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![]() Hybridation et organisation du travail : vers de nouvelles possibilités pour les parents en complément du droit du travail ? Par Caroline Diard, Enseignant-chercheur et Olivier Meier, Professeur.
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Parution : jeudi 8 mai 2025
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Alors que la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale devient un enjeu majeur, les entreprises sont appelées, dans le cadre de leur responsabilité sociétale (RSE), à adapter leurs pratiques de gestion des ressources humaines en faveur de la parentalité. Télétravail, aménagements du travail ou dispositifs légaux : autant de leviers pour faire de la parentalité un levier en faveur de l’équité.
En 2023, le taux d’activité des femmes âgées de 15 à 64 ans est de 71,2%, contre 76,8% pour les hommes (+5,6 points - Tableau de bord de l’économie française).
Cependant, des inégalités persistent, notamment en matière salariale : dans le secteur privé, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 22,2% à celui des hommes [1]. Cet écart s’explique en partie par un moindre volume de travail annuel, les femmes étant moins souvent en emploi et plus fréquemment à temps partiel. Même à temps de travail identique, le salaire moyen des femmes reste inférieur à celui des hommes de 14,2%. Depuis 1995, les inégalités de revenu salarial se sont réduites d’un tiers, mais elles demeurent marquées, en particulier entre parents : les mères ont des temps de travail et des salaires en équivalent temps plein nettement inférieurs à ceux des pères, et les écarts s’accentuent avec le nombre d’enfants.
Les écarts constatés ont des origines multifactorielles, intrinsèques et extrinsèques (éducation, plafond de verre, etc..).
Les différences de salaires s’expliquent également par la répartition genrée des professions : les femmes n’occupent pas les mêmes emplois et accèdent moins souvent aux postes les plus rémunérateurs. Par exemple, en 2023, les femmes représentaient 42% des postes salariés du privé en équivalent temps plein, mais seulement 24% des 1% des postes les mieux rémunérés.
Une des causes documentées est la « parentalité » au sens large, c’est-à-dire le fait d’être parent, bien que ce néologisme se réfère à la fois au père et à la mère. La parentalité désigne l’ensemble des façons d’être et de vivre le fait d’être parent. C’est un processus qui conjugue les différentes dimensions de la fonction parentale, matérielle, psychologique, morale, culturelle, sociale [2].
Afin de s’occuper de leurs enfants, les parents ajustent leur situation d’emploi [3]. Beaucoup plus de mères que de pères déclarent être sans emploi pour des raisons liées aux enfants et ce sont elles qui supportent le plus souvent un temps partiel pour une raison principalement liée aux enfants (15% contre 1% des pères) [4].
Alors que la loi Pacte (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019) relative à la croissance et la transformation des entreprises, a modifié le Code civil notamment en son article 1833 qui stipule « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », il est pertinent de s’intéresser à la prise en compte de la parentalité comme enjeu social, d’égalité et d’équité dans les organisations.
On entend par RSE, la responsabilité sociétale des entreprises ou responsabilité sociale des entreprises définie par la commission européenne. Celle-ci permet la prise en compte volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. Les salariés, en tant que parties prenantes, bénéficient des efforts des entreprises en matière de RSE, notamment en matière d’amélioration des conditions de travail [5].
Alors que l’INSEE relève en 2020 des difficultés pour les parents à concilier une vie professionnelle avec une vie familiale [6], la pandémie de Covid-19 a accentué ce besoin de conciliation et il deviendrait désormais difficile de revenir en arrière en ce qui concerne le travail hybride (67% des cadres seraient mécontents d’une réduction du télétravail et 82% d’une suppression, source Apec 2025).
Créer un environnement de travail équitable, permettant une meilleure conciliation des temps de vie devient un enjeu en matière de GRH [7]. Cet enjeu n’est pas nouveau et le Code du travail qui encadre déjà strictement la parentalité. Ainsi, co-existent de nombreuses possibilités d’absences, rémunérées ou non permettant de concilier des contraintes familiales avec un emploi : congé maternité, congé parental, congé paternité, congé enfant malade, congés pour événements familiaux… Il existe de fortes attentes en la matière.
Ainsi, alors que la réforme du congé de paternité entrée en vigueur en juillet 2021 a allongé sa durée de 11 à 25 jours et ouvert la possibilité de le fractionner les deux tiers des pères bénéficiaires ont pris la totalité des 25 jours de congé, majoritairement en une seule fois [8].
Au croisement des sphères psychologiques et sociales, le concept de la parentalité interroge la fonction, la place et le rôle des parents entre les sphères professionnelle et domestique.
Le Code du travail, intègre différents dispositifs en faveur de la parentalité.
On note par exemple :
1. Congé enfant malade : ce congé, non rémunéré est prévu à l’article L1225-61 du Code du travail. De nombreuses conventions collectives prévoient la rémunération du congé.
2. Congé de paternité et d’accueil du jeune enfant : la durée de ce congé est de 25 jours calendaires et comporte deux périodes distinctes. Une période obligatoire de 4 jours calendaires prise immédiatement après le congé de naissance et une période de 21 jours calendaires. La CPAM peut verser des indemnités journalières à ceux qui correspondent aux critères d’attribution.
3. Congé maternité - adoption - congé pathologique : pendant la durée du congé maternité ou d’adoption, le contrat de travail est suspendu pour une durée variable en fonction de certains éléments (rang de grossesse, grossesse multiple) (Voir l’article L’hybridation, du "sur mesure" pour de nouveaux enjeux en matière de gestion des ressources humaines ?).
En matière de GRH, questionner la parentalité suppose de réfléchir à l’imbrication et à la conciliation des temps de vie.
Parmi les possibilités offertes, les entreprises réfléchissent à la parentalité sous différents aspects : les congés spécifiques ; les aides sociales (bons CSE, prise en charge de frais de garde…) ou en termes d’aménagement du temps de travail.
L’hybridation est une forme d’organisation du travail qui peut par certains aspects répondre à des problématiques d’amélioration des conditions de conciliation vie personnelle/professionnelle.
Ainsi, l’article L1222-9 du Code du travail précise que l’accord collectif applicable ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur précise : « Les modalités d’accès des salariées enceintes à une organisation en télétravail » ; « Les modalités d’accès des salariés aidants d’un enfant, d’un parent ou d’un proche à une organisation en télétravail ».
L’hybridation des espaces et des temps de vie, où le travail et les activités domestiques ou familiales s’entremêlent, apporte une forme nouvelle de flexibilité, permettant par exemple d’emmener ses enfants à la crèche avant de se connecter au travail. Comme le souligne M. Le Gagneur, le travail exercé à domicile laisse des marges de manœuvre, avec la possibilité d’une réorganisation de la prise en charge des enfants [9].
En effet, le salarié en mode hybride peut plus aisément concilier vie personnelle et vie professionnelle. Il est notamment envisageable en accord avec l’employeur de garder un enfant malade, ponctuellement en travaillant depuis le domicile. Cela peut également faciliter l’organisation pour les proches-aidants. Ces facilités offertes par l’hybridation peuvent être complémentaires aux possibilités prévues par le Code du travail.
Caroline Diard Professeur Associé au département Management des Ressources Humaines et Droit des Affaires et Olivier Meier, Professeur TBS Education[1] INSEE, mars 2025, https://www.insee.fr/fr/statistiques/8381248
[2] Circulaire interministérielle no 2012-63 du 7 février 2012 relative à la coordination des dispositifs de soutien à la parentalité au plan départemental.
[4] Etude DREES mars 2024 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2024-03/ER1298MAJ070324.pdf
[5] https://www.editions-ellipses.fr/accueil/15460-fiches-de-developpement-durable-et-rse-9782340094505.html
[7] https://www.hbrfrance.fr/strategie/prendre-en-compte-les-evolutions-societales-un-nouveau-defi-pour-les-rh-60604
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