Village de la Justice www.village-justice.com

La « désuétude » en droit de la nationalité française. Par Stéphanie Calvo et Barbara Clauss, Avocats.
Parution : lundi 5 mars 2018
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/desuetude-droit-nationalite-francaise,27875.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La Cour de cassation se prononce dans le contentieux de la décolonisation : Civ 1er Arrêt du 28 février 2018 pourvoi 17-14307.
Des dispositions peu usitées du Code civil (article 30-3 du Code civil) génèrent du fait du cinquantenaire des indépendances des territoires anciennement sous souveraineté française (Algérie, Afrique, établissements français de l’Inde), une abondante jurisprudence depuis 2012.

Introduite dans le Code Napoléon, la « désuétude » en droit de la nationalité vient sanctionner le non-usage de sa nationalité par un ressortissant français établi hors de France. Dans la rédaction de 1804, l’installation à l’étranger doit être faite « sans esprit de retour ». Le Code de la nationalité de 1945 a repris cette notion avec des critères plus objectifs : la désuétude menace le français « par filiation » dont le parent dont il tient la nationalité est établi hors de France depuis un demi-siècle et qui n’a, pas davantage que son parent français, ni résidence en France ni « possession d’état de français » (passeport, carte d’identité, inscription consulaire par exemple).

Ce texte, à l’application difficile en raison de la combinaison de ses conditions, a abouti à de nombreuses décisions constatant l’irrecevabilité des actions déclaratoires de nationalité de personnes françaises par filiation originaires des anciennes colonies françaises.

Le tribunal comme la cour d’appel de Paris, - les juridictions parisiennes étant seules compétentes pour connaître de la situation des français résidant à l’étranger, - analysent la perte de la nationalité par désuétude avant tout comme une fin de non-recevoir probatoire de l’action déclaratoire de nationalité.

Il convient ici de rappeler que l’action déclaratoire de nationalité, si elle peut être portée directement en justice, est aussi la voie de recours contentieuse des refus de certificat de nationalité. Celles et ceux qui ont été contraints de justifier de leur nationalité en saisissant le Service de la Nationalité des Français établis hors de France savent à quel point les délais de traitement sont longs, compte tenu de la surcharge extrême de ce service.

L’idée a alors été de soutenir que les demandes de certificats, introduites avant la date anniversaire des Indépendances, constituaient des actes interruptifs de cette « prescription cinquantenaire » posée par l’article 30-3 du Code civil. Telle n’a pas été la position de la Cour d’Appel de Paris qui a jugé, à de nombreuses reprises « Que (…) les dispositions de l’article 30-3 du code civil, qui ne constituent pas un délai de prescription de l’action mais ont trait au régime probatoire de la nationalité française »
(CA Paris – Pole 1 Chambre 1 – 21 février 2017 – n° 15/17134 notamment)

L’enjeu s’est alors déplacé sur la détermination de la date à laquelle le juge apprécie les conditions d’application de la fin de non-recevoir.

En effet, les praticiens de ce contentieux se sont retrouvés confrontés à une situation quelque peu paradoxale : Rappelons que la « désuétude » concerne les français d’origine « par filiation ». Elle n’est donc pas opposable aux personnes nées avant l’Indépendance de leur territoire d’origine et qui, en application des dispositions légales ou conventionnelles en la matière, ont conservé leur nationalité française d’origine. Ceux-là sont en effet français par « droit du sol ».

Leurs enfants en revanche, nés après les Indépendances, donc à l’étranger, se voient opposer depuis 2010 ou 2012 selon les cas, la « désuétude » alors même que leur mère ou leur père, demeuré français après la décolonisation, bénéficiaient d’un jugement qui le constatait.

Juridiquement parlant, le tribunal et la Cour de Paris considéraient, pour parvenir à ce résultat, que l’appréciation des conditions de l’article 30-3 était cristallisée au jour de l’assignation. Si l’acte introduction d’instance était postérieur au cinquantenaire des Indépendances, la « désuétude » est encourue par l’enfant, quand bien même le parent est reconnu français
Situation quelque peu ubuesque qui aurait pu permettre à des enfants d’un parent français nés avant la procédure de ne pas bénéficier de cette nationalité tandis qu’un petit frère ou une petite sœur nés ou adoptés après, le serait de droit…

Cette analyse allait de surcroit contre les dispositions des articles 122 et suivants du Code de procédure civile relatifs aux régularisations des fins de non recevoir, notamment à l’article 126 de ce code.

C’est précisément sur ce point que la Cour de cassation vient de contredire la jurisprudence conforme de la Cour et du TGI dans un premier arrêt en date du 28 février 2018 en rappelant que le juge doit apprécier l’application des conditions d’application de la fin de non-recevoir de l’article 30-3 du Code civil au jour où il statue.

Dés lors, la Haute Cour a retenu que c’est à tort que les juges du fond ont considéré comme inopérante la possession d’état de française de la mère du requérant, au motif que celle-ci était constituée d’éléments postérieurs au jugement la déclarant de nationalité française, jugement obtenu en suite d’une action elle-même introduite postérieurement à la date anniversaire des Indépendances.

Ce faisant, la Cour a heureusement rappelé la nature de fin de non-recevoir posée par l’article 30-3 du Code civil, susceptible d’être écartée si les conditions de son application ne sont plus réunies au jour où le juge statue.

Stéphanie Calvo Avocat à la Cour stephanie.calvo.avocat@gmail.com Barbara Clauss Avocat au barreau de Paris
Comentaires: