Village de la Justice www.village-justice.com

Le recours contre l’obligation de quitter le territoire français. Par Benjamin Brame, Avocat.
Parution : mardi 1er avril 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/recours-contre-obligation-quitter,16592.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le but de cet article est de présenter succinctement, l’art et la manière de contester cette décision administrative issue de la loi du 16 juin 2011.

En effet, ce recours répond à une mécanique bien huilée, et est le plus souvent l’affaire d’un avocat spécialiste en droit des étrangers.

Il répond à des règles de procédure principalement issues du droit administratif et du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Mais avec un peu d’humilité, qui manque malheureusement si souvent à notre profession d’avocat, je pense qu’il est possible d’expliquer à tout un chacun, comment appréhender la structure permettant d’attaquer cette décision, si effrayante pour l’étranger qui en est un jour la cible.

I. Un recours contre une décision en trois parties

L’obligation de quitter le territoire français, dit OQTF, se présente sous la forme d’un acte unique, mais celui-ci intègre plusieurs décisions.

Au sein de cette décision, un premier article informe l’étranger que sa demande de titre de séjour est refusée. Un deuxième article précise quant à lui à l’intéressé qu’il doit quitter le territoire français dans un délai d’un mois ou sans délai. Enfin, un troisième article indique le pays dans lequel l’étranger sera renvoyé.

Le recours contre cette décision doit donc revêtir la forme d’un recours contre trois décisions.

Ce recours se distingue du contentieux de la rétention administrative ou de l’assignation à résidence, car ces deux dernières décisions administratives font l’objet d’un acte distinct, même si elles doivent être notifiées le même jour que l’OQTF.

II. La mise en forme du recours suit une architecture logique et pratique

Pour un néophyte ce contentieux prendra un certain temps dans la rédaction.

En revanche pour l’expert en droit des étrangers, ce sera surtout le travail de classement des pièces qui en vérité s’avérera chronophage.

En effet, comme c’est toujours le cas en droit des étrangers, chaque argument doit être soutenu par la production de pièces attestant les arguments soutenus dans le recours.

A. Le recours contre le refus de séjour

Le recours contre un refus de séjour est un contentieux dit de l’excès de pouvoir, grand classique du contentieux administratif. Par conséquent il est ici question d’attaquer la légalité d’un acte administratif. Cet acte sera alors contesté sous deux angles, celui de la légalité « externe » et celui de la légalité « interne ».

Légalité externe du refus de séjour

Ce terme de « légalité externe » que seuls les « aficionados » du droit administratif comprennent est pourtant simple à expliquer, on emploi l’adjectif « externe » car on va attaquer la nature extérieure de la décision, à savoir, la compétence de son auteur et sa motivation, ou son absence.

Légalité interne du refus de séjour

Ici l’adjectif « interne » signifie tout simplement, qu’au regard des circonstances de l’espèce le requérant va démontrer que la loi a été mal appliquée. C’est donc la substance même du syllogisme juridique de la décision qui est ici attaquée : les faits constituent la « mineure », la règle de droit la « majeure », et l’application de la règle aux faits la conclusion de la motivation de l’administration.

A ce titre, il existe quantité de règles applicables et chaque contentieux d’espèce est par nature spécifique, il faudra alors à chaque fois s’attacher à prouver qu’en fonction des pièces apportées au soutien du recours, la loi a été violée par l’autorité administrative.

Mais s’il est vrai que chaque cas est différent, la majorité des annulations de refus de séjour par le juge administratif s’opère sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) protégeant le droit fondamental de mener une vie privée et familiale normale.

En effet, la mesure administrative de refus de séjour, a presque qu’inexorablement une incidence sur la vie privée et familiale du requérant d’origine étrangère. Cet individu que l’on prive de son choix de vivre là où il a décider de s’établir, de fonder une famille, d’y construire une vie sociale et professionnelle.

B. Le recours invoquant l’illégalité de l’OQTF

Dans le corps du recours contre le refus de séjour, l’étranger devait invoquer les moyens prouvant que l’administration n’a pas fait une étude correcte du dossier. Ici, dans le recours contre l’OQTF elle-même, à savoir, l’éloignement du territoire français proprement dit, ce seront les arguments légaux empêchant l’éloignement de l’intéressé qui seront mis en avant.

La loi énumère à l’article L.551-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers les cas précis dans lesquels une OQTF ne peut être prise contre un étranger :

- L’étranger mineur ;

- L’étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;

- L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ;

- L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

- L’étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

- L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

- L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger résidant régulièrement en France, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage ;

- L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;

- L’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays de renvoi.

- Le ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de sa famille, qui bénéficient du droit au séjour permanent.

C. Le recours contre le pays de destination

De nombreux avocats négligent cette étape du recours contre le pays de destination fixé par l’OQTF. C’est une grave erreur, car en fonction de l’histoire du demandeur, les arguments développés peuvent prendre tout leur sens.

En effet l’étranger doit démontrer qu’en cas de retour dans son pays d’origine il sera sans doute la victime de traitements dégradants et inhumains contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

A l’instar d’un recours dans le cadre d’une demande d’asile, il faudra alors s’attacher à prouver l’éventualité de ces risques de façon aussi détaillée que possible, et faire cette démonstration en expliquant très concrètement pourquoi l’intéressé serait personnellement exposé à des mauvais traitements.

En effet, la seule invocation d’une situation générale de troubles dans le pays n’est pas suffisante. De surcroît, si l’intéressé est un ancien demandeur d’asile, il devra alors rappeler ici la procédure d’examen de sa demande et conclure en démontrant que le rejet de sa requête par la Cour nationale du droit d’asile n’implique pas l’inexistence de risques pour lui ou pour sa famille restée au pays.

A contrario, si l’étranger sous le coup d’une OQTF n’avait pas fait de demande d’asile préalable, mais qu’il existe bel et bien des risques, il lui faudra alors démontrer à la fois l’existence de ces risques et expliquer au juge administratif les raisons pour lesquelles l’asile n’a pas été demandé.

III. L’importance fondamentale du choix des productions de pièces jointes au recours

Le choix des pièces, appelées « productions » dans les contentieux de nature administrative, est un aspect du travail de l’avocat tout aussi décisif pour gagner un dossier que l’écrit lui-même.

Cette sélection des pièces pertinentes à l’appui de la défense de son client requiert une attention particulière, et participe pleinement à la stratégie de défense de l’avocat.

En effet, il ne faut produire que des pièces utiles à la cause du client, à savoir uniquement des productions qui apportent la preuve d’un fait juridique, un fait susceptible d’entraîner l’application d’une règle de droit.

Certaines pièces ont plus de valeur probante que d’autres (les actes de l’administration notamment), ce sont celles qu’il faudra demander en priorité au client et mettre en avant. Cependant, les pièces qui prises isolément sont considérées comme moins probantes, peuvent constituer un faisceau d’indices propre à confirmer l’authenticité du fait avancé (tels que les témoignages par exemple).

En l’absence de tels documents, d’autres preuves sont à prendre en compte (ordonnances médicales, contrat de location et quittances de loyer, contrat de travail, etc.).

Un « bon » dossier sera alors celui pour lequel on pourra verser aux débats un ou deux documents émanant de l’administration ou de services publics par année, et deux ou trois autres documents qui confirmeront la présence de la personne sur le territoire pour telle ou telle année.

En outre, il est nécessaire d’évaluer l’apport d’une preuve matérielle. Certaines pièces peuvent discréditer un dossier parce que soit elles établissent un fait qui fragilise le client et dont l’adversaire pourra se servir dans sa propre argumentation, soit elles vont à l’encontre de la stratégie déployée par l’avocat. Par exemple, il est rarement opportun de mentionner l’existence de membres de la famille proche à l’étranger, si on souhaite rester sur le territoire français sous le prétexte de la vie privée et familiale.

Enfin, l’avocat doit être vigilant à ne pas produire de faux documents ou des documents falsifiés, ce qui d’une part le discréditerait aux yeux des juges, soucieux du respect de la déontologie, et d’autre part aurait forcément une incidence non négligeable sur la crédibilité du dossier et donc anéantirait les chances de succès du client.

A cette étape, il pourra être nécessaire de réclamer à son client des pièces complémentaires pour consolider sa défense. Un nouveau rendez-vous s’avérera donc utile pour expliquer sa démarche à l’intéressé et faire le point sur le dossier et les prochaines étapes à venir.

Une fois l’axe de défense arrêté et le choix des pièces effectué, l’avocat pourra alors enfin entrer dans la deuxième étape fondamentale de son travail liée à la stratégie de défense : la rédaction des écritures.

Le fil d’Ariane du succès d’un recours contentieux se concentrera donc sur le choix des productions, leur pertinence par rapport à la contestation de la motivation de l’administration.

Il est donc fondamental, que les étrangers effectuent, en amont avec l’avocat, un véritable travail de classement des pièces.

Car s’il est vrai que les étrangers en situation administrative irrégulière sont souvent appelés les « sans-papiers », cette formule est vraiment mal choisie.

En effet, afin d’avoir des chances de succès lors du recours contre l’OQTF où lors de leur demande de titre de séjour, ceux-ci se doivent de conserver l’ensemble des documents prouvant leur résidence en France, leurs liens avec le territoire.

Et comme j’avais déjà pu l’écrire lors d’un précédent article : Travailleurs sans-papiers et étrangers : leurs droits ?

Les « sans-papiers » devraient donc à mon avis plutôt être surnommés les « avec beaucoup de papiers mais parfois pas les bons ! »

Maître Benjamin Brame Avocat au Barreau de Paris Droit des Contentieux Publics & Droit des Etrangers Site Web : http://www.brame-avocat.com [mail->contact@brame-avocat.com]
Comentaires: