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La formidable odyssée des modes amiables - Vers une généralisation de l’obligation préalable d’y avoir recours ? Par Stéphane Fertier et Martin Lacour, Avocats.
Parution : mardi 17 décembre 2019
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Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile a été publié le 12 décembre 2019. Il vient compléter la loi n°019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et prévoit un principe d’application immédiate au 1er janvier 2020, laissant très peu de temps aux praticiens pour s’y préparer. Il instaure un principe de recours aux modes amiables préalable à toute saisine du juge dans certaines hypothèses qu’il convient d’analyser.
(Voir l’épisode 2 de cet article ici.)

Le principe posé.

L’article 4 du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile pose le principe selon lequel le demandeur devra justifier, préalablement à toute saisine du juge, d’une tentative de règlement amiable, à peine d’irrecevabilité, que le juge pourra relever d’office. Ce principe ne s’appliquera qu’aux « instances introduites à compter du 1er janvier 2020 » (article 55, alinéa 2, du Décret).

Son champ d’application est, pour l’instant, restreint à deux hypothèses :

(1) Lorsque la demande en justice tend au paiement d’une somme inférieure ou égale à 5.000 euros, étant précisé que les litiges relatifs au crédit à la consommation et au crédit immobilier sont exclus du domaine d’application de la loi du 23 mars 2019 (article 3 de la loi précitée) ; et

(2) Lorsqu’elle est relative aux litiges de voisinage, «  actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire.  » (futur alinéa premier de l’article 750-1 du Code de procédure civile).

L’extension progressive du principe posé, circonscrit en l’état aux « petits » litiges et aux litiges de voisinage, pourrait toutefois, à terme, conduire à un changement de paradigme, faisant du recours aux modes alternatifs le principe et du recours au juge l’exception. Le rôle du juge pourrait alors être confiné à trancher les questions de droits nouvelles, veiller au respect des dispositions d’ordre public et garantir les libertés fondamentales.

Des exceptions strictes.

Le principe précité est assorti d’exceptions, également prévues par les dispositions du futur article 750-1 du Code de procédure civile :
« Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ;
4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
 »

La première exception n’en est pas vraiment une : il paraît logique que l’une ou l’autre des parties puisse saisir le juge pour demander l’homologation d’un accord qui serait, par exemple, intervenu dans le cadre de la conclusion d’un protocole transactionnel classique ou au terme d’un processus collaboratif, sans passer par les modes amiables précités (!).

La deuxième et la quatrième exceptions, aux formulations alambiquées, concernent en réalité les hypothèses dans lesquelles une tentative de conciliation préalable ou de recours gracieux est déjà imposée par un texte spécial. Là encore, pas de réelle surprise.

Enfin, la troisième exception envisagée est celle où il existerait un « motif légitime ». C’est probablement cette exception qui donnera lieu au plus grand nombre de difficultés d’interprétation. Pour limiter les risques inhérents à cette notion subjective, le législateur prend soin d’énumérer une liste d’hypothèses constitutives : « urgence manifeste », impossibilité liée aux circonstances de l’espèce, nécessité de rendre une décision non-contradictoire, indisponibilité des conciliateurs de justice entraînant un délai « manifestement excessif ». Il convient de préciser que cette liste semble bien limitative, mais il appartiendra naturellement à la jurisprudence de le confirmer lorsque la question se posera, étant rappelé que la sanction de l’irrecevabilité pourra être relevée d’office par le juge, comme le futur alinéa premier de l’article 750-1 du Code de procédure civile le précise.

Les modes amiables concernés : médiation, conciliation, procédure participative ; et un mode amiable oublié : le processus collaboratif.

Il convient naturellement pour l’ensemble des praticiens et justiciables de se familiariser rapidement avec les différents modes amiables auxquels le législateur fait référence. Pour les avocats, notamment, l’enjeu est plus que jamais de maîtriser les modes amiables pour pouvoir efficacement les articuler et proposer une « stratégie amiable », à défaut d’une « amiable stratégie », à leurs clients.

En substance, la médiation peut être définie comme un processus « structuré, volontaire et coopératif » de « prévention et de résolution » amiable des différends qui repose sur la « responsabilité et l’autonomie » des participants. Initiée par les intéressés eux-mêmes, leurs avocats, les représentants d’une organisation ou un magistrat, la médiation fait intervenir un médiateur dûment formé, « tiers indépendant, neutre et impartial ». Facilitateur de communication, sans pouvoir de décision, ni rôle d’expertise technique ou de conseil, le médiateur favorise le dialogue et la relation, notamment par des rencontres et entretiens confidentiels (cf. Livre blanc de la Médiation [1] qui pose cette tentative de définition).

Tout au long du processus, le médiateur se doit d’adopter une posture spécifique, qui exclut toute prise de position - y compris juridique, l’idée étant précisément de faire primer la communication dans les relations sur la rationalité juridique - pour apaiser la relation et faciliter la co-construction d’une solution voulue par les parties.

La conciliation, souvent confondue avec la médiation, en est pourtant nettement distincte. Elle fait le plus souvent intervenir bénévolement le juge lui-même ou un conciliateur de justice en tant que tiers. Surtout, alors que le médiateur est neutre, le conciliateur ne l’est pas : en effet, alors que le médiateur aide les parties à renouer le dialogue et trouver leur propre solution, le conciliateur propose la solution, il est force de proposition. Une des raisons – la seule, diront certaines mauvaises langues – du succès de la conciliation réside dans sa gratuité. Cette force est aussi la plus grande faiblesse de la conciliation dans le nouveau système mis en place à compter du 1er janvier 2020, les conciliateurs de justice risquant d’être rapidement dépassés par le flot d’affaires, ce que le législateur a d’ailleurs envisagé expressément, en faisant de « l’indisponibilité de conciliateurs de justice […] dans un délai manifestement excessif » une des exceptions précitées. Quoi qu’il en soit, dans le cadre du décret qui nous occupe, il semble que seule la conciliation conventionnelle soit possible, puisque la conciliation judiciaire suppose, par définition… que le juge soit déjà saisi (la remarque vaut aussi pour la médiation judiciaire, naturellement) !

La procédure participative assistée par avocats, quant à elle, comporte une phase conventionnelle au cours de laquelle les intéressés cherchent un accord amiable et une phase judiciaire (facultative) au cours de laquelle les parties peuvent demander au juge l’homologation de l’accord intervenu. Un des avantages de cette procédure est qu’en cas d’échec une passerelle entre la phase conventionnelle et une phase juridictionnelle est prévue (la procédure participative de mise en état est d’ailleurs très incitative en termes de délais d’audiencement, beaucoup plus courts que dans le circuit classique). Il existe un modèle de convention de procédure participative élaboré par le Conseil National des Barreaux. Cette procédure nécessitant obligatoirement l’intervention d’avocats, on peut toutefois craindre que les justiciables y auront peu recours dans les contentieux exclus du champ de la représentation obligatoire, dits « contentieux de proximité », qui concernent souvent les publics les plus fragiles (surendettement, instances modificatives en matière familiale, baux d’habitation, crédit à la consommation, sécurité sociale).

Enfin, le texte n’envisage par le processus collaboratif, mais n’y fait pour autant pas obstacle. Ce processus, qui ne fait pas nécessairement intervenir de tiers mais requiert en revanche l’intervention d’avocats formés au droit collaboratif [2], présente la particularité de se dérouler en plusieurs étapes prédéfinies dans un contrat signé par les parties et leurs avocats et organisant un travail en équipe. Les avocats s’interdisant contractuellement d’aller au contentieux, le processus collaboratif se déroule selon un cadre précis dans un climat apaisé très favorable à la résolution amiable.

Une réforme critiquable ?

L’exigence de tentative de règlement amiable préalable à la saisine du juge est critiquable à plusieurs titres, mais n’est pas dénuée d’intérêt.

L’objectif poursuivi par le législateur semble être bien davantage de faire des économies et désengorger les tribunaux, quitte à privatiser la justice et contractualiser les rapports sociaux, que de véritablement consacrer le recours aux modes amiables comme une pratique complémentaire, facteur de cohésion et de paix sociale, pensée et articulée avec la justice sans s’y substituer.

En outre, le plafond de 5.000 euros, s’il présente l’avantage d’être aligné sur le nouveau taux de ressort, est un signal qui peut paraître très négatif : le législateur semble ainsi vouloir dire que les modes amiables ne devraient être imposés que pour les « petits » litiges. On peut y voir une résurgence nauséabonde de l’adage latin « de minimis non curat praetor », qui veut que le magistrat n’a pas à s’occuper des « petites » choses. C’est un message évidemment difficilement audible dans une société où les individus ont un fort besoin de reconnaissance et d’apaisement. En outre, ce message fait fi d’une réalité : les modes amiables, aussi prometteurs soient-ils, ne sont pas la panacée, et n’ont pas vocation à se substituer systématiquement au contentieux, qui seul permet de trancher, notamment, un nouveau point de droit, contribuant ainsi à la prévisibilité (et prévenant par là même d’autres contentieux).

D’aucun pourrait ajouter qu’imposer le recours préalable aux modes amiables, qui par essence sont volontaires, est paradoxal. Ce n’est pas certain. En effet, dès lors qu’une partie peut sortir à tout moment du processus amiable, et que l’objet de la réforme n’est pas de lui imposer une solution qui ne serait pas véritablement consensuelle, cette difficulté est plus apparente que réelle.

En outre, si cette réforme, imposée pour les mauvaises raisons précitées, a pour effet bénéfique de concourir au développement des modes amiables, alors peut-être est-ce un (moindre) mal pour un bien.

Les possibilités d’aménagements contractuels.

Pour les justiciables, il semble en tout cas plus que jamais nécessaire d’aménager contractuellement, dans la limite du possible, les dispositions prévues par cette réforme, notamment en stipulant des clauses de médiation, procédure participative ou processus collaboratif préalables dans leurs accords particuliers ou dans leurs conditions générales.

En effet, les nouvelles dispositions qui entrent en vigueur au 1er janvier 2020 pourraient sinon se révéler longues et complexes à mettre en place pour les parties une fois le litige né, même si le déroulement des processus amiables à proprement parler est généralement bien plus rapide que celui d’un contentieux devant le juge.

Ainsi, en l’absence de clause imposant le recours à un mode amiable préalable à la saisine du juge, comment respecter concrètement les obligations posées par la loi du 23 mars 2019 et le décret du 11 décembre 2019 ? En proposant le nom d’un médiateur ou d’un organisme dans la mise en demeure et en marquant d’avance l’accord du demandeur à une telle mesure ? On sait combien il est, en pratique, difficile de se mettre d’accord une fois le désaccord né…

Le risque est alors que le demandeur insère simplement une clause de style dans sa mise en demeure proposant, par exemple, une médiation, en espérant que son adversaire la refusera purement et simplement.

C’est pourquoi il est toujours préférable d’envisager et organiser la gestion du conflit en amont, avant qu’il ne naisse, au stade de la négociation et de la rédaction des accords avec les partenaires, associés, clients, etc....

En outre, dans les contrats déjà en cours qui prévoient des clauses de règlement amiable, il conviendra sans doute de s’assurer que la formulation adoptée s’articule bien avec les exigences posées par la réforme, qui s’applique à toutes les instances introduites à compter du 1er janvier 2020.

L’enjeu est de taille, car la sanction de l’irrecevabilité peut être lourde de conséquences : dans une telle hypothèse, l’assignation ne produira aucun effet interruptif de prescription (cf. les dispositions de l’article 2243 du Code civil). Comment procéder alors dans l’hypothèse où l’avocat est saisi peu de temps avant l’expiration du délai d’action ? S’agira-t-il d’un des cas de « motif légitime » précités ? La question reste ouverte.

Cette réforme appelle incontestablement à une révolution culturelle chez les avocats et les justiciables, mais aussi à un changement d’approche stratégique dans bon nombre de dossiers dans l’hypothèse - encore vraisemblable - où la résolution amiable a peu de chance de prospérer.

Stéphane FERTIER Avocat au barreau de Paris (MCO) Spécialiste de la procédure d'appel Vice-Président de CapCollaboratif Membre de l'AFPDC et de l'ACE Enseignant à l'EFB Martin LACOUR Avocat au barreau de PARIS. Praticien de processus collaboratif [->lacour.martin@avocat-conseil.fr]