à New-York et Paris.
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Parution : mercredi 14 mai 2025
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Le métier d’avocat offre une grande liberté dans son exercice et certains de ces professionnels font le choix d’exercer à la fois en France et à l’étranger. Si un tel exercice n’est pas majoritaire, il n’est pas anecdotique pour autant. En effet, au 1ᵉʳ janvier 2023, 3 143 avocats avaient fait ce choix, soit 4,2% des avocats [1] (le barreau de Paris propose ainsi un vade-mecum de l’exercice international ainsi qu’un guichet dédié [2]). Pourquoi ce choix ? Quelles sont leurs motivations ? Qu’est-ce que cela leur apporte ainsi qu’à leurs clients ? Comment s’organisent-ils ? Quels conseils transmettre aux confrères tentés par l’aventure ?
Pour apporter des réponses et dans un souci de partage des expériences, la Rédaction a recueilli le témoignage de Flore Brunetti, avocate aux Barreaux de Paris et de New-York.
Village de la Justice : Pourquoi un tel choix de vie professionnelle (et donc personnelle) ? Pourquoi le barreau de New-York ?
Flore Brunetti : « C’est en premier lieu mon attrait pour l’industrie de l’audiovisuel qui a guidé mes choix et mon envie de découvrir une autre culture juridique. J’ai su assez tôt au cours de mes études de droit que je voulais exercer dans le domaine de la propriété intellectuelle, ayant moi-même un attrait pour le monde créatif. Ce secteur est très influencé par le marché et la culture américaine et j’ai pu me rendre compte très vite au cours de mes stages [3] que la pratique dans ce secteur nécessite des échanges presque quotidiens avec des entreprises américaines. J’ai donc au départ souhaité avoir une meilleure compréhension de la culture juridique de ces interlocuteurs ce qui m’a poussée à m’inscrire en LLM. Puis, j’ai eu la chance de suivre un cours passionnant "d’entertainment law" à New-York, cours très pratique dans le cadre duquel j’ai pu rencontrer de nombreux intervenants travaillant notamment pour des labels et des sociétés de distribution audiovisuelle. Passer le barreau de New York semblait découler logiquement de cette expérience.
Pourquoi New York ? Je dirais premièrement pour son attrait culturel et son influence dans le domaine des médias. J’ai aussi considéré le barreau de Californie mais, contrairement au barreau de New York, il ne fait pas partie de l’UBE (uniform bar examination) qui est reconnu dans la majorité des États américains. Et New-York me semblait aussi plus accessible peut-être, car plus proche de ma vie en France ».
Quel(s) intérêt(s) revêt un tel exercice du métier d’avocat que ce soit pour le professionnel lui-même ou ses clients ?
« Pour l’avocat, cette double appartenance lui permet tout d’abord de bénéficier d’une ouverture d’esprit. Ensuite, cela lui facilite l’accès à de grands cabinets internationaux et à une clientèle internationale. Cela apporte aussi la maîtrise de l’anglais juridique, atout précieux pour la négociation de contrats internationaux permettant, grâce à une meilleure compréhension du système de common law et de la culture juridique des entreprises américaines, de mieux saisir les attentes/usages des parties concernées.
Être membre des deux barreaux apporte la flexibilité d’exercer sur deux marchés et de conseiller sous les deux droits, ce qui est extrêmement stimulant intellectuellement et permet d’acquérir une vision très "business" du métier qui n’est ainsi pas limitée à un territoire donné. L’avocat peut aussi développer un réseau à l’international, créer de nouvelles opportunités et avoir une mobilité professionnelle.
Sur le marché américain exercer dans un barreau français (ou européen) et avoir de l’expérience professionnelle en Europe est également valorisé. J’ai tenu à rester inscrite au barreau de Paris malgré mon déménagement aux États-Unis afin de conserver la possibilité de conseiller en droit français et de maintenir cette flexibilité intellectuelle et ma valeur ajoutée sur le marché qui résulte de cette double qualification.
Cette double appartenance permet enfin de participer aux débats sur l’évolution du droit, notamment vis-à-vis des challenges liés aux nouvelles technologies (et spécifiquement l’IA) avec une double perspective, qui peut permettre d’évoluer vers des solutions convergentes au niveau international (par exemple, sur des sujets tels que la réglementation de l’intelligence artificielle dans le domaine créatif).
En ce qui concerne les clients, cela leur donne accès à une représentation très polyvalente où ils peuvent bénéficier de conseils sous l’angle des droits des deux pays. Cela permet de proposer des solutions adaptées aux deux cadres juridiques, ce qui peut fluidifier les négociations ».
Quelles sont les spécificités, les différences les plus marquantes de cette double appartenance à un barreau français et un barreau américain, que ce soit dans l’exercice de votre profession (organisationnelles, juridiques, formation, relation client...) ou dans leur façon d’aborder le droit ?
« J’ai le sentiment que les relations clients sont un peu plus informelles aux États-Unis qu’en France, toujours très respectueuses bien sûr, mais moins dans les formules de politesses. On n’utilise pas vraiment de terme équivalent à "Maître" par exemple qui reste très utilisé en France. C’est une façon un peu différente d’aborder les choses, mais les deux systèmes restent très similaires dans la vie professionnelle (du moins selon mon expérience).
Il y a une déontologie à respecter dans les deux pays, une obligation de formation continue dans les deux pays, un encouragement à toujours rester informé des évolutions du droit dans son domaine d’expertise.
Ce que j’apprécie beaucoup à New York, c’est également une grande entraide des avocats français à l’étranger.
En ce qui concerne les différences juridiques, dans le domaine du droit d’auteur, les deux approches sont très différentes, car le système américain est basé sur le principe du "work for hire", selon lequel les sociétés de production et les studios détiennent généralement tous les droits, alors que le droit français protège davantage les artistes, qui conservent leurs droits sauf cession expresse et bénéficient de la protection de leur droit moral ».
Quels conseils transmettriez-vous à un(e) avocat(e) tenté(e) par l’aventure de l’avocature dans deux barreaux, dont l’un à l’étranger ?
« Essayer dans la mesure du possible d’avoir des expériences pratiques pour avoir une meilleure idée du métier et des différentes options, ne pas hésiter à étudier à l’étranger, même pour un an, afin d’avoir une perspective plus internationale ou tout simplement pour perfectionner son anglais juridique qui est de plus en plus nécessaire dans la pratique professionnelle, surtout dans des domaines aussi internationaux que l’entertainment.
Je leur conseillerai également de rester ouvert aux opportunités et de cultiver leur réseau. Le réseau est vraiment la base aux États-Unis et même si c’est moins cultivé en France, je pense qu’il est important de rencontrer des professionnels du secteur qui peuvent partager leurs expériences et conseils. Les conférences dans un secteur donné par exemple sont un très bon moyen de rencontrer des professionnels du secteur et d’échanger sur des sujets passionnants dans notre secteur de prédilection ».
Le parcours de Flore Brunetti :
Avocate aux barreaux de Paris et de New York exerçant dans les domaines de la propriété intellectuelle (notamment droit d’auteur, dessins et modèles, et droit des marques), des médias et du divertissement, des nouvelles technologies, de la protection des données et du droit des contrats.
Actuellement chez Klaris Law.
Interview de Flore Brunetti, réalisée par Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.Liens utiles :
- Directive (98/5/CE) du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 pour pouvoir exercer la profession dans un autre pays ;
- Directive (77/249/CEE) du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats
- Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ;
- Admission d’un avocat d’un État membre de l’Union européenne ;
- Vade-mecum de l’exercice international.
[1] Source : statistique 2023 sur la profession d’avocats.
[2] https://www.avocatparis.org/carriere/j-exerce-international/vade-mecum-de-lexercice-international
[3] Notamment chez OCS.
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