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L’action récursoire des caisses : suite... Par Renaud Deloffre, Conseiller à la Cour d’appel de Douai.
Parution : lundi 10 septembre 2018
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Par un arrêt de non-admission du 12 juillet 2018, la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation renoue clairement avec la solution posée par son arrêt du 31 mars 2016 aux termes de laquelle la caisse conserve son action récursoire contre l’employeur dans tous les cas d’inopposabilité de la décision de prise en charge pour irrégularité de la procédure d’instruction menée par la caisse.

La question se pose de savoir si la solution appliquée par cet arrêt de non-admission exprime sur cette question de manière durable la position de toutes les formations de la 2ème Chambre de la Cour en matière de sécurité sociale.

Dans un article paru sur ce site en juin de cette année sur « Les incertitudes persistantes concernant l’action récursoire des caisses de sécurité sociale » nous nous attachions à l’examen de la jurisprudence intervenue sur les conséquences de l’inopposabilité des décisions de prise en charge sur l’action récursoire des caisses pour recouvrement des sommes avancées par cette dernière à la victime en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Nous estimions dans cet article qu’à la date des deux arrêts de non admission de la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 25 janvier 2018 (n° de pourvoi 16-28.658 et 16-28.659), l’on pouvait raisonnablement penser que l’inopposabilité de la décision de prise en charge pour des motifs tenant à une irrégularité de la procédure suivie par la caisse continuait à faire obstacle à son action récursoire s’agissant des procédures d’instructions diligentées avant le 1er janvier 2010 et que pour les procédures diligentées à partir de cette date se posait la question de savoir si la caisse, dans l’hypothèse d’une inopposabilité pour un motif tenant à l’irrégularité de la procédure, conservait son action récursoire pour toutes les actions en reconnaissance de faute inexcusable, quelle que soit leur date d’engagement, ou uniquement pour celles diligentées à partir du 1er janvier 2013.

Nous indiquions également qu’un arrêt de la même Chambre du 15 février 2018 ( n° de pourvoi 17-12.567), tout en apportant une précision extrêmement intéressante sur la notion d’irrégularité de fond continuant à faire obstacle à l’action récursoire de la caisse, jetait le doute sur les perspectives qui avaient pu être dégagées au vu de la jurisprudence antérieure.

Comme nous l’indiquions, cette affaire portait sur une maladie professionnelle déclarée par la veuve de la victime le 31 octobre 2008 et qui avait donné lieu à une action en reconnaissance de faute inexcusable engagée devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Vosges qui par un jugement du 27 juin 2012 avait retenu la faute inexcusable de l’employeur, liquidé les préjudices de la victime et de ses ayants droits et ordonné la récupération par la caisse à l’encontre de l’employeur des sommes avancées par elle pour le cas où les décisions de prise en charge de la maladie et du décès seraient déclarées opposables à ce dernier à l’issue de la procédure en inopposabilité opposant la caisse à l’employeur.

Un arrêt du 29 janvier 2014 de la Cour d’Appel de Nancy, intervenu dans les rapports entre l’employeur et la caisse, ayant déclaré la décision de prise en charge de la maladie inopposable à l’employeur à raison de l’absence de preuve par la caisse du caractère professionnel de la maladie, la Cour d’Appel de Metz , saisie de l’appel du jugement du 27 juin 2012, en a déduit qu’il convenait de rejeter l’action récursoire de la caisse.

Devant la Cour de Cassation, la caisse faisait valoir qu’elle conservait en toute hypothèse son action récursoire, compte tenu selon elle du principe désormais consacré du cloisonnement des procédures, tandis que l’employeur faisait valoir que l’inopposabilité de la décision de prise en charge continuait à faire obstacle à l’action récursoire de la caisse s’agissant d’une décision prise sous l’empire des dispositions antérieures au décret du 29 juillet 2009 et il faisait valoir au surplus que la caisse perd son action récursoire lorsque l’inopposabilité résulte non d’une irrégularité de la procédure mais d’une décision de justice écartant l’existence d’une maladie professionnelle dans les rapports entre la caisse et l’employeur.

La Cour de Cassation, dans l’arrêt du 15 février 2018, décide que le caractère professionnel de la maladie n’ayant pas été reconnu dans les rapports entre la caisse et l’employeur et ce par arrêt passé en force de chose jugée, la Cour d’appel en avait exactement déduit que la caisse ne pouvait récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de sa faute inexcusable, les majorations de rente et indemnités versée par elle.

Nous indiquions que cet arrêt était extrêmement intéressant dans la mesure où il en résultait clairement que l’inopposabilité pour un motif de fond, à condition qu’il résulte d’une décision passée en force de chose jugée, continue à faire obstacle à l’action récursoire de la caisse.

Mais nous nous interrogions également sur la question de savoir pourquoi la Cour de Cassation, qui était saisie du moyen en ce sens de l’employeur, n’avait pas dit, s’agissant d’une procédure d’instruction engagée antérieurement au 1er janvier 2010, que l’inopposabilité de la décision de prise en charge faisait obstacle à l’action récursoire de la caisse plutôt que de fonder sa solution sur l’absence de caractère professionnel de la maladie dans les rapports entre la caisse et l’employeur, qui constitue un motif d’inopposabilité de fond, et nous nous posions la question de savoir si la Cour de Cassation ne considérait pas que inopposabilité n’était pas en soi de nature à justifier la solution mais qu’il fallait fonder cette dernière sur l’existence d’une inopposabilité de fond ce dont il résulterait qu’elle entendait renouer avec son arrêt du 31 mars 2016 ( n° 14-30.015 au Bull II n° 92 ) qui posait la règle générale du maintien de l’action récursoire de la caisse dans toutes les hypothèses d’inopposabilité pour irrégularité de la procédure suivie par cette dernière, règle de portée générale applicable à toutes les procédures d’instruction et se substituant aux dispositions plus restrictives de l’article L.452-3-1 du Code de la sécurité sociale qu’elle rendait sans objet.

Un arrêt de non admission n° 17-21.042 du 12 juillet 2018 rendu sous la présidence de Monsieur Pretot accrédite cette dernière hypothèse.

Dans cette affaire, la Cour de Cassation avait à connaître d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’Appel de Metz du 4 mai 2017 (arrêt n° 17/00144 RG n° 15/01634) qui avait confirmé le jugement qui lui était déféré sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et de l’inopposabilité à ce dernier de la décision de prise en charge mais réformé ce jugement en ses dispositions privant la caisse de son action récursoire et, statuant à nouveau de ce chef, avait condamné l’employeur au remboursement à la caisse des sommes mises à la charge de cette dernière en réparation des préjudices de la victime et de ses ayants droits et de la majoration de rente.

Ce maintien de l’action récursoire de la caisse malgré l’inopposabilité de la décision de prise en charge était motivé par le fait que « l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge, par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, qui est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle ».

Il s’agit très exactement de la motivation retenue par l’arrêt précité du 31 mars 2016.

Le pourvoi de l’employeur faisait l’objet d’un moyen unique en deux branches.

De la formulation un peu complexe de sa première branche il résultait que le maintien de l’action récursoire de la caisse en cas d’inopposabilité ne s’appliquait qu’aux instructions diligentées depuis le 1er janvier 2010 et soumises au décret du 29 juillet 2009 et que la procédure d’instruction ayant été engagée antérieurement, la Cour avait violé les dispositions de l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale en retenant que l’irrégularité de la procédure suivie par la caisse ne privant pas cette dernière de son action récursoire.

La seconde branche du moyen faisait valoir que l’inopposabilité de la décision de prise en charge prive la caisse de son action récursoire lorsque l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur a été engagée devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale avant le 1er janvier 2013 et qu’en jugeant que l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge ne privait pas la caisse de son action récursoire sans rechercher si l’action en reconnaissance de la faute inexcusable avait été introduite avant le 1er janvier 2013, la Cour avait entaché sa décision de défaut de base légale au regard des dispositions des articles L.452-3 alinéa 3 du Code de la sécurité sociale , R.441-11 du même Code dans sa rédaction antérieure au décret du 29 juillet 2009 et de l’article 86-II de la loi du 17 décembre 2012.

Le moyen en ses deux branches n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation, il résulte de l’arrêt de non admission que le maintien de l’action récursoire de la caisse en cas d’irrégularité de la procédure suivie par cette dernière dans l’instruction de la déclaration n’est pas limité aux instructions postérieures au 1er janvier 2010, comme le soutenait la première branche, pas plus qu’il n’est limité aux actions en reconnaissance de faute inexcusable engagées postérieurement au 1er janvier 2013, comme le soutenait la deuxième branche du moyen, mais que la caisse conserve en toute hypothèse son action en cas d’inopposabilité de la décision de prise en charge pour irrégularité de la procédure suivie, quelle que soit la date à laquelle a été diligentée l’instruction et quelle que soit la date à laquelle a été engagée l’action en reconnaissance de la faute inexcusable.

Il reste à espérer que cet arrêt de non-admission, qui reprend la solution de l’arrêt publié du 31 mars 2016, exprime de manière durable la position de toutes les formations de sécurité sociale de la Cour ce qui permettrait à la pratique de disposer d’une ligne directrice claire sur cette problématique importante de l’action récursoire des caisses en cas d’inopposabilité résultant d’une irrégularité de procédure.

L’on peut également espérer que la Cour aura prochainement l’occasion de préciser sa jurisprudence sur la perte de l’action récursoire des caisses en cas d’inopposabilité pour un motif dit de fond, la question se posant de savoir si toutes les inopposabilités de fond font obstacle à cette action, qu’elles soient reconnues ou non par une décision judiciaire antérieure à l’engagement de l’action en faute inexcusable, ou si cette inopposabilité doit nécessairement avoir été préalablement reconnue par une décision passée en force de chose jugée pour que la caisse soit privée de son action.

Renaud Deloffre Conseiller à la Chambre Sociale de la Cour d’Appel de DOUAI Docteur de troisième cycle en sciences juridiques