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Les chauffeurs Uber auto-entrepreneurs sont des salariés selon la Cour d’appel de Paris. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : lundi 21 janvier 2019
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Dans un arrêt du 10 janvier 2019 (6-2, RG 18/08357), la Cour d’appel de Paris affirme pour la première fois que la relation contractuelle liant la société Uber à l’un de ses chauffeurs auto-entrepreneur est un contrat de travail.

Dans un arrêt très motivé, la Cour d’appel de Paris a estimé qu’un « faisceau suffisant d’indices » était réuni, permettant de caractériser l’existence d’un lien de subordination entre le chauffeur et la plateforme Uber.

(CA Paris, 6-2, 10 janvier 2019).

Cette décision à l’encontre d’Uber, inédite devant les juridictions françaises, fait écho aux décisions déjà rendu en la matière en Angleterre et en Europe (Voir en ce sens notamment notre article Les chauffeurs auto-entrepreneurs d’Uber sont des salariés).

Cette décision fait suite à une décision récente de la Cour de cassation du 28 novembre 2018 (n°17-20079) par laquelle la Haute Juridiction a reconnu l’existence d’un contrat de travail entre un livreur à vélo et une plateforme numérique (Voir en ce sens notre article « Take Eat Easy » : un livreur à vélo est un salarié selon la Cour de cassation !).

Les faits.

Monsieur X a été engagé par la société Uber, en qualité de Chauffeur auto-entrepreneur, à compter du 12 octobre 2016.

A ce titre, Monsieur X s’engageait à respecter les « Conditions de partenariat  » imposées par UBER ainsi que la « Charte de la communauté Uber  ».

Dans un premier temps, Monsieur X a conclu, avec la société Hinter France, partenaire d’Uber, un contrat de location de carte professionnelle VTC (Véhicule de Tourisme avec Chauffeur).

Dans le cadre de cette location, Monsieur X s’engageait à passer par l’intermédiaire de l’application Uber.

Dans un second temps, Monsieur X a loué un véhicule à la société Flexi-Fleet, également partenaire d’Uber.

Le montant de la location était prélevé, chaque semaine, sur les revenus réalisés avec Uber.

Entre le 12 octobre 2016 et le 7 avril 2017, Monsieur X a réalisé 2.038 courses pour le compte d’Uber.

A compter du 7 avril 2017, Uber a définitivement désactivé son compte après « une étude approfondie de son cas ».

C’est dans ces conditions que Monsieur X a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris afin que soit constaté l’existence d’un contrat de travail avec Uber et a sollicité des dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail.

Par un jugement du 28 juin 2018, le Conseil de prud’hommes de Paris a considéré que le contrat était de nature commerciale et s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Paris.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 10 janvier 2019, a quant à elle estimé que le chauffeur renversait la présomption de non salariat de l’article L.8221-6 du Code du travail et démontrait l’existence d’un lien de subordination.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris opère un raisonnement en deux temps : dans un premier temps, elle analyse si le chauffeur peut être considéré comme travailleur indépendant, pour ensuite apprécier l’existence ou non d’un lien de subordination.

1) Le chauffeur Uber n’est pas un travailleur indépendant.

Dans un premier temps, la Cour d’appel a analysé si le chauffeur Uber remplissait les conditions du travailleur indépendant, à savoir :
- La constitution d’une clientèle propre ;
- La libre fixation de ses tarifs ;
- La libre fixation des conditions d’exercice de sa prestation de transport.

En l’occurrence, la Cour d’appel de Paris a considéré que le chauffeur Uber ne remplissait pas ces conditions et ne pouvait donc être qualifié de travailleur indépendant.

1.1) Le chauffeur-salarié ne pouvait fixer librement les conditions d’exercice de sa prestation de transport.

Tout d’abord, la Cour d’appel de Paris constate que la prestation de transport était entière régit par Uber.

Ainsi, toutes les demandes de prestations de transports sont centralisées par Uber qui les attribue, en fonction d’un algorithme, à l’un des chauffeurs connecté.

1.2) Le chauffeur-salarié ne pouvait constituer de clientèle propre.

La Cour d’appel de Paris constate que le chauffeur n’avait pas la liberté de choisir sa clientèle dès lors qu’UBER lui interdisait de prendre des passagers autres que ceux pris en charge dans le cadre de son application.

La Cour d’appel de Paris souligne ainsi que cela réduit « à néant un attribut essentiel de la qualité de prestataire indépendant ».

En outre, la Cour d’appel de Paris a relevé que les chauffeurs ne pouvaient constituer de clientèle propre dès lors qu’il leur était fait interdiction de contacter les passagers à l’issue de leur course ou de conserver leurs informations personnelles.

En l’absence de constitution d’une clientèle propre, le chauffeur ne peut être considéré comme travailleur indépendant.

1.3) Le chauffeur-salarié ne pouvait fixer librement ses tarifs.

D’après la Cour d’appel de Paris, le chauffeur Uber ne saurait être considéré comme un travailleur indépendant dès lors que les tarifs appliqués pour chaque prestation sont fixés « au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix ».

A cet égard, la Cour d’appel relève qu’Uber se réservait la possibilité « d’ajuster » le tarif, si le chauffeur empruntait un itinéraire « inefficace », ce qui avait notamment conduit le chauffeur à se voir appliquer des corrections tarifaires.

Le chauffeur ne dispose donc d’aucune liberté pour fixer les tarifs de ses courses, ce qui est contraire à toute qualification de travailleur indépendant.

2) La société Uber disposait d’un pouvoir de contrôle et de sanction sur le chauffeur.

Après avoir constaté que le chauffeur ne remplissait pas les conditions pour être qualifié de travailleur indépendant, la Cour d’appel de Paris a recherché l’existence d’un lien de subordination entre Uber et le chauffeur.

2.1) Le chauffeur-salarié devait se conformer aux directives d’Uber.

Dans son arrêt du 10 janvier 2019, la Cour d’appel relève que le chauffeur devait se conformer aux directives d’Uber et, notamment :
- Suivre un itinéraire « efficace  » ;
- Attendre au moins 10 minutes que l’utilisateur se présente au lieu convenu ;
- Respecter les directives comportementales d’Uber (par exemple sur le contenu des conversations).

En outre, la Cour d’appel relève que le chauffeur ne pouvait accepter de pourboires, ce qui est « peu compatible avec l’exercice indépendant d’une profession ».

A défaut de respecter ces dispositions, le chauffeur pouvait être sanctionné (par exemple subir une baisse du tarif en cas d’itinéraire « inefficace »).

2.2) Uber contrôlait l’activité des chauffeurs.

La Cour d’appel relève qu’Uber contrôlait l’activité de ses chauffeurs notamment en matière d’acceptation des courses.

Ainsi, dès lors que le chauffeur refusait trois courses, des messages de relance lui étaient adressés tels que : « Etes-vous encore là » ou encore « Vous ne semblez pas avoir accepté de commandes depuis un moment ».

De plus, et bien que les « conditions de partenariat » prévoient la possibilité pour le chauffeur de se « déconnecter » de l’application, la Cour relève que ce dernier devait « se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber ».

A ce titre, les chauffeurs étaient fortement incités à ne pas refuser de courses, Uber se réservant « le droit de désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de l’Application Chauffeur […] à la discrétion raisonnable d’Uber ».

Aussi, un chauffeur refusant de trop nombreuses courses pouvait voir son compte désactiver par Uber.

En outre, la Cour d’appel relève que les chauffeurs ne pouvaient « réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non ».

En effet, la Cour d’appel relève que les chauffeurs disposent de huit secondes pour accepter une course, pour une destination parfois inconnue du chauffeur.

2.3) Uber pouvait sanctionner les chauffeurs en cas de « taux d’annulation » trop élevé ou de comportement problématique.

La Cour d’appel de Paris relève qu’Uber disposait d’un pouvoir de sanction à l’encontre des chauffeurs ayant un taux d’annulation trop élevé ou ayant eu un comportement problématique.

Ainsi, Uber définit un « taux d’annulation de commandes » par ville.

Si le chauffeur a un taux d’annulation supérieur à celui définit pour sa ville, cela peut entraîner une « perte définitive d’accès à l’application Uber ».

De même, le chauffeur peut également perdre définitivement l’accès à l’application s’il se voit reprocher un « comportement problématique », la Cour d’appel précisant « peu important que les faits reprochés soient constitués ou que leur sanction soit proportionnée à leur commission ».

Aussi, les chauffeurs sont incités à accepter un maximum de courses, à défaut, Uber se réserve le droit de rompre la collaboration ?

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’il existait un « faisceau suffisant d’indices » pour permettre à Monsieur X « de caractériser le lien de subordination dans lequel il se trouvait lors de ses connexions à la plateforme UBER et d’ainsi renverser la présomption simple de non-salariat que font peser sur lui les dispositions de l’article L.8221-6 I du Code du travail ».

3) Le rejet de l’argumentation d’Uber selon laquelle les chauffeurs étaient libres de leur organisation.

En faisant droit à la demande du salarié, la Cour d’appel de Paris a notamment rejeté l’argumentation d’Uber selon laquelle le salarié était libre dans l’organisation de son travail.

En effet, la Cour d’appel a estimé que « le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation de travail subordonnée, dès lors qu’il est démontré que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV, qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction à son endroit ».

Cette décision doit être approuvée.

L’affaire doit être renvoyée devant le Conseil de prud’hommes de Paris.

Le 11 janvier 2019, la société Uber a annoncé qu’elle entendait se pourvoir en cassation contre cet arrêt.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum