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Salariés, sachez obtenir le paiement de votre prime d’objectif en 2017 (ii). Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : vendredi 5 mai 2017
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Au fur et à mesure de l’élaboration par les Juges des règles applicables en matière de prime d’objectifs / rémunération variable / bonus, les clauses contractuelles en matière de rémunération variable s’affinent et se complexifient.

Le constat d’une frontière ténue entre la prime discrétionnaire et la prime d’objectifs a fait l’objet d’un précédent article en 2016

En 2017, la reconnaissance du caractère discrétionnaire ou obligatoire de la rémunération variable du salarié fait toujours l’objet d’un contentieux croissant.

Comment les Juges distinguent une prime variable discrétionnaire d’une prime variable obligatoire ?(I) Quelles sont les obligations de l’employeur à l’égard d’une prime variable discrétionnaire ? (II)

I. Comment les Juges distinguent une prime variable discrétionnaire d’une prime d’objectif obligatoire ?

➢ Soit la prime est prévue par le contrat de travail :

Une salariée saisit la Cour de Cassation après avoir été déboutée de son rappel de prime, la Cour d’Appel ayant relevé que (i) la prime dépendait de l’appréciation du responsable hiérarchique, (ii) qu’aucun critère objectif n’était défini pour l’attribution de la prime, (iii) et que la société justifiait de difficultés financières, l’ensemble caractérisant selon les juges du fond le caractère discrétionnaire de la prime dont la salariée aurait été privée régulièrement.

La Cour de Cassation donne raison à la salariée et casse l’arrêt d’appel en relevant :

« que le contrat de travail prévoyait que la salariée avait droit à une prime individuelle qualitative annuelle dont le montant dépendait de l’appréciation de son travail par son supérieur hiérarchique, d’autre part que l’employeur, qui avait l’obligation d’engager chaque année des négociations avec la salariée en vue de fixer d’un commun accord avec elle les modalités de calcul de ladite prime, n’établissaient pas avoir satisfait à cette obligation » (Cass. Soc. 29 mars 2017 n°16-10251).

En d’autres termes, dès lors que le contrat de travail prévoit une prime et les conditions de fixation de cette prime telle que l’appréciation du travail du salarié et l’obligation d’engager chaque année des négociations avec le salarié, la prime a un caractère obligatoire et non purement discrétionnaire.

Dans la plupart des cas, des clauses sont bien stipulées entre les parties mais doivent être interprétées par les Juges pour déterminer si les parties ont entendu lui donner un caractère discrétionnaire ou obligatoire.

➢ Le caractère obligatoire peut ressortir d’un simple courrier adressé par l’employeur au salarié dans lequel l’obligation de l’employeur n’est pas contestable.

La Cour d’Appel de Versailles 15ème chambre (1er février 2017 n°14/04913) a ainsi reconnu l’engagement de l’employeur au versement d’une prime obligatoire, « (selon) les termes du courrier (adressé par l’employeur)…intitulé votre variable de 2010 et qui prévoit « une rémunération variable complémentaire » démontrant un engagement unilatéral clair, précis et définitif rendant son versement obligatoire dès lors que les conditions définies (par l’employeur) étaient remplies ».

La Cour relevait également les conditions précisées par l’employeur dans ce courrier « à partir de 2012, une rémunération variable complémentaire pourra vous être octroyée sous certaines conditions (dont une condition de maintien de la performance) à réaliser durant les trois prochaines années… Il ne s’agit donc pas d’une prime discrétionnaire dépendant de la seule volonté (de l’employeur). Les conditions d’octroi de la prime étaient définies dans le courrier et son annexe ».

➢ Le caractère obligatoire d’une prime peut être reconnu à partir d’une note de l’employeur.

Si un courrier peut engager l’employeur, tel est également le cas d’une note adressée aux salariés ainsi que le constate la Cour d’Appel de Versailles 17ème chambre dans son arrêt du 11 janvier 2017 (15/01116) qui relève :

« Qu’il résulte de la note établie le 25 mars 2010 par…le Directeur Général Délégué, que la rémunération variable (du salarié) avait fait l’objet d’un engagement verbal quant à un montant garanti au titre de l’année exercice 2009 et qu’il n’est pas par ailleurs discuté qu’il a perçu une rémunération variable de 120 000 € en 2010 pour l’année 2009 ;
que la pratique généralisée d’une rémunération variable individuelle dans l’entreprise sous la forme de bonus d’activité annuelle est établie tant par les attestations de… salariées de la société que par la note produite par l’employeur lui-même…qui présente les critères sur lesquels la rémunération variable est calculée (sur le secteur du salarié)…
qu’aux termes de cette note, « cette rémunération variable, par nature discrétionnaire, est liée aux performances globales de l’entreprise et aux performances individuelles évaluées sur la base de critères mesurables tant quantitatif que qualitatif spécifique à chaque fonction…
cette note constituant un engagement unilatéral de sa part, l’employeur ne peut se retrancher derrière le montant discrétionnaire affirmé par celle-ci alors qu’elle prévoit des critères qui n’ont pas été respectés… ».

Ainsi, les Juges ne s’arrêtent pas spécifiquement au contrat de travail du salarié mais prennent en compte tout courrier et note de celui-ci dès lors que des conditions d’octroi de la prime sont établies.

Dans l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon du 11 janvier 2017 (13/04508) les Juges ont dû interpréter « la commune intention des parties ».

Un contrat de travail initial prévoyait une prime variable pour les exercices 2009 et 2010 et mentionnait :
« le bonus annuel (du salarié) et son salaire seront revus après une année dans ses fonctions », et l’avenant postérieur indiquait : « le salaire… versé jusqu’à présent (au salarié) est maintenu au même niveau et dans un premier temps pour ses responsabilités nouvelles…sans autres précisions sur les modalités de calcul pour l’avenir de la prime de bonus prévue par le contrat de travail initial ».

Les Juges du fond tenant compte de la clause de renégociation initiale stipulée par les parties ont alors souverainement estimé :
« (que) le contrat de travail liant les parties au jour de sa rupture stipulait bien une prime de bonus pour les années 2009 et 2010, prime qui devait faire l’objet d’une éventuelle renégociation pour les années suivantes ; que cette renégociation n’a jamais été formalisée mais que l’employeur ne conteste pas avoir versé cette prime de bonus de 10 000 € (les années suivantes) ».

C’est en l’état de ces constatations que la Cour a alors estimé :
« que la commune intention des parties a été de reconduire d’année en année cette prime à son montant annuel de 10 000 € en cas d’atteinte des objectifs fixés…que dès lors il n’est pas sérieux de la part de l’employeur de prétendre que son règlement en janvier 2013 au titre de l’exercice 2012 de cette prime de 10 000 € était constitutive d’une libéralité discrétionnaire alors qu’il était tenu au paiement de cette prime : par une clause du contrat de travail pour son principe, et par l’usage des exercices 2011 et 2012 pour son montant ».

C’est donc à la fois l’obligation de renégociation inscrite dans le contrat de travail et le versement régulier de la prime d’objectif les années suivantes qui a déterminé les Juges à considérer que nonobstant l’absence de négociation, le paiement de cette prime avait été tacitement reconduite entre les parties à objectifs atteints.

➢ Soit aucune prime n’est prévue dans le contrat de travail

La chambre sociale de la Cour de cassation a jugé par deux arrêts en 2015 (28 janvier 2015 numéro 13 – 23421 et 16 décembre 2015 (n°14-21904) les conditions rendant obligatoire le paiement d’une prime versée non mentionnée dans le contrat de travail (En savoir plus : https://www.village-justice.com/articles/salaries-obtenez-paiement-votre,21449.html) :

Ainsi, si la prime n’est pas prévue par le contrat de travail, celle-ci peut néanmoins être reconnue comme une prime obligatoire si elle revêt les caractéristiques d’un usage à savoir, (i) si elle est versée à tous les salariés de l’entreprise ou à tous les salariés d’une même catégorie de l’entreprise, (ii) si son montant est fixe (iii) et si son versement est constant.

C’est ainsi que la Cour d’Appel de Paris Pôle 6 – Chambre 2 (16 février 2017 n°16/07433) a dénué à une prime le caractère d’un usage obligatoire au sein de l’entreprise car (i) si elle était versée régulièrement aux salariés chaque année et d’un même montant depuis plus de 6 ans, (ii) ce montant variait d’un salarié à l’autre dans l’entreprise sans aucune règle précise :

« l’attribution de la prime litigieuse paraît revêtir un caractère discrétionnaire en ce qu’elle peut varier, à la hausse ou à la baisse, d’une année à l’autre ou d’un salarié à l’autre sans que cette variation découle de l’application une règle préétablie ».

En conclusion, dès lors qu’une prime est mentionnée dans le contrat de travail avec un objectif fixé, elle perd son caractère discrétionnaire et constitue une rémunération obligatoire due par l’employeur à objectifs atteints.

A défaut, et en cas de prime verbale, le salarié pourra faire reconnaitre son caractère obligatoire à la condition d’établir qu’elle remplie les conditions d’un usage : fixité constance et généralité.

II. Quelles sont les obligations de l’employeur à l’égard d’une prime variable discrétionnaire

Le seul fait qu’une prime soit discrétionnaire ne dispense pas l’employeur de respecter le principe d’égalité de traitement de ses salariés selon le principe : « à travail égal salaire égal » (en savoir plus : https://www.village-justice.com/articles/salariEs-sachez-contester-les,19691.html)

L’arrêt déjà évoqué précédemment (https://www.village-justice.com/articles/salaries-obtenez-paiement-votre,21449.html) a fixé l’obligation de l’employeur de respecter l’égalité de traitement nonobstant le caractère discrétionnaire de la prime :

« Le seul fait qu’une prime soit laissée à la libre appréciation de l’employeur n’est pas de nature à justifier, en soit une différence de traitement au salarié placé dans une situation comparable au regard de l’avantage considérée, qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’elle avait constaté que les primes litigieuses avaient été versées à d’autres salariés sans caractériser l’existence de critères objectifs définis préalablement permettant de vérifier la qualité de travail du salarié pour l’octroi de ces primes, la Cour d’Appel a violé le principe susvisé » (Cass. Soc. 13 janvier 2016 n°14-26050).

Les Cours d’Appel veillent à ce que sous couvert du caractère discrétionnaire d’une prime l’employeur ne procède pas à une sanction pécuniaire illicite du salarié en contraignant l’employeur à justifier des raisons objective du versement ou non versement de cette prime discrétionnaire au salarié.

Ainsi, la Cour d’Appel de Versailles 11ème chambre le 7 juillet 2016 (n°14/03757) constate l’inégalité de traitement du salarié (i) qui justifie que les salaries ayant adhéré comme lui au PSE ont eu un bonus diminué, (ii) que son bonus était déterminé à la fois par les résultats du Groupe de son département et de sa performance personnelle, (iii) « aucun élément ne fait apparaitre qu’il aurait démérité au cours de l’année 2008, ce dernier rappelant qu’il a au contraire bénéficié d’une promotion en août 2008, (iv)et que l’employeur malgré, une sommation de communiquer les bonus versés aux membres de son équipe et directeurs des autres zones géographiques… n’a pas communiqué ces éléments ;
que dans ces conditions il sera retenu que (le salarié) justifiait en son principe d’une inégalité de traitement… ; il sera fait partiellement droit à sa demande de rappel de bonus… ».

La Cour d’Appel de Nîmes le 15 novembre 2016 (n°15/00672) relève également une inégalité de traitement à l’égard d’une salariée établissant avoir perçu des primes annuelles inférieures à ses collègues (i) ainsi qu’il apparaissait à la lecture de la déclaration nominative annuelle des salaires (ii) et son travail ayant été jugé satisfaisant, la Cour relevant que l’employeur ne justifiait pas « par des raisons objectives et pertinentes la disparité de traitement dans l’attribution des primes entre les cadres de l’entreprise, quand bien même ils appartiennent à des catégories différentes, (et ne faisait pas la preuve de la mauvaise qualité du travail fourni par la salariée…étant observé…qu’il ne fait état d’aucune sanction disciplinaire ni même d’aucun rappel à l’ordre adressé à l’intéressé pendant l’année ayant précédé son licenciement… ».

L’absence de mise en garde de l’employeur est également relevée par la Cour d’Appel de Paris Pôle 6 – Chambre 8 dans son arrêt du 16 février 2017 (n°13/11465) qui relève que :
« (si l’employeur) expose que la prime discrétionnaire n’était pas nécessairement due (au salarié) et que les mauvais résultats de l’intéressé expliquent ce non versement ;…X étant le seul salarié de la société (employeur) à n’avoir pas bénéficié de ces gratifications et aucune pièce – mise en garde ou remontrance quelconque envers l’intéressé – n’étant versée aux débats, l’absence de gratification apparait constitutive d’un traitement inégal que rien ne vient justifier… ».

Ainsi, que la prime variable et le bonus du salarié soient discrétionnaires ou non, les décisions des Juges tendent régulièrement à protéger un des éléments fondamentaux et contrepartie de la relation de travail, la rémunération du salarié.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com