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Prise d’acte d’un chef de projet = licenciement nul en cas de forfait jours nul et de harcèlement moral. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : mardi 4 janvier 2022
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Dans cet arrêt du 3 novembre 2021 (n° RG 19/00525), la Cour d’appel de Versailles a requalifié une prise d’acte de la rupture du contrat de travail d’un chef de projet en licenciement nul du fait de harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité et heures supplémentaires.

1) Faits et procédure.

La société B.C. est la société-mère d’un groupe international, leader dans le secteur de l’industrie nucléaire.
Monsieur W a été engagé par la société, en qualité de chef de projet, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 5 septembre 2011.
A partir de mai 2014, M W. a occupé l’emploi de Directeur de projets.
Les relations contractuelles étaient régies par la Convention collective des ingénieurs et cadre de la métallurgie.
Le 9 octobre 2017, M W. a été victime d’un malaise vagal au volant de son véhicule alors qu’il était sur le trajet de retour de son travail pour rentrer à son domicile.
A la suite de son accident, il a été placé en arrêt maladie jusqu’au 13 octobre 2017.
Le 14 décembre 2017, M W. a de nouveau été placé en arrêt maladie pour burn-out et n’a pas repris le travail depuis cette date.
Le 20 décembre 2017, M W. a alerté la direction des ressources humaines de la société sur la détérioration grave de son état de santé à raison des conditions de travail rencontrées au sein de l’entreprise.
Par lettre du 4 janvier 2018, la société a contesté les affirmations du salarié.
Par lettre du 5 février 2018, M W. a mis en demeure la société de cesser ses manquements et de lui régler 1233 heures supplémentaires qu’il indiquait avoir effectuées depuis février 2015, soit une somme de 64 570 euros bruts hors congés payés y afférents.
Par lettre du 13 février 2018, la société a répondu à cette mise en demeure.
Le 15 février 2018, M. W a pris acte de la rupture de son contrat de travail
Les documents de rupture ont été remis à M W., en date du 26 février 2018, lors de la restitution de son véhicule de fonction, de l’ordinateur et du téléphone portable.
Son solde de tout compte a été établi pour un montant de 13 244,82 euros nets.
Le 1er mars 2018, M W. a saisi le Conseil de prud’hommes de Montmorency d’une demande de requalification de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement nul et sans effet et sollicite le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.
Par jugement du 29 janvier 201, le Conseil de prud’hommes, en sa formation de départage, a débouté Monsieur W de ses demandes.
Le 19 février 2019, Monsieur W a interjeté appel de ce jugement.

2) Arrêt du 3 novembre 2021 de la Cour d’appel de Versailles.

Par arrêt contradictoire du 3 novembre 2021, la Cour d’appel de Versailles :
- Condamne la société à payer à Monsieur W les sommes suivantes :
- 48 652,23 euros à titre de rappel de d’heures supplémentaires, outre 4 865,22 euros au titre des congés payés afférents ;
- 7 782,68 euros au titre des repos compensateurs, outre 778,26 euros au titre des congés payés afférents ;
- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts réparant le préjudice qui résulte, pour M W. du dépassement des seuils prévus par la loi, tant en ce qui concerne la durée quotidienne maximale de travail que la durée quotidienne maximale de travail que la durée hebdomadaire maximale de travail ;
- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;

- Dit que la prise d’acte du contrat de travail aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement nul ;
- Condamne la société à payer à M W. :
- 17 580,77 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 1 758,07 euros au titre des congés payés afférents ;
- 7 969,95 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
- Ces trois sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société, de sa convocation devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes de Montmorency ;
- 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;
- Ordonne le remboursement par la société aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M W., du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage en application de l’article L1235-4 du Code du travail ;
- Donne injonction à la société de remettre à M W. un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision ;
- Rejette la demande tendant à assortir cette mesure d’une astreinte ;
- Condamne la société à payer à M W. la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais de première instance et en cause d’appel ;
- Condamne la société aux dépens.

Au total, M. W obtient la somme de 144 387,18 euros.

2.1. Sur les demandes relatives au temps de travail.

a) La convention de forfait en jours est privée d’effet : la réalité de la tenue d’entretien de suivi de la charge de travail n’est pas établie par l’employeur.

Dans son arrêt du 3 novembre 2021 (n° RG 19/00525), la Cour d’appel de Versailles rappelle que M W. expose avoir été illicitement soumis à une convention de forfait en jours à défaut d’un suivi régulier de sa charge de travail.
En réplique, la société expose que la réalité du suivi de la charge de travail du salarié ressort notamment des comptes-rendus des entretiens de suivi des forfaits en jours formalisés pour l’exercice 2017 ;
Que la charge de travail était discutée régulièrement lors de réunions hebdomadaires, lors des points de 5 minutes, lors des « one to one » et en CODIR ;
Que les réunions de suivi des projets en cours sont enregistrés dans l’agenda électronique du directeur de la division recherche et développement depuis que M W. a été engagé ;
Que des réunions hebdomadaires, mensuelles (MPR) et ponctuelles étaient mises en œuvre pour mesurer le suivi de l’avancement des dossiers et décider des reports en cas de nécessité.

Les juges d’appel poursuivent en précisant que l’article L3121-46 du Code du travail, dans sa version en vigueur entre le début de la relation contractuelle et le 10 août 2016, prévoit qu’un entretien annuel est organisé par l’employeur avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année ;
Qu’il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié.

L’article L3121-60, dans sa version en vigueur à compter du 10 août 2016, prévoit que l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
Lorsque l’employeur ne respecte pas les stipulations de l’accord collectif qui avait pour objet d’assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié et de son droit au repos, la convention de forfait en jour est privée d’effet de sorte que le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre.
En l’espèce, M W. était soumis à une convention de forfait en jours sur l’année (218 jours – cf. article 6 du contrat de travail du salarié).
Il n’est pas discuté que cette convention de forfait s’appuie sur un « accord d’aménagement et de réduction du temps de travail ».
Cet accord est produit par l’employeur en pièce 43.
Il en ressort au point 3.2.2.1. que « la charge de travail est systématiquement abordée lors d’un entretien annuel pour vérifier qu’elle reste raisonnable compte tenu de la réduction du temps de travail ».
Pour respecter tant la loi que l’accord sur lequel s’appuie la convention de forfait litigieuse, l’employeur doit être en mesure d’établir qu’il a abordé la question de la charge de travail du salarié au moins une fois par an lors d’un entretien annuel spécialement consacré à cette question.
En pièces 48 à 60, la société produit plusieurs documents attestant de la réalité d’un entretien de suivi du forfait en jours entre 2017 et 2018 concernant d’autres salariés que M W.
De toute évidence, ces pièces ne permettent pas de rendre compte de la réalisation d’un entretien annuel concernant M W.
Par sa pièce 42, la société montre aussi que les réunions de suivi des projets en cours étaient enregistrées dans un agenda dont il n’est pas discuté qu’il était accessible au supérieur hiérarchique de M W.
Cet agenda couvre toute la période contractuelle durant laquelle le salarié était au service de la société, c’est-à-dire du 5 septembre 2011 au 15 février 2018.
Toutefois, cet agenda ne rend compte que partiellement de la charge de travail de M W.
Il ne remplace pas un entretien.
De même en est-il des MPR (pour Monthly Project Report) qui n’ont vocation qu’à présenter l’état d’avancement de travaux en cours et qui ne tiennent nullement compte de la charge de travail du salarié, la question du caractère raisonnable de cette charge de travail n’étant en rien l’objet de ces MPR (cf. pièces 75 et 78 à 84).
L’employeur évoque aussi ce qu’il désigne comme des « one to one ».
Ces tête à tête apparaissent dans les attestations que la société verse aux débats :
- M R. (pièce 87) qui a intégré la société en décembre 2017 évoque ces tête à tête en les qualifiant de « bi-mensuels » avec son responsable M G. afin de « partager les éventuels points durs et/ou d’amélioration » ;
- M M. (pièce 88), qui a travaillé pour la société entre novembre 2007 et août 2016, déclare : « Afin de mieux gérer ma charge de travail et de garantir une bonne communication avec M G., une réunion hebdomadaire de 30 min-1 H était organisée. Cette réunion avait pour objectif de faire le point sur mes avancées et difficultés (...) Lors de ces réunions, la parole était libre (...) Nous parlions (...) de sujets d’organisation personnelle (...) et de qualité de vie au travail (...) » ;
- M T. (pièce 89) qui a intégré la société en juin 2017 évoque lui aussi ces tête à tête en les qualifiant de « bi-mensuels » avec son responsable M G. afin, comme M R., de « partager les éventuels points durs et/ou d’amélioration » ;
- M N. (pièce 91) explique pour sa part : « déclare participer, de manière hebdomadaire à des réunions 1 to 1 avec mon supérieur, M G., afin de traiter de la charge de travail et de prioriser, si besoin, les tâches de la semaine à venir. C’est également l’occasion d’échanger ensemble de sujets tels que l’organisation du département R&D ou encore du bureau d’étude électronique ».
Pour sa part, M W. expose qu’en réalité, ces tête à tête avaient uniquement pour objet le suivi de l’avancement des projets.
Les attestations de MM. R, M, T et N sont concordantes en ce qui concerne la tenue régulière des « one to one ».
Leur contenu est cependant variable selon les témoins.
Sur les quatre témoins, seul M M. expose que la qualité de vie au travail était abordée.
Les autres se contentent d’indiquer que ces entretiens avaient pour objet de « partager les éventuels points durs et/ou d’amélioration » ou « de traiter de la charge de travail et de prioriser, si besoin, les tâches de la semaine à venir » mais les témoins ne précisent pas si l’articulation entre leur activité professionnelle et leur vie personnelle et familiale était abordée.
D’ailleurs, en pièce 32-1, le salarié produit un courriel qui offre une idée des questions abordées avec lui à l’occasion des « one to one » : dans un courriel du 22 août 2014 adressé au salarié, M G. écrivait : « W, comme discuté en 1à1 merci de m’envoyer des infos factuelles sur la gestion de projet, notamment prix de vente, temps réel passé sur des projets significatifs vendus et fond propre etc. » ce qui ressemble davantage à un point d’avancement sur les projets que sur l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale du salarié.
Dès lors, l’employeur n’établit pas, pour M W., la réalité de la tenue de l’entretien prévu par la loi et par l’accord d’entreprise.
La Cour d’appel de Versailles en conclue qu’il s’ensuit que la convention de forfait de M W. lui est inopposable.
Dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris, (11 juin 2020, RG n°18/02313), l’illicéité d’un forfait jours avait permis la résiliation judiciaire d’un contrat de travail aux torts de l’employeur (Cf article Résiliation judiciaire : l’illicéité d’un forfait jours justifie la résiliation judiciaire d’un contrat de travail.).

b) Sur les heures supplémentaires : le chef de projet obtient 48 562 euros d’heures supplémentaires ainsi que les congés payés afférents.

La Cour d’appel de Versailles affirme ensuite que M. W expose avoir accompli 1 240,28 heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées.
Il se fonde en cela sur un décompte quotidien et hebdomadaire (pièce 15), sur des courriels et ses agendas outlook (pièces 16 à 21) et sur des attestations d’anciens collègues (pièces 27 à 31, 41 à 47, 50 et 77).

Pour sa part, la société expose que la rémunération de l’appelant était du double de la rémunération conventionnelle fixée pour les cadres en forfait relevant du coefficient 100 et qu’en tout état de cause, M. W ne justifie pas de la réalité des heures supplémentaires par le moindre élément objectif permettant de crédibiliser un décompte établi postérieurement à sa prise d’acte.

Les juges rappellent que l’article L3171-4 du Code du travail dispose que :

« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable
 ».

La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié.
Il appartient également à l’employeur de justifier des horaires de travail effectués par l’intéressé.
Il revient ainsi au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre l’instauration d’un débat contradictoire et à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, M. W verse aux débats :
- Des tableaux très précis en pièce 15 ;
- De très nombreux courriels en pièces 17 à 21 rédigés à des heures tardives, parfois le dimanche ;
- Des attestations extrêmement circonstanciées et concordantes d’anciens collègues (pièces 28 à 31, 41 bis à 47, 50 et 77) dont il ressort unanimement que la charge de travail de M. W était très importante.
Pour ne citer que quelques exemples, la cour relève notamment les témoignages suivants :
- Mme F parle de « journées de travail d’environ 11h par jour pour les chefs de projet, dont [M. W] où il arrivait de me retrouver avec lui le soir tard » (pièce 28 S) ;
- Mme D, chef de projet, parle de « rythme acharné » l’obligeant, comme M. W, « à travailler les week-ends en plus de ses 50 heures hebdomadaire » (pièce 29 S) ;
- M. A, chef de projet, qui déclare ne plus savoir « compter le nombre de fois où le gardien du site [lui] a demandé de quitter les lieux car il était 21h passé. » Il ajoute : « Dans ces moments bien souvent, je n’étais pas seul, M. W ou Mme D ou Mme F était avec moi » (pièce 30 S) ;
- M. H déclare : « Afin d’être prêts ou au moins de ‘limiter la casse’ il arrivait fréquemment à M. W et moi-même de rester jusqu’à la fermeture par le gardien du site après 21h (...) » et « il (en parlant de M. W) arrivait autour de 9h10 sauf réunions et faisait le tour des équipes et j’ai souvent reçu de sa part des emails envoyés le soir ou durant la nuit » (pièce 41bis S) ;
- M. Y expose « Lorsque je quitte la société à 17h ou même à 19h, il (en parlant de M. W) est toujours au sein de la société, je ne l’ai jamais vu quitter avant ou en même temps que moi » (pièce 42 S).

Par ces pièces, M. W présente, à l’appui de sa demande de rappel d’heures supplémentaires, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies.
Il revient donc à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La Cour d’appel affirme que d’abord, la société ne justifie pas des heures de travail réalisées par M. W.
Ensuite, le témoignage de M. M, qui a travaillé de 2007 à 2016 pour la société (pièce 88 E) selon lequel M. W « arrivait bien après 9h00 » et le témoignage de M. N qui atteste de ce que « M. W n’arrivait jamais au bureau avant 9h15 et repartait bien souvent avant 18h30 » (pièce 91 E) ne sont pas incompatibles avec les témoignages particulièrement circonstanciés produits par le salarié.

Compte tenu des éléments qui précèdent, la Cour a matière à estimer ainsi le volume des heures supplémentaires (toutes heures supplémentaires confondues – que ce soit celles majorées à 25 % ou celles majorées à 50%) réalisées par M. W :
- Du 22 février 2015 au 31 décembre 2015 : 222,75 heures ;
- Du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 : 382,20 heures ;
- Du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2017 : 277,20 heures ;
- Du 1er janvier 2018 au 15 février 2018 : 0 heure.

Ce volume d’heures génère un rappel de salaire de 48 652,23 euros.
Infirmant le jugement, il conviendra donc de condamner la société à payer à M. W la somme ainsi arrêtée outre la somme de 4 865,22 euros au titre des congés payés afférents (Sur les modalités de preuve des heures supplémentaires, lisez ou relisez notre article Salariés, Cadres : comment prouver et vous faire payer vos heures supplémentaires aux prud’hommes ?).

c) Sur les repos compensateurs : le chef de projet obtient 7 782,68 euros à ce titre.

Les juges versaillais considèrent que l’état du droit, relativement aux repos compensateurs, n’a pas été le même pendant toute la relation contractuelle liant M. W à la société.
Suivant l’article L3121-11 du Code du travail, dans sa version applicable jusqu’au 10 août 2016, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.
Il apparaît que, par application de l’article 18 IV de la loi n°2008-789 du 20 août 2008, la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent est fixée à 50% pour les entreprises de 20 salariés au plus et à 100% pour les entreprises de plus de 20 salariés.
L’article D3121-14-1 du Code du travail énonce que le contingent annuel d’heures supplémentaires prévu à l’article L3121-11 est fixé à deux cent vingt heures par salarié.
Selon l’article L3121-28 du Code du travail, applicable à la relation de travail à partir du 10 août 2016,

« toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent ».

L’article L. 3121-30 poursuit ainsi :

« Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel.
Les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.
Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d’heures supplémentaires sont celles accomplies au-delà de la durée légale.
Les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent mentionné à l’article L. 3121-28 et celles accomplies dans les cas de travaux urgents énumérés à l’article L. 3132-4 ne s’imputent pas sur le contingent annuel d’heures supplémentaires ».

A défaut de convention ou d’accord, le contingent est de 220 heures par an et par salarié (art. D. 3121-14-1 dans sa version en vigueur jusqu’au 1er janvier 2017 puis art. D. 3121-24 dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2017).

De ces textes, qui ont varié dans leur contenu et dans leur numérotation durant la relation contractuelle, il ressort les principes suivants applicables à l’espèce, s’agissant d’une société qui compte plus de 20 salariés : toute heure effectuée par M. W au-delà de 220 heures annuelles doit être compensée par un repos compensateur équivalent.
En conséquence de ce qui a été jugé au titre des heures supplémentaires, M. W aurait dû bénéficier d’un repos compensateur de :
- 22,75 heures en 2015 ;
- 162,20 heures en 2016 ;
- 57,20 heures en 2017.

M. W est ainsi en droit de prétendre, sur la base d’un salaire horaire non contesté de 32,14 euros bruts, au paiement des indemnités compensatrices suivantes :
- 731,18 bruts au titre de 2015 ;
- 5 213,10 euros bruts au titre de 2016 ;
- 1 838,40 euros bruts au titre de 2017 ;
- Soit un total de 7 782,68 euros bruts.

Ainsi, infirmant le jugement du Conseil de prud’hommes, la Cour en déduit qu’il conviendra de condamner la société à payer à M W. la somme de 7.782,68 euros au titre des repos compensateurs, outre 778,26 euros au titre des congés payés afférents.

d) Sur l’indemnité pour travail dissimulé : l’élément intentionnel n’est pas caractérisé.

La Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 3 novembre 2021, rappelle que l’article L8221-5 du Code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
- 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
- 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
- 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L’article L8223-1 dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, les faits de l’espèce ne caractérisent pas l’élément intentionnel requis.
Les juges en conclue que le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

e) Sur les demandes indemnitaires pour non-respect des dispositions relatives à la durée quotidienne maximale de travail et pour non-respect des dispositions relatives à la durée hebdomadaire maximale de travail.

La durée de travail effectif d’un salarié ne peut dépasser 10 heures par jour, 48 heures par semaine ou 44 heures par semaine en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives.

L’article L3171-4 du Code du travail relatif à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail n’est pas applicable à la preuve du respect de seuils et plafonds prévus par la loi.
La charge de la preuve incombe uniquement à l’employeur.

En l’espèce, le salarié présente, en page 45 de ses conclusions, une liste de journées durant lesquelles il a été amené à travailler pendant plus de 10 heures consécutives.
En page 47 de ses conclusions, il présente aussi une liste de semaines durant lesquelles il a été amené à travailler entre 48 heures et 68 heures.
Ces éléments découlent de la pièce 15 du salarié, pièce qui a été jugée comme suffisamment précise lorsque la question des heures supplémentaires a été examinée.
L’employeur, sur qui pèse la charge de la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par la loi n’apporte pas d’élément probants, avec cette précision que la certification AFAQ ISO 9001 est impuissante à établir le respect des seuils ici étudiés.

La Cour considère qu’elle a donc matière à retenir qu’entre février 2015 et novembre 2017, M. W a été amené à 75 reprises à travailler plus de 10 heures dans une journée.
En 2015, M. W a été amené à 1 reprise à travailler plus de 48 heures.
En 2016, c’est à 13 reprises qu’il a travaillé plus de 48 heures. 3 reprises en 2017.

Le préjudice qui résulte, pour M. W du dépassement des seuils prévus par la loi, tant en ce qui concerne la durée quotidienne maximale de travail que la durée hebdomadaire maximale de travail, sera globalement réparé par une indemnité de 3 000 euros, somme au paiement de laquelle, infirmant le jugement, la société sera condamnée.

2.2) Surcharge de travail, hypersollicitation, caractère oppressant, anxiogène et toxique du management = harcèlement moral.

M. W invoque cinq manquements comme contribuant au harcèlement moral dont il se prétend victime :
- La surcharge de travail qui lui était imposée (1),
- Son hyper-sollicitation (2),
- Le caractère oppressant, anxiogène et toxique du management (3),
- Le fait que son accident du trajet du 9 octobre 2017 n’a pas été déclaré avant le mois de février 2018 et le fait que son manager lui a demandé de revenir travailler dès le lendemain pour terminer les travaux en cours (4),
- L’inaction de la société suite à ses différentes alertes (5).

En réplique, la société conteste le harcèlement moral invoqué et, plus particulièrement, tient pour mensongères les allégations du salarié relativement à sa prétendue surcharge de travail, à son hyper sollicitation, et au management.
Elle conteste les autres griefs.

La Cour d’appel rappelle que l’article L1152-1 du Code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

a) Sur la surcharge de travail, l’hypersollicitation et le caractère oppressant, anxiogène et toxique du management (1)(2)(3).

M. W a été accueilli en sa demande tendant à un rappel d’heures supplémentaires.
Il a été jugé qu’à de nombreuses reprises, les seuils imposés par la loi avaient été dépassés.
M. W rapporte la preuve, par la production de ses courriels et de SMS échangés entre lui et M. G, que nombre d’entre eux étaient – au vu et au su de sa hiérarchie – envoyés au cours de la nuit, pendant les week-ends, les jours fériés ou les congés du salarié ; parfois même alors qu’il était en arrêt maladie (cf. pièces 36 à 40 du salarié).
Des attestations que M. W verse aux débats (dont une partie a déjà été citée dans le paragraphe consacré aux heures supplémentaires), il résulte que le travail auquel le salarié devait faire face était particulièrement intense.
Ces attestations se corroborent et sont particulièrement circonstanciées de sorte qu’elles ont force probante.
A titre d’exemples :
- Mme F. indique : « (...) la pression était élevée au regard du nombre et de la criticité des projets (...) Les chefs de projets comme [M. W] et moi-même disposions de peu de ressources, notamment en temps pour gérer les problématiques des projets mais aussi leur avancement (...) [M. W] était un manager qui prenait beaucoup sur lui et faisait son maximum pour éviter l’exposition à la direction. Concernant le management autoritaire de celle-ci, [M. W] préservait son équipe. Ce comportement nous était favorable, cependant je pense que ce devait être un rêle difficile à supporter au quotidien, notamment lors des phases où le président se mettait en colère et criait sur [M. W] ou autre. Je peux comprendre que l’on puisse parfois être agacé, cependant je ne trouve pas normal de parler à ses employés tel qu’il pouvait le faire : tantôt paternaliste et bienveillant, tantôt furieux, méprisant et humiliant (...) Dès lors où M. G ou M. E lui soumettaient une demande, celle-ci devenait prioritaire quoi qu’il en coûte. Je peux même dire qu’il pouvait y avoir une forme de crainte, qui était d’autant pire dès lors que le président venait voir [M. W] dans son bureau, et ceci se passait fréquemment. [M. W] devait constamment rassurer la direction et calmer les paniques. Ceci était une source importante de sollicitations et d’angoisses pour [M. W] qui le détournait de son travail qu’il avait organisé. Il devait à son tour compenser par un travail le soir ou encore chez lui (...) » (pièce 28 S) ;
- Mme D. : « [M. W] en tant que responsable du pôle projet a souvent été le médiateur entre la direction et moi-même, prenant « les coups » à ma place, ce qui s’ajoutait à la pression qu’il subissait puisqu’il gérait les projets les plus importants de la société. En effet, il était régulièrement convoqué dans le bureau du PDG pour une réunion de dernière minute pour aborder ses projets et ceux de ses collaborateurs (...) » (pièce 29 S) ;
- M A. qui déplore que les ressources attribuées à un projet ne soient pas à la hauteur explique : « je peux citer comme exemple un projet de M. W où on lui a demandé la réalisation de prototypes d’une nouvelle gamme en quelques mois, 5 précisément, là ou la concurrence met 3 ans pour sortir une gamme complète. Ou encore le développement et la qualification d’un appareil en 1 an. Un délai qui n’a jamais été tenu ni au sein de la société ni dans aucune entreprise où j’ai pu travailler (...) Pour se présenter en MPR (nom de la réunion mensuelle) le mardi matin la boule au ventre en se demandant à quelle sauce nous allions être mangés. Cette réunion était le lieu où les chefs de projets, dont M. W, se faisaient littéralement humilier. Nos capacités et nos compétences sont souvent attaquées frontalement en public » (pièce 30 S) ;
- M V. témoigne ainsi : « [M. W] gérait en plus de sa casquette de manager du Pôle projet un nombre très important de projets en direct, souvent les plus stratégiques où l’attente de résultats était très importante (...) La pression concernant ces projets était très importante, j’en étais témoin lors des revues mensuelles de projets (MPR) qui étaient souvent très tendues, parfois humiliantes, elles étaient parfois un vrai calvaire pour les chefs de projets, particulièrement M. W. Il subissait parfois, devant tous les membres de la réunion, la colère de M. E ou de M. G, son directeur (...) » (pièce 31 S).

Sans s’en tenir à ces seuls témoignages, il ressort de toutes les autres attestations de collègues que M. W subissait une pression constante de la direction, laquelle pouvait se montrer humiliante à son égard.
Le salarié était très fréquemment sollicité devant, toutes affaires cessantes, mettre un terme aux tâches sur lesquelles il travaillait pour se consacrer à d’autres tâches, à la demande de ses supérieurs.

Les faits allégués par M. W sont établis.

Il est aussi établi (pièce 32 du salarié) que M. W avait alerté sa hiérarchie d’août 2014 à septembre 2016 sur les difficultés qu’il rencontrait dans l’accomplissement de ses missions.
Par ailleurs, si les faits d’hypersollicitation peuvent être constitutifs de harcèlement moral, l’inverse peut être aussi (Cf notre article Bore out/harcèlement moral : que dit l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 2 juin 2020 ?).

b) Sur la déclaration de l’accident du trajet de M. W le 9 octobre 2017 (4).

Il n’est pas discuté que M. W a été victime d’un malaise en voiture le 9 octobre 2017 après avoir quitté son travail pour regagner son domicile.
En pièce 40, le salarié montre en avoir avisé M. G par texto à 19h28.
Le salarié avisait ensuite (texto de 21h30) M. G de ce qu’il venait de voir son médecin qui diagnostiquait un malaise vagal et lui prescrivait un arrêt de travail d’une semaine.
Il apparaît que la société n’a pas déclaré l’accident de trajet avant le 27 février 2018 (pièce 174 E).
En revanche, il n’est pas établi que, comme le soutient le salarié, il lui a été demandé de venir travailler le lendemain.
Au contraire, M. G, qui venait d’apprendre l’arrêt de travail de M. W, lui répondait : « Ok pas de soucis. Je préviens E Repose toi bien ».

c) Sur l’inaction de la société suite aux alertes de M. W.

La Cour d’appel affirme que comme relevé lors de l’examen des points (1) à (3), M. W a établi par sa pièce 32 (courriels du salarié entre août 2014 et septembre 2016) avoir avisé sa hiérarchie des difficultés qu’il rencontrait dans l’accomplissement de ses missions.
Il y évoquait un manque de ressource, une dispersion trop importante entre plusieurs projets, une importante charge du service.
Il parlait d’un « ras-le-bol » et d’un conflit de « priorité des projets » en mars 2015, d’une « surcharge potentielle » en décembre 2015, d’un « souci d’organisation » le 2 septembre 2016 et se plaignait, le 23 septembre 2016, de ce que « tout était prioritaire », le salarié invitant son interlocuteur à prendre connaissance de la liste des projets en cours.

La société expose que M. W ne travaillait qu’à 94 %.
Cette affirmation est cependant démentie par le nombre d’heures supplémentaires réalisées et le dépassement des seuils.

En revanche, la société présente des pièces montrant que l’équipe de M. W a été renforcée (cf. notamment la pièce 133 de la société montrant que les ressources affectées au service de M. W ont progressé entre 2014 et 2017.
D’ailleurs, dans son attestation, M. M déplore le fait que les ressources affectées à M. W soient gaspillées et il ajoute : « Les augmentations de ressources qui lui (en parlant de M. W) étaient mises à disposition n’ont rien changé à la conduite des projets (chefs de projet supplémentaires, équipes de consultants, acheteuse projet...) » (pièce 88 E).
Dès lors, la société n’est pas demeurée inactive lorsque M. W lui a fait part de ses difficultés.

d) Sur l’état de santé de M. W.

Par la production de ses pièces 11 à 14, 51, 76 et 84 (arrêts de travail, ordonnances lui prescrivant des anxiolytiques et anti-dépresseurs, attestation de prise en charge par un psychiatre, documents de suivi de son médecin traitant), M. W montre que son état de santé s’est dégradé.

e) En synthèse de ce qui précède.

Sur les faits présentés par le salarié comme concourant au harcèlement moral dont il se prétend victime, la Cour a tenu comme établis les faits suivants :
- La surcharge de travail qui lui était imposée ;
- Son hyper-sollicitation ;
- Le caractère oppressant, anxiogène et toxique du management ;
- Le fait que son accident du trajet du 9 octobre 2017 n’a pas été déclaré avant le mois de février 2018.

Ces faits et en particulier les trois premiers, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement managérial susceptible d’avoir dégradé la santé de M. W ou compromis son avenir professionnel.
Il incombe dès lors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’employeur, qui se contente de nier purement et simplement les faits alors qu’ils ont été considérés comme établis, n’apporte pas d’élément objectif propre à montrer qu’ils sont étrangers à tout harcèlement.
Il s’ensuit que ledit harcèlement moral est établi.
Les juges en déduisent qu’il en est résulté pour M. W un préjudice qui sera intégralement réparé par l’octroi d’une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, somme au paiement de laquelle, infirmant le jugement, la société sera condamnée.

2.3) Sur l’obligation de sécurité : la dégradation de l’état de santé du chef de projet présente un lien avec ses conditions de travail.

M. W expose que la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat et précise que son état de santé s’est dégradé du fait de ses conditions de travail en dépit du fait qu’il a alerté la société (il vise sa pièce 32), laquelle a laissé perdurer cette situation.
La société a toujours délibérément refusé d’inclure les risques psycho-sociaux au document unique d’évaluation des risques.
La société conteste avoir manqué à ses obligations.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail.
Ces articles disposent :
Article L4121-1 :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
 »

Article L. 4121-2

« L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Éviter les risques ;
2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».

En l’espèce, le salarié (pièce 32 S) a régulièrement alerté sa hiérarchie sur l’inadéquation entre ses ressources et sa charge de travail.
Il a néanmoins été établi que l’employeur n’était pas demeuré totalement inactif puisqu’il a continuellement, entre 2014 et 2017, fait progresser les ressources allouées au service de M. W.
Cependant, il apparaît que les ressources allouées à M. W, même si elles avaient augmenté, restaient insuffisantes face aux charges de son service.
L’employeur ne pouvait l’ignorer compte tenu du rythme de travail de M. W.
Par ailleurs, la dégradation de l’état de santé de M. W, d’abord un malaise vagal puis un burn-out – en tout état de cause des pathologies contemporaine de la fin de la relation contractuelle –, présente un lien avec ses conditions de travail.
La société n’a pas réagi avec suffisamment d’intensité, ne prenant pas la mesure de la situation de M. W.
Le document unique d’évaluation des risques (pièce 48 S) ne comporte d’ailleurs aucune mention sur les risques psycho-sociaux.
Or, ce risque est présent au sein de la société comme le montre la présente affaire et comme pouvait aussi le montrer la situation de M. V, lequel, dans son attestation (pièce 31S) déclare avoir souffert d’un burn-out et indique, à propos de cette pathologie : « Ce sujet a toujours été tabou chez B.C., il était interdit de mentionner les risques psycho-sociaux dans le document unique, point soulevé et connu des membres du CHSCT auquel j’assistais, y compris extérieurs à l’entreprise (médecine du travail, cramif) ».

Le manquement de la société à son obligation de sécurité est dès lors établi.
La Cour en déduit qu’il en est résulté, pour M. W, un préjudice qui sera intégralement réparé par l’octroi d’une indemnité de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, somme au paiement de laquelle, infirmant le jugement, la société sera condamnée.

En outre, pour un exemple de résiliation judiciaire du fait de harcèlement moral et de manquement à l’obligation de sécurité, vous pouvez lire notre article Salariés, cadres, cadres dirigeants : harcèlement moral + violation de l’obligation de sécurité = résiliation judiciaire.

2.4) Sur la rupture du contrat de travail : la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul .

Alors que M. W présente les éléments qui précèdent comme des manquements justifiant que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul, la société le conteste.
La prise d’acte de la rupture se définit comme un mode de rupture du contrat de travail par le biais duquel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu’il impute à son employeur.
Si les griefs invoqués par le salarié sont établis et empêchent la poursuite du contrat de travail, alors la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans le cas contraire, la prise d’acte doit être requalifiée en démission.
La prise d’acte peut aussi produire les effets d’un licenciement nul si les manquements reprochés à l’employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement.
En l’espèce, compte tenu des développements qui précèdent, les griefs invoqués et établis par le salarié empêchaient la poursuite de son contrat de travail.
Partiellement fondés sur un harcèlement moral, il convient, infirmant le jugement, de dire que la prise d’acte de M. W produit les effets d’un licenciement nul.
Le salarié victime d’un licenciement nul qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (cf. article L. 1235-3-1 du Code du travail).
Il peut aussi prétendre aux indemnités de rupture que sont l’indemnité de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis.

L’employeur ne discute pas le quantum des demandes du salarié relativement à ces deux dernières indemnités. En conséquence, il convient de condamner la société à payer à M W. :
- 17 580,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 1 758,07 euros au titre des congés payés afférents ;
- 7 969,95 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.

Ces indemnités produiront intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes de Montmorency.
Au titre de l’indemnité pour licenciement nul (article L1235-3-1 du Code du travail), compte tenu de l’ancienneté de M W. (environ 6 ans et demi), de son niveau de rémunération (environ 6 000 euros par mois) et de ce que M. W a retrouvé rapidement un emploi (le 2 avril 2018 – cf. sa pièce 64), il conviendra, infirmant le jugement, de condamner la société à payer au salarié une indemnité de 40 000 euros.
L’article L1235-4 dispose que dans les cas prévus aux articles L1132-4, L1134-4, L1144-3, L1152-3, L1153-4, L1235-3 et L1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Compte tenu du sens du présent arrêt, il conviendra d’ordonner, d’office, le remboursement par la société aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. W, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

2.5) Sur la remise des documents

La Cour d’appel estime qu’il conviendra de donner injonction à la société de remettre à M W. un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte.

2.6) Sur les dépens et frais irrépétibles.

Succombant, la société est condamnée aux dépens.
Elle est également condamnée à payer à M W. une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais de première instance et d’appel.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum