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Le divorce amiable sans juge : plus de bons heurts que de bonheur ? Par Bruno Ancel, Avocat.
Parution : jeudi 15 décembre 2016
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Pour Oscar Wilde, les hommes se marient par lassitude, les femmes par curiosité... Les deux sont déçus. Force est de constater que l’on se marie parfois par manque de réflexion ; de même, on divorce par manque de patience ; et on se remarie par manque de mémoire ou sous le feu de la passion.

Selon un proverbe français, mieux vaux par conséquent un bon divorce qu’un mauvais mariage. Lorsque l’on passe insensiblement de l’amour du conjoint à celui du compte joint, lorsque l’un des époux ne remplit plus ses obligations, quelle est la meilleure solution ?

La loi de modernisation de la justice au XXIème siècle : une avancée ?

Récemment, le Conseil constitutionnel a validé la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Désormais, le divorce se fera sans le regard éclairé des magistrats (sauf lorsque le mineur demande à être entendu, ce qui peut favoriser son instrumentalisation). Les avocats ont un rôle majeur à jouer pour conseiller les époux. Après rédaction des requêtes et conventions de divorce, c’est le notaire et non plus le juge qui leur donnera force exécutoire.

Cette forme accélérée de divorce est en phase avec l’esprit du XXIème siècle caractérisé par une remise en question des valeurs traditionnelles, rupture déjà initiée dans le domaine de l’art avec Kandinsky, Schoenberg, Ionesco, etc.

Toutefois, elle ne va pas sans poser de difficultés. Même si la déjudiciarisation du divorce s’inscrit dans un mouvement amorcé dans plusieurs pays, elle n’en reste pas moins problématique. Le délai de réflexion de 15 jours octroyé aux époux n’est pas une garantie suffisante contre tout abus.

Les effets pervers de la déjudiciarisation

La tendance croissante à la privatisation du droit de la famille semble pernicieuse. Il est regrettable que le droit soit influencé, voire gouverné par des considérations économiques. Le glissement vers une logique contractuelle semble la porte ouverte à de nombreuses injustices. D’ailleurs le rapport Guinchard en 2008 avait très justement écarté une telle proposition.

Compte tenu des risques de conflits futurs, la commission avait estimé que « l’économie budgétaire que représenterait, pour l’État, une déjudiciarisation serait hypothétique, sinon nulle ».

Pour les époux mariés non pas sous le régime de la séparation de biens, mais le régime de la peur, le nouveau divorce sera t-il la panacée ? Quid de la protection des plus vulnérables ? Quid du contrôle de l’équilibre des intérêts en présence ? Quid de l’intérêt supérieur des enfants ?

L’actualité la plus brûlante met souvent en exergue un combat inégal entre deux parties aux moyens financiers asymétriques. Ce faisant, on glisse subrepticement d’un ordre public de protection à une logique de soumission. C’est la loi du plus fort qui règne en maître, c’est-à-dire un système où la relation devient affect–tueuse. Y aura t-il un futur pour les victimes d’abus au sein des couples ?

Les incohérences du droit français

Notre droit français est éminemment ambigu : d’un côté, de nombreuses lois visent à améliorer le sort des victimes de violences conjugales ; de l’autre, le divorce amiable devient moins protecteur. Pourquoi, une telle dichotomie entre le versant pénal et le versant civil ? Cela est d’autant plus surprenant que la France a ratifié la convention d’Istanbul. Ainsi, les violences commises et les différentes formes de pression semblent disparaître dans la nuit civile de l’oubli.

En définitive, la loi de modernisation de la justice c’est plus de bons heurts que de bonheur. Ce que les époux gagnent en rapidité, ils le perdent en sécurité. Selon nous, il aurait été plus sage d’octroyer plus de moyens aux tribunaux que de supprimer le juge aux affaires familiales véritable pierre angulaire dans les procédures de divorce amiable.

La relégation du divorce à la sphère privée est tout sauf constructive. Il est crucial de changer le paysage légal du droit de la famille si l’ on veut éviter toutes sortes de maux. Les sentiments noués et exprimés dans l’environnement familial constituent le sous-bassement de notre humanité. Ne négligeons pas cette problématique.

Voir notre article dans la revue Lexbase : B.ANCEL, Le projet de loi de modernisation de la justice au XXI ème siècle : une bombe à retardement ? in Lexbase Edition Professions n° 217 du 2 juin 2016

Maitre Bruno ANCEL Avocat au Barreau de Paris www.avocat-ancel.fr F: https://www.facebook.com/Cabinet-de-Maître-ANCEL-Bruno-407622609432838/
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