Village de la Justice www.village-justice.com

Requalification en CDI et licenciement sans cause d’une présentatrice de télévision. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : vendredi 15 janvier 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/journaliste-pigiste-requalification-cdi-licenciement-sans-cause-une,37772.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans cet arrêt du 6 janvier 2021 (n° RG 18/10942) de la Cour d’appel de Paris, une journaliste pigiste voit sa demande de requalification en contrat de travail indéterminée accueillie après 3 ans de collaboration.

En effet, alors qu’il lui était opposé qu’elle ne serait qu’une pigiste occasionnelle, la Cour d’appel a considéré qu’ayant travaillé « près de 3 ans à hauteur de 11 jours par mois en moyenne » et qu’elle « ne disposait aucunement de l’autonomie d’un travailleur indépendant puisque son employeur organisait son temps de travail en lui envoyant des plannings précis qui s’imposaient à elle », cela caractérisait l’existence d’un lien de subordination.

La rupture est jugée sans cause réelle et sérieuse.

Rappel des faits.

Entre le 24 septembre 2014 et le 19 février 2017, Madame X a travaillé comme journaliste rémunérée à la pige pour la SNC SESI, société d’information audiovisuelle en continu exerçant sous la nom commercial CNEWS.

Elle a également été ponctuellement embauchée comme journaliste reporter dans le cadre d’un contrat à durée déterminée du 29 juillet au 23 août 2015.

A l’issue de sa collaboration avec la société SESI, Madame X a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de requalification de ces engagements successifs en contrat à durée indéterminée et de diverses prétentions indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 5 septembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Paris l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens.

Par déclaration du 1er octobre 2018, Madame X a interjeté appel.

Par arrêt en date du 6 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris :
- Infirme le jugement du 5 septembre 2018 du Conseil de prud’hommes de Paris, sauf en ce qu’il rejette les demandes au titre des rappels de salaires, des heures supplémentaires et des dommages-intérêts au titre du harcèlement moral ;
- Requalifie la relation de travail en contrat à durée indéterminée ;
- Condamne la SNC société d’exploitation d’un service d’information exerçant sous le nom commercial CNEWS à payer à Madame X la somme de 4 000 euros au titre de l’indemnité de requalification ;
- Juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamne la SNC société d’exploitation d’un service d’information exerçant sous le nom commercial CNEWS à payer à Madame X la somme de
- 5 601,85 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;
- 4 481,48 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 448,14 euros pour les congés payés afférents ;
- 13 444,44 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3 951,40 euros au titre de la prime d’ancienneté ;
- 1 879,33 euros au titre des jours fériés non récupérés.
- Rejette la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les créances salariales à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de jugement du 20 avril 2018, et sur les créances indemnitaires à compter du présent arrêt ;
- Ordonne le remboursement par la SNC société d’exploitation d’un service d’information exerçant sous le nom commercial CNEWS aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées, le cas échéant, à Madame X et ce, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage ;
- Condamne la SNC société d’exploitation d’un service d’information exerçant sous le nom commercial CNEWS à payer à Madame X la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamne la SNC société d’exploitation d’un service d’information exerçant sous le nom commercial CNEWS aux dépens des procédures de première instance et d’appel.

Au total, la journaliste obtient la somme de 37 806,64 euros.

1) Sur la nature de la relation de travail.

1.1) La convention par laquelle une entreprise s’assure le concours d’un journaliste professionnel contre rémunération = présomption de contrat de travail.

La Cour d’appel de Paris, le 6 janvier 2021, rappelle que la qualité de journaliste professionnelle de Mme X, qui dispose d’une carte de presse, tire de l’exercice de sa profession de journaliste l’essentiel de ses ressources et qui reçoit des fiches de paie visant la convention collective nationale des journalistes, n’est pas contestée par la société SESI.

Or, en application de l’article L7112-1 du Code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.

Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.

La présomption ainsi posée est une présomption simple qui peut être renversée par la preuve contraire, l’employeur devant apporter concrètement la preuve que l’activité du journaliste s’exerce en toute indépendance et en toute liberté.

1.2) La caractérisation d’un lien de subordination.

La Cour d’appel affirme qu’en l’espèce, la société SESI entend renverser cette présomption en soutenant que Mme X était employée en qualité de pigiste occasionnelle.

Elle précise que l’appelante trouvait à intervenir, en moyenne seulement quelques jours par mois pour son compte, ce qui lui laissait largement le temps pour organiser ses interventions auprès d’autres entités.

Elle ajoute que celle-ci intervient également pour la chaine concurrente M6 depuis le mois de janvier 2017.

Cependant, Mme X qui a travaillé pendant près de 3 ans à hauteur de 11 jours par mois en moyenne pour la société SESI ne saurait être décrite comme une simple pigiste occasionnelle, étant souligné que celle-ci n’est intervenue pour la chaine concurrente, M6, qu’à l’issue de sa collaboration avec l’intimée qui lui proposait alors moins de piges et que le statut de salarié n’est en tout état de cause aucunement exclusif d’autres engagements contractuels.

Les juges d’appel ajoutent que par ailleurs, la société SESI, qui a d’ores et déjà reconnu l’existence d’un contrat de travail puisque l’ensemble des attestations Pôle emploi faisant suite aux lettres d’engagement à la pige portent la mention « fin de CDD » et qu’elle a attesté, le 17 octobre 2016, que Madame X était employée dans le cadre d’un « contrat à durée indéterminée » ne saurait désormais prétendre que cette dernière exerçait en réalité une activité non salariée.

Enfin, Mme X ne disposait aucunement de l’autonomie d’un travailleur indépendant puisque son employeur organisait son temps de travail en lui envoyant des plannings précis qui s’imposaient à elle, ce qui caractérise l’existence d’un lien de subordination.

La Cour d’appel affirme que la présomption n’étant pas renversée, il convient de reconnaitre à Mme X la qualité de salariée.

Or, en l’absence de contrat écrit conclu dans l’un des cas énumérés par l’article L1242-2 du Code du travail où il peut être recouru à un contrat à durée déterminée, le contrat est, en principe, un contrat à durée indéterminée, forme normale du contrat de travail.

Cf notre article En l’absence de contrat de travail écrit, le journaliste pigiste est en CDI.

Il convient donc de requalifier en ce sens la relation de travail ayant lié les parties et ce, depuis son origine, le 24 septembre 2014.

1.3) L’indemnité de requalification.

Conformément à l’article L1245-2 du Code du travail, le salarié peut, du fait de la requalification en contrat à durée indéterminée, prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure au dernier salaire perçu avant la saisine de la juridiction.

Les juges d’appel en déduisent que compte tenu de la durée de la relation contractuelle débutée en 2014, de la situation d’incertitude dans laquelle s’est trouvée la salariée jusqu’à la requalification de ses contrats et du montant de son dernier salaire avant la requalification, une somme de 4 000 euros lui sera allouée de ce chef.

Le jugement du Conseil de prud’hommes sera donc infirmé en ce qu’il rejette les demandes de requalification en contrat à durée indéterminée et d’indemnité de requalification.

2) Sur le licenciement : la requalification en CDI entraine un licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait du non-respect des règles du licenciement.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 6 janvier 2021, relève que dès lors que Mme X était employée dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, la rupture de celui-ci par la société SESI, qui n’a plus fourni de travail à sa salariée sans respecter les règles du licenciement, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit à indemnisation.

Pour un autre exemple de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse suite à la requalification en CDI, vous pouvez lire ou relire notre article CDD : requalification en CDI et licenciement sans cause d’un chef de casernement.

En l’espèce, la Cour d’appel affirme que le jugement sera infirmé sur ce point.

2.1) Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Dans son arrêt du 6 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris, rappelle qu’aux termes de l’article L7112-3 du Code du travail, si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements.

Le maximum des mensualités est fixé à quinze.

En outre, il résulte de l’article 44 de la Convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976 que l’indemnité de licenciement est calculée pour les journalistes professionnels payés à la pige sur la base de 1/12 des salaires perçus au cours des 12 mois précédant le licenciement ou de 1/24 des salaires perçus au cours des 24 derniers mois précédant le licenciement et cette somme sera augmentée de 1/12 pour tenir compte du treizième mois conventionnel défini à l’article 25.

Les juges d’appel affirment qu’il n’est pas contesté que le salaire calculé sur cette base est égal à 2 240,74 euros.

L’ancienneté de la salariée étant de deux ans et demi, l’indemnité due sera égale à 2,5 x 2 240,74 soit 5 601,85 euros.

La Cour d’appel en déduit que la société SESI sera condamnée à payer à Mme X la somme de 5 601,85 euros au titre de l’indemnité de licenciement et le jugement infirmé en ce qu’il rejette la demande à ce titre.

2.2) Sur l’indemnité compensatrice de préavis.

La Cour d’appel affirme que conformément à l’article 46 de la Convention collective nationale des journalistes, si la résiliation est le fait de l’employeur, la durée du préavis est de deux mois si le contrat a reçu exécution pendant au moins deux ans.

En l’espèce, Mme X, qui a plus de deux ans d’ancienneté, a donc droit à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois de salaire.

Les juges d’appel relèvent qu’il est en outre constant que le salaire de référence, fixé conformément aux dispositions de l’article 44 de la Convention collective des journalistes susmentionnées, doit également servir de base au calcul de l’indemnité compensatrice de préavis.

L’indemnité compensatrice de préavis sera ainsi fixée à 2 x 2 240,74, soit 4 481,48 euros, outre 448,14 euros au titre des congés payés afférents et la société SESI sera condamnée au paiement de cette somme, le jugement du Conseil de prud’hommes étant infirmé en ce qu’il rejette la demande en ce sens.

2.3) Sur l’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 6 janvier 2021, rappelle que l’article L1235-3 du Code du travail dans sa version applicable au présent litige dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié.

Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les juges d’appel relèvent qu’en l’espèce, la réintégration n’est pas sollicitée.

Il est par ailleurs constant qu’il convient également de retenir le salaire de référence calculé conformément aux dispositions de l’article 44 susmentionnées pour déterminer la somme due au titre de l’article L1235-3 du Code du travail.

Au regard de l’ancienneté de la salariée et de l’absence d’éléments sur son préjudice, une indemnité égale de 6 x 2 240,74, soit 13 444,44 euros, lui sera accordée.

La société SESI sera condamnée au paiement de cette somme, le jugement étant infirmé en ce qu’il rejette la demande à ce titre.

3) Sur les rappels de salaires pour la période du 24 septembre 2014 au 19 février 2017 et les congés payés afférents.

3.1) Sur la prescription.

La Cour d’appel affirme qu’en application de l’article 954 du Code de procédure civile, la Cour n’est pas saisie de la demande tendant à voir déclarer irrecevable comme prescrite la demande au titre des rappels de salaire pour la période antérieure au 21 février 2015 dans la mesure où celle-ci, qui figure uniquement dans le corps des conclusions de l’intimée, n’est pas reprise dans le dispositif de celles-ci.

3.2) Sur le fond : le salarié doit être à disposition permanente de l’employeur pendant les périodes interstitielles.

Les juges d’appel rappelle qu’il est de principe que, en présence d’une demande de rappel de salaire à temps plein consécutive à la requalification d’une collaboration en contrat à durée indéterminée, il convient de distinguer les périodes travaillées, des périodes non-travaillées séparant chacun des engagements, la présomption simple de temps plein prévue à l’article L3123-14 du Code du travail ne portant que sur les jours travaillés.

Ainsi, dès lors qu’il dispose d’engagements ou de fiches de paie encadrant les périodes travaillées, le salarié ne peut prétendre percevoir des rappels de salaire au titre d’un temps plein pour les périodes non-travaillées séparant chaque contrat que s’il apporte la preuve, dont il supporte alors entièrement la charge, qu’il était tenu de rester constamment à la disposition de l’entreprise pendant ces périodes.

Or, Mme X, qui soutient que la société SESI était son unique employeur, qu’elle était informée tardivement de ses journées et horaires de travail, que la durée et le nombre de ses missions variaient constamment en sorte qu’elle était dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu’elle n’a jamais refusé une seule pige, n’établit pas ainsi qu’elle était à la disposition permanente de son employeur pendant les périodes interstitielles, c’est à dire les périodes non travaillées.

La Cour d’appel ajoute qu’au surplus, il résulte des pièces produites que Mme X a indiqué à l’intimée qu’elle n’était pas disponible les 31 octobre et 27 décembre 2016 et qu’elle a travaillé pour la chaîne concurrente, M6, à compter de janvier 2017, ce qui est exclusif de toute disponibilité permanente.

Elle en conclut que la demande de Mme X au titre des rappels de salaire pour les périodes interstitielles sera donc rejetée et le jugement du Conseil de prud’hommes confirmé sur ce point.

Pour un exemple de rappels de salaire pour les périodes interstitielles, retrouvez notre article Journaliste : requalification des CDDU en CDI et licenciement sans cause d’un rédacteur en chef.

4) Sur la prime d’ancienneté des journalistes.

La Cour d’appel, dans son arrêt du 6 janvier 2021, affirme qu’aux termes de l’article 23 de la Convention collective nationale des journalistes, les salaires correspondant aux qualifications professionnelles doivent être majorés de 9% pour 15 années d’exercice en tant que journaliste professionnel.

Selon elle, il est constant que ces appointements représentent la somme minimum que chacun doit percevoir pour la durée d’un mois de travail normal.

Il en résulte que la prime d’ancienneté, calculée pour le pigiste par référence au S.M.I.C., s’ajoute au salaire de base de l’intéressé, quel que soit son montant sans que la société SESI puisse prétendre que Mme X, étant rémunérée au-delà des minima de sa catégorie, elle ne pouvait prétendre au paiement d’une telle prime.

Les juges d’appel relèvent que Mme X avait 16 ans et 6 mois d’ancienneté dans la profession lors de son entrée au sein de la société SESI.

Elle y a travaillé pendant 29 mois.

Elle pouvait donc prétendre à un rappel de prime d’ancienneté de 3 951,40 euros.

La Cour en déduit que le jugement sera infirmé en ce qu’il rejette la demande à ce titre.

5) Sur l’indemnité au titre des jours fériés non récupérés.

La Cour d’appel rappelle que l’article 34 de la Convention collective nationale des journalistes prévoit que le travail effectué les jours fériés (1er janvier, lundi de Pâques, 1er mai, 8 mai, Ascension, lundi de Pentecôte, 14 juillet, 15 août, 1er novembre, 11 novembre et 25 décembre) donnera lieu à récupération.

Il est de principe que l’article 34 susvisé de la Convention collective s’applique à l’ensemble des journalistes professionnels auxquels appartient la catégorie des pigistes.

Or, il ressort des lettres d’engagement à la pige que Mme X a travaillé les jours fériés suivants :
- Les 1er, le 11 novembre et le 25 décembre 2014 ;
- Le 1er janvier, le 6 avril (lundi de Pâques, le 27 est le dimanche de Pâques non visé par la convention, les 1er, 5 (Ascension), 8, 16 mai (lundi de Pentecôte, le 15 est le dimanche de Pentecôte non visé par la convention), le 14 juillet, le 15 août, les 1er et 11 novembre et le 25 décembre 2016 ;
- Le 1er janvier 2017.

Soit 26 jours travaillés fériés et non 28 comme affirmé par l’appelante.

La Cour d’appel estime qu’il n’apparaît pas que Mme X aurait bénéficié de repos compensateur en contrepartie des jours fériés ainsi travaillés.

Elle est donc fondée à obtenir une indemnité calculée de la manière suivante : 26 x 2 240,74/31 soit 1 879,33 euros.

La société SESI sera condamnée à payer cette somme à Mme X et le jugement du Conseil de prud’hommes sera infirmé de ce chef.

6) Sur les rappels de salaire pour les heures travaillées non rémunérées : absence d’éléments suffisamment précis.

La Cour d’appel de Paris rappelle qu’aux termes de l’article L3171-2, alinéa 1er, du Code du travail dans sa version applicable en l’espèce, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Les délégués du personnel peuvent consulter ces documents.

Selon l’article L3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Les juges d’appel affirment qu’il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

La Cour d’appel de Paris affirme qu’en l’espèce, au soutien de sa demande de paiement d’heures supplémentaires, Mme X se contente d’affirmer que, alors qu’elle était employée pour des cachets de 8 heures, elle travaillait en moyenne deux heures de plus sans que ces heures soient rémunérées et de verser aux débats une unique attestation indiquant qu’elle a souvent effectué des heures supplémentaires non rémunérées sans davantage de précision.

Ce faisant, elle ne présente pas des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies et ne permet pas à son employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement.

La demande au titre des heures supplémentaires non rémunérées sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

7) Sur les dommages-intérêts principalement pour harcèlement moral, subsidiairement pour exécution déloyale du contrat de travail.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 6 janvier 2021, affirme qu’aux termes de l’article L1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, selon l’article L1154-1 du même code, le salarié a la charge de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les juges d’appel relèvent qu’en l’espèce, Mme X fait valoir que, après avoir été fortement sollicitée pendant la période de grève ayant affecté la société SESI, elle a vu son nombre de piges diminuer brutalement sans aucune explication alors que de nombreux journalistes étaient parallèlement recrutés.

Elle indique qu’elle a été affectée à des tâches subalternes ne correspondant pas à sa qualification et verse aux débats un unique courriel aux termes duquel elle indique ne pas souhaiter être cantonnée à la pige à la note.

Elle ajoute, que sa demande de titularisation a été rejetée en violation du protocole de fin de conflit donnant la priorité aux pigistes.

Elle soutient également avoir fait l’objet de discours contradictoires selon les interlocuteurs quant au nombre de piges susceptibles de lui être confiées.

Elle note enfin qu’elle a formé un nouveau pigiste qui s’est finalement vu attribuer toutes ses piges.

Elle souligne enfin qu’elle s’est vu refuser de façon injustifiée une demande de formation dont bénéficiait l’ensemble des journalistes, y compris pigistes.

Les juges d’appel estiment que cependant, à l’exception du fait unique consistant à confier à Mme X des tâches ne relevant pas de sa qualification, ces faits, même pris ensemble, révèlent uniquement la volonté de la société SESI de ne pas poursuivre la relation de travail en ne la titularisant pas et en confiant dès lors ses tâches à de nouveaux pigistes.

Ils ne sont aucunement constitutifs, de par leur nature même, d’agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de la salariée susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En outre, le fait isolé consistant à confier à la salariée des tâches ne relevant pas de sa qualification ne peut à lui seul caractériser le harcèlement dont la salariée se plaint qui suppose la répétition d’agissements.

La Cour d’appel conclut que la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ne pourra donc qu’être rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

La demande subsidiaire au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail, ne pourra également qu’être rejetée, aucun manquement de l’employeur à son obligation de ce chef et aucun préjudice en résultant n’étant établis.

Le jugement de première instance sera donc complété en ce sens.

8) Sur l’application de l’article L1235-4 du Code du travail.

La Cour d’appel rappelle que l’article L1235-4 du Code du travail dispose que

« Dans les cas prévus aux articles L1235-3 et L1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées ».

Elle estime que le licenciement de Madame X ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il convient d’ordonner le remboursement par la société SESI aux organismes intéressés des indemnités de chômage qui lui ont été versées, le cas échéant, et ce, dans la limite de six mois.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum