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Covid-19 : Quelles options pour le preneur à bail commercial ? Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : mardi 14 avril 2020
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Depuis le 16 mars 2020, le pays est plongé dans un confinement général, les commerces, les galeries, les lieux publics ont dû fermer (jusqu’au 11 mai a minima), à l’exception de quelques secteurs dont la continuité de l’activité est essentielle.
L’exécution du contrat de bail est impossible, bailleurs comme locataires sont confrontés à cette situation inédite.

La jouissance de la chose louée est impossible et la clientèle, élément essentiel du fonds de commerce, est confinée. Le paiement des loyers est suspendu, tout comme les procédures en acquisition de la clause résolutoire.

S’agit il d’une suspension de loyer ou d’une annulation ? Les loyers restent ils dus pendant cette crise sanitaire ? Quels sont les risques en cas de non paiement des loyers ?

Au sortir du confinement, de quelles options dispose le preneur à bail dont la trésorerie aura été fortement impactée par la fermeture de son commerce et dont la pérennité de son activité sera sans doute menacée. Le locataire peut il demander la révision de son loyer pour imprévision ? pour baisse de la valeur locative du local ?

1. Sur le paiement des loyers.

1.1. Ce que disent les textes pris en urgence par le Gouvernement.

L’ordonnance n°2020– 316 du 25 mars 2020 s’intéresse au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie du Covid-19.

Ce texte précise le champ application des mesures applicables aux loyers commerciaux.
Il est prévu à l’article 4 que les personnes pouvant bénéficier du fonds de solidarité :

« ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée. »

Le Décret 2020-371 du 30 mars 2020, relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, modifié par un décret du 2 avril 2020, précise le public concerné par ses mesures :

Il s’agit notamment des personnes physiques et morales ayant une activité économique en France et qui :
- ont débuté leur activité avant le 1er février 2020 ;
- n’ont pas déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 ;
- ont un effectif inférieur ou égal à dix salariés ;
- ont un chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos inférieur à un million d’euros ;
- ont un bénéfice imposable qui n’excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos ;
- n’étaient pas en procédure collective ;
- ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 par rapport à la même période de l’année précédente.

Contrairement à la suspension du paiement des loyers annoncée par le président de la République le 16 mars dernier, la majorité des entreprises se trouvent donc exclues de ces mesures d’accompagnement et de soutien en cette période de pandémie.

Ces décrets restreignent donc considérablement les conditions auxquelles les entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de Covid-19 peuvent bénéficier des mesures provisoires prévues par l’ordonnance du 25 mars 2020.

Les locataires de locaux commerciaux dont la fermeture a été ordonnée par le Gouvernement se retrouvent donc exposés à des sanctions en cas de non paiement des loyers et accessoires.

Dans cette situation inédite, il est fortement recommandé que preneurs et bailleurs trouvent une solution amiable pour les locataires qui n’entrent dans le champ d’application de ces textes susvisés et qui ne peuvent bénéficier des mesures de suspension du paiement des loyers.

1.2. Sur la suspension du paiement du loyer pendant la période de fermeture imposée des commerces.

- Les obligations des parties à un bail :

Succinctement, rappelons les obligations des parties à un bail commercial.

En vertu de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu de délivrer la chose louée et de permettre au preneur d’en jouir paisiblement.

Ces obligations essentielles du bailleur ont été rappelées par la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 23 janvier 2008 : « Le bailleur doit assurer au preneur la jouissance paisible des lieux loués et cette obligation ne cesse qu’en cas de force majeur ».

Il est de jurisprudence constante que les fermetures administratives sont considérées comme des circonstances insurmontables et imprévisibles, caractéristiques de la force majeur (Cour de cassation, 9 juillet 2013, n° 12-17-012)

Le bailleur n’est donc dispensé de son obligation de délivrance de la chose louée que pendant la durée de fermeture des commerces prononcée par les mesures réglementaires.

En contrepartie de la jouissance de la chose louée, le preneur à bail est tenu de payer le loyer et ses accessoires (article 1728 al 2 du Code civil), d’user paisiblement de la chose louée et de l’exploiter.

Aujourd’hui, les preneurs à bail qui, sauf exception ont l’interdiction d’ouvrir leurs boutiques, ne peuvent donc pas respecter leurs obligations d’exploiter leur fonds de commerce.

- Sur la force majeure :

Afin de lutter contre la propagation du Covid-19, la fermeture de la majorité des commerces a été ordonnée par le Gouvernement, empêchant bailleurs comme preneurs d’honorer leurs obligations essentielles.

Les mesures réglementaires empêchent donc bailleurs comme preneurs de respecter leurs obligations essentielles issues du contrat de bail commercial qui ne peut pas être exécuté, frappé par la force majeure.

L’article 1218 du Code civil dispose à cet titre qu’« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

L’exécution du contrat de bail étant rendue temporairement impossible par les diverses mesures réglementaires qui ont été adoptées pour tenter de lutter contre cette pandémie, celle-ci doit donc être suspendue temporairement et ce en application de l’article 1218 al 2 du code civil précité.

Aucune indemnités ou pénalités pour mauvaise exécution du contrat en cette période inédite ne sauraient dès lors être sollicitées.

Confrontés à cette situation inédite, les preneurs à bail ne sauraient réclamer l’octroi de dommages-intérêts en raison du non respect des obligations essentielles qui incombent au bailleur, étant donné que cette situation lui est totalement extérieure et répond aux caractéristiques de la force majeure d’imprévisibilité et d’irrésistibilité (dont le régime a été précédemment rappelé dans cet article.

C’est ce qu’a rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt d’assemblée plénière en date du 14 avril 2006 (n° 02-11.168) : « Il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit  ; il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure. »

En outre, une procédure en acquisition de la clause résolutoire ou en référé-paiement fondée sur le non paiement du loyer par le locataire pendant cette période de fermeture imposée par le Gouvernement ne saurait aboutir et tout bailleur qui initierait des procédures sur ce fondement serait considéré comme étant d’une particulière mauvaise foi.

A l’issue de la période de fermeture des commerces imposée par le Gouvernement, il est certain que la reprise va être particulièrement délicate voire, pour certains, impossible.

Les conséquences économiques de cette pandémie risquent de placer les commerçants, les galeristes et plus généralement tous les preneurs à bail dans une situation financière très critique.

Quelles sont alors les solutions qui s’offrent au locataire pour qui le bail représente souvent une charge financière très importante ?

2. Sur la révision du loyer pour imprévision.

S’agissant des baux conclus ou renouvelés postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations, i.e. après le 1er octobre 2016, le preneur à bail peut invoquer l’imprévision pour renégocier le contrat de bail en raison des changements des circonstances qui étaient imprévisibles lors de la signature du bail.

L’article 1195 du code civil prévoit la possibilité de renégocier un contrat en cas de « changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. »

Faute d’accord avec le bailleur, le preneur pourra saisir le Tribunal judiciaire du lieu de situation de l‘immeuble qui pourra réviser le contrat au regard notamment de la fermeture des commerces imposées par les mesures gouvernementales, de l’impact économique causé par la pandémie du Covid-19 et plus généralement des changements de circonstances imprévisibles qui rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse.

Invoquer l’imprévision permettrait ainsi de diminuer les conséquences financières négatives ou trop lourdes pour le locataire.

Notons enfin que chaque partie doit exécuter ses obligations durant la période de renégociation.

3. Sur révision triennale du loyer prévue à l’article L. 145-38 du Code de Commerce.

Il y a fort à parier que les locataires qui sont titulaires de leur bail depuis au moins 3 ans vont être nombreux à recourir à cette faculté qui leur est offerte par l’article L. 145-38 du Code de commerce pour obtenir une révision de leur loyer à la baisse.

L’article précité dispose que : « La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision ».

Un certain formalisme doit être respecté à peine de nullité de la demande de révision :
- La période de 3 ans doit être expirée à compter de l’entrée en jouissance du locataire ou du point de départ du bail renouvelé ;
- La demande de révision doit s’effectuer par lettre recommandée avec accuse de réception ou par acte d’huissier (la date de la demande sera le cas échéant la date d’effet du nouveau loyer)
- La demande doit comporter l’indication du nouveau loyer proposé.

Cette révision triennale peut notamment être effectuée lorsque le loyer ne correspond plus à la valeur locative réelle du bien loué, le locataire devra alors rapporter la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative (article L. 145-38 al. 3) du Code de commerce

Pour justifier de la baisse de la valeur locative d’un local, plusieurs éléments qui définissent les facteurs locaux de commercialité (R. 145-6 du Code de commerce) seront pris en compte tels les décisions administratives de fermeture des boutiques, l’impact de la fermeture des boutiques voisines du local, la répartition des diverses activités dans le voisinage, mais également les modifications que ces éléments « subissent d’une manière durable ou provisoire », i.e les conséquences de la pandémie sur la commercialité.

Nous invitions vivement les locataires à initier ces procédures en révisions pour imprévision ou pour modification des facteurs locaux de commercialité et à notifier ces demandes à leurs bailleurs afin que, dans l’hypothèse où aucun accord ne serait trouvé entre les parties, leurs demandes en révision aient d’ores et déjà une date certaine.

Maître Béatrice COHEN [->www.bbcavocats.com]