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L’article L621-1 du code de la sécurité intérieure et l’agent de recherches privées. Par Guillaume Tourres.
Parution : lundi 4 février 2019
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Comme l’ont compris les agents de recherches privées, actuels et en devenir, l’article L621-1csi est l’article de référence de la profession. Il conviendra ici d’en réaliser un commentaire permettant d’en saisir les premières bases, les nuances, ainsi que quelques éléments de discussion relatifs à l’agent de recherches privées.

L’article L621-1 du code de la sécurité intérieure dispose : « Est soumise aux dispositions du présent titre la profession libérale qui consiste, pour une personne, à recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts. »

I - L’agent de recherches privées, un professionnel libéral chargé d’une mission de recueil.

A) Un professionnel libéral exerçant comme personne physique ou morale.

L’article utilise le terme de « profession libérale ». Or le caractère principal d’une profession libérale est l’indépendance. Cela signifie que l’agent de recherches privées « ARP » travaille pour son propre compte. Il exerce une activité de nature civile ou commerciale en fonction de la forme sociale choisie (ex : micro-entreprise, SARL, SA).
Nous postulerons que le motif de la distinction entre professionnel libéral et salarié subordonné à l’employeur est de conserver sa responsabilité personnelle au professionnel libéral, dans le cas où une erreur aurait été commise par l’ARP, en évitant le conflit avec la responsabilité des commettants du fait des préposés.

Ce caractère de profession libérale s’oppose ainsi au salariat, et donc aux services d’enquêtes internes des entreprises. Notons toutefois que la pratique provoque une quasi-mutation de l’exercice de cette profession vers le salariat (ex : Coutot-Roehrig). Nous postulerons alors qu’il ne s’agit plus vraiment d’ARP au sens stricte du terme puisque l’existence d’un contrat de travail et de son lien de subordination contredit l’indépendance du professionnel libéral.

L’article énonce ensuite « pour une personne ». L’absence de distinction sur la typologie de personne nous rappelle l’adage « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus » (là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer). Cela signifie que la profession peut être exercée indifféremment par une personne physique ou par une personne morale. Y compris par une personne morale qui délèguerait matériellement certains actes à plusieurs autres professionnels personnes physiques ou morales.

Nous postulons que cette situation provoquerait une quasi-mutation de la profession d’ARP qui glisse matériellement de celle d’enquêteur vers celle de directeur d’enquêtes. Cette dernière, qui n’est pas encore reconnue par la loi, l’est pourtant par le service public (ex : le titre de « Directeur d’enquête » est identique dans les services publics type police/gendarmerie) et certains établissements publics (ex : l’offre de formation de l’Université Paris II Panthéon-Assas, le rapport corrélatif d’évaluation de l’Aeres).

Il est donc amusant de constater que l’ARP, malgré son caractère souvent revendiqué comme très « privé », est d’abord et avant tout reconnu par la sphère publique, qui l’emploi en tant que tel. Et cela d’autant que la loi permet à l’ARP de réaliser des prestations de « Services d’enquête et de sécurité », commercialisées dans le cadre de « marchés publics de défense et de sécurité ».

B) Une mission exclusive de recueil d’informations ou de renseignements.

L’article utilise le terme au singulier d’« objet de sa mission ». Postulons que, si la mission est unitaire, c’est qu’elle est peut-être aussi exclusive, ce qui se confirme à la lecture du code de la sécurité intérieure. Précisons que cette mission découle du mandat donné par le tiers et dont l’ARP doit rendre compte.

L’article utilise aussi les termes d’« informations » et de « renseignements ». Or aucune définition législative n’a pu être trouvée ce qui rappelle l’adage « Omnis definitio in jure civili periculosa est » (toute définition en droit civil est dangereuse). Postulons qu’il s’agit peut-être ici d’une notion matricielle qui prévient, peut-être, sa délimitation et donc sa définition.

Nous nous en remettons donc à une définition plus doctrinale et technique. S’agissant de l’information, elle serait l’« action de rechercher une preuve et le résultat de cette recherche ». C’est à dire, une association de données brutes susceptible d’être codée pour être conservée, traitée ou communiquée. S’agissant du renseignement, il s’agirait d’une « action de rechercher (enquête) ou de communiquer l’information ». C’est à dire, une information exprimée, orientée, recherchée, exploitée et diffusée.

L’article utilise enfin le terme de « recueil ». Là encore, l’absence de distinction ou de précision sur le modus operandi du recueil permet d’appliquer le principe « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus » (là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer) et de recourir à une pluralité d’entre eux (ex : mensonge, farce). Pour autant, tout n’est pas permis (ex : usurpation d’identité) et il faut bien distinguer au cas par cas ce qui est interdit par la loi, de ce qui ne l’est pas. C’est donc le principe de liberté qui prime, et l’interdiction qui vient faire exception le cas échéant.

II. L’agent de recherches privées, titulaire d’un pouvoir défensif.

A) Un pouvoir de discrétion essentiel.

L’article nous dit ici : « même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission ». On comprend donc que l’ARP dispose d’un pouvoir de discrétion, et ce, d’autant qu’il est astreint au secret professionnel. On postulera ici que ce pouvoir de discrétion confine à un pouvoir discrétionnaire puisque l’ARP peut choisir unilatéralement de faire état de sa qualité ou non et/ou de révéler l’objet de sa mission ou non. Cela peut paraître très discutable puisque cela place l’ARP en position de devoir apprécier l’intérêt du tiers via une balance coût-avantage, et donc de devoir prendre un risque avec ces mêmes intérêts.

Postulons qu’en pratique, les ARP ne prennent quasiment jamais ce risque et font preuve d’une prudence proportionnelle à leur pouvoir. Postulons aussi que ce caractère discrétionnaire trouve aussi ses limites dans la convention signée entre l’ARP et le tiers, dans laquelle ce dernier peut très bien poser les limites qu’il souhaite à la réalisation de la prestation et aux actes de l’ARP.

Notons en outre que tous les professionnels du constat ne sont pas titulaires de pouvoirs identiques. Par exemple, l’ARP n’est légalement pas tenu à l’obligation de l’huissier de décliner sa qualité.

Par contre, les actes d’ARP auraient une valeur égale à ceux des OPJ puisque « les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements. »

En revanche, les actes d’ARP auraient une valeur inférieure à celle des actes authentiques des notaires qui font « foi jusqu’à inscription de faux ». Précisons enfin que le pouvoir de constatation de l’ARP trouve sa limite essentielle dans le droit commun et plus particulièrement dans le faux et l’usage de faux.

B) Un objet unique : la défense des intérêts des tiers.

L’article nous dit enfin : « destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts ». Précisons tout d’abord que les tiers sont le plus souvent les clients mandants de l’ARP, sauf quand eux-même passent par un intermédiaire. Cela signifie, d’une part, qu’il peut s’agir d’assurer une défense de façon préventive, pour éviter une atteinte contre les intérêts du tiers (ex : espionnage industriel).

Avant qu’un dommage ou qu’un préjudice ne survienne donc. Ce qui permet à priori de légitimer le recueil d’informations ou de renseignements, plus stratégiques que judiciaires, avant même la survenance d’un litige.

Cela signifie aussi, d’autre part, qu’il peut s’agir d’assurer une défense soit préventive, mais postérieure à la survenance d’un dommage ou d’un préjudice, afin de privilégier un mode alternatif de règlement des litiges (ex : arbitrage, conciliation, médiation et négociation) ; soit curative, en cas de débouché sur un litige qui n’aurait pu être évité. Postulons que cela ferait de l’ARP un quasi-auxiliaire de justice, et de « l’enquête de droit privé, la garantie d’une meilleure défense des intérêts des justiciables ».

Nous conclurons ce propos par une ouverture sur quelques éléments succincts.

Tout d’abord, les imprécisions de l’article L621-1 du code de la sécurité intérieure, ainsi que la courte durée de la formation universitaire pour devenir ARP (2 ans équivalent bac+3), semblent ne pas toujours permettre aux autres professionnels du droit de considérer l’ARP comme l’un de leur pairs. Ce qui est dommage. D’autant que ces professionnels figurent régulièrement parmi les mandants des ARP, ou sont amenés à devoir travailler avec eux.

Ensuite, bien qu’ayant le droit de se faire de la publicité (contrairement à d’autres professionnels comme l’avocat), on remarque que l’ARP n’use jusqu’ici pas vraiment de ce droit en-dehors d’un référencement classique sur des moteurs de recherche (ex : Google), d’une création de profil sur des réseaux socio-professionnels ou même de la création d’un site internet propre. On peut donc se demander si la discrétion habituelle, si inhérente à l’ARP, ne lui porte pas préjudice d’un point de vue commercial, en le faisant souffrir d’une visibilité proportionnellement moins bonne que les autres professionnels du droit.

On peut ainsi se demander s’il ne serait pas souhaitable : soit de faire complètement muter la profession pour lui permettre d’acquérir un statut mieux reconnu, quitte à devoir mieux l’encadrer et contrôler (ex : contrôle par le ministère public comme pour les huissiers, ou par le ministère de l’intérieur comme pour les OPJ) ; soit tout simplement de maintenir les choses en l’état, mais en informant alors mieux sur les cumuls de professions possibles pour permettre une concurrence libre et transparente : avocat, huissier non associé, juriste, garagiste (accès au fichier du SIV), généalogiste (accès aux documents d’état civil de moins de 75 ans), etc…

Sources :
- sur la définition d’une profession libérale : LOI n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives ;
- sur la responsabilité des commettants du fait des préposés (découle de la responsabilité du fait d’autrui) : article 1242 du code civil ;
- sur la prestation de « Services d’enquête et de sécurité » : Article 24 4° du Décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité ;
- sur l’exclusivité de la mission d’ARP : article L622-2 du code de la sécurité intérieure ;
- sur le compte-rendu de la mission d’ARP : article 1993 du code civil ;
- sur les définitions de l’information et du renseignement : « Vocabulaire juridique » Gérard Cornu - Association Henri CAPITANT [1] ;
- sur le secret professionnel : article 226-3 du code pénal ;
- sur les conditions relatives à la profession d’huissier de justice : article 2 - Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires
- sur la validité des actes authentiques de notaire : article 1371 du code civil ;
- sur les faux et usage de faux : article 441- du code pénal ;
- sur la qualité de quasi-auxiliaire de justice pour l’ARP : « L’enquête de droit privé, la garantie d’une meilleure défense des intérêts des justiciables » ;
- sur l’encadrement de la profession d’ARP : cours de Monsieur Christian Borniche ;
- sur la commercialisation accessoire par un avocat de biens ou de services connexes : article 111 du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ;
- sur la réservation de l’obligation de consacrer à la société toute leur activité professionnelle aux associés de l’étude d’huissier : article 47 du Décret n°69-1274 du 31 décembre 1969 pris pour l’application à la profession d’huissier de justice de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 sur les sociétés civiles professionnelles ;
- sur l’accès au fichier du SIV pour les garagistes via l’Agence nationale des titres sécurisés [2] ;
- sur l’accès aux documents d’état civil de moins de 75 ans via le Service Interministériel des Archives de France : articles L213-1 à L213-3 du code du patrimoine.

Guillaume Tourres. "{Lus est mediatio inter justum ac sapientem}"