Village de la Justice www.village-justice.com

[Point de vue] Le Passe vaccinal : une atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Par Aymard de la Ferté-Sénectère et Jacques Buès, Avocats.
Parution : vendredi 18 février 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/passe-vaccinal-une-atteinte-aux-droits-libertes-fondamentaux,41742.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans la suite de mon précédent article « Le passe sanitaire face au droit de l’union européenne et de la CEDH » publié en août 2021, l’actualité offre un nouveau rebondissement par la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 transformant le passe sanitaire en passe vaccinal pour les personnes âgées de plus de 16 ans. Ce faisant, un test négatif au Covid-19 (PCR ou antigénique) ne suffit plus pour accéder aux lieux de vie.
Par sa décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, le Conseil constitutionnel valide cette loi en la déclarant conforme à la Constitution.
Toutefois, cette décision est sujette à un certain nombre de critiques.

Le passe sanitaire, instauré par la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, étendu par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 à de nombreuses activités de la vie quotidienne et prolongé jusqu’au 31 juillet 2022 par la loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, est remplacé, par la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, par un passe vaccinal pour les plus de 16 ans et les adultes.

Concrètement, la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire subordonne à la détention d’un passe-sanitaire (soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19) l’accès un certain nombre de lieux de vie (déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, activités de restauration commerciale ou de débit de boissons, activités de loisirs, grands magasins et centres commerciaux, sauf en cas d’urgence aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux,…) .

La décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la loi cependant que nous avions pu à l’époque pu émettre un certain nombre de réserves quant à cette décision notamment au regard du droit de la CEDH et de l’Union Européenne.

La loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 subordonne dorénavant l’accès à ces activités, à l’exception des services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux dont l’accès resterait soumis au régime du « passe sanitaire », à la présentation d’un justificatif de statut vaccinal, sans possibilité, en principe, de faire état de l’un des deux autres justificatifs.

L’article 2-2, 2° du décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022 reconnait comme valant justificatif du statut vaccinal, le certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19 valable pour une durée de six mois.

Ainsi, un test négatif au Covid-19 (PCR ou antigénique) ne suffit plus et les professionnels travaillant dans ces lieux et services ont donc l’obligation de se vacciner.

Par sa décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, le Conseil constitutionnel admet la conformité à la Constitution des dispositions subordonnant l’accès à certains lieux à la présentation d’un « passe vaccinal » en imposant qu’il y soit mis fin dès lors qu’elle ne sera plus nécessaire et censure celle permettant de subordonner à la présentation d’un passe sanitaire l’accès à une réunion politique.

Toutefois, le Conseil constitutionnel :

- Impose d’y mettre fin lorsque ce ne sera plus nécessaire (même si cette formulation est floue et subjective, aucun critère clair n’étant précisé) ;

- Exclut la possibilité, laissée au Premier ministre d’exiger la présentation cumulée d’un justificatif de statut vaccinal et du résultat d’une examen de dépistage virologique déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux ;

- Censure la disposition concernant l’accès à une réunion politique.

I- Du caractère contestable des justifications du passe vaccinal.

En premier lieu, l’avis rendu par le Conseil d’état en date du 26 décembre 2021 sur un projet de loi (CE, avis n° 404676 du 26 décembre 2021) a pu souligner que :
« La mesure de « passe vaccinal » prévue est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes souhaitant accéder aux activités en cause. Il souligne en particulier qu’elle peut limiter significativement la liberté d’aller et de venir et est de nature à restreindre la liberté de se réunir et le droit d’expression collective des idées et des opinions » (Point 7)

« L’atteinte est renforcée, s’agissant du « passe vaccinal », par la restriction des justificatifs admissibles. La mesure appelle dès lors également un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles ». (Point 7)

De son côté, le Conseil constitutionnel relève plus timidement que :
« 10. Ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l’accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d’aller et de venir et, en ce qu’elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d’expression collective des idées et des opinions. »

Toutefois, il affirme que le législateur, en adoptant de telles mesures, a poursuivi « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » [1]. En effet, les objectifs de valeur constitutionnelle (OVC) sont des orientations dégagées par le Conseil constitutionnel données au législateur.

Ces objectifs n’énoncent pas de droits, mais permettent au Conseil constitutionnel de limiter certains principes constitutionnels dans le but de rendre certains autres droits constitutionnels effectifs. Il convient de ne pas les confondre avec les principes à valeur constitutionnelle (PVC) qui sont des principes dégagés par le Conseil constitutionnel et dont le respect s’impose au législateur comme aux autres organes de l’État. Ils sont des normes juridiques à part entière [2].

En l’espèce, le Conseil constitutionnel considère donc que cet OVC de protection de la santé, qui découle notamment du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, permet de restreindre d’autres droits constitutionnels telle que la liberté d’aller et de venir.

Toutefois, le Conseil constitutionnel n’explique aucunement de quelle manière ces atteintes à la liberté d’aller et de venir permettent effectivement de poursuivre l’OVC de protection de la santé.

En effet, il ne saurait faire injure à la communauté scientifique de souligner l’absence de consensus clairement établi sur l’efficacité réelle des mesures de confinement et autres restrictions de liberté quant à la propagation de l’épidémie de covid-19.

Toutefois, le Conseil constitutionnel persiste dans un contrôle restreint des lois sanitaires et évacue donc ces questions en affirmant qu’il ne lui appartient pas de contrôler l’opportunité de ces lois et de remettre en cause l’appréciation par le législateur du risque sanitaire :
« 14. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l’appréciation par le législateur de ce risque ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, ni cette appréciation ni les modalités retenues par la loi, qui impose de mettre fin aux mesures qu’elle permet dès qu’elles ne sont plus nécessaires, ne sont pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquates au regard de l’objectif poursuivi et de la situation présente. »

En deuxième lieu, pour valider le passe vaccinal, le Conseil constitutionnel énonce que les risques de transmission et de formes graves sont moindres pour les vaccinés. Si cette dernière affirmation est aujourd’hui peu contestable concernant la réduction des formes graves, elle l’est beaucoup plus en ce qui concerne le plus faible risque de transmission.

A cet effet, la défenseure des droits a pu exprimer ses doutes quant à la finalité de l’instauration d’un passe vaccinale :

« Ce projet de loi vient confirmer les craintes précédemment exprimées par la Défenseure des droits en accentuant encore un peu plus le rétrécissement progressif des libertés et en prévoyant une obligation vaccinale déguisée. La question de la nécessité et de la proportionnalité du passe vaccinal se pose à la lumière des données et connaissances disponibles à ce jour qui montrent que si la vaccination protège de façon très significative contre les formes graves de la maladie, son efficacité contre la contagiosité des personnes vaccinées mais infectées semble en revanche plus réduite . » [3]

« La Défenseure des droits s’interroge donc en premier lieu sur la nécessité et la proportionnalité pour lutter contre la propagation du virus d’une transformation du passe sanitaire en passe vaccinal alors que rien ne permet d’établir qu’une personne vaccinée et non testée serait moins contagieuse qu’une personne non vaccinée disposant d’un test négatif. » [4]

En effet, fin janvier 2021, on recensait une moyenne de 350 000 cas positifs par jour, soit le niveau le plus élevé observé en France depuis le début de la pandémie.

Ici encore, il n’existe aucun consensus scientifique sur la réduction effective des risques de transmission du virus par les vaccinés comparativement aux non vaccinés [5].

Dans le point 17 de sa décision, le Conseil constitutionnel indique que les mesures contestées « doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Il doit donc y être mis fin « sans délai » lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.

Avec une telle formulation, le Conseil constitutionnel renvoie la balle au Conseil d’État, à charge pour ce dernier de suspendre le décret instaurant le passe vaccinal si la crise s’estompe. Le Conseil constitutionnel indique bien quelques critères permettant de juger de la situation sanitaire, tels que « le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d’incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation », mais sans se risquer à émettre un avis tranché sur la question.

Ainsi, la critique fondamentale de la décision du Conseil constitutionnel résulte du fait que celui-ci, à l’instar du Conseil d’État, valide, sans remise en question, les données de fait exposées par le Gouvernement.

Ce faisant, il apparaît que dans la mesure où il est admis que le projet de loi porte une atteinte grave et renforcée aux libertés fondamentales et qu’il aurait été nécessaire, selon les propres termes du Conseil d’État, d’établir un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, du principe de l’étendue et des modalités de mise en œuvre du passe-vaccinale, à la lumière des données scientifiques disponibles.

Or, qu’en est-il ?

Le pic du nombre de personnes en réanimation a en effet été atteint autour du 10 janvier avec environ 3 900 dans ces services. Ce chiffre décroit désormais avec 3 500 personnes en soins critiques au 8 février 2021 [6].

Le nombre de personnes hospitalisées au 9 février 2021 est de 32 878.

Il y a aujourd’hui 387N000 lits d’hospitalisation répartis sur 2N983 établissements de santé conventionnels (1N342 hôpitaux publics, 667 établissements privés à but non lucratif et 974 cliniques privées).

A ce jour, selon l’avis du Conseil scientifique, publié le 5 octobre 2021, environ 20% des lits sont actuellement fermés dans les CHU et CHR de France par manque de personnel [7].

Autrement posé, il y aurait 77N400 lits de fermés par manque de personnel.

En conséquence, il y a 2,5 fois plus de lits fermés par manque de personnel que de personnes hospitalisées pour le covid.

Par ailleurs, une étude de septembre 2021 de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) du ministère de la Santé montre que 5 700 lits d’hospitalisation complète ont été supprimés et 25 établissements publics et privés ont fermé en 2020. Cette tendance, confirmée depuis des années, s’est maintenue malgré la crise sanitaire [8].

Donc si l’hôpital est en difficulté, ce ne serait pas moins à cause de la pandémie qu’en raison d’une carence de personnel.

En outre, il n’est pas permis de connaître le nombre total de personnes hospitalisées en France qui serait d’environ 60 000 personnes (les personnes hospitalisées pour covid-19 représentant à peu près 50 % du total des hospitalisation entre le 20 janvier et 10 février 2022 selon le site Santé publique France).

S’agissant des lits de réanimation, il s’avère qu’à la date du 10 janvier 2022, 3 904 places étaient occupées [9]. Toutefois, cela ne veut pas dire que tous ces lits sont occupés par des personnes atteintes du Covid 19. En effet, même si de nombreux médias, et le Gouvernement en premier, semblent prendre ce chiffre au pied de la lettre, il est précisé qu’il s’agit du nombre de personnes en soins critiques dont réanimation avec Covid 19.

A ce titre, il est permis de constater, selon la DREES, que le taux d’occupation des lits de réanimation par des personnes ayant le covid-19 a été de 34 % en février 2021.

De même, il pourrait être souligné l’absence de distinction dans la statistique publique entre les hospitalisés « pour Covid » et ceux « avec le Covid » (c’est-à-dire, les personnes hospitalisées pour un autre motif ayant été testés positifs après leur entrée à l’hôpital) [10]. Ce faisant, parmi l’ensemble des patients Covid-19, la part des patients admis à l’hôpital pour un autre motif que le Covid-19 (mais porteurs du SARS-CoV-2) a pu atteindre jusqu’à un tiers des patients.

Enfin, selon une étude de la DREES du 28 janvier 2022, le risque de décès hospitalier suite à une infection Covid est de respectivement 0,2% (Delta) et 0.06% (Omicron) pour les moins de 60 ans, qu’ils soient ou non vaccinés.

Il apparaît, de toute évidence, nettement « risqué » pour une personne de 80 ans complètement vaccinée (1% de risque de décès avec Omicron, 4% avec Delta) de contracter le covid-19 que pour une personne de moins de 60 ans non vaccinée.

Il est donc légitimement permis de s’interroger sur l’intérêt réel de l’instauration d’un passe vaccinal, c’est-à-dire d’une obligation vaccinale généralisée pour toutes les personnes de moins de 60 ans qui souhaitent accéder aux lieux de sociabilisation.

Ainsi, il n’aurait pas été impossible pour le Conseil constitutionnel, sans dépasser son contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, d’apprécier de manière critique les données présentées par le Gouvernement visant à remplacer le passe sanitaire par le passe vaccinale pour limiter la propagation de l’épidémie.

Dans la mesure où les données scientifiques disponibles permettent de constater que les personnes vaccinées peuvent contracter et transmettre aussi bien le covid-19 que des personnes non-vaccinées (même si le vaccin réduit les formes graves pour les personnes de plus de 60 ans), la seule vraie mesure sanitaire aurait été d’exclure la présentation d’un schéma vaccinal complet comme un moyen d’accéder aux lieux recevant du public et de généraliser la présentation d’un test négatif.

En troisième lieu, si cette solution n’a pas été retenue c’est que la vraie motivation de l’instauration du passe vaccinal résulte de l’objectif d’incitation, voire de l’obligation déguisée à la vaccination.

Cette incitation à la vaccination a été clairement assumé par le Gouvernement comme étant un objectif de l’instauration du passe vaccinal au titre de la présentation du projet de loi.

L’étude d’impact relative au projet de loi du 27 décembre 2021 signale dans son article 2.2 « Objectifs poursuivis » que « la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal pour l’accès à certains établissements et activités doit permettre, d’une part, de réduire le risque que des personnes infectées se rendent dans ces lieux à forts risques de contamination et, d’autre part, encourager les personnes non vaccinées à s’engager dans un parcours vaccinal, alors qu’elles concentrent les risques d’hospitalisation, en soins critiques particulièrement. » et à son article 3.1 « options envisagées » «  A ce stade, l’incitation à la vaccination , y compris avec rappel pour les personnes qui y sont éligibles,à travers la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal apparaît comme l’outil adapté, cohérent avec la stratégie jusque-là poursuivie et qui a montré son efficacité, et qui correspond d’ailleurs au choix retenu par plusieurs de nos pays voisins. »

Ce faisant, dans son avis du 26 décembre 2021 sus-mentionné, le Conseil d’État s’interroge sur la nécessité et la proportionnalité du « passe vaccinal » en tant que tel.

Il relève que si l’impossibilité d’accéder à ces activités au bénéfice du seul résultat négatif d’un examen de dépistage virologique ne peut par elle-même se justifier par l’objectif de limiter le risque de transmission par la personne concernée, celle-ci contribue en revanche à l’objectif énoncé précédemment de limiter le risque de voir la personne développer la maladie, y compris une forme sévère de celle-ci, ainsi qu’à l’objectif indirect d’incitation à la vaccination [11].

Toutefois, il doit être relevé une contradiction de principe en ce que, dans son avis précédent du 19 juillet 2021 sur projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire (n° 403.629), le Conseil d’État avait bien justifié que l’instauration d’un passe sanitaire ne devait pas conduire à un objectif d’incitation à la vaccination :
« 13. Le Conseil d’État souligne ainsi que l’application du « passe sanitaire » à chacune des activités pour lesquelles il est envisagé de l’appliquer doit être justifiée par l’intérêt spécifique de la mesure pour limiter la propagation de l’épidémie, au vu des critères mentionnés précédemment et non par un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner. »

Pourtant, et de manière surprenante, cet objectif d’incitation à la vaccination est absent des considérants de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 2022.

En quatrième lieu, en dehors du cas des personnes travaillant dans les lieux où est exigé le passe vaccinal, se pose un autre problème dont il a assez peu été question : celui des transports interrégionaux et des séminaires professionnels.

Sous l’ancien régime du passe sanitaire, il était possible pour des professionnels non-vaccinés de se soumettre à un test avant d’entrer dans un train ou se rendre à un séminaire professionnel.

Sous l’empire du nouveau régime, cette solution devient impossible.

Or, il apparaît qu’un certain nombre de professions, dont les avocats, doivent justement pouvoir se déplacer sur des longues distances ainsi que de se rendre à séminaire ou salon.

Il est à constater que cette nouvelle loi ne permet aucune dérogation pour ces professionnels ce qui a pour conséquence de limiter sérieusement leur capacité d’exercer leur métier.

Le Conseil constitutionnel ne s’est manifestement pas prononcé sur ce point précis ce qui hypothèque toute chance de pouvoir le saisir à nouveau dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

En effet, la QPC n’est recevable que dans la mesure où l’article législatif, dont il est soulevé l’inconstitutionnalité, n’ait pas déjà été déclaré conforme à la Constitution. Or, et dès lors qu’il a été effectivement examiné par le Conseil constitutionnel dans les motifs de sa décision, et déclaré conforme dans le dispositif, le Conseil constitutionnel est réputé avoir nécessairement examiné toutes les dispositions, quand bien même certaines d’entre elles n’ont pas fait l’objet d’une motivation expresse [12] La circonstance qu’il ne se soit pas explicitement prononcé sur le grief invoqué aux termes de la question prioritaire de constitutionnalité est donc indifférente [13].

C’est d’ailleurs que qu’a pu rappeler le Conseil d’État, dans une récente ordonnance, portant justement sur les déplacements interrégionaux pour les avocats :
« 7. Par suite, et alors même que le Conseil constitutionnel ne s’est pas expressément prononcé sur le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable, dont il n’était pas saisi, le moyen tiré de ce que les dispositions précitées de la loi du 22 janvier 2022 porteraient atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit doit être écarté, sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée. » [14]

Par cette même ordonnance, le Conseil d’Etat a pu souligner que l’exception d’urgence pouvait être valable pour les avocats « pour les convocations administratives et judiciaires » et les justiciables « pour les déplacements pour se rendre chez un professionnel du droit » mais uniquement si le rendez-vous était fixé à une échéance suffisamment brève pour l’empêcher de « soit pour réaliser un schéma vaccinal complet, soit pour organiser son déplacement selon d’autres modalités. »

Cette décision est grave à au moins deux titres :

D’une part, il est rappelé que la vaccination n’est pas une obligation légale pour les personnes ne travaillant sur un lieu soumis au passe vaccinal. Or, cette décision conduit à admettre une extension de l’obligation vaccinal en dehors de son champ d’application.

D’autre part, il ressort parfaitement du considérant 4 de la décision du Conseil constitutionnel, susvisée du 24 janvier 2022, que les parlementaires l’ont justement saisi de cette question et qu’aucune réponse n’a été apporté sur ce point :

« 4. Au soutien de ces griefs, les députés requérants […] estiment également que le « motif impérieux d’ordre familial ou de santé » qui permet, par exception, d’accéder aux transports publics interrégionaux sans présenter un justificatif de statut vaccinal serait imprécis et trop restrictif, en particulier pour les déplacements de ces mineurs et les déplacements professionnels. »

Or, et à ce jour, la carence du Conseil constitutionnel a induit un pseudo vide juridique qu’aucun recours ne permet de palier et qui affecte pourtant non seulement à la liberté d’aller et de venir, mais aussi à la liberté d’entreprendre et à la liberté du travail.

II- Du risque de permettre des contrôles généralisés.

Le projet de loi permet aux personnes chargées du contrôle du passe sanitaire et du passe vaccinal, en cas de doute sur ces documents, d’exiger la présentation d’un document officiel d’identité

Le Conseil constitutionnel valide ce dispositif permettant le contrôle d’identité des détenteurs du passe, avec uniquement une réserve sur l’interdiction des contrôles discriminatoires !

Après avoir rappelé la jurisprudence fondamentale selon laquelle il est interdit de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale notamment [15], le Conseil constitutionnel énonce que les dispositions contestées permettent seulement à l’exploitant d’un lieu soumis au passe de demander à la personne qui souhaite y accéder de présenter un document officiel comportant sa photographie. Selon lui, il n’y a donc pas de délégation de compétences de police administrative générale inhérente à l’exercice de la force publique.

« 38. Le paragraphe I de l’article 1er complète le B du paragraphe II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 afin de permettre aux personnes et services autorisés à contrôler la détention d’un « passe » vaccinal ou sanitaire de demander à son détenteur la production d’un document officiel comportant sa photographie lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que le document présenté ne se rattache pas à la personne qui le présente.[..]

41. Les dispositions contestées se bornent à permettre à l’exploitant d’un lieu dont l’accès est soumis à la présentation d’un « passe » vaccinal ou sanitaire de demander à une personne qui souhaite y accéder de produire un document officiel comportant sa photographie, aux seules fins de vérifier la concordance entre les éléments d’identité mentionnés sur ces documents. Le refus de la personne de produire un tel document ne peut avoir pour autre conséquence que l’impossibilité pour elle d’accéder à ce lieu.

42. Dès lors, les dispositions contestées ne délèguent pas des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences découlant de l’article 12 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté. »

Certes, le Conseil d’État relève que diverses dispositions législatives et réglementaires prévoient déjà la vérification par les professionnels de l’identité de leurs clients, en particulier en ce qui relève du paiement par chèque (article L. 131-15 du code monétaire et financier), les transactions bancaires [16], la vente de boissons alcooliques dans les débits de boissons [17], l’accès aux salles de jeux dans les casinos [18] ou les compagnies aériennes [19].

Toutefois, il est souligné qu’ :

En premier lieu, par son avis du 19 juillet 2021 (n° 403.629), le Conseil d’État avait formellement signalé que :
« Le Conseil d’État considère, en conséquence, que les enjeux sanitaires doivent être mis en balance avec les conséquences de la mesure pour les personnes vaccinées et non vaccinées ainsi que pour les professionnels concernés. Dans cette appréciation, il prend notamment en compte le fait que l’application du dispositif :
[…]- ne porte pas au droit des intéressés au respect de leur vie privée, une atteinte disproportionnée en particulier en les contraignant à révéler une précédente contamination ou à dévoiler très fréquemment leur identité dans les activités de la vie quotidienne
 ; » (Point 13)

De même, le Conseil constitutionnel avait retenu l’impossibilité d’un contrôle d’identité par d’autres personnes que les forces de l’ordre :
« 45. En cinquième lieu, le contrôle de la détention d’un des documents nécessaires pour accéder à un lieu, établissement, service ou événements ne peut être réalisé que par les forces de l’ordre ou par les exploitants de ces lieux, établissements, services ou événements. En outre, la présentation de ces documents est réalisée sous une forme ne permettant pas « d’en connaître la nature » et ne s’accompagne d’une présentation de documents d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre.  » [20]

Dans le cadre de l’examen du projet de loi, la Défenseure des droits a également pu souligner toutes ses inquiétudes quant à la généralisation de ce contrôle d’identité :
« La Défenseure des droits réitère ses inquiétudes concernant le choix de confier à des entreprises publiques et privées une forme de pouvoir de police quant au contrôle du passe vaccinal qui vise l’ensemble de la population qui souhaiterait accéder à un ensemble de biens et services et d’activités de la vie quotidienne.

Si l’objectif des dispositions est de lutter contre la fraude, d’une part, la Défenseure des droits n’est pas convaincue qu’un tel dispositif confié au libre arbitre de personnes privées non formées à cette fin permette de le poursuivre et soit efficace, d’autre part, elle est d’avis que ce contrôle devrait relever de la responsabilité des autorités publiques, notamment des forces de sécurité, compte tenu de l’objectif poursuivi et des risques inhérents à l’exercice d’une telle prérogative.

La Défenseure des droits tient en outre à relever que de telles vérifications peuvent présenter le risque d’être opérées de manière discriminatoire, celles-ci n’étant pas systématiques mais effectuées à la discrétion de la personne en charge du contrôle (« Il peut être procédé à la vérification (…) »). » [21]

Il convient de rappeler, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a toujours souligné que la mise en œuvre de des contrôles d’identité devait être confié à des autorités de police judiciaire et qu’il devait « s’opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes ». [22]

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs sanctionné un élargissement de l’habilitation des contrôles d’identité aux agents de police judiciaire adjoints et les agents de police municipale en exposant qu’en application de l’article 66 de la Constitution impose que la police judiciaire soit placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire [23].

Aussi, dans une décision concernant une loi relative aux contrôles et vérifications d’identité, le Conseil constitutionnel énonçait que « Considérant que la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle ; que toutefois la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ; que s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ; que ce n’est que sous cette réserve d’interprétation que le législateur peut être regardé comme n’ayant pas privé de garanties légales l’existence de libertés constitutionnellement garanties ; » [24].

De son côté, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), a pu souligner que les contrôles d’identité liés au passe sanitaire, s’il devait y en avoir, devait être encadrés par la loi et proportionnés aux risques, et avait appelé à une grande vigilance sur un dispositif qui conduirait à une multiplication de contrôles d’identité sur tout le territoire [25].

En deuxième lieu, s’agissant du contrôle par les compagnies aériennes, il est intéressant de relever que le Conseil d’État a fondé son avis sur des articles abrogés par l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020, à savoir les articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Si le fond de ces articles a été repris par le nouveau code, il est souligné le manque de vigilance du Conseil d’État.

Ce faisant, le principe de la responsabilité du transporteur les obligeant à prendre les précautions nécessaires au point d’embarquement pour s’assurer que les passagers sont en possession des documents prescrits par les États de transit et de destination résulte d’engagement internationaux [26] transposé aux articles L821-6 à L821-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. A tout le moins, « Il ne s’agit pas d’un contrôle d’identité, qui relève de la compétence exclusive d’un fonctionnaire de police, lequel est habilité à utiliser des moyens approfondis tels que la consultation du fichier des personnes recherchées ou la coercition. » [27]

Le Conseil constitutionnel a surtout insisté sur les limites des obligations imposées aux transporteurs aériens qui « n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique » (Cons. const., 25 févr. 1992 , n° 92-307 DC). Pour cette raison, la loi impose seulement de vérifier que l’étranger est muni des documents de voyage et des visas requis et que ceux-ci ne comportent pas d’éléments d’irrégularité manifeste décelables, selon une formule invariable, « par un examen normalement attentif des agents de l’entreprise de transport » (CAA Paris, 4ème chambre, 29 décembre 2020, n°19PA01411).

Cette position a, par la suite, été nuancée pour autoriser des agents de police judiciaire adjoints, des militaires volontaires et réservistes opérationnels de la gendarmerie nationale, des membres de la réserve civile de la police nationale et des adjoints de sécurité à constater des contraventions qui ne nécessitent pas d’actes d’enquête. La même possibilité a été reconnue à des agents assermentés de services de transport, à leurs sous-traitants et aux services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP lorsque les contraventions sont commises dans les véhicules et emprises immobilières de ces services de transport. Le Conseil n’a pas estimé que ces prérogatives contrevenaient aux exigences de l’article 66 de la Constitution [28].

Le Conseil constitutionnel a en revanche considéré que les contrôles généralisés et discrétionnaires ont été jugés incompatibles avec la liberté d’aller et de venir [29].

En troisième lieu, s’agissant des contrôles des chèques, des débits de boisson ou des casinos, il est à souligner que :

D’une part, et à notre connaissance, ces dispositions n’ont jamais fait l’objet d’un contrôle par le Juge constitutionnel.

D’autre part, ces procédures de vérifications sont assez rares et n’ont pas vocation à être généralisées dans le cadre des actes de la vie quotidienne.

Ainsi, dans le cas du paiement par chèque, le créditeur est autorisé à vérifier l’identité du présentateur. Ce faisant, il convient de souligner que ces contrôles sont assez théoriques et surtout n’ont pas vocation a être généralisés dans la vie quotidienne des administrés.

En effet, outre le fait que le paiement par chèque se rarifie, celui-ci n’exclut pas l’utilisation d’un autre mode de paiement. D’ailleurs, la plupart des personnes utilise le paiement par chèques dans le cadre d’un versement adressé par la poste où par définition aucun contrôle d’identité n’est effectué.

Dans le cadre des débits de boisson, il s’agit avant tout de vérifier l’âge de la personne concernée, et non son identité. Ainsi les articles L. 3342-1 et L. 3342-2 du Code de la santé publique régissant le contrôle des consommateurs mineurs dans un débit de boissons ne peuvent permettre un contrôle général de tous les consommateurs d’un débit de boissons Il est également signalé que ce contrôle est particulièrement rarissime pour une personne adulte.

Enfin, dans le cas des casinos, il s’agit également de filtrer les mineurs, mais aussi et surtout les personnes interdites de casino et de lutter contre l’addiction aux jeux. Toutefois, soulignons que le souci de rentrée dans un casino ne constitue pas une démarche quotidienne du français moyen.

En quatrième lieu, le contrôle la production d’un document officiel lors du contrôle de la détention du « passe vaccinal » serait constitutionnel en ce que d’une part, il ne serait effectué que « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que le document présenté ne se rattache pas à la personne qui le présente » et que, d’autre part, « le refus de la personne de produire un tel document ne peut avoir pour autre conséquence que l’impossibilité pour elle d’accéder à ce lieu. »

Or, cette double condition soulève les questions suivantes :

D’une part, quelles sont les « raisons sérieuses de penser que le document présenté ne se rattache pas à la personne qui le présente » ? comment la présentation d’un QR code valable pourrait conduire une personne à considérer que celui-ci ne serait pas celui de la personne qui le présente ?

Soit ce contrôle se fonde sur volonté aléatoire ou systématique, mais dans ce cas précis, la personne habilitée de se conformerait à l’exigence des « raisons sérieuses » de penser que le passe vaccinal n’est pas celui de la personne qui le présente.

Soit ce contrôle est discriminatoire en ce qu’il se fonde sur des raisons qui tiennent à la personne détentrice du passe vaccinal et non pas à l’exigence de « raisons sérieuse ».

D’autre part, le fait que le Conseil constitutionnel valide ce contrôle d’identité en soulignant qu’il n’a d’autre sanction que le refus d’accès au lieu pose également un problème en ce qu’il repose sur un raisonnement applicable à l’accès des casinos ou aux débits de boisson pour les mineurs.

Or, comme nous l’avons exposé ci-avant, ces contrôles ne sont pas censés s’appliquer sur des actes du quotidien.

Par définition, le passe vaccinal a vocation à s’appliquer sur tous les lieux de vie (restaurant, théâtre, transport interrégionaux…) et a donc une vocation générale.

Ce faisant, et logiquement, le raisonnement du Conseil constitutionnel, quant à l’absence de garde-fou sérieux quant au contrôle d’identité, conduit à ouvrir la voie putative à un contrôle généralisé de l’identité des citoyens par des personnes autre que les forces de l’ordre.

Ainsi, il nous semble que jamais une telle brèche n’avait été permise dans la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel.

III- Des réserves exprimées par le Conseil de l’Europe.

Au niveau européen, il apparait bien que l’instauration d’un passe vaccinal ait fait l’objet de nombreuses réserves.

Ainsi, le Conseil de l’Europe, dans un document d’information du 31 mars 2021 « Protection des droits de l’homme et pass vaccinal » a entendu signaler aux gouvernements européens les normes pertinentes en matière de respect des droits de l’homme pour aborder la question du passe vaccinal :
«  En revanche, l’utilisation éventuelle de certificats de vaccination, comme celle de données relatives à l’immunisation, à des fins autres que strictement médicales, par exemple pour donner aux personnes concernées un accès exclusif à des droits, services ou lieux publics, soulève de nombreuses questions de respect des droits de l’homme. Cela doit être considéré avec la plus grande prudence. En effet, une telle utilisation pourrait empêcher la jouissance de certains droits fondamentaux par des individus, voire par une grande partie de la population, qui ne disposeraient pas d’un tel certificat ou ne pourraient justifier d’une immunisation. Outre le risque de discrimination en matière de droit à la liberté de mouvement, cette approche d’accès exclusif pourrait avoir des conséquences sur la jouissance d’autres droits et libertés fondamentaux, tels que, par exemple, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à la liberté de réunion ou le droit à la liberté de religion, et elle pourrait poser des risques de discrimination, voire de stigmatisation ou d’arbitraire en matière notamment d’accès à l’emploi, au logement ou à l’éducation. »

Déjà à l’époque, et prudent, le Conseil de l’Europe a ajouté qu’ « On ne peut, par ailleurs, perdre de vue, comme cela a été rappelé par l’OMS en février 2021, qu’il reste de nombreuses inconnues sur le plan scientifique concernant la capacité des vaccins contre la COVID-19 à limiter la transmission ou la durée de la protection apportée par la vaccination. Il est donc difficile d’évaluer à ce stade avec suffisamment de précision la réalité des risques de transmission que présenterait une personne vaccinée. »

Et de conclure : « L’utilisation de cette même certification ou de données relatives à l’immunisation pour accorder un accès privilégié et exclusif à des droits, crée des risques de discrimination et d’arbitraire. »

La déclaration sur les considérations relatives aux droits de l’homme concernant le Passe vaccinal et les documents similaires du Comité de Bioéthique (DH-Bio) du Conseil de l’Europe du 4 mai 2021 précise :
« Les vaccins sont des interventions essentielles en matière de santé publique car ils réduisent l’incidence de la maladie dans la population en offrant une protection aux individus et, selon le mode d’action du vaccin, infléchit la courbe de transmission au sein de la communauté en évitant que la personne concernée soit affectée par la COVID-19, mais également en limitant la possibilité que cette personne transmette le virus responsable à d’autres. La vaccination peut être une illustration du lien indissociable entre droits de l’Homme – dans ce cas le droit à la protection de la santé – responsabilité – à savoir celle de protéger ceux qui ne peuvent bénéficier d’une vaccination – et solidarité – en tant qu’intervention réalisée pour un bénéfice de santé publique.

L’utilisation de « pass » à des fins non-médicales serait susceptible de porter atteinte à ce lien fondamental entre droits de l’Homme, responsabilité et solidarité, si essentiel dans la gestion des risques sanitaires auxquels toutes nos sociétés sont confrontées. La santé publique et l’approche collective de la compréhension et de la gestion des risques sanitaires pourraient être supplantée par une approche individualisée du risque susceptible d’accroître les inégalités déjà exacerbées par la pandémie.

Au-delà des implications en matière de droits de l’Homme, cette utilisation pourrait également avoir des conséquences sociales et politiques non intentionnelles. Certains peuvent considérer qu’elle pourrait créer une motivation à se faire vacciner, réduisant ainsi l’impact de la pandémie. Cependant, elle est susceptible d’avoir également d’autres conséquences, telles que la diminution de la confiance dans la politique de santé définie par les autorités nationales ainsi que de la confiance dans les vaccins, si elle est perçue comme un moyen indirect d’imposer la vaccination . »

En conséquence, le Conseil constitutionnel a sans doute manqué à son contrôle de l’erreur manifeste en validant, sans condition, l’instauration généralisée d’un passe vaccinal pour l’accès aux lieux de vie.

La mise sur un piédestal de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et les restrictions inédites des libertés fondamentales, qui devraient au contraire être protégées « coûte que coûte », est à mettre en parallèle avec la décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021.

En conclusion, il nous apparait que la décision commentée du Conseil constitutionnel pose un certain nombre de questions quant à sa conformité réelle à la Constitution.

S’il peut être entendu que le Juge constitutionnel n’ait pas souhaité remettre en question l’opportunité d’une décision gouvernementale et législative, il aurait été mieux avisé d’imposer de sérieuses limites.

Or, cela n’est pas le cas !

La préservation de la santé publique est en effet un souci légitime qu’il convient de sauvegarder cependant que les libertés fondamentales ne le sont pas moins.

L’absence de contrôle sérieux par le Conseil constitutionnel d’une loi limitant aussi fortement les libertés fondamentales des citoyens doit conduire à se poser des questions légitimes sur l’avenir.

Selon une approche panoramique, l’instauration d’un passe vaccinal dans ces circonstances motive, en considération de l’ensemble des données exposées ci-avant, l’expression des plus redoutables craintes à l’égard de (du) :
- Son efficacité réelle en termes sanitaires ;
- Son atteinte directe aux libertés et droits fondamentaux des citoyens ;
- L’efficience de nos juridictions dans l’exercice de leur devoir du contrôle indépendant ;
- Risque gravissime d’une pérennisation et/ou d’une réitération de mesures d’exception ;
- L’ambigüité du raisonnement développé à son soutien.

Le premier dispositif du passe sanitaire devait s’interrompre le 15 novembre 2021 avant d’être prolongé au 31 juillet 2021. Il s’agit donc d’une mesure temporaire qui dure et qui pourrait être encore prolongée. Ensuite, un prochain gouvernement pourrait parfaitement invoquer les décisions du Conseil constitutionnel pour appliquer un passe sanitaire et/ou vaccinal en fonction d’une autre maladie existante ou à venir.

Enfin, il ne serait pas absurde de penser qu’une autre urgence, par exemple environnementale, ne puisse être utilisée pour restreindre, à l’avenir, de nouveau les libertés fondamentales.

Selon la pensée attribuée à Albert Camus : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde »

Aymard de la Ferté-Sénectère et Jacques Buès Avocats associés AARPI Buès et Associé 126, boulevard Haussmann 75008 Paris Courriel : cabinet@bues-associes.eu

[1Cons. Const., décision 2022-835 DC du 22 janvier 2022

[2Cons. const. 6 juill. 2018, n° 2018-717/718 QPC, § 7

[3Passe vaccinal : les 5 points d’alerte de la Défenseure des droits, 6 janvier 2022

[4Avis de la Défenseure des droits n°22-01, 4 janvier 2022 étant rappelé l’avis n°21-11 du 20 juillet 2021

[5V. par ex. Carlos Franco-Paredes, Transmissibility of SARS-CoV-2 among fully vaccinated individuals, The Lancet, Janvier 2022

[7Avis du Conseil scientifique du 5 octobre 2021, feuillet 29

[11CE, avis, 26 décembre 2021, n°404.676, point 10

[12Cons. const. 17 mars 2011, Épx B., no 2010-104 QPC § 4 et Cons. const. 21 juill. 2017, Alexis K. et a., no 2017-646/647 QPC § 6.

[13CE, 19 mai 2010, Commune de Buc, n° 330310, p. 169

[14CE, Ord, 10 février 2022, N°s 460801, 461012

[15CE, Ass., 17 juin 1932, ville de Castelnaudary, n° 12045

[16article L. 561-5 du code monétaire et financier

[17article L. 3342-1 du code de la santé publique

[18Article R. 321-27 du code de la sécurité intérieure.

[19Articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

[20Décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, point 45

[21Avis du Défenseur des droits n°22-01, 4 janvier 2022, précité

[22Con. Const., 24 janvier 2017, n° 2016-606/607 QPC, §26

[23Cons. const., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, § 60, 77 et 78

[24Con. Const.,, 5 août 1993, n° 93-323 DC

[25CNIL, Délibération n° 2021-067 du 7 juin 2021, §26 et 27

[26Annexe 9 de la convention de Chicago, ratifiée par la France depuis le 13 novembre 1946 et article 26 de la convention de Schengen

[27AN, Question écrite avec réponse n° 20375, 8 avril 2008

[28Cons. const., 11 mai 2020, n° 2020-800 QPC, préc. n° 55, cons. 54 à 56

[29Cons. const., 1er déc. 2017, n° 2017-677 QPC