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Sites naturels d’escalade : est-il interdit d’interdire ? Par Maïté Cano, Avocat.
Parution : mercredi 24 juin 2020
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Le déconventionnement des sites naturels d’escalade (SNE) par la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) peut-il conduire les propriétaires et gestionnaires publics, et notamment les maires, à interdire l’accès aux falaises ?

Il sera brièvement rappelé en introduction que la FFME, qui avait depuis plusieurs années conclu des conventions d’usage organisant le transfert de la garde des sites avec les propriétaires publics et privés, a pris la décision de résilier ces conventions, à la suite d’un accident ayant conduit l’assureur de la Fédération à verser une lourde indemnisation aux deux victimes (Voir précédent article : « Déconventionnement des sites naturels d’escalade : quels enjeux pour les collectivités territoriales ? »).

La résiliation de ces conventions d’usage, autrement appelée « déconventionnement » autorise-t-elle les personnes publiques dotées de pouvoir de police , et notamment les maires, à interdire l’accès des falaises au public par le biais d’un arrêté de police ? Quelles sont les conditions de légalité de ces arrêtés et peuvent-ils être contestés ?

Si le Maire peut réglementer l’exercice d’une activité sportive sur le territoire de sa commune (I), l’exercice de ce pouvoir de police est néanmoins encadré et soumis au contrôle du juge administratif (II).

I.- Le Maire peut réglementer la pratique d’une activité sportive…

Au préalable, il faut préciser que la police administrative d’un Maire est de nature préventive et a pour finalité d’assurer la sécurité, la tranquillité et la salubrité publique sur le territoire de la Commune. Elle se distingue de la police judiciaire qui est de nature répressive et a pour objet de constater et réprimer les infractions.

Ici, nous nous intéresserons principalement au pouvoir de police administrative du Maire qui est « chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs » [1].

Le Maire est investi d’un pouvoir de police administrative générale qui a pour but d’assurer la sécurité publique, la tranquillité et la salubrité publique sur le territoire de la commune, en application de l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales.

Il ne peut pas en déléguer l’exercice au conseil municipal. A défaut, l’arrêté sera illégal.

Il en va ainsi d’un arrêté d’interdiction de la pratique du sport en eau vive pris par le conseil municipal : « Considérant qu’aux termes de l’article L2212-1 du Code général des collectivités territoriales Le maire est chargé (...) de la police municipale (...) ; qu’ainsi qu’il a été dit, la mesure d’interdiction litigieuse constituait une mesure de police ; que le conseil municipal n’était donc pas compétent pour la prendre ; que, par suite, la Fédération française de la montagne et de l’escalade est fondée à demander l’annulation de la délibération attaquée » [2].

Le Maire d’une commune a le pouvoir de réglementer, voire d’interdire l’exercice d’une activité sportive sur le territoire de la Commune par le biais d’une mesure de police administrative.

Par exemple, il en va notamment ainsi lorsque :

- pour des raisons de sécurité, le Maire interdit la pratique de la luge sur certains secteurs de la station de ski [3] ;
- des restrictions de circulation des véhicules à moteur sont imposées et « justifiées par la vocation de parcours de randonnée pédestre, équestre et cycliste qu’ont ces voies et les dangers qu’y font courir aux piétons les véhicules à moteur lorsqu’ils les utilisent » [4].

Il en va de même lorsqu’un Préfet prend, dans le cadre de son pouvoir de police spéciale en matière de protection de l’environnement, une mesure d’interdiction du parapente pendant la période de nidification du faucon pèlerin sur une zone déterminée [5].

Dans le cadre de ses pouvoirs de police, le Maire est également tenu de signaler les dangers d’un site ou d’une activité, afin d’en prévenir les risques.

A défaut, sa responsabilité peut être engagée pour manquement à l’exercice de ses pouvoirs de police.

Une commune a ainsi été condamnée à indemniser la victime d’un accident sur un site d’escalade, non pas en raison de la chute d’un rocher sur une « partie du secteur non spécialement aménagé par la Commune pour pratiquer l’initiation à l’escalade », mais en raison d’un manquement à ses obligations en matière de police municipale pour n’avoir pas signalé « les dangers présentés par la falaise située à proximité immédiate de l’école d’escalade » [6].

La jurisprudence reste cependant rare sur la mise en cause de la responsabilité d’une commune dans le cadre de la pratique de l’escalade en site naturel.

II.- …mais ce pouvoir de police est encadré et contrôlé par le juge administratif.

Pour être régulière, une mesure de police administrative doit respecter certaines conditions :
- elle doit être motivée et comporter les motifs de fait et de droit justifiant la décision,
- elle ne doit être ni générale, ni absolue,
- elle doit être proportionnée à l’objectif poursuivi et ne pas porter atteinte de manière disproportionnée à une liberté.

Le Conseil d’Etat a ainsi retenu dans un arrêt de principe concernant l’interdiction d’une réunion publique, que « s’il incombe au maire de prendre les mesures qu’exige le maintien de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion » [7].

Autrement dit, la mesure de police, qui affecte nécessairement l’exercice d’une liberté, doit être proportionnée et nécessaire au maintien de l’ordre, de la salubrité et de la sécurité publique.

C’est le juge administratif qui procède au contrôle de la légalité de la mesure de police. Il doit être saisi dans un délai de deux mois à compter de la publication ou de la notification de l’arrêté de police pour en demander sa suspension et/ou son annulation.

Par exemple, a été annulé un arrêté interdisant la pratique de l’escalade et du base jump toute l’année et sur tout le territoire d’une Commune : « Considérant que l’arrêté du maire de Rougon du 31 juillet 2000 constitue une mesure de police administrative et qu’à ce titre elle devait être motivée ; qu’il appartient au juge administratif d’apprécier si les limitations à l’exercice des libertés publiques qu’elle implique sont justifiées au regard de l’intérêt général et au regard de la protection du domaine privé communal ; qu’en l’espèce, l’interdiction de la pratique de l’escalade toute l’année, sur l’ensemble du domaine privé communal - lequel n’est d’ailleurs pas délimité de façon précise - présente un caractère général et absolu qui excède les besoins de la conciliation nécessaire à opérer entre le respect de la liberté individuelle et les contraintes d’intérêt général ; que, par suite, l’arrêté municipal N° 68 du 31 juillet 2000 est entaché d’illégalité et doit être annulé » [8].

De même, a été annulé un arrêté interdisant de manière permanente la pratique de l’escalade et du canyoning sur une partie de la commune, car « même s’il ne portait que sur un espace limité de la commune de Courmes, l’arrêté contesté imposait une interdiction permanente de caractère général et absolu, en tout état de cause disproportionnée par rapport aux buts poursuivis, et dont la nécessité, tant en ce qui concerne la dégradation des sites que la dangerosité d’accès n’est aucunement établie » [9].

Il exerce un contrôle de l’adéquation et de la proportionnalité de la mesure de police aux faits qui ont motivé son édiction, et s’assure que la mesure n’est ni générale, ni absolue et ne porte pas une atteinte disproportionnée à une liberté publique.

Le juge administratif veille ainsi à la conciliation entre impératif de sécurité, salubrité et tranquillité publique et exercice des libertés, et s’assure que les restrictions ou interdictions ne sont pas excessives au regard des exigences de maintien de l’ordre public, et plus largement, des contraintes d’intérêt général.

Par conséquent, à la suite de l’annonce du déconventionnement des sites naturels d’escalade, il n’est pas exclu que certaines communes soient tentées d’interdire l’accès aux falaises déconventionnées.

Pour autant, la légalité d’une telle mesure devra nécessaire s’inscrire dans le cadre fixé par la jurisprudence administrative, ce qui ne pourrait conduire qu’à des interdictions ponctuelles, temporaires et circonscrites, au risque d’être contestée devant le juge administratif.

Et du coté des pratiquants, il conviendra de conserver à l’esprit que « l’exercice d’une activité sportive ou de loisirs, dans un lieu et à une heure interdits, se pratique aux risques et périls de ceux qui ne respectent pas ces interdictions » [10].

Maïté Cano Avocat au Barreau de Paris

[1Article L.2212-1 du Code général des collectivités territoriales.

[2CE, 11 décembre 2008, n°307084.

[3CAA Bordeaux, 30 octobre 2017, n°15BX02675.

[4CAA Nantes, 16 décembre 2003, n°01NT00597.

[5CAA Nancy, 9 juin 2016, n°15NC01912.

[6CAA Bordeaux, 4 juillet 2002, n°99BX00073.

[7CE 19 mai 1933, Benjamin, Rec. 541.

[8CAA Marseille, 6 décembre 2004, n°01MA00902.

[9CAA Marseille, 4 juillet 2005, n°03MA00612.

[10CAA Bordeaux, 30 octobre 2017, n°15BX02675.