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La résolution amiable des différends contractuels : étude comparée des clauses dans les contrats de droit privé et dans les marchés publics. Par Laurent Thibault Montet, Docteur en droit.
Parution : jeudi 19 juin 2025
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À l’heure où la justice contractuelle privilégie de plus en plus la prévention des litiges, les clauses de résolution amiable occupent une place stratégique dans les contrats publics comme privés. Si leur finalité - désamorcer le contentieux par le dialogue - est partagée, leur régime juridique diffère profondément selon qu’elles relèvent de la liberté contractuelle en droit privé ou d’un encadrement normatif rigide en matière de commande publique. Cet article propose une analyse comparée de ces dispositifs, entre autonomisation croissante des modes alternatifs de règlement des différends et juridicisation progressive de la médiation dans l’espace public.

La multiplication des différends contractuels, l’engorgement des juridictions et l’évolution vers une justice négociée ont contribué, au fil des réformes et de la pratique, à l’essor des modes alternatifs de règlement des différends (MARD). Cette évolution se traduit, sur le plan contractuel, par la généralisation de clauses dites de résolution amiable, par lesquelles les parties entendent soumettre la naissance, le traitement ou la résolution de leurs litiges à des mécanismes extrajudiciaires, tels que la médiation, la conciliation ou l’arrangement amiable. En droit privé, cette clause est désormais pleinement reconnue par la jurisprudence comme ayant une portée procédurale obligatoire lorsqu’elle est rédigée en des termes clairs et précis. En parallèle, le droit de la commande publique, notamment à travers les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) dans leur version de 2021, encadre également des procédures précontentieuses structurées, qui tendent à s’approcher, en finalité sinon en forme, des clauses amiables telles qu’elles sont conçues en droit privé.

Cependant, une étude attentive révèle que si le recours amiable est encouragé dans les deux régimes, sa nature, son insertion contractuelle et ses effets juridiques diffèrent sensiblement. En droit privé, la clause de résolution amiable est le produit d’une liberté contractuelle assumée, destinée à organiser de manière autonome la gestion du différend. En matière de commande publique, cette clause s’insère dans un dispositif normatif préconçu, limitant la liberté des parties et encadrant strictement le déroulement des échanges.

Dès lors, une interrogation centrale émerge : la clause de résolution amiable constitue-t-elle une construction juridique unifiée ou obéit-elle à des logiques différenciées selon qu’elle s’insère dans un contrat de droit privé ou dans un marché public ? Pour y répondre, il convient d’analyser, dans une perspective comparée, les fondements, la portée et les effets des clauses amiables dans ces deux domaines.
Il apparaîtra que la clause de résolution amiable trouve, en droit privé, un fondement dans la liberté contractuelle et une efficacité procédurale reconnue (I), tandis qu’elle s’inscrit, en droit des marchés publics, dans une logique administrative et normative précontentieuse qui tend à produire un modèle autonome, bien que fonctionnellement voisin (II).

I. La clause de résolution amiable en droit privé : de la liberté conventionnelle à l’encadrement procédural.

L’évolution du droit privé met en lumière l’importance croissante des mécanismes de résolution amiable des différends, ancrés dans le principe de liberté contractuelle. Ces clauses, qui permettent aux parties de privilégier une approche extrajudiciaire [1], traduisent une volonté de souplesse et d’efficacité dans la gestion des litiges.

Cependant, leur succès repose sur des bases solides, tant au niveau de leur formulation que de leur mise en œuvre. Une analyse approfondie permet de comprendre comment la liberté conventionnelle, bien que fondamentale, se conjugue avec un encadrement procédural progressif visant à garantir l’effectivité de ces clauses.

La clause de résolution amiable occupe une place grandissante dans le paysage juridique contemporain, où la liberté contractuelle demeure un principe fondamental du droit privé. Toutefois, cette liberté s’enrichit progressivement d’un encadrement légal et jurisprudentiel visant à assurer tant l’efficacité que la sécurité des mécanismes extrajudiciaires. Cette évolution traduit une volonté de structurer les pratiques tout en préservant la souplesse inhérente à ces modes alternatifs de règlement des différends.

1. Un véritable « statut » juridique de la clause de résolution amiable en droit privé.

La clause de résolution amiable trouve en droit privé sa source première dans le principe cardinal de liberté contractuelle, affirmé à l’article 1102 du Code civil. Ce principe permet aux parties de définir librement le contenu de leurs engagements, notamment en prévoyant, en cas de survenance d’un différend, un mécanisme de résolution préalable à toute action judiciaire. Ainsi, les contractants peuvent convenir, dans le respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, de recourir à une médiation, une conciliation ou une tentative d’arrangement amiable, avant de saisir le juge. Cette stipulation a vocation à s’inscrire dans une logique de pacification du rapport contractuel, en instaurant une phase de dialogue obligatoire, parfois assistée par un tiers neutre.

Cette liberté de stipulation s’est accompagnée d’un encadrement jurisprudentiel progressif, destiné à garantir l’effectivité et la sécurité juridique de ces clauses. C’est notamment l’apport majeur d’un arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation en date du 14 février 2003 (n° 00-19.423), qui a reconnu qu’une clause instituant une procédure de conciliation préalable, dès lors qu’elle est rédigée en des termes clairs et précis, s’impose aux parties comme une véritable obligation procédurale. Son non-respect constitue une fin de non-recevoir, au sens des articles 122 et 124 du Code de procédure civile. L’article 122 définit la fin de non-recevoir comme tout moyen tendant à faire déclarer la demande adverse irrecevable sans examen au fond, tandis que l’article 124 précise que de telles fins peuvent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief, et même en l’absence de disposition expresse.

Cette position a été réaffirmée et consolidée par la jurisprudence postérieure. La chambre commerciale, dans un arrêt du 29 avril 2014 (n° 12-27.004), a jugé qu’une clause imposant un règlement amiable préalable, même rédigée en termes généraux, constitue une fin de non-recevoir opposable à la partie qui introduit une action judiciaire sans avoir respecté la procédure convenue. La deuxième chambre civile, dans un arrêt du 30 juin 2022 (n° 21-12.502), est venue rappeler que la clause de conciliation préalable devait être respectée dès lors qu’elle prévoit de manière « expresse et non équivoque » un tel recours. Enfin, une précision intéressante sur la portée temporelle de l’obligation a été apportée par un arrêt du 12 septembre 2024 (n° 21-14.946), selon lequel une clause imposant une tentative de règlement amiable avant toute instance oblige à renouveler la démarche à chaque nouvelle saisine juridictionnelle, même si une tentative a déjà eu lieu lors d’une procédure antérieure, par exemple au stade du référé.

Il convient également de souligner que cette fin de non-recevoir ne peut être invoquée à tout moment. Conformément à l’article 74 du Code de procédure civile, les exceptions de procédure - dont font partie les fins de non-recevoir lorsqu’elles ne sont pas d’ordre public - doivent être soulevées in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Le non-respect de cette temporalité emporte forclusion de l’exception. Le recours à une clause de médiation préalable ne peut ainsi être instrumentalisé pour paralyser l’instance a posteriori : il appartient à la partie concernée d’en faire état dès l’ouverture du débat contradictoire.

À côté de cette consolidation jurisprudentielle, le législateur est venu conforter la dynamique en faveur de la résolution amiable des différends par voie conventionnelle. L’introduction de l’article 750-1 du Code de procédure civile par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable depuis le 1ᵉʳ janvier 2020, a institué une tentative préalable obligatoire de résolution amiable, à peine d’irrecevabilité, dans certains contentieux de droit civil. Cette obligation concerne principalement les litiges dont l’enjeu financier est inférieur à 5 000 euros, ainsi que certaines matières listées par voie réglementaire, telles que les troubles anormaux de voisinage, les bornages ou les servitudes. Elle ne s’applique pas en cas d’urgence manifeste, d’empêchement légitime ou d’indisponibilité du service de médiation. Le juge peut relever d’office le défaut de tentative amiable, conférant ainsi à cette obligation une portée substantielle.

De manière plus générale, l’article 54 du même code, impose, dans tout acte introductif d’instance, la mention des diligences entreprises en vue d’un règlement amiable du litige. Cette disposition ne conditionne pas la recevabilité de l’action, mais participe d’une incitation normative à privilégier les modes alternatifs de règlement.

Enfin, l’article 2238 du Code civil vient parachever ce dispositif en matière de prescription. Il prévoit que la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation, ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. Cette disposition protège la partie qui entreprend loyalement une procédure amiable en amont du contentieux, en évitant qu’elle ne soit pénalisée par l’écoulement du temps.

L’ensemble de ces textes et décisions consacre un véritable « statut » juridique de la clause de résolution amiable en droit privé. Loin d’être un simple outil contractuel de bonne volonté, elle est aujourd’hui perçue comme une obligation procédurale contraignante, dont le respect conditionne tant la recevabilité que la régularité de l’instance, tout en bénéficiant d’un encadrement législatif protecteur.

2. Une typologie fonctionnelle des clauses de résolution amiable en droit privé.

Si l’efficacité procédurale de la clause de résolution amiable est aujourd’hui largement reconnue en droit positif, encore faut-il distinguer les différents types de stipulations que recouvre cette appellation générique. En effet, toutes les clauses amiables ne répondent ni à la même finalité ni à la même intensité d’engagement contractuel. Leur typologie repose sur des critères à la fois organiques (présence ou non d’un tiers), fonctionnels (objectif de la clause) et procéduraux (modalité de mise en œuvre). On peut identifier, à titre principal, quatre grandes catégories de clauses, dont l’articulation doit être finement appréhendée.

a. La clause de conciliation.

La clause de conciliation impose aux parties, en cas de différend, de recourir à l’intervention d’un tiers impartial et indépendant, désigné d’avance ou postérieurement à la survenance de l’incident d’un commun accord des parties ou à défaut par un organisme professionnel, en vue de favoriser la recherche d’un accord amiable. Le conciliateur peut proposer des solutions, mais ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel. La procédure de conciliation est régie, en droit commun, par les articles 1530 à 1541 du Code de procédure civile. Elle peut être conventionnelle ou judiciaire, mais dans le cas de la clause contractuelle, elle est toujours de nature conventionnelle.

La jurisprudence civile a reconnu la valeur obligatoire de cette clause lorsqu’elle est rédigée en termes suffisamment clairs. Le manquement à cette obligation constitue une fin de non-recevoir. La deuxième chambre civile, dans un arrêt du 30 juin 2022 (n° 21-12.502), a expressément rappelé que la clause devait être « expresse et non équivoque » [2], et que son non-respect faisait obstacle à la recevabilité de la demande introduite devant le juge. Le recours au conciliateur, dès lors qu’il est prévu, ne constitue donc pas une simple formalité de courtoisie, mais bien une étape procédurale impérative.

b. La clause de médiation.

La clause de médiation prévoit, quant à elle, la désignation d’un tiers facilitateur, appelé médiateur, dont le rôle n’est pas de proposer une solution, mais de faciliter la reprise du dialogue et d’aider les parties à dégager elles-mêmes une solution amiable. La médiation est plus souple que la conciliation dans son déroulement, mais elle suppose, dans le cadre contractuel, un accord sur son déclenchement, ses modalités et, le cas échéant, l’identité du médiateur.

En droit positif, la médiation conventionnelle est régie par les articles 1530 à 1535 du Code de procédure civile. Elle peut également être encadrée par les chartes ou règlements internes de certaines institutions (CMAP, médiateur des entreprises, médiation du crédit, etc.).

La clause de médiation, comme la clause de conciliation, est susceptible de produire une fin de non-recevoir si elle a été stipulée de manière contraignante. La chambre commerciale l’a admis dès 2014 [3], en précisant que l’absence de saisine préalable du médiateur rendait la demande irrecevable, y compris si la clause ne précisait pas en détail les modalités procédurales, dès lors qu’elle imposait clairement un préalable obligatoire.

c. La clause d’arrangement amiable ou de négociation directe.

Plus souple encore, la clause dite d’arrangement amiable (Voir l’article Les clauses favorisant un rapprochement amiable.) impose aux parties de tenter de résoudre leur différend directement, sans intervention de tiers, dans un certain délai. Ce type de clause est souvent introduit dans les contrats commerciaux ou technologiques, et vise une gestion interne du conflit avant tout formalisme. Elle prend des formes diverses, parfois très peu détaillées, et reste souvent perçue comme une simple clause de « bonne volonté ».

Cependant, dès lors qu’elle est formulée en termes impératifs, elle peut également produire des effets procéduraux, même si ceux-ci sont plus discutés. Certaines juridictions ont refusé d’y voir une fin de non-recevoir, au motif de l’absence d’un cadre précis ou de l’impossibilité de vérifier son accomplissement effectif. Il en résulte que la clause d’arrangement amiable, si elle présente une valeur incitative forte, demeure incertaine dans sa portée contraignante sans complément d’encadrement. Sa valeur juridique dépend donc étroitement de sa rédaction.

d. Les clauses de médiation ad hoc ou hybride.

Certaines clauses contractuelles prévoient la possibilité, en cas de différend, de mettre en place une médiation ad hoc, c’est-à-dire conçue spécifiquement pour le litige concerné, en dehors de tout cadre institutionnel. Ces clauses peuvent également combiner plusieurs mécanismes : arrangement amiable initial, suivi d’une médiation institutionnelle, puis d’un arbitrage si échec.

Ce type de clause révèle une sophistication croissante des stratégies contractuelles, en particulier dans les secteurs économiques à haut niveau d’expertise (construction, numérique, énergie). Elle témoigne d’une volonté d’autonomie procédurale accrue, dans le respect toutefois des exigences de clarté et de prévisibilité. Lorsque de telles clauses sont bien rédigées, elles permettent de bâtir une séquence graduée de gestion des différends, souvent nommée « clause d’escalade » (ou multi-tier dispute resolution clause). La Cour de cassation [4] a confirmé la validité de ces clauses complexes, dès lors qu’elles n’entravent pas de manière déraisonnable l’accès au juge. Ainsi, la clause qui impose successivement une négociation amiable, une médiation et, en dernier recours, un arbitrage, est valide, à condition que chaque étape soit clairement définie, que les délais soient raisonnables et que le recours judiciaire ne soit pas écarté de manière définitive.

La typologie des clauses de résolution amiable révèle une gradation de l’engagement procédural allant du simple devoir de négocier loyalement à l’obligation ferme de recourir à un tiers désigné. Cette diversité n’est pas seulement formelle car elle conditionne l’efficacité de la clause sur le terrain contentieux, ainsi que la faculté pour les juridictions d’en tirer les conséquences en termes de recevabilité ou de suspension des délais. Elle suppose donc une vigilance particulière dans la rédaction contractuelle, et une parfaite articulation avec les textes applicables, notamment les articles 2238 du Code civil et 1530 et suivants du Code de procédure civile.

B. Une efficacité subordonnée à la formalisation d’un accord.

L’efficacité des clauses de résolution amiable ne peut se limiter à leur seule portée procédurale. Si leur méconnaissance peut fonder une fin de non-recevoir à l’égard de l’action judiciaire, leur fonction véritable réside dans la recherche d’un règlement substantiel du différend. Toutefois, il ne suffit pas que les parties se soient rencontrées, aient engagé un processus de dialogue, voire aient échangé des propositions informelles : tant qu’aucun accord formalisé n’est intervenu, aucun effet juridique contraignant ne peut être imputé à la phase amiable.

C’est là une distinction structurante entre la phase procédurale de tentative amiable, dont la valeur est sanctionnée par la jurisprudence lorsqu’elle est imposée par contrat, et la phase substantive du règlement du litige. Cette dernière suppose l’émergence d’un consensus, mais surtout sa formalisation conforme au droit commun des obligations.

Le modèle de référence en droit civil français est la transaction, prévue par l’article 2044 du Code civil. Elle se définit comme « le contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ». Cette définition met en exergue trois éléments constitutifs :

La transaction constitue une source autonome d’obligations, dotée d’un effet extinctif du litige et d’une autorité de chose jugée [5], en vertu de l’article 2052 [6] du même code. Elle empêche toute nouvelle action en justice relative au différend qu’elle a purgé, sous réserve des cas de nullité ou de vices du consentement.

En pratique, lorsque les parties souhaitent matérialiser l’issue d’une médiation ou d’une conciliation, elles formalisent un protocole transactionnel. Celui-ci peut prendre la forme d’un contrat sous seing privé, et s’imposera alors en tant que contrat synallagmatique. Il n’est pas nécessaire qu’il soit homologué pour produire effet entre les parties, mais une telle homologation peut en accroître la sécurité juridique et la force exécutoire. C’est l’objet de l’article 1565 [7] du Code de procédure civile, qui prévoit qu’un accord de médiation ou de conciliation peut être homologué à la demande des parties, conférant ainsi à cet acte la même force exécutoire qu’un jugement. Cette faculté permet de sécuriser l’accord sans réintroduire le contentieux, en bénéficiant de l’autorité de l’acte juridictionnel. La juridiction saisie statue alors en chambre du conseil [8], sans débat oral, sur la seule base de l’accord signé.

À défaut de formalisation, qu’il s’agisse d’une transaction, d’un contrat exécutoire ou d’un accord homologué, le règlement amiable n’a aucune portée juridique sur le fond du litige. Même si la médiation s’est déroulée loyalement et a permis un rapprochement des positions, l’accord resté informel ou oral est, en principe, dépourvu d’effets contraignants. La simple déclaration d’intention ou le constat d’un accord de principe n’emporte ni novation [9], ni extinction de la créance litigieuse, ni renonciation à agir. Il est constant sur ce point que seule la preuve d’un accord formel, respectant les exigences du droit des contrats (consentement, capacité, objet, cause), peut produire effet obligatoire.

L’hypothèse d’une rupture fautive des pourparlers amiables soulève également des difficultés. Il est constamment admis que la mauvaise foi dans la conduite d’une médiation contractuellement obligatoire peut engager la responsabilité délictuelle de son auteur, mais cette responsabilité ne se traduit que par la réparation du préjudice de perte de chance ou du trouble causé, sans valoir exécution forcée du projet d’accord. En d’autres termes, la tentative amiable ne saurait, par elle seule, créer d’obligations nouvelles tant que l’accord n’est pas formalisé conformément aux exigences du droit commun.

Enfin, il convient de noter que certaines professions réglementées ou conventions collectives encadrent la forme et la valeur de ces accords amiables (notamment en matière de consommation, de baux commerciaux ou de relations entre établissements de santé). Dans ces cas, l’accord amiable peut être soumis à une procédure d’homologation spéciale, voire à une autorisation administrative, ce qui en accroît la complexité juridique.

Ainsi, la clause de résolution amiable, si elle possède une force procédurale croissante, ne produit de véritables effets obligatoires et exécutoires qu’à la condition d’être suivie d’une formalisation conforme au droit des contrats. Sa valeur tient moins à l’ouverture d’un dialogue qu’à la capacité des parties à transformer ce dialogue en engagement contraignant. C’est dans cette articulation entre phase amiable et formalisme juridique que se joue l’effectivité véritable du mode alternatif de règlement.

Ainsi, en droit privé, la clause de résolution amiable, bien que largement encouragée par les textes et validée par la jurisprudence, ne produit ses pleins effets que dans la mesure où elle respecte un double encadrement : procédural d’une part ; lorsqu’elle conditionne la recevabilité de l’action. Substantiel d’autre part ; lorsque le litige se trouve éteint ou modifié par un accord formel respectant les exigences du droit des obligations. Cette articulation entre autonomie contractuelle, régime juridique de l’acte et reconnaissance contentieuse des engagements amiables révèle un certain degré de plasticité : les parties peuvent librement organiser leur stratégie de prévention des litiges, à condition d’en formaliser les issues de manière rigoureuse.

À bien des égards, cette liberté d’aménagement et cette typologie contractuelle des clauses amiables tranchent avec la logique propre aux contrats administratifs, où la clause de résolution amiable ne découle pas d’un libre agencement entre les volontés, mais s’insère dans une séquence normative prédéfinie. C’est dans le cadre de la commande publique, en particulier au sein des cahiers des clauses administratives générales (CCAG), que cette différence de traitement s’illustre avec le plus de netteté ; là où le droit privé admet une diversité de clauses à géométrie variable, le droit public impose une procédure de règlement préalable structurée, souvent centrée sur le mémoire en réclamation et le recours au comité consultatif.

Il convient dès lors d’analyser comment le droit public, tout en accueillant la clause amiable comme instrument de régulation contractuelle, en circonscrit (dans une certaine mesure) la portée et en encadre l’usage, dans une logique plus procédurale que libérale.

II. En droit public, une clause encadrée dans une procédure précontentieuse et une typologie fonctionnelle spécifique.

Dans le domaine des contrats administratifs, la résolution amiable des litiges occupe une place particulière. Contrairement au droit privé, où la liberté contractuelle permet une large diversité de clauses adaptables aux besoins des parties, le droit public (a priori) impose des cadres procéduraux précis qui gouvernent les différends liés à la commande publique. Ces mécanismes, bien qu’inspirés des pratiques amiables, révèlent une structuration normative spécifique, visant à garantir la transparence, la conformité et la régularité des relations contractuelles.

A. Une procédure préalable de règlement des différends, imposée par les CCAG, à finalité conservatoire.

Dans le domaine complexe des contrats administratifs, la gestion amiable des litiges repose sur une structuration rigoureuse, dictée par des principes visant à préserver l’équilibre des relations contractuelles. Contrairement au droit privé, où la flexibilité règne, le droit public impose des procédures normées, incarnées notamment par les Cahiers des Clauses Administratives Générales (CCAG). Ces dispositifs privilégient une approche conservatoire et contradictoire, servant d’outil incontournable pour prévenir l’escalade contentieuse.

1. Le mémoire en réclamation : un préalable contentieux à portée impérative.

Contrairement à la logique libérale du droit privé, dans laquelle la clause de résolution amiable relève d’une liberté contractuelle encadrée, le droit des contrats administratifs et tout particulièrement celui de la commande publique, repose sur une architecture préétablie, dans laquelle les stipulations amiables s’insèrent dans un dispositif normatif rigide, articulé autour des Cahiers des Clauses Administratives Générales (CCAG). Bien que juridiquement à valeur indicative, ces documents types sont quasi systématiquement repris ou adaptés par les acheteurs publics, en particulier les collectivités territoriales et les services de l’État, leur conférant ainsi une portée para-réglementaire en pratique. Les CCAG, dans chacune de leurs déclinaisons sectorielles (Travaux, FCS, Maîtrise d’œuvre, Prestations Intellectuelles, TIC), instituent une procédure préalable obligatoire de règlement des différends, fondée sur un échange écrit contradictoire, structuré par des délais préfix inextensibles. Ainsi, par exemple :

obligent le titulaire du marché, en cas de différend, à transmettre un mémoire en réclamation motivé à l’acheteur, dans un délai strict (généralement deux mois) à compter de la notification de la décision contestée ou de l’apparition du litige. L’acheteur dispose d’un délai équivalent pour répondre. En cas de silence, le rejet est implicite. Cette procédure constitue une étape contentieuse préalable obligatoire car le juge administratif ne peut être valablement saisi que si le titulaire justifie de l’accomplissement de cette formalité. La jurisprudence administrative confirme que le mémoire en réclamation constitue une condition de recevabilité au recours contentieux. À titre d’illustration, la CAA Bordeaux (2 avril 2024, n° 22BX00937) a jugé qu’un mémoire déposé avant la fin du délai contractuel de deux mois est irrecevable, et la CAA Paris (8 juillet 2016, n° 15PA00180) a précisé que le mémoire doit contenir une motivation suffisamment précise pour être valable. Cette exigence vise une double finalité :

En ce sens, l’échange contradictoire préalable (organisation contractuelle de la logique du recours gracieux), tel que défini dans les CCAG, constitue l’équivalent administratif d’une clause procédurale impérative, dont la méconnaissance, contrairement au droit privé, entraîne directement une irrecevabilité contentieuse sans nécessiter l’invocation d’une fin de non-recevoir par la défense. Le juge l’examine d’office, dans le cadre de son pouvoir propre.

2. Une démarche amiable facultative, encadrée par la loi, mais sans effet contraignant.

En complément de la procédure préalable obligatoire de mémoire en réclamation, les CCAG permettent aux parties de recourir à des dispositifs amiables facultatifs, tels que la saisine du Comité Consultatif de Règlement Amiable (CCRA) ou du Médiateur des entreprises. Ces mécanismes visent à favoriser une gestion apaisée des différends, par la voie extrajudiciaire, sans conditionner l’accès au juge administratif.

D’un point de vue juridique, aucun texte n’impose aux parties, en matière de marché public, de recourir préalablement à un tiers conciliateur ou médiateur avant la saisine du juge. Le Conseil d’État n’a jamais reconnu la saisine du CCRA ou d’un médiateur comme une condition de recevabilité, même lorsque le CCAP l’évoque de manière incitative. En cela, le droit public se distingue nettement du droit privé, où la clause de médiation préalable, lorsqu’elle est formulée de manière claire et précise, peut valoir fin de non-recevoir (Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423). Cependant, la médiation est expressément reconnue et encadrée par le Code de justice administrative, dans son Chapitre III (articles L213-1 à L213-14), issu de la loi Justice du XXIe siècle. L’article L213-1 définit la médiation comme tout processus structuré par lequel les parties tentent de parvenir à un accord avec l’aide d’un tiers choisi ou désigné avec leur accord. La médiation peut être initiée à la demande des parties (art. L213-5), ou proposée par le juge administratif (art. L213-7). Le principe de confidentialité régit la procédure (art. L213-2), et tout accord issu de la médiation peut faire l’objet d’une homologation judiciaire, lui conférant ainsi force exécutoire (art. L213-4).

Surtout, l’article L213-6 consacre un effet juridique temporel majeur :

« Les délais de recours contentieux sont interrompus et les prescriptions sont suspendues à compter du jour où, après la survenance d’un différend, les parties conviennent de recourir à la médiation ou, à défaut d’écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ».

Autrement dit, même si la médiation demeure facultative et non contraignante, son engagement suspend le cours des délais contentieux. Cette disposition transpose en droit administratif les effets de l’article 2238 du Code civil, offrant une sécurité procédurale aux parties de bonne foi qui privilégient une issue amiable. À l’issue de la médiation, les délais recommencent à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, assurant ainsi aux parties un temps raisonnable pour se retourner si la médiation échoue. Notons également que, dans certains contentieux spécifiques, notamment en matière sociale ou de relations individuelles de travail dans la fonction publique. Dans cette matière, la médiation peut être préalable obligatoire, conformément à l’article L213-11 du même code. Toutefois, cette médiation obligatoire ne concerne pas les marchés publics.

En définitive, le droit public adopte une approche duale car il impose une procédure préalable rigide, fondée sur un mémoire en réclamation conforme aux CCAG, mais laisse toute latitude quant à l’engagement d’une procédure amiable formalisée. Cette asymétrie témoigne d’une conception encore hiérarchisée de la gestion contractuelle, où la liberté de négociation reste encadrée par des impératifs de régularité et de contrôle juridictionnel. Cependant, la médiation, même non obligatoire, bénéficie d’une reconnaissance législative croissante, et s’inscrit dans un mouvement plus large de transformation culturelle de l’action publique : celle d’un État contractant qui n’exclut plus, par principe, le dialogue structuré et encadré avec ses partenaires.

B. Vers une typologie administrative spécifique et l’émergence de clauses amiables sui generis.

Les pratiques de règlement amiable des litiges en droit public se trouvent à un carrefour marqué par la coexistence d’une rigidité procédurale et d’une recherche d’adaptabilité. Alors que le droit privé offre une typologie bien définie de clauses amiables (conciliation, médiation et arrangements) le cadre administratif, en raison de ses exigences normatives et de l’ordre public contractuel, peine à opérer une transposition directe de ces concepts. Toutefois, une nouvelle dynamique se dessine avec l’émergence de mécanismes spécifiques au droit administratif, visant à conjuguer prévention des différends et flexibilité contractuelle.

1. Une transposition imparfaite de la typologie civile : conciliation, médiation, arrangement… sauf dérogation contractuelle au CCAG.

La typologie des clauses de résolution amiable, classiquement développée en droit privé, distingue plusieurs mécanismes : la clause de conciliation, fondée sur un dialogue bilatéral sans tiers ; la clause de médiation, impliquant l’intervention d’un tiers impartial pour faciliter l’émergence d’un accord ; et la clause d’arrangement amiable, à visée plus souple, orientée vers une adaptation contractuelle informelle ou pragmatique. Ces instruments reposent tous sur le principe fondamental de liberté contractuelle, garanti par l’article 1102 du Code civil. Chaque clause emporte des effets procéduraux différents ; certaines ont une valeur impérative en ce qu’elles peuvent fonder une fin de non-recevoir en cas de saisine prématurée du juge (notamment en matière de médiation préalable obligatoire), tandis que d’autres relèvent d’une logique plus souple ou incitative. Cette typologie, construite dans l’ordre juridique privé, ne trouve qu’un écho partiel en droit public, et plus particulièrement dans le cadre de la commande publique (les marchés publics).

En effet, la procédure préalable de réclamation organisée par les Cahiers des Clauses Administratives Générales (CCAG), bien qu’elle s’inscrive dans une logique de règlement non juridictionnel, ne relève ni de la conciliation ni de la médiation au sens propre. Elle constitue une obligation formelle, unilatéralement imposée par les documents types, et dépourvue de toute dimension volontaire. Le titulaire du marché n’a pas le choix, il doit impérativement transmettre un mémoire en réclamation, sous peine d’irrecevabilité contentieuse. Cette procédure est donc contraignante quant à la forme, mais limitée quant à l’ouverture d’un véritable dialogue. En revanche, le recours à un tiers neutre, comme le Comité Consultatif de Règlement Amiable (CCRA) ou le Médiateur des entreprises, s’apparente davantage à une médiation. Cependant, cette intervention demeure strictement facultative et dépourvue d’effet contraignant tant qu’un accord formel n’est pas obtenu et régularisé selon les règles de droit commun (notamment par transaction ou protocole d’accord).

Par ailleurs, la clause d’arrangement amiable, souvent mobilisée en droit privé pour permettre des ajustements contractuels agiles, se heurte ici à la rigueur des règles de modification en cours d’exécution. L’ordre public contractuel, la transparence et l’égalité d’accès à la commande limitent en effet la possibilité de négocier unilatéralement des aménagements.

Mais cette impossibilité n’est pas absolue. Le CCAG n’a qu’une valeur supplétive. Il peut être modifié, complété ou écarté par le Cahier des Clauses Administratives Particulières (CCAP). Il en résulte que, par voie de dérogation explicite, le pouvoir adjudicateur (ou l’entité adjudicatrice) peut insérer des clauses de conciliation, de médiation, voire d’arrangement amiable, mimétiques de celles que l’on rencontre en droit privé. C’est notamment le cas dans les marchés complexes ou stratégiques (infrastructure, santé, numérique), où l’administration souhaite ménager des marges de dialogue ou de négociation structurée. Ces clauses doivent toutefois être formulées avec rigueur, respecter le cadre du Code de la commande publique, et ne pas porter atteinte aux principes fondamentaux de la commande publique (égalité, libre accès, transparence). Ainsi, si la transposition directe de la typologie privée est limitée par défaut, elle redevient possible par stipulation expresse. Le CCAP devient alors un espace d’innovation contractuelle, permettant une hybridation des modèles amiables, à la condition que ces clauses soient claires, loyales, et conformes à l’intérêt général.

2. L’émergence des clauses de réexamen : une régulation amiable encadrée et anticipative.

L’approche administrative de la résolution amiable des litiges, longtemps marquée par une culture de la rigidité procédurale, connaît une évolution significative à travers l’intégration croissante de mécanismes préventifs, organisés dès la phase de contractualisation. L’exemple le plus emblématique de cette évolution est celui des clauses de réexamen, régies par l’article R2194-1 du Code de la commande publique. Ces clauses constituent une exception aux principes classiques de la commande publique, notamment l’obligation de mise en concurrence en cas de modification substantielle du contrat.

Concrètement, l’article R2194-1 prévoit que le marché peut être modifié sans nouvelle procédure de publicité ou de mise en concurrence lorsque les modifications ont été prévues dès l’origine, sous la forme de clauses dites de réexamen. Ces dernières doivent être insérées dans les documents contractuels initiaux, rédigées de manière claire, précise et sans équivoque, et doivent définir avec exactitude le champ d’application, la nature des modifications envisageables, ainsi que les conditions de leur mise en œuvre.

Ces clauses permettent ainsi d’introduire une souplesse encadrée dans la gestion des contrats publics. Elles anticipent des évolutions structurelles, telles que des variations de prix, des adaptations techniques, des évolutions réglementaires, ou encore des modifications quantitatives liées à des aléas économiques ou logistiques. Leur activation suppose un dialogue entre les parties, mais celui-ci se déroule dans un cadre contractuellement balisé, garantissant la sécurité juridique du processus et la préservation du principe d’égalité entre les opérateurs économiques.

Par leur fonction adaptative, les clauses de réexamen remplissent un rôle préventif stratégique à l’instar des clauses de résolution amiable. Elles permettent aux acheteurs publics de préserver la continuité de l’exécution du contrat sans nécessairement recourir au contentieux, et sans engager de procédure amiable au sens classique (médiation, conciliation, etc.). Il s’agit d’un outil de gouvernance contractuelle, qui permet d’absorber les tensions et déséquilibres au fil de l’exécution sans rompre l’économie générale du marché.

En cela, les clauses de réexamen peuvent être considérées comme des clauses amiables sui generis, propres au droit de la commande publique. Elles se distinguent des mécanismes classiques de résolution amiable par leur finalité prospective et leur inscription dans l’économie générale du contrat, plutôt que dans une logique postérieure de réparation ou de conciliation. Elles ne sont pas nécessairement activées lors de la survenance d’un différend, car visent à en éviter la survenance, en organisant à l’avance les marges de flexibilité admissibles par les parties. Cependant, dans la mesure où le processus est posé en avance, de manière claire et précise, les clauses de réexamen peuvent prendre l’aspect d’une clause d’arrangement, de conciliation ou de médiation voire celle d’une clause d’escalade » (ou multi-tier dispute resolution clause).

Cette contractualisation anticipée du dialogue révèle une mutation de la culture administrative. En effet, le modèle hiérarchique et formaliste du contrat administratif laisse progressivement place à une logique plus fluide, fondée sur la coproduction et l’adaptabilité, à condition que cette dernière soit strictement encadrée et transparente. L’acheteur public, loin de se cantonner à un rôle d’autorité unilatérale, devient un acteur de l’équilibre contractuel, capable d’activer des leviers de régulation amiable tout en respectant les principes fondamentaux du droit de la commande publique. Ainsi, les clauses de réexamen participent à une hybridation des cultures juridiques, conciliant l’exigence de sécurité juridique propre au droit administratif avec une souplesse contractuelle raisonnée, inspirée des logiques de droit privé. Elles témoignent d’une transformation plus large du droit des contrats publics, orientée vers une gestion partenariale, plus pragmatique, plus anticipative et potentiellement plus efficace.

Mais si la clause de réexamen (en particulier) ou une clause amiable dérogatoire dans la CCAP constitue un levier structurant de régulation en cours d’exécution, sa mise en œuvre ne règle pas tous les différends, notamment lorsque l’interprétation de la clause, ou son application à un cas concret, fait encore débat. Dans ces hypothèses, ou lorsque les parties parviennent à un accord amiable dans ou en dehors du périmètre initialement défini par les documents contractuels, il est essentiel de formaliser cet accord selon les formes juridiques adéquates. Deux instruments peuvent alors être mobilisés : la transaction et le protocole d’accord.

La transaction, définie par l’article 2044 du Code civil, est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître par des concessions réciproques. Elle suppose un litige réel ou potentiel, et repose sur l’abandon mutuel de prétentions. En matière administrative, elle est encadrée par la jurisprudence du Conseil d’État (CE, avis, 6 mars 2002, n° 238204), qui admet sa validité dès lors qu’elle ne contrevient pas à une règle d’ordre public et qu’elle respecte l’intérêt général. La transaction produit autorité de chose jugée (article 2052 du Code civil), ce qui la rend insusceptible de contestation, sauf vice du consentement ou vice de forme.

Le protocole d’accord, quant à lui, n’implique pas nécessairement de concessions réciproques. Il peut formaliser un accord de principe sur la conduite du contrat, sur des engagements de comportement ou sur des modalités techniques d’exécution. Il s’agit alors d’un acte de gestion contractuelle, qui n’a pas la force d’une transaction, mais qui peut produire des effets contraignants en tant que contrat administratif, notamment lorsqu’il est signé par l’autorité compétente et respecte les règles de passation et de publicité le cas échéant.

Ainsi, la clause de réexamen ouvre la voie à une modulation contractuelle anticipée, mais sa consolidation juridique dépend souvent d’un acte de formalisation postérieure. Selon la nature du compromis trouvé, les parties devront choisir entre une transaction juridiquement ferme, apte à clore le litige, ou un protocole d’accord opérationnel, destiné à ajuster l’exécution sans prétention contentieuse. Cette dualité d’instruments participe à la montée en puissance d’une logique amiable intégrée, dans laquelle le droit administratif adopte progressivement les outils du dialogue contractuel, tout en veillant à la sécurité juridique des engagements.

La clause de résolution amiable, qu’elle soit stipulée dans un contrat privé ou insérée dans un marché public, remplit une fonction convergente de pacification contractuelle :

Mais cette finalité commune ne doit pas masquer la divergence profonde des régimes juridiques applicables.

En droit privé, la clause relève d’une liberté contractuelle structurée. Elle peut être qualifiée de clause procédurale obligatoire, voire de fin de non-recevoir lorsqu’elle est claire, précise et loyale. Elle produit des effets substantiels lorsqu’elle aboutit à un accord formalisé, par transaction ou protocole d’accord. Sa valeur tient à sa cohérence avec le principe d’autonomie de la volonté.

En commande publique, la clause amiable s’inscrit dans un cadre contraint, dominé par le respect du principe de légalité, de transparence et d’intangibilité contractuelle. Le mémoire en réclamation constitue une formalité préalable impérative, et les clauses de réexamen, bien qu’amiables dans leur fonction, restent juridiquement prédéfinies et encadrées. Toutefois, la possibilité d’introduire, via le CCAP, des stipulations dérogatoires mimétiques du droit privé, conjuguée à la reconnaissance des effets procéduraux de la médiation administrative (art. L213-6 CJA), révèle une dynamique d’hybridation fonctionnelle plus que (pour l’heure) de convergence normative.

Ainsi, à mesure que s’intensifie le phénomène de contractualisation de l’action publique, le droit administratif semble de plus en plus ouvert à une gestion amiable, anticipée et structurée des différends, sans renoncer à ses fondements organiques.

Cette tension féconde appelle une réflexion doctrinale renouvelée sur les limites, les conditions d’opposabilité, et l’encadrement normatif des mécanismes amiables, à l’heure où la médiation elle-même fait l’objet d’un mouvement de juridicisation [10].

Laurent Thibault Montet Docteur en droit https://www.linkedin.com/in/montet-laurent-thibault-51b01a10a http://www.motsdunjuriste.fr/

[1En droit, une démarche extrajudiciaire est une procédure, action ou acte accompli sans intervention d’un juge ou d’un tribunal, mais qui peut tout de même produire des effets juridiques. Elle peut : précéder un procès (comme une mise en demeure), s’y substituer (comme une médiation ou une transaction), ou s’inscrire dans le prolongement d’une relation contractuelle sans ouverture de contentieux.

[2Cass. 2é Ch. civ. 30 juin 2022, pourvoi n°21-12.502 » : il résulte du premier de ces textes que le non-respect des clauses contractuelles relatives aux modes de règlement alternatif des litiges constitue une fin de non-recevoir dès lors que le contrat édicte de manière expresse et non équivoque le recours à la conciliation comme un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction ».

[3Cass. com., 29 avril 2014, n° 12-27.004 : « Attendu que pour déclarer la société Medissimo irrecevable en ses demandes, l’arrêt retient que constitue une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du Code de procédure civile la stipulation contractuelle par laquelle les parties sont convenues qu’elles soumettront leur différend à un règlement amiable préalable et que cette fin de non-recevoir s’impose au juge même si la clause se limite à évoquer un règlement amiable sans préciser la procédure à suivre ».

[4Cass. com., 29 avril 2014, n° 12-27.004.

[5Article 1355 du Code civil : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». L’autorité de chose jugée est un principe fondamental du droit processuel selon lequel une décision juridictionnelle définitive s’impose aux parties et fait obstacle à ce qu’un nouveau procès soit intenté sur la même affaire. Elle confère à une décision de justice un effet obligatoire, tant pour l’avenir que pour les juridictions appelées à connaître d’un litige similaire.

[6Article 2052 du Code civil : « La transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ».

[7Article 1565 du Code de procédure civile (CPC) : « L’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée ».

[8L’expression « statuer en chambre du conseil » désigne une modalité particulière de jugement, prévue par le Code de procédure civile, selon laquelle le juge rend sa décision hors la présence du public, c’est-à-dire à huis clos, dans un cadre plus confidentiel que l’audience publique habituelle (art. 433 CPC).

[9La novation est une opération juridique par laquelle une obligation ancienne est éteinte et remplacée par une nouvelle, qui se distingue de la première par son objet, sa cause ou ses parties (art. 1329 du Code civil).

[10La juridicisation désigne le processus par lequel une pratique, un comportement ou une relation sociale est progressivement encadré, structuré et régulé par des normes juridiques. Autrement dit, ce qui relevait auparavant de la souplesse, de l’informalité ou du consensuel devient saisi par le droit - avec des règles, des conditions de validité, des effets contraignants, et parfois des sanctions.

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