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[Enquête] Assistant.e.s et secrétaires juridiques : comment vont-elles/ils ? Partie 2 : L’analyse des recruteurs.
Parution : lundi 7 décembre 2020
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Il y a 10 ans, nous avions consacré une grande enquête aux fonctions supports, et près de 80 000 lecteurs avaient pris le temps de lire les résultats de celle-ci.
Il était par conséquent grand temps de prendre de nouveau la température de la profession, au travers d’une nouvelle enquête ayant pour objectif de connaître le moral des secrétaires et assistants juridiques, sujet qui suscite à l’évidence un grand intérêt.
Cette nouvelle enquête - que vous retrouverez ici- en dit long sur une profession visiblement sous pression...
Voici en complément le point de vue et l’analyse de Magali Sheik-Adam, Consultante Division juridique et Catherine Tardieu-Verdurand, Responsable Division Juridique du cabinet de recrutement Progressis, spécialiste des fonctions support.

Village de la Justice : Les choses semblent peu avoir évolué en 10 ans (voir notre précédente enquête) : quel est votre sentiment ? 

Magali Sheik-Adam et Catherine Tardieu-Verdurand : "Les choses ont évolué à plusieurs niveaux même si d’autres restent intactes :
- La technologie qui a beaucoup évolué et les demandes de compétences informatiques qui sont plus pointues. Par exemple, certains cabinets ont développé des outils de recherches juridiques (IA) qui nécessitent aux fonctions support de s’adapter à l’outil.

- La répartition des tâches. Nous nous apercevons que contrairement à il y a quelques années, les tâches transverses sont de plus en plus demandées. Par exemple, l’assistant(e) de direction aura pour charge des tâches marketing ou RH. Cela a été d’ailleurs accéléré par le premier confinement.

- Les avocats juniors semblent plus autonomes (pour leurs agendas et rendez-vous par exemple). Cela permet d’alléger certaines tâches au bénéfice d’autres tâches."
 
Cette enquête reflète-t-elle l’état de la profession tel que vous le connaissez ?

Magali Sheik-Adam

"L’enquête reflète bien la profession telle que nous la connaissons. Nous sommes d’ailleurs témoins que les expériences diverses façonnent également la recherche d’emploi et amènent les secrétaires/assistant(e)s à définir différemment leurs critères de recherche. En effet, un(e) secrétaire qui a travaillé avec un avocat colérique aura pour principal critère l’ambiance de travail.
Les critères d’attractivité aux yeux des candidats sont souvent par ordre d’importance : l’ambiance, un "leader inspirationnel", l’évolution de carrière, l’équilibre vie pro/perso, le salaire, les avantages.

Les critères d’attractivité sont par ordre d’importance : l’ambiance, un "leader inspirationnel", l’évolution de carrière, l’équilibre vie pro/perso, le salaire.

Chaque personne étant unique et ayant des critères construits sur la base de sa propre expérience, notre travail est d’apprécier cette différence et unicité afin d’établir le « perfect match »."

Quelles sont les données de l’enquête qui vous surprennent ?

"Le fait qu’il y est 92% de femmes en fonction support nous amène à nous questionner. Est-ce un métier qui est plus prisé par les femmes ou est-ce les stéréotypes de ce métier qui influencent ce chiffre ? Les recruteurs, les RH, avocats, etc. ont-ils une représentation faussée de ce métier qu’ils attribuent inconsciemment à la gente féminine ?

Nous avons pour notre part la chance d’être engagés auprès de l’association "A compétences égales" qui nous permet de lutter contre les stéréotypes qui deviennent des discriminations, de recruter sur la base unique des compétences et d’accompagner le changement."

Face au malaise que fait ressortir cette étude, quelles sont selon vous les pistes d’amélioration ? 

"En considérant, les équipes support de la même façon que les avocats, une plus grande cohésion pourrait se développer et se propager. Le rôle des avocats est de fournir une prestation à haute valeur ajoutée auprès de leurs clients, les fonctions supports ont le même rôle, pour leurs clients internes : les avocats. La cohésion permettrait une fluidité des échanges mais aussi du travail."

La profession gagnerait-elle à s’unifier, à ce que le flou entre assistante.s/ secrétaires juridiques n’existent plus, à ce qu’une école et une formation commune et unique soit mise en place ? 

En considérant les équipes support de la même façon que les avocats, une plus grande cohésion pourrait se développer.

"Que ce soit une formation dont la dénomination est assistante.s/ou secrétaire juridique, en tant que professionnel du recrutement, nous ne faisons pas de distinctions entre les titres mais, nous nous focalisons sur les compétences maitrisées.

Catherine Tardieu-Verdurand

Au-delà de la formation, une action au sein des cabinets serait bénéfique. Nous entendons de plus en plus les avocats juniors être plus autonomes, avoir plus d’interaction et moins de disparités avec les fonctions supports, valoriser les fonctions supports. Les codes changent donc petit à petit. La formation devra s’adapter à la réalité du terrain, tant pour les tâches (le savoir : compétences informatiques par exemple), que l’organisation et le relationnel.

Nous rencontrons quotidiennement des candidat(es) qui exercent sur les fonctions support en cabinet d’avocats et les témoignages présents dans cet article font écho aux discours de nos candidats.

Les avocats juniors ont plus d’interaction et moins de disparités avec les fonctions supports. Les codes changent.

Si nous faisons un bref état des lieux du stress (selon les 3 facteurs de Karasek [1].) en cabinets d’avocats, nous pouvons classer l’ensemble des témoignages :

• La demande psychologique (quantité, rapidité/ complexité, intensité/ morcellement, prévisibilité).

Le métier d’assistant(e)/secrétaire nécessite une rapidité d’action, de l’exactitude et parfois pour plusieurs avocats à la fois. Tout cela sur des sujets complexes de droit, avec de multiples documents à mettre en forme dans un temps imparti. Tous les ingrédients sont donc présents pour être propice à l’erreur mais aussi source de stress, sans parler des conséquences.

• La latitude décisionnelle (marge de manœuvre/ utilisation des compétences/ développement des compétences).

Pour aborder ce point, la question cruciale est de connaître le profil de l’assistant(e). Est-ce une personne qui a fait une formation pour devenir assistant(e) juridique ou quelqu’un qui a entrepris des études de droit et n’est pas parvenu à son objectif ultime (de devenir avocats ou juristes). Nous avons aussi deux types de personnes dans ce cas, celles qui sont proactives et celles qui ont besoin d’instructions. En fonction du bagage de compétences de la personne, il peut y avoir des frustrations de ne pas avoir plus d’implication dans les dossiers ou à contrario pour les exécutants une frustration de ne pas avoir le bagage suffisant et se sentir perdu(e) lorsqu’il faut prendre des décisions. A noter qu’il y a une différence notoire entre les grands cabinets d’avocats où les tâches sont plus morcelées et les petits cabinets d’avocats où les tâches sont plus diverses.

A plusieurs reprises, les témoignages soulignent la question de la confiance. Effectivement, le donneur d’ordre aura un impact certain sur l’autonomie, le développement et l’utilisation des compétences. Cela nous amène au dernier critère : le soutien social.

• Le soutien social (soutien professionnel et émotionnel par les supérieurs et par les collègues).

Le soutien social passe par la reconnaissance, la confiance accordée, la valorisation du travail. Il a souvent été cité (dans votre article mais aussi dans les entretiens des candidats) la distinction entre les avocats et les fonctions support notamment un manque de reconnaissance de la part des avocats. Un témoignage relate, d’ailleurs, le fait que certains avocats ne disent pas bonjour. Dans notre métier les exemples sont malheureusement multiples. Nous trouvons dans certains cabinets des pools d’assistant(es) et remarquons que la mauvaise cohésion peut impacter négativement le collectif de travail et générer du stress. C’est une des raisons pour laquelle, les candidats accordent une importance particulière à l’ambiance.

Le stress pourrait diminuer significativement si l’on trouve « la » bonne personne pour une équipe.

En conclusion, le stress, sous les 3 facteurs décrits précédemment, pourrait diminuer significativement si l’on trouve « la » bonne personne pour une équipe. Car tout dépendra de ses compétences, de ses capacités relationnelles, de l’adéquation de son profil avec le poste (compétences VS tâches) mais aussi de l’adéquation de sa personnalité à celle de l’équipe ou de son supérieur.
En effet, lorsque les personnalités et les compétences « matchent » l’assistant(e) retrouve ce rôle de pilier pour ses avocats, pour son équipe. Il/elle est en mesure d’anticiper les besoins. En contrepartie, et de façon naturelle, il/elle se voit accorder de la confiance, de la reconnaissance et plus d’autonomie donc plus de possibilités d’implication.
Comme nous le disons fréquemment : il faut être 2 pour faire un tango !
N’oublions pas que les avocats sont aussi soumis à beaucoup de stress.

Notre expertise est, au-delà d’analyser et valider des compétences, d’identifier la bonne personne pour la bonne équipe en vue de bâtir une meilleure communication et plus de coordination mais surtout réduire le stress. En effet, un candidat qui n’est pas sur le bon poste aura moins d’implication, plus de stress voire de la souffrance au travail, tandis qu’un candidat ayant une bonne adéquation au poste aura une motivation plus élevée, une communication plus fluide et se verra plus facilement reconnu par ses pairs et ses supérieurs. Il n’est pas rare que les avocats partent d’un cabinet avec leur secrétaire lorsque la relation de travail est bien établie.

Autrement dit, un recrutement bien réalisé permet de voir des difficultés en challenges intéressants, des supérieurs difficiles comme des personnes passionnées et passionnantes, une matière compliquée comme un nouvel intérêt."

Propos recueillis par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice.

[1N.D.L.R : Le questionnaire de Karasek est le principal instrument d’évaluation des facteurs psychosociaux au travail. Source : INRS.

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