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Le juge français face à l’aliénation parentale. Par Jean Pannier, Avocat
Parution : mercredi 12 février 2020
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Il faut revenir inlassablement sur le sujet de ce fléau qui ne se réduit absolument pas bien qu’on le dénonce depuis une vingtaine d’années [1]. Les pouvoirs publics ne savent pas comment le traiter et ne font rien, quant aux juges qui, à la seule évocation du SAP, deviennent nerveux ou indifférents ils continuent de l’ignorer ce qui a pour principale conséquence de décourager les avocats qui y vont sur la pointe des pieds au grand dam des parents évincés un peu plus désemparés.

1. Constat des lieux

L’aliénation parentale est pourtant une réalité extrêmement dangereuse pour les enfants victimes, qu’on l’appelle syndrome (SAP) ou séquelle d’un lavage de cerveau ne change rien et les services sociaux le sentent, mais ils sont influencés par le lien de dépendance statutaire avec le juge qui a désigné leur association.

Quant aux parents évincés qui vivent un traumatisme qui handicape chaque instant de leur vie y compris sur le plan professionnel, ils ne savent plus à qui s’adresser sidérés d’apprendre par leurs avocats qu’évoquer le SAP ne va pas arranger les choses. On pourrait presque parler de non-assistance à personne en danger.

Les personnels en charge des mesures d’assistance éducative expliquent sur le ton de la confidence qu’en prenant le risque d’évoquer des cas d’aliénation parentale avérés les juges qui n’aiment pas ça risquent de confier les prochains dossiers à d’autres associations plus consensuelles. On en parle discrètement au sein des associations, concurrence oblige « si le juge n’aime pas l’aliénation parentale : laissez tomber ! ».

Voilà l’état des lieux, trop rares sont les décisions judiciaires qui évoquent l’aliénation parentale pour en tirer les conséquences.
Pourtant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a donné l’exemple depuis longtemps. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités compétentes pour réglementer les questions de garde et de visite, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation.

S’agissant plus particulièrement de l’obligation pour l’Etat d’arrêter des mesures positives, la Cour a déclaré à de nombreuses reprises que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre. [2]

Une thèse de doctorat en médecine a même été consacrée au SAP [3]
Il est franchement scandaleux qu’un pays comme la France ne soit pas capable de définir des objectifs contraignants que ça plaise ou non à tous ces juges qui aggravent le mal au lieu de le réduire. Parce que le problème est là : chargée de calmer le jeu dans les situations de crise caractérisées la Justice trop souvent sanctuarise la crise. Les parents maltraités se comptent par milliers chaque année, quant aux procureurs, ils jouent Ponce Pilate à guichet fermé. [4]

Le prétexte commode pour éluder le SAP consiste à dire qu’on l’invoque trop souvent à tout propos et que ce ne serait finalement qu’un phénomène de mode. Attitude relayée par un expert négationiste qui court les colloques pour affirmer que l’inventeur du SAP, le docteur Gardner est un fantaisiste et un pédophile [5].

Les agents des services sociaux, trop souvent, ne sont pas en mesure de dire ou d’écrire dans leurs rapports ce qu’ils ont pourtant sous les yeux ce qui pourtant relève carrément de la maltraitance, de la violence sur enfants. En France on est bien parti pour attendre 30 ans pour se persuader que des formations bien ciblées pourraient améliorer les choses.
Pendant ce temps-là l’association ACALPA organise depuis longtemps des formations pour les gendarmeries…et ça marche ! Mais une hirondelle ne fait pas le printemps.

Former des magistrats relèverait, si l’on en croit certains juges, de la provocation voire de l’humiliation, pourtant la Défenseure des Enfants dans son rapport d’activité de 2008, toujours accessible sur Internet, avait lancé le sujet publiant même un jugement courageux du JAF de Toulon que nous avions commenté à la Gazette du Palais [6].
Hélas la Défenseure des Enfants a été « absorbée » par le Défenseur des Droits en 2008 et le combat de cette institution s’est arrêté en chemin d’autant que le premier Défenseur des droits, de notoriété publique, n’appréciait guère la Défenseure des enfants.
Voir le communiqué publié sur Le Village de la Justice en novembre 2008 intitulé « Suggestions quant aux droits de l’enfant lors de la séparation des parents » :

« Le 20 novembre 2008 fut célébrée la journée internationale des droits de l’enfant. A cette occasion, Dominique Versini a remis aux membres du pouvoir exécutif ainsi que législatif des rapports annuels d’activité montrant que près de la moitié des réclamations touchaient au problème du maintien des liens entre parents et enfants en cas de séparation parentale, et qu’en outre, un quart des enfants ne vit pas avec ses deux parents…
Pour finir, la mesure sans doute la plus importante de ce rapport demeure sans doute dans la demande d’insertion dans le Code civil du droit de l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec chacun de ses parents et avec certains tiers.
A la suite de ce rapport, le Président de la république a demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaire pour faire suite à certaines de ces recommandations en cas de séparation parentale
 ».

Donc, en résumé, en raison de la trop grande propension de certains parents à brandir l’aliénation parentale à tout propos et à contre-emploi, la plupart des juges ferment la porte au sujet et le font bien comprendre aux services sociaux. Que faire ? Il y a eu pourtant quelques alertes justifiant de réagir [7]. De nombreux juges sont persuadés qu’il est trop tard pour renverser la vapeur ; c’est là que réside la principale explication : le fait accompli.

2. La politique du fait accompli.

Conçue pour garantir un vrai procès équitable, la recherche de la solution appropriée se heurte à un obstacle de taille : la religion du fait accompli qui rime parfaitement avec l’absence de courage.

Le débat dans le cabinet du juge est tendu d’entrée de jeu car le magistrat a lu les différents rapports des services sociaux voire ceux des experts qui ont suffi à le persuader que l’enfant travaillé au corps et au cerveau depuis des mois est perdu. Trop tard pensent de nombreux juges, le mal est fait c’est fichu ! Tenter d’inverser le processus leur parait illusoire alors que c’est ce qu’on attend d’eux. Ils ne font donc pas leur boulot.
Curieusement ce sont souvent les mêmes experts qui sont désignés par ces juges adeptes de la politique du fait accompli dans les situations dites sévères. Les mêmes experts qu’on retrouve dans les colloques et autres parades avec leurs juges attitrés pour prouver au bon peuple que le sujet conflictuel est parfaitement maîtrisé grâce à une panoplie de solutions qui ont fait leurs preuves.

Ça s’appelle un consensus et bonne chance si vous arrivez à lever la main au cours d’une de ces grandes messes pour perturber cette belle harmonie et affirmer que la politique du fait accompli est la pire solution pour venir à bout d’un processus d’aliénation parentale parce qu’elle va inévitablement l’aggraver. Ces juges là – il y en a d’autres fort heureusement – ne vont pas faire l’effort d’au moins tenter de réduire le cancer. Non, le mal est trop profond, le parent aliénant a gagné la bataille avant même qu’elle commence et l’expert et les services sociaux vont confirmer que le parent aliéné est maladroit et insupportable et qu’il n’a aucune chance de renouer le lien parental avant longtemps. « Ca s’arrangera après la majorité ! » disent-ils souvent.

Pire, le parent aliéné sentant qu’il perd pied dans un débat qui l’a déjà un peu plus éloigné de son enfant va accumuler les tentatives pour au contraire retrouver un lien déjà bien abîmé avec son enfant, tentatives qui seront perçues comme de nouvelles maladresses intempestives. Et plus il se débat plus il se rapproche de la punition avec un régime qui est la honte de notre système.
Ce redoutable « point rencontre » où le parent déchu va se trouver impuissant pendant une heure, sous surveillance, en présence de son enfant de plus en plus hostile et qui n’est même plus capable de le regarder en face. Echec garanti, au lieu de réduire le mal la justice aggrave la situation. Rares sont les juges qui ont eu le courage de mettre un terme à une AEMO qui n’a, en rien, réduit la crise.

« La mesure d’AEMO est inefficiente dans le sens que rien ne bouge dans le positionnement fermé de X (l’enfant) à l’égard de son père, que si la mère affiche une volonté de collaborer, on peut s’interroger sur sa réelle participation à une reprise de liens père-fille, M....(le père) lui-même reconnait l’inefficience de l’intervention, par ailleurs, par ailleurs X…est une jeune fille qui évolue bien sur les autres plans et qui bénéficie d’une certaine ouverture sur l’extérieur.
L’intervention éducative ne peut atteindre l’objectif fixé, ni même débuter un travail sur cette question du lien père-fille. Elle ne sert à rien. Certes, X… demeure une adolescente en danger au sens qu’elle n’entretient des liens qu’avec sa mère, pas avec son père, et n’a aucun recul sur le positionnement maternel dans cette séparation du couple parental sans que soit expliquée cette réaction, avec le risque d’une altération de son libre-arbitre, d’une absence de pluralité de repères identificatoires. Sur tous les autres plans X… est une jeune qui va bien actuellement.
Toute mesure d’assistance éducative apparait ainsi inefficiente. Il convient de clôturer sur ce constat l’échec de notre intervention
 » [8].

La Cour de cassation dans un arrêt en date du 18 décembre 2014 rejette le pourvoi d’une mère qui avait usé de tous les stratagèmes possibles pour éloigner l’enfant du père. La Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 5 mars 2013 avait considéré que l’intérêt de l’enfant justifiait son transfert de résidence au domicile du père en raison de l’inaptitude de la mère à préserver l’enfant des conséquences délétères du conflit parental.

« Attendu qu’après avoir constaté qu’il existait une vive opposition entre les parents depuis la naissance d’Honor, que les experts judiciaires insistaient sur la nécessité de nouer des relations positives entre l’enfant et chacun de ses parents, que Mme X..., qui avait porté de graves accusations à l’encontre de M. Y..., sans justifier des suites judiciaires qui y avaient été données, ne s’était pas montrée apte à préserver l’enfant des conséquences délétères du conflit parental, la cour d’appel, se référant aux éléments les plus récents dont elle disposait, a souverainement estimé que l’intérêt actuel de l’enfant commandait le transfert de sa résidence au domicile du père ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision » [9].

Décision très intéressante que, malheureusement, la Cour suprême n’a pas jugé de publier au Bulletin civil alors qu’elle ne se gêne pas pour confier en aparté que le contentieux du droit de la famille qui parvient jusqu’à elle (1% des affaires) est calamiteux.

Les services sociaux, pas plus que l’ASE qui coûtent une fortune à l’Etat ne peuvent faire grand-chose face à un enfant-soldat qui le plus souvent les manipule en se moquant d’eux. Avant de devenir un petit dur qu’ils ne voient évidemment pas évoluer. En attendant, l’Etat paye pour une prestation routinière inadaptée et illusoire qui finira peut-être un jour par intéresser la Cour des comptes.

Quant aux avocats d’enfants dont l’intervention reste diversifiée si l’on en juge par les vives critiques des magistrats présents aux 10ème assises qui se sont tenues à la Maison du barreau de Paris les 20 et 21 novembre 2009, leur intervention demeurera un progrès le jour où elle sera sérieusement contrôlée ce qui n’est pas acquis [10].
Que fait le ministère public quand il daigne assister aux audiences ? Rien ou trois mots très consensuels. Il est impensable à chacun d’admettre que le système est verrouillé et qu’une procédure d’appel ne servira que fort rarement à améliorer votre relation avec un « enfant-soldat » pour reprendre l’expression de l’expert national Paul Bensussan.

3. Que faire alors ?

On n’efface pas d’un coup de baguette magique cette pratique institutionnalisée de la politique du fait accompli. Attitude qui contraste évidemment avec les rares décisions courageuses des magistrats qui ont su prendre le taureau par les cornes - le parent aliénant – en lui imposant la meilleure solution possible pour faire cesser son œuvre de destruction et régénérer le lien abîmé voire complètement calciné avec l’autre parent.

La difficulté qui explique en partie la démission des juges qui pratiquent la politique du fait accompli réside dans l’absence criante d’une vraie réflexion basée d’abord sur la violence sur enfants. Face à la ruse et à la détermination du parent aliénant le juge se sentira démuni car il ne peut suivre la situation au jour le jour tandis que le manipulateur continue son travail de sape quotidien puisqu’il a l’enfant sous sa coupe c’est-à-dire l’emprise totale.

La situation commence avec le droit de visite et d’hébergement violé sans états d’âme chaque weekend et même à l’occasion des vacances histoire de bien cisailler ce qui reste du lien parental. C’est par milliers que le phénomène recommence chaque semaine.

Certains parents victimes multiplient les plaintes qui aboutissent au mieux à de simples rappels à la loi. Le pénal paraît inadapté et pourtant. A croire que les violences sur enfants ne sont pas à la mode.

Certains juges ont choisi de taper au portefeuille : Le TGI de Laval (JAF) a prononcé le 8 février 2008 une « astreinte provisoire de 300 euros par infraction constatée » à l’encontre d’une mère qui tirait prétexte des réticences de sa fille pour faire obstacle au droit de visite du père. C’est un bon début, mais a-t-il fait école depuis ?
La presse fuit ce genre de sujet – surtout la presse audio-visuelle – parce qu’elle redoute d’être inondée de déferlantes d’appels au secours surtout à la suite d’une émission de grande écoute.
C’est regrettable car elle se grandirait à faire œuvre utile pour ces milliers de parents évincés par des juges routiniers. Elle a ce pouvoir de dénoncer une pratique judiciaire d’un autre âge par un coup de projecteur. Elle a souvent permis de sensibiliser les pouvoirs publics qui nous bassinent avec leurs priorités qui n’en sont pas toujours et ferment les yeux sur des dysfonctionnements majeurs qui vont entrainer des séquelles insupportables. En quittant l’audience le parent aliénant enfonce le clou dans la tête de l’enfant « Tu as vu, le juge est pour moi ! » c’est fichu. A l’opposé le parent aliéné va vivre un enfer qui va l’handicaper sur tous les plans. Lançons l’idée quand même d’une grande émission télévisée avec des représentants du Barreau capables de donner le ton et des magistrats qui ne rejettent pas le SAP par principe.

Enfin, la mise en cause de la responsabilité de l’Etat pour faute lourde pourra peut-être faire avancer une prise de conscience. C’est encore une idée à la mode pour d’autres sujets où manifestement la Justice n’a pas fait son boulot. Spécialement quand le parent accusé d’attouchements – grand classique – est relaxé et que le dénonciateur, de parfaite mauvaise foi, s’en sort avec une admonestation à l’audience c’est-à-dire sans frais.

En résumé, juges pour enfants, JAF, procureurs, même combat. La responsabilité de l’Etat est manifeste, la mayonnaise peut prendre.


Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.

Jean Pannier Docteur en droit Avocat à la Cour de Paris Ancien membre du Conseil de l’Ordre [->jean.pannier@gmail.com] www.contentieux-fiscal-et-douanier.com

[1Paul Bensussan et Florence Rault. La dictature de l’émotion. Ed. Belfond 2002.

[2Ignaccolo-Zénide c.Roumanie, n°31679/96 ; Nuutinen c. Finlande, n°32842/96 ; Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, n°5673/00 ; Monory c. Roumanie et Hongrie, n°71099/01 ; Koudelka c. République Tchèque n° 1633/05 ; Zavril c. République TCH7QUE n° 14044/05.

[3Le syndrome d’aliénation parentale par Bénédicte Goudard Thèse de doctorat en médecine Le Syndrome d’Aliénation Parentale. Thèse de Bénédicte Goudard.

[5Gardner R.A. The Parental Alienation Syndrome, by Creative Therapeutics, Cresskill N.J., paru en 1992 et réédité en1998.

[6Toulon (JAF) 4 juin 2007, Gaz. Pal. 18-20 novembre 2007, note J. Pannier.

[71er décembre 2006, suicide de Stéphane Lafargue, (www.collectif-coparentalite.com), 25 mai 2008 suicide de Bernard Perrin, père de 5 enfants.

[8Tribunal pour enfants de Bayonne 8 février 2013.

[9Cass.Civ. 1. 18 décembre 2014 Pourvoi n° 14-10041 inédit ( Légifrance).

[10Jean Pannier Les avocats d’enfant ou les limites du politiquement correct Village de la justice 12 novembre 2009 Rubrique Tribunes et points de vue

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