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Le salarié, le passe sanitaire, le vaccin et l’employeur dans le cadre de la loi du 5 août 2021. Par Alain Hervieu, Avocat.
Parution : mercredi 18 août 2021
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Quel est l’incidence à l’égard des salariés et des employeurs des mesures édictées par la loi du 5 août 2021 pour la gestion de la crise sanitaire ?

A l’heure actuelle, alors qu’une quatrième vague de covid 19 parait probable et d’autant plus grave que le virus se présente sous forme de variants plus contagieux que les précédentes formes de virus, que certaines mesures barrière ont été levées et que les gens pensent avoir retrouvé une totale liberté, se pose la question des mesures à prendre pour y faire face et éviter ou en tout cas limiter les contaminations.

Les pouvoir publics ont créé pour tenter de faire face à cette situation, le passe sanitaire, institué par la loi du 31 mai 2021 pour une durée limitée initialement au 30 septembre prochain, exigible dans certaines circonstances et certains lieux.

Le 19 juillet 2021, le premier ministre a déposé un projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, qui a été voté par l’Assemblée nationale le 23 juillet suivant, modifié par le Sénat le 24, puis a été soumis à la commission paritaire qui a établi un texte voté par les deux assemblées le 25 [1].

Ce projet a ensuite été soumis au contrôle du Conseil Constitutionnel qui a rendu sa décision N° 2021-824 DC, le 5 août en validant le projet tout en censurant quelques dispositions [2].

A l’appui de sa décision, le Conseil Constitutionnel rappelle en plusieurs occasions qu’

« il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République ».

Sous réserve des dispositions censurées le texte de la loi a été promulgué le jour même et publié le lendemain pour entrer en vigueur immédiatement pour certaines dispositions et au 30 août pour d’autres ou à d’autres dates pour certaines dispositions spécifiques [3].

La loi prévoyant que la mise en œuvre des mesures qu’elle édicte est faite par décret du 1er ministre, un décret N° 2021-1059 a été pris le 7 août et publié dès le lendemain [4].

A cet égard, le Conseil Constitutionnel rappelle également que ces mesures,

« ne peuvent être prises que dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid 19…. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus, et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin dès qu’elles ne sont plus nécessaires ».

Enfin le Conseil Constitutionnel rappelle également que cette mise en œuvre est faite sous le contrôle du Juge qui s’assure que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent.

La loi tout d’abord, proroge la fin de l’état de crise sanitaire, initialement fixée par la loi du 31 mai 2021 au 30 septembre, au 15 novembre 2021.

La loi du 5 août opère ensuite une distinction entre les employeurs et leurs salariés selon les dispositions suivantes :

I) Le champ d’application de la loi dans les rapports employeurs - salariés.

1) La loi étend le champ d’application du passe sanitaire, en autorisant le premier ministre à l’imposer par décret, à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi :
- Pour certains déplacements, ainsi qu’aux personnels intervenant dans les services de transport concernés,
- Dans les activités de loisirs, les débits de boissons et restaurants, les foires, séminaires et salons professionnels, les services et établissements de santé ainsi que lors des déplacements longue distance par transports publics inter-régionaux.

Elle autorise également les préfets à imposer le passe sanitaire dans certains centres commerciaux et magasins dépassant une surface de 20 000 M2, dont l’accès est soumis à cette obligation, lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l’exercice des activités qui y sont pratiquées, le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue [5].

2) Elle étend également l’exigence du passe sanitaire pour les personnels et les salariés travaillant dans les établissements ci-dessus, à partir du 30 août 2021 et prévoit les conséquences et les sanctions applicables en cas de non présentation de ce passe sanitaire.

Le décret du 7 août précise que cette obligation s’étend aux

« salariés, agents publics, bénévoles et autres personnes qui interviennent dans les lieux, établissements, services ou évènements concernés lorsque leur activité se déroule dans les espaces et heures où ils sont accessibles au public ».

3) Enfin, la loi impose une vaccination obligatoire contre la covid 19 pour les professionnels au contact des personnes fragiles. Cette obligation s’applique d’abord à l’ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé visés par le texte, quel que soit leur statut. Elle s’applique également à l’ensemble des professions de santé, ce qui recouvre les professions médicales, paramédicales, de la pharmacie, d’autres professionnels de soins au contact des personnes vulnérables, les étudiants et élèves de l’ensemble de ces professions, ainsi que les personnes quel que soit leur emploi, travaillant dans les mêmes locaux que ces professionnels, sauf s’il s’agit de l’exécution d’une tâche ponctuelle.

Le passe sanitaire qui soulève des protestations et critiques peut se présenter sous trois formes alternatives.

La première est la présentation d’un certificat de vaccination complet, c’est-à-dire incluant les deux injections et datant d’au moins 14 jours, délai nécessaire à son efficacité.

La seconde forme est celle d’un test PCR négatif remontant à moins de 72 heures selon le décret susvisé [6].

La troisième enfin, est la justification que l’on a été atteint par la covid 19 depuis moins de 6 mois, ce qui permet de penser que l’on est immunisé.

Le Conseil Constitutionnel a d’ailleurs souligné pour valider l’extension du passe sanitaire, l’équivalence de ces trois modalités et par voie de conséquence l’absence de toute obligation de vaccination (Décision précitée N°50).

Alors que les critiques se dirigent principalement vers la première forme qui est celle de la vaccination, on doit néanmoins constater que ces trois formes sont loin d’être équivalentes.

Alors que la vaccination a un effet sinon définitif, en tout cas, comme pour tous les vaccins, durable, les tests ou la justification que l’on a déjà été atteint n’ont qu’un effet très limité dans le temps, de quelques jours pour les tests à quelques mois pour la troisième forme.

Si donc, le recours à un test est un moyen comme substitut du vaccin pour les opposants à celui-ci, ce moyen utilisable lorsqu’il est requis pour certaines activités ponctuelles ou certains lieux devient beaucoup plus improbable en pratique lorsqu’il est exigé de façon permanente, notamment pour les salariés travaillant dans certains lieux où le passe sanitaire est obligatoire.

Ceci conduit à penser qu’en pratique, la vaccination constitue le seul moyen réel pour les salariés, d’avoir le passe sanitaire permanent.

La loi du 5 août répartit ainsi les salariés et leurs employeurs en 2 catégories : ceux qui entrent dans le champ d’application légal du passe sanitaire ou de la vaccination obligatoires et les autres, que l’on ne peut néanmoins ignorer.

Cette distinction peut d’ailleurs se faire au sein d’une même entreprise voire d’un même établissement selon que les salariés occupent un poste au contact du public ou non.

Le Conseil Constitutionnel a estimé que cette distinction qui se fonde sur les risques de propagation du virus ne portait pas une atteinte disproportionnée au principe d’égalité, les différences de traitement se justifiant par des différences de situation au regard des risques de propagation du virus.

II) La situation des salariés et employeurs entrant dans le champ d’application de la loi.

II.1) Les obligations imposées par la loi.

Les salariés visés par la loi sont tenus de justifier d’un passe sanitaire sous la forme soit d’un certificat de vaccination, soit plus rarement en pratique d’un substitut autorisé par la loi pour le passe sanitaire [7].

Soulignons qu’il résulte de cette situation que, dans les secteurs et professions concernées, l’employeur pour respecter ses propres obligations, semble en droit d’exiger du salarié, lors de l’embauche, la production d’un passe sanitaire, ou d’un certificat de vaccination selon les cas.

Les employeurs sont d’ailleurs tenus de veiller au respect de cette obligation, sous peine de sanctions pouvant être, pour les exploitants de services de transport, des peines d’amende de 5e classe [8].

La loi rappelle également que dans les entreprises d’au moins 50 salariés, l’employeur informe sans délai le comité social et économique des mesures de contrôle qu’il prend, et que le comité doit rendre son avis dans le mois, éventuellement après la mise en œuvre des mesures visées.

Pour les salariés tenus à une obligation de vaccination, la loi prévoit qu’à compter du lendemain de la date de publication de la loi et jusqu‘au 14 septembre prochain, ils ne peuvent plus exercer leur activité s’ils n’ont pas présenté la justification d’un certificat de vaccination ou un document alternatif admis par la loi, et à compter du 15 septembre, un certificat de vaccination conforme au décret du 7 août, ou un certificat médical de contre-indication, sauf exception.

L’employeur est tenu de veiller au respect de cette obligation.

II.2) Les conséquences légales du non-respect des obligations.

Pour les exploitants d’un lieu ou d’un établissement dans lequel le contrôle de la détention des justificatifs exigés n’est pas effectué, ils peuvent faire l’objet d’une mise en demeure de se conformer dans les 24 heures aux obligations de contrôle qui leurs sont imposées. Si cette mise en demeure reste vaine, l’exploitant peut faire l’objet d’une décision de fermeture administrative pour une durée maximale de sept jours qui prend fin s’il justifie de la mise en place des dispositions adéquates. Enfin, si des manquements sont constatés à plus de 3 reprises sur une période de 45 jours, l’employeur est punissable d’une amende de 9 000 euros et d’un emprisonnement d’un an.

Ces mesures sont de nature à inciter les employeurs à être vigilants dans le contrôle du respect des obligations imposées, et par voie de conséquence, les salariés à les respecter.

De son côté, le salarié qui ne respecte pas ces obligations s’expose à plusieurs risques.

En premier comme toute personne ne respectant pas les obligations du passe sanitaire, il s’expose à une amende de 5e classe selon l’article L336-1 du Code de la Santé Publique.

Ensuite et surtout, il s’expose à ce que l’on doit appeler des sanctions, dans le cadre de son emploi puisque, lorsqu’il ne présente pas les justificatifs requis, il peut d’abord, en accord avec l’employeur choisir d’utiliser des jours de repos ou de congés payés dont il dispose, ce qui ne peut néanmoins qu’avoir un effet très provisoire.

A défaut, l’employeur doit lui notifier le jour même, la suspension de son contrat de travail qui s’accompagne de l’interruption du versement du salaire. Cette suspension s’interrompt si le salarié présente les justificatifs exigés.

A défaut, au bout de trois jours, l’employeur doit le convoquer pour un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment en lui proposant les possibilités d’affectation temporaire au sein de l’entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation, s’il existe. A défaut la suspension reprend …

Le sénat a annulé la sanction du licenciement prévu par le projet initial pour la remplacer par cette mesure.

Celle-ci a été largement critiquée et contestée sur le plan politique, par des sénateurs eux-mêmes de gauche ou de droite et on a dit qu’il créait un no man’s land administratif [9].

Sur le plan juridique, cette suspension, dont la durée n’est pas limitée, sauf par la fin à une date non définitive à ce jour, du régime de gestion de la crise sanitaire [10], constitue d’abord une mesure très lourde pour le salarié qui se trouve ainsi privé de son emploi et de son salaire, sans pouvoir ni travailler ailleurs (sauf à décider de rompre son contrat) ni bénéficier du chômage.

Même s’il s’agit d’une mesure prévue par la loi et imposée à l’employeur, sous peine d’encourir lui-même les sanctions prévues s’il ne respecte pas ces mesures, on peut - quelle que soit l’opinion que l’on ait sur la vaccination ou le passe sanitaire, et le caractère légitime ou non de l’obligation imposée aux salariés - penser qu’elle constitue une sanction au regard du Droit du Travail.

Cette analyse peut s’appuyer sur le fait que cette suspension répond à la définition des sanctions posées par l’article L1331-1 du Code du travail dont on sait par ailleurs que la jurisprudence a une conception très large. En effet, la situation du salarié qui s’abstient de se soumettre aux obligations du passe sanitaire ou de vaccination, constitue une faute au regard de la loi, et l’employeur en l’espèce est fondé à considérer ce comportement comme tel, de sorte que les mesures qu’il va être amené à prendre, sont des sanctions.

Il serait totalement paradoxal de considérer que l’employeur commet lui-même une faute passible de sanctions éventuellement pénales en s’abstenant de faire respecter par le salarié, une obligation que la loi impose à celui ci, sans considérer dans le même temps que le comportement du salarié est fautif sous réserve bien sûr d’un éventuel motif légitime que pourrait invoquer le salarié, pour se soustraire à cette obligation.

Toutefois, sous réserve pour l’obligation vaccinale d’une contre-indication médicale reconnue, les motifs légitimes paraissent difficiles à envisager et ils ne pourront certainement pas excuser une carence persistante du salarié vis-à-vis de ses obligations.

On peut même penser que cette situation peut caractériser juridiquement une faute grave, puisque le comportement du salarié qui, selon la loi, entraine obligatoirement la suspension immédiate du contrat de travail, répond également à la définition jurisprudentielle de la faute grave qui interdit de maintenir le salarié même temporairement à son poste de travail.

La suspension semble donc être une sanction dont ni le fondement ni la nature ne paraissent contestables, puisqu’imposés par la loi.

En revanche, en raison de sa nature, la suspension parait imposer à l’employeur de respecter la procédure disciplinaire applicable aux sanctions majeures, c’est-à-dire avec convocation et entretien préalable qui peut donc être, celui visé par la loi au bout de 3 jours et qui devra respecter les formes de l’entretien prévu par l’article 1332-2 du Code du travail, permettant notamment l’assistance du salarié par un membre de l’entreprise.

Le délai de 3 jours travaillés semble constituer celui au terme duquel l’employeur peut envoyer ou remettre la convocation qui devra par ailleurs respecter le délai légal de convocation en vue de l’entretien disciplinaire. Enfin, il devra notifier la suspension par un courrier respectant le délai de réflexion et qui devra être motivé conformément à l‘article L1332-1 du Code du Travail. Quant à la notification initiale de la suspension immédiate du contrat, on peut considérer qu’elle constitue une mise à pied conservatoire.

A défaut de respecter la procédure, il semble résulter de cette situation que le salarié pourrait saisir le Conseil de Prudhommes pour contester la mesure dans sa régularité, ce qui pourrait autoriser le Conseil en application de l’article L1333-2 du Code du Travail, à annuler la mesure de suspension, que l’employeur pour respecter ses propres obligations devra à nouveau mettre en œuvre, dans l’hypothèse bien sur où la situation de carence du salarié persisterait.

Une telle annulation pourrait néanmoins être lourde de conséquences pour l’employeur, puisque le Conseil de Prud’hommes pourrait le condamner à verser les salaires pendant la période de suspension annulée.

La loi prévoit par ailleurs que lorsqu’un salarié du secteur santé, tenu à une obligation de vaccination, ne présente pas les documents requis, l’employeur l’informe sans délai des conséquences qu’emporte cette interdiction d’exercer sur son emploi, ainsi que les moyens de régulariser sa situation. Le salarié peut alors avec l’accord de son employeur, utiliser ses jours de congés ou de repos conventionnels. A défaut, son contrat est suspendu sans rémunération, dans les mêmes conditions que pour ceux soumis à l’obligation dupasse sanitaire. Cette suspension ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour les congés ou l’ancienneté, le salarié conservant seulement le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaires auxquelles il a souscrit.

II.3) Qu’en est-il du licenciement et de la rupture du contrat ?

Se pose également la question d’un éventuel licenciement du salarié qui s’abstient de respecter ses obligations légales concernant le passe sanitaire.

Le projet initial de la loi adopté par l’assemblée nationale prévoyait que « Le fait pour un salarié de ne plus pouvoir exercer son activité pendant une durée cumulée équivalente à deux mois de journées travaillées, en raison du non-respect de l’obligation de présentation des justificatifs exigés par la loi, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement » permettant celui-ci dans le respect des conditions légales.

On peut, peut être regretter que le sénat ait supprimé ce texte, qui n’imposait pas le licenciement mais ne faisait que le permettre légalement lorsque les mesures préalables maintenues dans la loi (congés, et reclassement éventuels) n’avaient pas permis de mettre un terme à la situation illégale du salarié [11].

Aujourd’hui le texte ne prévoit pas d’autre mesure que la suspension examinée précédemment, dont le flou et les effets ne sont certainement pas plus favorables au salarié.

Ceci conduit alors à se demander si le licenciement reste possible.

La ministre du travail a très rapidement répondu par l’affirmative, soulevant ainsi l’indignation des sénateurs, dont certains ont même cru pouvoir affirmer que le sénat avait interdit le licenciement [12].

Force est de constater que la ministre semble avoir raison et le sénateur concerné, tort.

D’abord le sénat n’a pas interdit le licenciement et il n’a fait en réalité que supprimer un texte qui le permettait expressément, de sorte que celui-ci semble rester possible s’il entre dans les prévisions du Droit commun.

Il est surprenant de lire çà et là que le licenciement serait interdit au motif qu’il ne figure plus dans la loi, ce qui ne signifie pas interdiction.

Ce n’est en effet que dans certains cas que la loi a défini pour les réglementer, certains motifs de licenciement, tels l’inaptitude ou les licenciements économiques. Dans les autres cas, comme l’insuffisance professionnelle ou encore, la faute du salarié, il suffit que le motif invoqué constitue une cause réelle et sérieuse, soumise au contrôle du Juge.

Il faut se rappeler que cette notion constitue une catégorie juridique ouverte et non limitée, de sorte que toutes les situations remplissant les conditions prévues pour cette catégorie peuvent y entrer et constituer un motif de licenciement, sous réserve d’une absence d’interdiction, inexistante en l’espèce.

La question qui se pose est donc de savoir si la situation du salarié « défaillant » sur cette obligation peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement [13].

A cet égard on a évoqué comme motif possible, l’impossibilité pour l’employeur de se satisfaire d’un remplacement temporaire ou le caractère central de la fonction du salarié, de sorte que le motif invoqué ne serait donc pas lié à la situation médicale du salarié.

Cette explication d’abord parait erronée. Le salarié concerné n’est en tout état de cause, ni malade ni handicapé ni physiquement inapte, de façon quelconque de sorte que sa santé n’est pas en jeu et il n’y a pas lieu d’envisager de discrimination fondée sur l’état de santé. Néanmoins ce type de motif reste peut être, envisageable.

On a également invoqué la possibilité d’un licenciement pour inaptitude. Mais, comme indiqué précédemment, le salarié n’est pas physiquement inapte et son état de santé n’étant pas en cause en application des articles 4624-2 et suivants du Code du Travail, on voit mal, un médecin du travail le déclarer inapte conformément aux articles 1226-2 ou 1226-10 de sorte qu’un licenciement pour ce motif risquerait d’être qualifié de discriminatoire.

En réalité, le motif de la décision de licenciement envisagée réside dans le fait que le salarié s’abstient de satisfaire à une obligation que la loi lui impose - en l’espèce, soit de présenter des documents obligatoires, soit plus rarement, un certificat de vaccination (article 14 de la loi) - ce qui interdit à l’employeur de le conserver à son poste.

La Cour de cassation, le 11 juillet 2012, a déjà admis le licenciement d’un salarié fondé sur le refus de présentation en l’absence de contre-indication médicale, d’un certificat de vaccination rendu obligatoire par la réglementation, pour le secteur d’activité concerné [14].

En outre, il ressort de ce qui précède concernant la nature de la suspension prévue par la loi, que l’attitude du salarié semblant constituer une faute, pouvant même être qualifiée de faute grave, le licenciement qui apparait donc comme une sanction possible prendra vraisemblablement la forme d’un licenciement disciplinaire, éventuellement prononcé pour faute grave et sans
indemnité.

Il est vrai que cette mesure ne semble pouvoir être envisagée qu’à titre subsidiaire si les congés ou le reclassement sous forme d’affectation à un autre poste ne sont pas possibles ou sont refusés par le salarié, ce que l’employeur devra alors prouver.

En réalité, la suppression par le sénat du texte visant le licenciement, n’a fait que le réintégrer dans le cadre du Droit commun, et permettre aux Conseils de Prud’hommes, un contrôle plus approfondi, mais qui s’annonce néanmoins difficile.

En l’état, si d’ailleurs, un salarié réfractaire au passe sanitaire et à la vaccination persiste dans son refus de façon durable alors que l’employeur ne le licencie pas puisque, s’il en parait en avoir le droit, il n’en n’a pas en revanche l’obligation, le salarié n’aura pas d’autre choix que de négocier une rupture conventionnelle, peu probable et à défaut, de démissionner… [15].

Il reste que, en l’état actuel de la réglementation, la durée des obligations imposées étant comme l’a relevé le Conseil Constitutionnel, limitée à 2 mois et demi, il est peu probable que des employeurs prennent le risque d’un licenciement et qu’ils s’en tiendront donc à la suspension prévue par la loi. En revanche, si au 15 novembre prochain, la situation de crise sanitaire persistant, la date de fin de crise était à nouveau reportée, la situation serait, dans l’intérêt même du salarié, à reconsidérer.

Il faut ajouter que, curieusement, le sénat n’avait pas écarté la possibilité de rupture immédiate du contrat à durée déterminée et du contrat de mission du salarié intérimaire, prévues également par la loi et qui pouvait être décidée par l’employeur selon les modalités et conditions prévues pour le licenciement, là encore semble t’il, à titre disciplinaire.

Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition qui disparaît donc également de la loi au motif que, ces salariés étant soumis aux mêmes risques que les salariés en contrat à durée indéterminée, le législateur avait instauré entre les salariés, une différence de traitement selon la nature de leur contrat de travail, sans lien avec l’objectif poursuivi.

Cela ne signifie pas pour autant là encore que cette possibilité de rupture n’existe pas [16]. Si en effet, la situation du salarié, est sous le contrôle du juge Prud’homal, considérée comme faute grave, elle entre dans les prévisions de l’article L1423.1 du Code du Travail, qui en fait l’un des motifs justifiant une rupture immédiate du contrat à durée déterminée, cette rupture ayant donc nécessairement, un caractère disciplinaire.

Enfin mentionnons que des règles identiques s’appliquent aux agents publics.

Cette loi introduit donc une véritable fracture entre les employeurs et salariés selon qu’ils entrent ou non dans le cadre des mesures sanitaires qu’elle impose. Qu’en est-il pour ceux qui restent, peut être provisoirement, en dehors du champ d’application de ces dispositions ?

III) Les employeurs et salariés n’entrant pas dans le cadre de la loi sur la gestion de la crise sanitaire.

Ceux-ci échappent aux obligations légales en raison du fait que par leur activité ou leur lieu de travail, ne les plaçant pas dans les lieux à forte densité de public, ils ne sont pas actuellement visés par la loi.

Etant néanmoins soumis eux-mêmes aux mêmes risques de contamination, on peut se demander si l’employeur, en dehors des hypothèses légales l’imposant, peut mettre en place un passe sanitaire voire, une obligation de vaccination.

La question présente d’autant plus d’intérêt que la loi précise que l’application de la réglementation qu’elle met en œuvre, « ne dispense pas de la mise en œuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus, si la nature des activités le permet ». Autrement dit, les mesures barrières en vigueur restent d’actualité ( sauf le port du masque selon le décret du 7 août), de sorte que le passe sanitaire ou la vaccination sont des mesures de protection supplémentaires qui ne les remplacent pas mais s’y ajoutent, et que l’employeur peut être tenté de renforcer la protection contre le virus, en demandant à ses salariés, de se faire vacciner, ce qui pose donc la question de l’obligation vaccinale c’est à dire de la possibilité d’imposer la vaccination à ses salariés.

Cette question met en jeu des principes contradictoires importants qui sont la nécessité de protéger la collectivité contre les maladies et infections d’un côté et de l’autre côté, les droits individuels de la personne et notamment la protection de son intégrité physique.

Il faut rappeler tout d’abord que la vaccination est selon les autorités médicales, scientifiques et même juridiques, un bienfait dans la mesure où ses effets positifs (prévention et éradication des maladies) l’emportent de très loin sur les rares cas d’incidents dus à la vaccination [17].

On a invoqué pour contester une obligation de vaccination, l’article L1111-4 du Code de la Santé Publique, qui prévoit que toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement … aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne … sauf cas particuliers dont font partie les vaccins.

La loi a d’ailleurs sans attendre le vaccin anti covid, rendu la vaccination obligatoire pour tous, pour 3 vaccins initialement dont le nombre a été porté à 11 par la loi du 31 décembre 2017, qui n’a pas soulevé autant de polémiques et de contestations.

Le Conseil d’Etat appelé à se prononcer sur cette extension de la vaccination obligatoire, au regard de sa compatibilité avec l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans une décision du 6 mai 2019, a posé les principes suivants :

« Le droit à l’intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations telles que la Cour européenne des droits de l’homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l’article 8 et, notamment si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l’objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre d’une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et d’autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d’une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l’efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu’il peut présenter » [18].

Dans le même ordre d’idée, la Cour Européenne des Droits de l’Homme statuant le 8 avril 2021 sur un recours contre la République Tchèque, à propos d’une vaccination obligatoire pour les enfants, a estimé que l’on ne saurait estimer disproportionné le fait qu’un Etat exige de la part de ceux pour qui la vaccination représente un risque lointain pour la santé, d’accepter cette mesure de protection universellement appliquée, dans le cadre d’une obligation légale et au nom de la solidarité sociale, pour le bien du petit nombre d’enfants vulnérables qui ne peuvent pas bénéficier de la vaccination [19].

On a souligné que la Cour européenne rendait des décisions d’espèce et que l’on ne pouvait regarder celle-ci comme validant l’obligation du vaccin anti-covid (Voir article Vaccination obligatoire contre la Covid 19 à l’aune de l’arrêt de la CEDH. Par David Guyon, Avocat.)

Cela est évidemment exact, néanmoins, on trouve dans ces décisions la confirmation de la possibilité d’imposer une vaccination et ensuite, pour chaque cas particulier, d’y puiser des éléments d’appréciation et de réflexion sur la mise en œuvre d’une telle obligation.

On pourrait semble t’il en déduire que rien n’interdirait à l’employeur d’imposer la vaccination à ses salariés. Il reste à voir s’il en a, le pouvoir selon le Code du Travail.

L’employeur dispose d’un pouvoir de direction qui l’autorise, sous le contrôle des juges, à prendre toutes les mesures et décisions qu’il estime conformes à l’intérêt de l’entreprise.

Ce pouvoir trouve sa limite dans l’article L1121-1 du Code du Travail qui dispose que « Nul ne peut apporter aux droits et libertés des personnes et aux libertés individuelles, des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». L’obligation de vaccination constituant sans conteste une telle restriction, se poserait la question, au cas par cas, de la justification de cette mesure et de son caractère proportionné qui pourront être soumis au contrôle du Juge.

On retrouve ici les éléments d’appréciation pris en compte par le Conseil d’Etat et la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme qui pourraient alors servir de guide.

A l’appui d’une telle décision, l’employeur pourrait faire valoir divers arguments, en s’appuyant sur le fait que la vaccination, outre la protection de l’intéressé a aussi et peut être surtout pour objectif, la protection des tiers et la limitation des contaminations.

Ainsi, l’employeur pourrait à l’appui de sa décision, faire valoir son obligation de sécurité à l’égard de l’ensemble de ses salariés, dont certains peuvent avoir une contre-indication médicale à la vaccination et qui ne peuvent donc être protégés que par la vaccination des autres.

On pourrait aussi envisager le fait qu’un salarié ne pouvant être vacciné, exerce son droit de retrait vis à vis d’un collègue non vacciné.

De même, en cas de contamination avérée d’un salarié par un collègue non vacciné, on pourrait envisager que le premier reproche à son employeur une faute inexcusable en ayant accepté une telle situation…

Il existerait donc pour l’employeur des raisons légitimes d’envisager une telle décision.

Néanmoins, en l’état, son pouvoir en matière de vaccination est encadré par l’article R4426-2 al 2 du Code du Travail qui renvoie aux vaccins légalement obligatoires, tel le vaccin contre la tuberculose prévu par l’article L31112-1 du Code de la santé publique, et ceux, pour lesquels, sur proposition du médecin du travail, l’employeur peut seulement recommander la vaccination, celle-ci reposant toujours sur le volontariat du salarié.

En outre, et dans le cas particulier du vaccin anti covid, la loi du 5 août 2021 prévoit expressément qu’en dehors des cas où la loi l’impose, « nul ne peut exiger d’une personne la présentation d’un résultat d’examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid 19, d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid 19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid 19 », et le fait de contrevenir à cette interdiction est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 45 000 euros.

Cette interdiction s’applique évidemment aux employeurs.

Autrement dit, en dehors des cas où cela lui est légalement imposé, l’employeur ne peut exiger de ses salariés, ni passe sanitaire ni a fortiori certificat de vaccination.

L’employeur n’a donc dans le cas particulier du passe sanitaire ou de la vaccination contre la covid 19, aucune marge de manœuvre lui permettant de mettre en place sans y être tenu, le passe sanitaire et a fortiori, une obligation de vaccination. Il peut seulement et doit le cas échéant, recommander à ses salariés de se faire vacciner, sans pouvoir en faire une obligation.

La tâche de l’employeur peut donc s’avérer délicate selon les circonstances pour faire la part entre ce qu’il doit faire, et ce qui lui est interdit de faire, puisqu’il doit « naviguer » entre l’obligation et l’interdiction, l’erreur d’appréciation pouvant dans les deux cas être sanctionnée, le cas échéant pénalement.

Alain Hervieu, docteur en droit, Avocat au Barreau de Caen. spécialiste en droit du travail ancien maître de conférence à l'université. SCP AHF AVOCATS [->alain.hervieu@ahf-avocats.fr]

[1Projet de loi adopté par la commission mixte paritaire 4446 AN et 801 Sénat.

[2Décision du Conseil Constitutionnel N° 2021 824 DC.

[3Loi N° 2021-1040 du 5 août 2021. On ne peut pas s’empêcher de constater que cette loi est intitulée prudemment « loi pour la gestion de la crise sanitaire », alors que celle du 31 mai 2021 qu’elle modifie s’appelait, « loi relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire »…

[4Décret N° 2021-1059 du 7 août 2021 JORF 08/08/2021.

[5Pour la liste précise des établissements concernés voir Décret ci dessus.

[6Décret ci-dessus, qui valide également les auto tests réalisés sous le contrôle d’un professionnel habilité.

[7Il ne s’agit pas pour nous ici de juger du bien-fondé ou non du système mis en place, mais seulement de l’examiner et d’essayer d’en tirer les conséquences.

[8Le décret N° 2021-1056 du 7 août porte les amendes encourues par les exploitants de services de transport et les employeurs tenus de contrôler le respect de l’obligation vaccinale à 1 000 euros et l’amende majorée à 1 300 euros.

[9Les echos.fr/économie-France/social/pass-sanitaire. 26/07/2021.

[10Le Conseil Constitutionnel a considéré que les mesures visées étaient applicables pour une durée déterminée, allant de l’entrée en vigueur de la loi au 15 novembre 202, ce qui st de nature à en modifier la gravité, mais sous réserve qu’une nouvelle loi ne vienne d’ici là, proroger à nouveau la période de gestion de la sortie de crise.

[11Projet de loi adopté par l’assemblée nationale.

[12publicsenat.fr/article/parlementaire/licenciement : la ministre du travail déclenche la colère du sénat.

[13On ne peut que s’interroger sur le sens et la portée de l’affirmation du Conseil constitutionnel selon laquelle « il résulte des travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l’obligation de présentation des justificatifs, certificat ou résultats précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d’un salarié en contrat à durée indéterminée », qu’il utilise pour censurer pour méconnaissance du principe d’égalité, la rupture anticipée des contrats à durée déterminée et d’intérim qui avait été maintenue par le sénat. Il suffisait de constater que la loi ne prévoyait pas le licenciement pour censurer le texte relatif à la rupture anticipée des contrats précaires. Cette affirmation est donc d’autant plus curieuse que les travaux préparatoires n’ont pas de force obligatoire et qu’une interdiction légale ne peut résulter que d’un texte formel, inexistant en l’espèce. Doit-on considérer que le Conseil Constitutionnel a voulu par cette phrase donner aux Conseils de Prudhommes qui auront sans doute à connaître de licenciements consécutifs à cette situation, un guide d’analyse de la cause réelle et sérieuse en la matière ?

[14Cas Soc 11 juillet 2012 ; 10-27.888.

[15La situation de ce salarié n’est pas sans rappeler celle du salarié inapte que l’employeur n’a pas d’obligation de licencier, et qui n’y est contraint indirectement que par l’obligation que lui impose l’article L1226-4 al der du Code du travail, au bout d’un mois après l’avis d’inaptitude de reprendre le paiement du salaire. Cette dernière obligation est inapplicable en l’espèce.
Tout dépendra beaucoup de la date effective de sortie du régime de gestion de la sortie de crise, actuellement prévue au 15 novembre, mais susceptible d’être modifiée.

[16Sous réserve de ce qui a été dit à la note 11.

[17Projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire. Chapitre II vaccination obligatoire in pass sanitaire/projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.html. cf aussi : décision conseil constitutionnel précitée.

[18Conseil d’ Etat 6 mai 2019 ligue nationale pour la liberté des vaccinations.

[19Un cas de jurisprudence au niveau européen sur l’obligation vaccinale. www.france-assos-sante.org

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