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CBD - ce qui change avec l’arrêté du 30 décembre 2021. Par Barbara Bertholet, Rachel Devidal et Gladys Andaloro, Avocates.
Parution : mardi 18 janvier 2022
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Dans notre article « Utilisation du cannabis à des fins industrielles, commerciales ou thérapeutiques, le point sur les évolutions de la règlementation française », nous faisions notamment le point sur les règles françaises encadrant l’utilisation à titre industriel et commercial de cannabis dépourvu de propriétés stupéfiantes (CBD).

Un arrêté, publié au Journal officiel du 31 décembre 2021 [1], rebat les cartes et interdit expressément le commerce de feuilles ou de fleurs de cannabis, même dépourvu de propriétés stupéfiantes.

Rappel du contexte : la non-conformité du droit français au TFUE.

Pour mémoire, l’alinéa 2 du II de l’article R5132-86 du Code de la santé publique autorise la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés, dans les conditions détaillées dans un arrêté des ministres chargés de l’agriculture, des douanes, de l’industrie et de la santé.

Jusqu’au 31 décembre 2021, la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale de CBD étaient encadrées par un arrêté du 22 août 1990, lequel autorisait expressément la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale (fibres et graines) des variétés de Cannabis sativa L. dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol est inférieure à 0,20 %.

Cet arrêté a été abrogé par l’arrêté du 31 décembre 2021, promulgué ensuite d’un arrêt rendu en novembre 2020 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (Affaire Kanavape) remettant en cause la légalité de la réglementation française par rapport au droit de l’Union Européenne [2].

En effet, la CJUE a jugé que la restriction imposée par la réglementation française revenant à interdire la commercialisation en France de CBD produit légalement dans un autre Etat membre mais non extrait des graines ou fibres de Cannabis sativa L, s’apparente à des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation [3].

Cette décision avait suscité beaucoup d’espoirs de la part des acteurs de la filière du CBD qui avaient considéré qu’elle ouvrait la possibilité de commercialiser en France du cannabis dépourvu de propriété stupéfiante, y compris sous forme de fleurs ou de feuilles.

En conséquence de cette décision, la France avait notifié un nouveau projet d’arrêté à la Commission Européenne pour avis en juillet 2021. Ce projet proposait d’étendre la culture, l’importation, l’exportation ainsi que l’utilisation à des fins commerciales et industrielles de Cannabis Sativa L à toute la plante, dès lors qu’elle avait une teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) inférieure à 0,20%.

Le projet d’arrêté prévoyait cependant de maintenir la restriction figurant dans l’arrêté de 1990 pour les fleurs et les feuilles puisqu’elles ne pouvaient être vendues brutes aux consommateurs, pour des raisons de santé publique.

L’arrêté attendu a finalement été publié au Journal Officiel du 31 décembre 2021.

Apport de l’arrêté du 30 décembre 2021 relatif au cannabis dépourvu de propriétés stupéfiantes.

L’arrêté du 30 décembre 2021 est identique au projet soumis à la Commission Européenne, à une exception : il réhausse le niveau de THC en deçà duquel le cannabis est considéré comme dépourvu de propriétés stupéfiantes : sont désormais autorisées en France la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis sativa L., dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0,30%.

La restriction applicable aux fleurs et aux feuilles de cannabis est consacrée : même lorsque issues d’une variété de Cannabis Sativa L. dont la teneur en THC est inférieure à 0,30%, celles-ci ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d’extraits de chanvre.

L’arrêté interdit ainsi expressément la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation.

Enfin, l’arrêté encadre l’approvisionnement en semence, interdit la pratique du bouturage et la vente de plants. Il prévoit que l’achat de fleurs et de feuilles de chanvre produites sur le territoire français doit faire l’objet d’un contrat écrit entre producteur et acheteur.

La conformité de la réglementation française relative au cannabis dépourvu de propriété stupéfiante à la Constitution.

La réglementation française applicable au cannabis dépourvu de propriété stupéfiante a fait l’objet de trois questions prioritaires de constitutionnalité posées entre octobre et décembre 2021 par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation au Conseil Constitutionnel.

Dans la première (QPC 2021-960), il était question de la conformité des dispositions légales du Code de la santé publique relatives à la notion de « stupéfiant » [4]. Ainsi, le requérant reprochait à ces dispositions de ne pas définir la notion de « substance stupéfiante » et de renvoyer au pouvoir règlementaire la détermination du champ d’application de la police spéciale qui réglemente ces substances. Ce faisant, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d’entreprendre.

Le Conseil Constitutionnel a écarté ce grief et jugé que les dispositions contestées sont bien conformes à la Constitution.

En effet, la Haute Autorité considère que la notion de stupéfiants est suffisamment précise en ce qu’elle « désigne des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé ». De même, elle considère que le renvoi au pouvoir réglementaire pour classer certaines substances dans la catégorie des substances stupéfiantes, le législateur « n’a pas non plus conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi » [5].

Les deux autres QPC (QPC 2021-973 du Conseil d’Etat et QPC 2021-967 de la Cour de cassation transmises au Conseil Constitutionnel) seront étudiées à l’audience du 1er février 2022. Elles portent sur la conformité au principe de légalité des délits et des peines de l’article L5132-7 du Code de la santé publique, en ce qu’il renvoie au pouvoir réglementaire le classement des plantes ou substances dans la catégorie des stupéfiants.

A suivre donc…

Barbara Bertholet, Avocat Associé chez Bignon Lebray - [->bbertholet@bignonlebray.com] Rachel Devidal, Avocat Sénior chez BIgnon Lebray - [->rdevidal@bignonlebray.com] Gladys Andaloro, Avocat chez Bignon Lebray - [->gandaloro@bignonlebray.com]

[1Arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l’article R5132-86 du Code de la santé publique.

[2CJUE C-663/18 du 19 novembre 2020, Kanavape.

[3Article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne.

[4Articles L5132-1, L5132-7 et L5132-8 du Code de la santé publique

[5Affaire 2021-960 QPC déposée le 13 octobre 2021 par le Conseil d’Etat.