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Les atteintes à l’obligation de reclassement du salarié. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : vendredi 5 février 2016
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Dans un contexte de refonte du Code du travail prévue pour 2017, le rapport présenté par la commission présidée par Robert Badinter sur les principes essentiels du droit du travail confirme la volonté du législateur de restreindre l’obligation de reclassement du salarié inapte et licencié pour motif économique.
L’article 28 du rapport de la Commission Badinter précise que « le licenciement pour motif économique ou inaptitude physique du salarié ne peut être prononcé sans que l’employeur se soit efforcé de reclasser l’intéressé, sauf dérogation prévue par la loi ».

Ainsi, si le reclassement du salarié inapte ou licencié pour motif économique est affirmé comme un des principes essentiels du droit du travail, la possibilité pour le législateur d’y déroger l’est également « sauf dérogation prévues par la loi ».

La commission ayant travaillé « à droit constant » (extrait de l’introduction par Robert Badinter au rapport du comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail - janvier 2016), elle ne pouvait qu’entériner les brèches récentes portées par le législateur à l’obligation de reclassement.

Les atteintes portent à la fois sur l’obligation de reclassement du salarié inapte professionnellement et sur celle du salarié licencié pour motif économique.

I. Les atteintes à l’obligation de reclassement du salarié inapte suite à une maladie professionnelle ou à un accident du travail

L’article R.4626-29 du Code du travail modifié par le décret n°2015-1588 du 4 décembre 2015 prévoit que le salarié doit bénéficier d’une visite de reprise auprès du médecin du travail après une absence pour accident du travail ou accident non professionnel d’au moins 30 jours et pour maladie professionnelle.

A l’issue de cette visite de reprise, le médecin du travail rend un avis sur la reprise et les conditions de la reprise éventuelle par le salarié de son travail dans l’entreprise.

Cette visite de reprise est également le point de départ pour l’employeur de son obligation de reclassement du salarié suivant les préconisations données par le médecin du travail (articles L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail).

À partir de cette obligation légale de recherche de reclassement, la Cour de cassation a développé une obligation de moyen très renforcée de l’employeur qui doit s’efforcer et prouver qu’il a tenté de reclasser le salarié quel que soit son degré d’inaptitude totale ou partielle, temporaire ou permanente, inapte à tout travail ou à tout emploi dans l’entreprise, et même en cas de « danger immédiat » (Chambre Sociale, arrêts du 9 juillet 2008 n°07-41318 et 1er février 2012 n°10-23500) [1]

Jusqu’alors le reclassement du salarié inapte s’opérait sous l’étroite surveillance des juges qui veillaient à ce que l’employeur justifie :
-  Avoir recherché les possibilités de reclassement postérieurement au second avis d’inaptitude (Chambre Sociale, arrêt du 4 novembre 2015 n°14-11879) ;
-  Avoir étendu ses recherches au groupe dont fait partie l’entreprise (confirmation de la jurisprudence du 14 décembre 2011 n°10-19652, Chambre Sociale, arrêt du 7 octobre 2015 n°14-12835) ;
-  Ainsi qu’aux « possibilités d’aménagement ou de transformation de poste » (Chambre Sociale, arrêt du 7 octobre 2015 n°14-11545) ;
-  Avoir poursuivi ses recherches nonobstant le refus par le salarié de la proposition de reclassement de l’employeur, ce seul refus ne justifiant pas de l’impossibilité de reclassement de l’employeur (Chambre Sociale, arrêt du 25 janvier 2012 n°10-19966)
 ;
-  Y compris quelle que soit la position prise par le salarié qui avait alors manifesté son souhait de se maintenir à son domicile, l’employeur devant néanmoins « rechercher les possibilités de reclassement par la mise en œuvre de mesure telle que mutation ou transformation de poste de travail au sein de l’entreprise et le cas échéance du groupe auquel elle appartient » (Chambre Sociale, arrêt du 6 mai 2015 n°13-27349) ;
-  Avoir effectué cette recherche de reclassement de bonne foi, ce qui suppose qu’elle ne devait pas être succincte mais s’inscrire dans la durée (Chambre Sociale, arrêt du 1er février 2012 n°11-10837), être « conforme aux préconisations du médecin du travail » et être « en rapport avec les capacités du salarié » (Chambre Sociale, arrêt du 6 mai 2015 n°13-21689).

La loi n°2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi dit « loi Rebsamen » modifiant l’article L.1226-12 alinéa 2 du Code du travail relatif à l’inaptitude d’origine professionnelle met un terme à cette jurisprudence protectrice du salarié fragilisé :
« L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L.1226-10 soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions.
Il peut également rompre le contrat de travail si l’avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Désormais, la loi instaure un régime autonome de licenciement sans recherche de reclassement de l’employeur lorsque le médecin du travail « mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Non seulement cette disposition opère un revirement majeur de toute la jurisprudence élaborée par les juges sur le fondement de la loyauté contractuelle, mais de manière plus étonnante encore, le législateur institue une protection inégalitaire entre le salarié inapte professionnellement et le salarié dont l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle.

En effet, et sauf nouvelle modification du Code du travail, la jurisprudence créatrice d’une véritable obligation de reclassement renforcée à l’égard de l’employeur reste applicable au salarié dont l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle.

Ainsi et paradoxalement le salarié dont l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle est mieux protégé dans son reclassement que le salarié dont l’inaptitude est d’origine professionnelle.

Le nouvel article L.1226 – 12 du Code du travail heurte la règle élevée au rang de principe essentiel du droit du travail par la commission présidée par Robert Badinter en son article 43 qui dispose que « tout salarié victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle bénéficie de garanties spécifiques ».

Relativement à l’obligation de reclassement, c’est le salarié dont l’inaptitude n’est pas professionnelle qui bénéficie actuellement d’une garantie spécifique supérieure au salarié inapte professionnellement.

On ne peut que regretter cette distorsion inéquitable et en défaveur du salarié dont l’inaptitude est d’origine professionnelle. Cette entorse légale risque fort de créer de nouvelles batailles judiciaires et une jurisprudence interprétative consécutive.

II. Les atteintes au reclassement du salarié licencié pour motif économique

Le détricotage de la jurisprudence protectrice du salarié licencié pour motif économique s’est effectué en deux temps.

D’origine prétorienne, née de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative au salarié protégé qui veillait déjà à ce que l’employeur justifie que le reclassement du salarié ne pouvait être assuré dans l’entreprise, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation s’est développée après la suppression de l’autorisation administrative des licenciements économiques et la dévolution du contentieux du licenciement économique aux juridictions prud’homales.

A l’instar de la jurisprudence élaborée pour le salarié inapte, la Cour suprême a développé une jurisprudence particulièrement pointilleuse sur le respect par l’employeur de son obligation de reclassement du salarié licencié pour motif économique.

Les très récentes décisions rendues en la matière le confirment.

Que ce soit dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, où les juges vérifient :
-  La pertinence du plan qui « doit comporter des mesures précises et concrètes susceptibles d’assurer le reclassement des salariés à l’intérieur du groupe auquel la société appartient et, à défaut de postes disponibles, de faciliter les départs à l’extérieur du groupe ».

La Cour de cassation validant l’arrêt d’appel qui avait relevé que :
« Attendu que le plan fournissait des informations qui n’étaient que le simple rappel ou la reproduction des aides et dispositifs étatiques, que la mention de propositions de reclassement était seulement évoquée dans le paragraphe consacré à son budget… ce document ne comportait aucune description de mesures concrètes de reclassement des salariés… (qu’il) n’était pas soutenu l’absence de postes disponibles dans les sociétés du groupe et que le liquidateur a interrogé celles-ci postérieurement à l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi… et, par ces seuls motifs, que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse » ( Chambre sociale, arrêt du 29 septembre 2015 n°14-12748) ;

- Lorsque l’employeur a agi avec déloyauté

1er arrêt :
« la cour d’appel qui a constaté que le liquidateur judiciaire avait notifié aux salariés leur licenciement sans attendre de savoir si les sociétés du groupe qu’il avait sollicitées avaient des possibilités de reclasser les salariés, en a justement déduit… que le liquidateur judiciaire avait manqué à son obligation de reclassement et que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse » (Chambre sociale, arrêt du 28 mai 2015 n°14-12015 et suivant) ;

2ème arrêt :
L’employeur n’ayant pas procédé à une recherche sérieuse de reclassement et « soutenait sans aucunement le justifier qu’il ne disposait aucun poste vacant et qu’il ne justifiait en outre d’aucune recherche effective de reclassement sur un poste équivalent ou un emploi de catégorie inférieure au sein de l’entreprise qui ne comptait pas moins de 77 salariés au moment du licenciement » (Chambre sociale, arrêt du 28 janvier 2015 n°13-23442).

Un coup d’arrêt vient d’être porté à l’une des exigences prégnantes de la jurisprudence : l’obligation par l’employeur d’étendre sa recherche de reclassement aux sociétés du groupe dans le monde entier (dont Chambre sociale, 4 décembre 2007 n°05-46073) :
"Attendu cependant, que les possibilités de reclassement … doivent être recherchées à l’intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer une permutation du personnel, même si certaines de ces entreprises sont situés à l’étranger, sauf à l’employeur à démontrer que la législation applicable localement aux salariés étrangers ne permet pas le reclassement)".

Et le 8 novembre 2009 n° 08-44 215 :
"Mais attendu que la cour d’appel qui a constaté que le groupe auquel appartenait l’entreprise comportait notamment, des entreprises situées en Espagne et en Italie, dont l’activité l’organisation et le lieu d’exploitation permettait la permutation de tout ou partie du personnel, et que l’employeur s’était abstenu de proposer aux salariés un poste à l’étranger en se fondant sur leur volonté présumée de le refuser a, par ses seuls motifs, légalement justifié sa décision)".

Cette modification s’est opérée en deux temps :
La recherche de reclassement de l’employeur a en 1er lieu été réduite à une simple obligation d’informations du salarié par la Loi n°2010-499 du 18 mai 2010 modifiant l’article L.1233-4-1 du Code du travail, qui, sous couvert de mettre fin à des propositions « indécentes » de reclassement du salarié à l’étranger prévoyait le processus suivant :

Dans le cadre de la recherche de reclassement inhérente au licenciement pour motif économique, l’employeur doit proposer au salarié le principe de son reclassement à l’étranger.

Celui-ci doit y répondre dans un délai de 6 jours en notifiant ses restrictions, l’absence de réponse du salarié valant un refus de sa part.

Ce n’est qu’en troisième lieu que l’employeur doit adresser au salarié des offres écrites et précises de reclassement à l’étranger.

Très récemment, la loi dite «  loi Macron » du 6 août 2015 a modifié une nouvelle fois l’article L.1233-4-1 expurgeant toute obligation de l’employeur de reclassement du salarié à l’étranger.

Aux termes du nouvel article L.1233-4-1 du Code du travail, l’employeur n’a plus aucune obligation de recherche de reclassement du salarié à l’étranger.

Il appartient au salarié seul de solliciter l’employeur en vue de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national :
« Lorsque l’entreprise ou le groupe de l’entreprise dont fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l’employeur des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts notamment en matière de rémunération et de localisation. L’employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises ».

Désormais, le déclenchement de l’obligation de reclassement de l’employeur repose, en ce qui concerne le reclassement du salarié à l’étranger, sur les seules épaules du salarié.

Il est prévisible que le nombre de salariés désemparés par la procédure de licenciement pour motif économique dont ils font l’objet n’auront ni la connaissance de cette nouvelle obligation mise à leur charge ni le réflexe de solliciter leur reclassement à l’étranger.

Il s’agit d’une brèche majeure dans le droit de l’obligation de reclassement élaborée depuis plus de 20 ans par la Cour suprême partant du principe qui semblait acquis, qu’il appartient au législateur et au juge de protéger le plus faible à l’égard du plus fort.

Nous suivrons donc avec attention la lecture judiciaire qui en sera faite par les juges au cours des prochaines années.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com
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