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Réforme des sections disciplinaires : quelles garanties demain pour les droits des étudiants ? Par Arthur Moinet, étudiant.
Parution : mardi 19 mai 2020
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La loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a ouvert la voie à une réforme d’ampleur des sections disciplinaires au sein des établissements d’enseignement supérieur.
Cette dernière ne semble toutefois pas offrir les même garanties que la procédure juridictionnelle actuelle et risque d’affaiblir le principe de collégialité à l’université. Plus largement, elle suscite des interrogations quant à l’avenir du modèle de juridiction administrative spécialisée.

Dans la chronique d’une décision récemment rendue par le Conseil d’Etat concernant l’Autorité des marchés financiers [1], Clément Malverti et Cyrils Beaufils introduisaient leur propos en convoquant Léon Michoud, pour qui ‘’le progrès patiemment poursuivi par des générations de juristes qui se sont succédé en France, a consisté à séparer dans l’administration le pouvoir de juger du pouvoir d’administrer’’.

Cette affirmation nous semble aujourd’hui revêtir une acuité toute particulière, au moment où le législateur a récemment ouvert la voie à une réforme des juridictions disciplinaires à l’université.

1- La loi de réforme de la fonction publique met un terme au modèle actuel de section disciplinaire, s’inscrivant dans un mouvement plus global d’évolution des juridictions administratives spécialisées.

a) Les sections disciplinaires sont appelées à perdre leur qualité de juridiction de premier ressort.

En effet, la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique est venue apporter un changement majeur à la procédure disciplinaire au sein des établissements d’enseignement supérieur.

Rappelons que depuis la loi Faure de 1968 [2] (et encore aujourd’hui en l’absence de parution des décrets d’application) les sections disciplinaires, issues des Conseils académiques [3], et consacrées comme juridictions administratives de premier ressort [4], sont compétentes pour juger, sur saisine du chef d’établissement, des manquements à la discipline commis par les enseignants ou les usagers. Le Conseil national de l’enseignement supérieur (CNESER) étant quant à lui compétent en appel et le Conseil d’Etat en cassation.

La loi précitée est cependant venue bouleverser ces fondements :

En particulier, les dispositions de son article 33 retirent la compétence de la section à l’égard des usagers, dont la sanction relèvera désormais du seul chef d’établissement, et transfère au Tribunal administratif l’examen de l’appel éventuel contre ces nouvelles sanctions administratives.

Par ailleurs, si la section disciplinaire reste compétente concernant les enseignants-chercheurs (avec une composition devant encore être précisée par décret d’application), elle perd cependant sa qualité de juridiction de premier ressort pour être transformée en simple instance administrative consultative. L’appel est toujours possible devant le CNESER, mais sa formation contentieuse est désormais présidée par un conseiller d’Etat et non plus un enseignant-chercheur, alors qu’une fonction de rapporteur public est instituée.

b) Ces mutations ne sont pas propres à l’enseignement supérieur et le modèle de la juridiction administrative spécialisée est aujourd’hui durablement remis en question.

Cette réforme des sections disciplinaires s’inscrit plus largement dans un mouvement d’affaiblissement des juridictions administratives spécialisées ces dernières années.

Ainsi, en matière éducative, l’ordonnance n°2014-691 du 26 juin 2014 avait déjà retiré aux Conseils académiques de l’Education nationale ainsi qu’au Conseil supérieur de l’éducation leur compétence en premier ressort et en appel, à l’égard des enseignants de l’Éducation nationale.

En matière sociale, rappelons que la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI siècle a supprimé les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, pour les transférer au nouveaux Tribunaux judiciaires.

Par ailleurs, le rapport 2020 du Conseil d’Etat, récemment paru, indique que la mission permanente d’inspection des juridictions administratives pointait dans un rapport interne en novembre 2019, les “difficultés organisationnelles” rencontrées par les juridictions de la tarification sanitaire et sociale, questionnant l’utilité de l’échevinage concernant ces sujets de plus en plus complexes.

Cette tendance à l’externalisation de la discipline intérieure n’est donc pas nouvelle et soulève donc des questions. Seraient-ce demain les ordres médicaux ou bien les instances disciplinaires sportives qui seront à leur tour remis en question ?

Les critiques autour des juridictions administratives spéciales sont connues : composées de juges non-professionnels, donc plus exposés au risque de conflit d’intérêt ou bien au non-respect des règles procédurales, complexification des règles de compétence, coûts élevés...

Cependant, ses avantages sont peu valorisés :

Ces dernières permettent en effet un désengorgement des juridictions de droit commun, des délais de jugement plus rapides, mais aussi une reconnaissance du rôle des partenaires sociaux et des usagers dans la gouvernance de certaines Institutions. Le Conseil d’Etat lui-même reconnaissait lui-même ces avantages dans son rapport de 2004 sur l’avenir des juridictions spécialisées [5] même s’il jugeait en 1975 [6] que ces juridictions dérogatoires devaient être réduites et justifier d’un intérêt réel pour le justiciable.

En outre, alors que l’un des principaux reproches fait ces dernières années aux juridictions d’exception consistait en leur complexité excessive aux yeux des justiciables (Tribunaux de sécurité sociale, commissions départementales des travailleurs handicapés, des mutilés de guerre et assimilés...), la section disciplinaire universitaire semblait au contraire bien identifiée et acceptée par l’ensemble de la communauté université. Sa transformation à venir en est d’autant plus surprenante.

2- La nouvelle procédure ne semble pas offrir les mêmes garanties que la voie juridictionnelle et risque d’affaiblir le principe de collégialité à l’université.

a) Le régime de sanction administrative suscite des interrogations sur le respect à venir des droits de la défense et de l’indépendance universitaire.

La réforme mise en œuvre est majeure en ce qu’elle modifie radicalement la philosophie de la procédure disciplinaire à l’université. En ce qui concerne les enseignants, les effets de la réforme apparaissent mitigés : si l’institution d’un rapporteur, pouvant être choisi parmi les magistrats de l’ordre administratif et ne participant pas au jugement, permet indiscutablement de professionnaliser la procédure, le choix de confier la présidence du CNESER disciplinaire à un conseiller d’Etat paraissait être moins nécessaire. Trouvant son origine dans la traditionnelle franchise universitaire, octroyant au président seul le maintien de l’ordre public dans son établissement, et dans la tradition de recrutement par les pairs, cette mesure semble même assez contradictoire avec le principe de valeur constitutionnelle d’indépendance des professeurs d’université proclamé en 1984 [7].

D’autre part, la nouvelle procédure applicable aux usagers n’est pas sans soulever plusieurs inquiétudes, alors que le décret d’application organisant ses nouvelles modalités n’est toujours pas paru à ce jour.

Substituant le régime de la sanction administrative à la procédure juridictionnelle, elle bouleverse indiscutablement le niveau des garanties dont bénéficie l’usager accusé.

Il est vrai que le régime des sanctions administratives, très tôt reconnu à l’administration en matière fiscale [8] et d’activités réglementées [9], s’est progressivement développé après-guerre, notamment au profit des nouvelles autorités de régulation [10]. Néanmoins, leur application restait jusqu’alors cantonnée à des domaines objectifs. Bien que sanction administrative, la mesure disciplinaire prise à l’encontre du fonctionnaire ne peut quant à elle qu’être mise en œuvre après réunion de la Commission mixte paritaire.

Aussi, la nouvelle procédure disciplinaire instituée au profit du chef d’établissement, afin de sanctionner une attitude individuelle semble inédite.

L’octroi d’une sanction concernant des cas d’agressions sexuelles, de violence ou de plagiat, fréquents en section disciplinaire, ne se satisfait pas d’une appréciation individuelle. Si ces faits doivent néanmoins être jugés au regard du seul règlement intérieur, le jugement en formation collégiale et le caractère oral de la procédure paraissent indispensables afin de confronter le point de vue de l’enseignant, de l’étudiant, ou encore du représentant du personnel qui composent la section disciplinaire.

En outre, la procédure actuelle garantissait pleinement les principes d’impartialité et de séparation de l’autorité de poursuite et de jugement, exigences régulièrement rappelées par la jurisprudence concernant les autorités administratives dotées d’un pouvoir de sanction [11] , telles que l’ordre des médecins [12] ou les tribunaux des affaires sociales [13].

Ce nouveau régime s’accommode donc difficilement du droit à un procès équitable : demain, comment garantir l’impartialité du président de l’université, qui ne pourra évidemment être récusé, ou encore la mise en œuvre formelle du principe du contradictoire [14] ?

La notion de tribunal, présidant à l’application de ces principes d’impartialité et de séparation dans la mise en oeuvre de la sanction, également rappelés par la CEDH [15], semblent plus difficile à mettre en œuvre concernant l’autorité composée du seul directeur.

D’ailleurs, la mesure d’exclusion d’un établissement universitaire, même de quelques jours, ne pourrait-elle pas être considérée comme une mesure privative d’une liberté constitutionnellement garantie, limite à la sanction administrative formulée par le Conseil constitutionnel [16], alors que le juge des référés a explicitement reconnu le droit à l’éducation comme liberté fondamentale [17] ? Les délais d’attente de jugement au Tribunal administratif, en cas d’appel d’une décision d’exclusion, plus longs que l’appel actuel devant le CNESER, pourraient aussi mettre en cause cette liberté fondamentale.

b) Une meilleure formation et des moyens supplémentaires devraient garantir aux sections disciplinaires un fonctionnement plus efficace et adapté à l’université.

Le statut quo n’est néanmoins pas souhaitable. Les sections disciplinaires sous leur forme actuelle présentent de nombreux défauts.

Dans un article paru en novembre 2019 Injustice et université : critique de la section disciplinaire. Par Nicolas Philippe, Juriste., Nicolas Philippe rappelait notamment plusieurs de ses défauts, en particulier la saisine discrétionnaire du président, le manque d’indépendance du secrétariat de la juridiction, ainsi que la non-application du Code de justice administrative et le manque de précisions procédurales du Code de l’éducation.

Cependant, rappelons ici que la participation d’étudiants à des sections disciplinaires représente une expérience très formatrice, et participe notamment à leur association à la gouvernance universitaire. Une formation plus adaptée de ces derniers permettrait sans doute d’accroître le professionnalisme de ces instances. La mise à disposition de juristes assistants, fonction récemment créé par la loi de modernisation de la justice de 2016, au niveau académique, pourrait par exemple représenter une bonne solution.

De la même façon, les conflits d’intérêts, parfois critiqués par la doctrine, pouvant naître des formations contentieuses spécialisées, pourraient être limités en intégrant aux sections disciplinaires des personnalités extérieures en plus grand nombre (enseignants vacataires par exemple).

Pour finir, la possibilité de reconnaître la qualité de tiers au procès aux personnes lésées, la création d’une procédure de saisine plus formalisée, ainsi que la qualification de l’administration comme partie au procès pourraient également représenter des avancées intéressantes.

Pour conclure, nous ne manquerons pas de reprendre, à l’instar du professeur Olivier Beaud, les mots de Louis Trotabas, qui présida le Conseil supérieur de l’Éducation nationale, ancêtre de l’actuel conseil supérieur de l’éducation et de l’actuel CNESER, pour qui “le Conseil supérieur est le gardien de l’honneur du personnel enseignant, pour l’enseignement privé comme pour l’enseignement public (…) ; le gardien, aussi, de l’honneur des élèves et des étudiants et de leur avenir universitaire ; le gardien enfin de la liberté de l’enseignement et dans l’enseignement dans bien des cas”.

Arthur Moinet Vice-président étudiant du Conseil de l'Institut - Sciences Po Élu étudiant en section disciplinaire

[1AJDA, n°17/120, 11 mai 2020, pp. 934.

[2Loi n°68-978 du 12 novembre 1968 d’orientation de l’enseignement supérieur.

[3Article R712-18 du code de l’éducation.

[4CE, 8 novembre 2017, Mme M.A.B.

[5Conseil d’Etat, L’avenir des juridictions spécialisées dans le domaine social, Paris, La documentation française, 2004.

[6Conseil d’Etat, Etude sur les organismes à caractère juridictionnel, Imprimerie nationale, 1975. Cité par Nathalie Jacquinot. ‘’La spécialisation en contentieux administratif, remarques sur les juridictions administratives spécialisées’’ in La spécialisation des juges. PP. 81-106.

[7Décision n°83-165 DC du 20 janvier 1984.

[8CE, 5 mai 1922, Fontan.

[9CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier.

[10Décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989.

[11CE, 20 octobre 2000, Habib Bank Limited ; CE, 3 décembre 1999, Didier.

[12CE, 7 janvier 1998, Trany.

[13CE Sect., 27 mars 1998, Département de Saône-et-Loire.

[14CE Sect., 12 mai 1961, Société “La Huta”.

[15CEDH, 11 juin 2009, Dubus c./France.

[16Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989.

[17CE, 15 décembre 2010, ministre de l’Education nationale c/ M.