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Jeff Koons de nouveau condamné pour contrefaçon d’une photographie. Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : jeudi 9 janvier 2020
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Il faut croire que le célèbre plasticien américain Jeff Koons, grand défenseur du mouvement « appropriationniste », aime faire parler de lui dans les prétoires.

Et pour cause, une troisième décision vient d’être rendue en France contre Jeff Koons pour contrefaçon.

L’artiste vient d’être condamné définitivement en appel, conjointement avec le Centre Pompidou, pour avoir contrefait dans sa sculpture "Naked" le cliché "Enfants" du photographe Jean-François Bauret (CA Paris, 17 décembre 2019, n° 17/09695).

La Cour d’appel confirme en tout point ou presque le jugement rendu en première instance (TGI Paris, 3è chambre, 4è section, 9 mars 2017, n° 15/01086).

La société Jeff Koons LLC et le Centre Pompidou sont condamnés à verser in solidum 20.000 euros de dommages et intérêts aux ayants droit du photographe au titre du préjudice moral et patrimonial.

Cet article s’inscrit dans le prolongement d’un précédent article relatif à la décision de première instance rédigé par le Cabinet : Artiste contre Artiste : simple inspiration ou contrefaçon d’œuvres d’art ? Retour sur la contrefaçon dans l’art contemporain. et qui s’intéressait à la question des œuvres transformatives.

Pour mémoire, le photographe Jean-François Bauret a réalisé dans les années 1970 une photographie en noir et blanc intitulée Enfants. Selon ses héritiers, cette photographie est une œuvre majeure du photographe et témoigne « de son art pour la réalisation des portraits nus dans laquelle il a cherché à restituer la réalité de deux enfants nus se tenant mutuellement par l’épaule, donnant une impression de pureté et de tendresse ».
Jeff Koons a réalisé en 1988 une sculpture intitulée Naked à partir de la carte postale de la photographie Enfants.

L’œuvre litigieuse Naked de Jeff Koons devait être exposée en 2014 au Centre Pompidou lors d’une rétrospective consacrée à l’artiste américain. Cette sculpture en porcelaine a finalement été retirée de l’exposition la veille de son inauguration, en raison de dommages subis pendant le transport. La sculpture a toutefois été représentée dans les catalogues et sur les supports de l’exposition ainsi que dans divers reportages télévisés.

L’œuvre de Koons, contrefaçon de la photographie.

Après une analyse minutieuse des ressemblances entre les deux œuvres, la Cour a réaffirmé que, bien qu’il s’agisse d’une photographie dans un cas et d’une sculpture dans l’autre et que Jeff Koons ait souhaité fleurir sa composition à l’inverse du photographe, la sculpture contrefaisait l’œuvre photographique en ce qu’elle reprenait « la combinaison des caractéristiques qui révèlent l’originalité de la photographie Enfants ».

La Cour précise à cet égard que dans les deux œuvres « un petit garçon, à gauche, et une petite fille, à droite, sont représentés, debout, nus, les jambes droites, de face, leurs bustes légèrement tournés l’un vers l’autre, et se tenant tous les deux par l’épaule ».

Les juges indiquent de surcroît que Koons « a délibérément incorporé dans son œuvre les composantes de la photographie constituant ainsi une œuvre composite qui ne pouvait se faire qu’avec l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante ».

A défaut d’accord entre les deux artistes, et sans que Jeff Koons n’ait réussi à prouver qu’il avait tenté d’obtenir l’accord du photographe, la Cour a donc considéré que l’œuvre composite de Koons était une contrefaçon du cliché du photographe français, balayant en outre les arguments tirés de la liberté d’expression :
« Aussi, il n’est pas établi que l’utilisation sans autorisation de la photographie de Jean-François Bauret, qui porte atteinte à ses droits et à ceux de ses ayant droits par Jeff Koons était nécessaire à l’exercice de sa liberté d’expression artistique, y compris dans sa dimension de réflexion d’ordre social, et justifie l’appropriation ainsi faite d’une œuvre protégée ».

La thèse de l’œuvre « ré–appropriative » centrale dans l’œuvre de Jeff Koons et développée par l’artiste n’aura donc pas convaincu la Cour.
Selon cette thèse, la photographie retravaillée par Jeff Koons « sert au mieux son message et sa démarche artistique, car il choisit les sources d’inspiration de ses œuvres et les transforme en sculpture autonomes, (…), et lui permettait de transmettre son message de libération de l’être, annonçant une nouvelle ère, ce d’autant qu’elle n’était pas connue du grand public ».

L’atténuation de la responsabilité in solidum du Centre Pompidou.

La Cour a également retenu la responsabilité du Centre Pompidou pour avoir reproduit l’image de la sculpture Naked dans les ouvrages de l’exposition rétrospective consacrée à Jeff Koons.

Le Centre Pompidou ne peut davantage arguer de sa bonne foi, ni de sa mission de service public d’informer le public et de diffuser la création artistique dans toutes ses formes, pour s’exonérer de sa responsabilité.

Toutefois, la Cour considère que la responsabilité du centre Pompidou doit être moins engagée que celle de la société Jeff Koons LLC, retenant que le musée « n’a été informé que très tardivement (du litige existant sur l’œuvre Naked) et a fait réaliser un tirage des portfolios et albums, dénués de la représentation de la sculpture querellée, de sorte que sa responsabilité est moins engagée que celle de la société Jeff X LLC ».

La Cour infirme la décision de première instance sur ce point précisément et estime que le Centre Pompidou ne doit être condamné in solidum avec la société Jeff Koons LLC non plus à hauteur de la moitié mais à hauteur de 10% de la condamnation finalement prononcée.

Le Centre Pompidou a sans doute été imprudent en signant un contrat avec la société de Jeff Koons qui encadrait la publication des livres et albums portant sur l’exposition dépourvu de clause de garantie.

Maître Béatrice COHEN www.bbcavocats.com