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Ubérisation des avocats : Internet et le renouveau de la relation client-avocat. Par Eve d’Onorio di Méo, Avocat.
Parution : jeudi 21 avril 2016
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Depuis deux ou trois ans, face à un besoin croissant de droit, ont émergé en France de nouveaux acteurs non avocats qui viennent bousculer ce marché et la profession d’avocat. Dans ce contexte, les avocats doivent réagir et utiliser à leur tour les nouvelles technologies pour renouer avec le public.

Le constat : un besoin de démocratisation du droit

Le nombre d’avocats exerçant en France est d’aujourd’hui 60.000, mais pour autant l’accès au droit ne s’est pas amélioré alors que les besoins en matière juridique sont de plus en plus présents chez les Français. Ces derniers sont pourtant de moins en moins enclins à faire appel à un avocat pour différentes raisons, notamment un contexte économique difficile, une mauvaise information concernant la profession et la crainte d’une facturation exorbitante.

Dans ce contexte, ont émergé des legal start-up que certains qualifient de « braconniers du droit ». Ces sociétés proposent des services juridiques dématérialisés et automatisés à moindre coût grâce à la standardisation de documents juridiques notamment.

Il n’est à ce stade pas tout à fait exact de parler d’ubérisation du droit. En effet, l’ubérisation consiste à utiliser des services permettant aux professionnels et aux clients de se mettre en contact direct, de manière quasi-instantanée, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies en s’inscrivant dans le cadre de l’économie collaborative. Ainsi, grâce à de nouveaux modes de partage, d’échange et de location permis par Internet, les particuliers peuvent collaborer entre eux et y trouver une source de rémunération. Le vieux modèle de l’économie « traditionnelle » est alors remis en cause, comme Uber qui menace l’activité des taxis traditionnels ou encore le modèle BlaBlaCar qui pourrait ubériser la SNCF.

Il serait alors plus juste de parler de disruption du marché du droit. Clayton Christensen, professeur à Harvard en donne la définition suivante : « ne sont disruptifs que les nouveaux entrants qui abordent le marché par le bas, et se servent des nouvelles technologies pour proposer des produits ou services moins chers ». C’est exactement ce que font les legal start-up aujourd’hui : elles abordent le marché du droit par le bas pour combler un manque et viennent bousculer ce marché tout entier et la profession d’avocat.

Toute innovation ou disruption n’est pourtant pas forcément destructrice. Le besoin de droit existe et les avocats doivent eux aussi utiliser les nouvelles technologies pour combler ce manque et renouer le pacte avec le public.

Une plateforme en ligne pour rendre l’exercice de la profession plus efficace

Innover en utilisant une plateforme web, c’est avant tout oser bouger les lignes et aller au-devant des clients, et ce quels que soient les outils technologiques utilisés, pour garantir un meilleur accès au droit.

L’information gratuite notamment dont la diffusion est facilitée par le web pourrait être le renouveau de la relation client-avocat et le vecteur de la mise en relation. En effet, tout type d’information se retrouve sur la toile, mais bien souvent cette information est mauvaise car diffusée par des non experts. L’avocat doit se replacer dans le marché du droit sur Internet. Enfin, en donnant de son savoir, l’avocat est plus à même de vendre son expertise, qui est sa vraie valeur ajoutée.

Innover pour renouer le contact avec le public c’est garantir un contact humain et une relation client-avocat que les legal start-up, avec des outils numériques très avancés pour permettre la standardisation, ne pourront jamais proposer.

La consultation en ligne doit être réservée aux avocats

Le droit est structurant et formateur de nos sociétés. Il est facteur d’équilibre social et de protection du citoyen. Le droit ne pourra jamais être une marchandise mais un outil de confiance que l’avocat seul doit manipuler. La déontologie exigeante de notre profession permet aussi au citoyen d’avoir l’assurance de bénéficier de la meilleure des garanties au travers du concours d’un professionnel du droit.

En matière juridique, les legal start-up comblent un manque dans le secteur du droit pour faciliter et démocratiser l’accès à la justice pour tous les usagers, ce qui est une très bonne chose en soi, mais elles ne pourront jamais exercer le droit ou remplacer les avocats.

Si la diffusion en matière juridique de renseignements ou d’informations à caractère documentaire est libre, il n’en va pas de même de la consultation juridique et de la rédaction d’actes sous seing privé pour autrui. Le Conseil national des barreaux considère que le fait qu’un document soit personnalisable sur un site Internet à l’aide d’un questionnaire et si cet acte est créateur de droit, peut être assimilable à une rédaction d’actes relevant exclusivement de la mission de l’avocat.
Cette position est à nuancer car la mission de l’avocat sur des actes types, tels que ceux présents sur ces plateformes (notamment des statuts), réside surtout dans l’expertise de ce dernier sur la problématique du client. C’est cette valeur ajoutée qu’il faut protéger, en empêchant qu’un conseil juridique soit donné par des « juristes » non avocats pour remplir ces documents. Le simple fait de remplir un document en ligne à l’aide d’algorithmes puissants doit être perçu par les avocats comme un moyen de promouvoir leur savoir et leur expertise pour ensuite « entrer en scène » et assister le client.

Une autre difficulté concerne également les sites qui se proposent, sous diverses modalités, de mettre en relation les internautes avec des avocats. Dans ces cas, il s’agit de vérifier qui est en relation contractuelle avec le client pour la délivrance d’une consultation juridique : si le service de référencement contracte directement avec le client, puis sous-traite à un avocat, il est en infraction avec la loi du 31 décembre 1971. L’avocat ne doit jamais être le sous-traitant de telles plateformes et celles-ci doivent se limiter à référencer les avocats, sans interférer dans la relation client-avocat. Cette position est sans doute amenée à évoluer également.

Ainsi, la possibilité de conseiller un client en ligne doit donc bien être réservée aux seuls avocats. Ces derniers ne pourront jamais être remplacés par les legal start-up. La plupart de ces start-up ont besoin des avocats pour fonctionner : elles peuvent permettre à l’usager de réaliser un document juridique en ligne, mais ne peuvent pas le conseiller en la matière. L’idée serait peut-être de collaborer dans un équilibre et une complémentarité avec ces structures, afin de permettre l’accès au droit pour tous.

Quel avenir pour la profession d’avocat ?

La profession d’avocat a incontestablement besoin d’évoluer et se moderniser si elle veut continuer d’exister dans le nouveau monde numérique où l’instantanéité est de mise. Toutefois, cette adaptation doit se faire dans le respect de nos règles déontologiques au risque d’être dénuée de nos belles valeurs.

Les avocats doivent donc aujourd’hui s’adapter au monde qui change en osant, en innovant, en allant au-devant du public, et pourquoi pas en travaillant de concert avec ces legal start-up. L’avocat doit continuer de garantir l’une de ses principales missions qui est l’accès au droit.

NDLR : Eve d’Onorio di Méo a remporté le Prix du public de l’innovation des avocats en relation-client 2016, pour sa plateforme EtaxFrance.

Eve d'Onorio di Méo Avocat spécialiste en Droit Fiscal [->ed@donorio.com] www.donorio.com
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