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Convention de forfait-jour annuel inopposable et paiement des heures supplémentaires. Par Grégory Chatynski, Juriste.
Parution : mardi 1er mars 2022
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Il est de jurisprudence désormais constante qu’en cas d’irrégularités affectant la convention de forfait-jour (absence d’entretien annuel …), le salarié peut revendiquer le paiement d’heures supplémentaires, s’il en a réalisé, selon les modes de preuve de droit commun [1].

Si les nombreux arrêts de la Cour de Cassation, dont certains très récents, sont très favorables au salarié, jusqu’à s’extraire de toute réalité de terrain, il n’en reste pas moins que certains juges du fond ont conscience de la nécessité pour le salarié d’étayer de façon très sérieuse l’accomplissement supposé d’heures supplémentaires.

Focus sur un arrêt pragmatique de la Cour d’appel de Metz [2], qu’il convient de saluer.

Avant d’évoquer cet arrêt, rappels du contexte juridique, non exhaustif, sur la convention de forfait-jour et ses fragilités, ainsi que sur la preuve des heures supplémentaires.

1. Sur la convention de forfait-jour.

La convention de forfait-jour n’est valable que si sont respectées certaines conditions :

Condition 1 : le salarié doit disposer d’une autonomie réelle dans la gestion de son emploi du temps

En effet, aux termes de l’article L3121-58 du Code du travail : « Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l’année, dans la limite du nombre de jours fixé en application du 3° du I de l’article L3121-64 :
1° Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées
 ».

Attention : autonomie ne rime pas avec liberté de s’extraire « de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur ». Si l’employeur organise le travail, les salariés bénéficiant d’une « autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps » [3] doivent pour autant s’inscrire dans le fonctionnement de l’entreprise.

« Une convention individuelle de forfait annuel en jours n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction » [4].

Condition 2 : Un accord collectif doit être le support juridique de cette convention de forfait-jour.

L’article L3121-63 du Code du travail énonce : « les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année sont mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ».

Condition 3 : la convention de forfait-jour doit indiquer le nombre de jours annuels travaillés.

Condition 4 : L’employeur doit respecter les obligations visées aux articles L3121-60 et L3121-65 (I) du Code du travail.

L3121-60 : « l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ».

L3121-65 (I) : « 1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération
 ».

Si ces conditions ne sont pas respectées, les tribunaux prononcent la nullité, ou l’inopposabilité, de la clause de forfait-jour [5].

« En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’employeur n’avait pas organisé d’entretien annuel individuel pour chaque exercice, notamment 2010, 2012 et 2014, ce dont elle aurait dû déduire que la convention de forfait en jours était privée d’effet, la cour d’appel a violé les textes susvisés » [6].

La preuve repose sur l’employeur, débiteur des obligations susvisées :

« Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours ; qu’ayant relevé qu’il n’était pas établi par l’employeur que, dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, le salarié avait été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail, la cour d’appel, qui en a déduit que la convention de forfait en jours était sans effet, en sorte que le salarié était en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision » [7].

Ou encore :
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 février 2021, 19-13.454 : « En se déterminant ainsi, sans rechercher si, au cours de ces entretiens annuels, avaient été évoquées l’organisation et la charge de travail de la salariée ainsi que l’amplitude de ses journées d’activité et l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

A l’inverse, pour un salarié débouté parce que l’employeur avait mis en place un « entretien annuel (qui) réservait une partie tant à l’amplitude du travail qu’à la charge de travail et qu’il était suffisamment établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié avait pu y exprimer ses besoins, qu’il avait été écouté, et que des solutions avaient été recherchées et trouvées », de sorte que « l’employeur avait veillé à la surcharge de travail, y avait remédié et qu’était assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail » [8].

La conséquence de l’inapplicabilité de la convention de forfait-jour est claire : « la cour d’appel a retenu à bon droit que, la clause de forfait en jours étant nulle, la salariée pouvait prétendre à ce que les heures accomplies au-delà de la durée légale du travail soient considérées comme des heures supplémentaires et rémunérées comme telles, avec une majoration portant sur le salaire de base réel de la salariée, et que l’employeur n’était pas fondé à demander que la rémunération soit fixée sur la base du salaire minimum conventionnel » [9].

Après la première étape (nullité ou inopposabilité de la convention de forfait-jour), vient la seconde étape : demande de paiement d’heures supplémentaires.

2. Sur les heures supplémentaires.

Dans le cadre de cet article, ne sera étudiée que la question de la preuve des heures supplémentaires en lien avec la notion de forfait-jour. En effet, ce n’est pas parce que la convention est inapplicable pour des raisons juridiques qu’il n’y a pas une réalité (autonomie réelle du salarié, première condition de validité de la convention de forfait-jour) dont les tribunaux (CPH et CA) tiennent parfois compte.

Le salarié qui n’est donc plus soumis / bénéficiaire de la convention de forfait-jours a donc le champ libre pour solliciter le paiement d’heures supplémentaires.

Sur ce point spécifique de la charge de la preuve, le Code du travail déroge aux règles probatoires de droit commun :

Pour reprendre un alinéa très régulièrement repris par la Cour de cassation : « selon l’article L3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

Et, de jurisprudence constante, le juge ne peut se fonder sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié pour rejeter sa demande.

De très nombreux arrêts de la Cour de Cassation rappellent ce principe [10] ; [11] ; [12].

S’agissant des arrêts de 2022, la rédaction est constante :

« Vu l’article L3171-4 du Code du travail :

Aux termes de l’article L3171-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Enfin, selon l’article L3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ».

S’ensuit la cassation (rédaction selon les arrêts d’espèce) :

- « (…) Il retient qu’en définitive, l’appelant ne produit pas d’éléments assez précis pour étayer sa demande et permettre à l’employeur de fournir ses propres éléments. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé ».

- « L’arrêt retient qu’au vu de l’ensemble des éléments produits de part et d’autre, la preuve de l’existence d’heures supplémentaires au profit du salarié n’est pas rapportée. En statuant ainsi, la cour d’appel qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé ».

- « L’arrêt en déduit que les éléments produits par le salarié ne sont pas de nature à étayer ses prétentions. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations, d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé ».

- « l’arrêt retient que le salarié communique un décompte sous forme de tableau sur lequel il a reporté pour chaque jour travaillé du 3 janvier 2011 au 3 septembre 2017, ses heures de début et de fin de travail et son temps de pause-déjeuner en tenant exactement compte des arrêts maladie et des périodes de congés payés mais que ce décompte n’est confirmé par aucune attestation et qu’en outre le salarié verse aux débats plusieurs autres documents contredisant les horaires mentionnés dans le tableau. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations, d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé ».

Tous ces arrêts de cassation sont certes le signe d’une inexacte application des règles en vigueur par certaines Cour d’appel (sinon les arrêts ne seraient pas cassés), mais ils témoignent aussi d’une forme de résistance de ces Cours quant à l’appréciation in concreto et pragmatique de la réalité de l’accomplissement des heures supplémentaires demandées.

Car permettre à un salarié de se satisfaire d’un simple tableau récapitulatif d’heures pour les obtenir, au prétexte que le décompte du temps de travail repose sur l’employeur, peut sembler insatisfaisant :
- D’une part, le contexte du barème Macron, qui limite les dommages et intérêts en cas de licenciement abusif, a incité les salariés à revendiquer systématiquement le paiement d’heures supplémentaires (réellement accomplies ou non) afin d’alourdir l’enjeu financier du contentieux, quand il ne s’agit pas de demandes relatives au harcèlement moral (les salariés seraient-ils devenus tous victimes de harcèlement ?) afin d’éviter le plafonnement des dommages et intérêts liés au licenciement qui serait abusif ; le contentieux des heures supplémentaires systématisé peut ainsi apparaître artificiel et déconnecté d’une réalité, ce que certains conseils de prud’hommes et certaines cours ont compris ;
- D’autre part, la spécificité de l’autonomie du salarié, condition 1 de la validité de la convention de forfait-jour, rend particulièrement :
- douteuse la véracité d’un tableau rédigé a posteriori (au moment du contentieux), parfois plusieurs années après l’accomplissement supposé des heures supplémentaires demandées ;
- impossible l’exigence probatoire, reposant sur l’employeur, « d’éléments de contrôle de la durée du travail », pour reprendre les termes jurisprudentiels : l’employeur ne contrôle jamais la durée du travail d’un salarié au forfait-jour, puisque, par hypothèse, le salarié organise lui-même, en toute autonomie, son emploi du temps.
- Enfin, le salarié a le plus souvent un salaire majoré conventionnellement afin de compenser l’aléa horaire, sans perte de cet avantage en cas d’inopposabilité, judiciairement reconnue, de la convention de forfait-jour ; ainsi, l’accord national, révisé annuellement, sur les barèmes des appointements minimaux garantis des ingénieurs et cadres de la Métallurgie, indique-t-il, au titre du « barème pour un forfait en jours sur l’année » : « Le barème figurant à l’alinéa précédent inclut la majoration de 30% prévue, pour ce type de forfait, par l’article 14 de l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie, tel que modifié par l’avenant du 29 janvier 2000 ». Certes, cet avantage ne compense pas d’éventuelles « heures supplémentaires », mais il convient d’en tenir compte dans le cadre d’une évaluation d’ensemble de la situation du salarié.

Pour toutes ces raisons, certaines Cours d’appel ont une approche pragmatique d’une demande d’heures supplémentaires, après annulation d’une convention de forfait-jour.

Bien sûr, les arrêts précédemment cités, objets de la cassation.

Ou encore, la Cour d’appel de Limoges qui a rendu des décisions de même nature [13], cités dans mon article du 7 juin 2019 Annulation d’une clause de forfait-jour : le paiement d’heures supplémentaires n’a rien d’automatique !

Et de façon encore plus pragmatique : l’arrêt de la cour d’appel de Metz du 30 mars 2021 n° 18/01632.

3. L’arrêt de la cour d’appel de Metz du 30 mars 2021 n° 18/01632.

Cet arrêt est particulièrement éclairant sur la question de l’exigence du niveau de « preuve » requis pour l’accomplissement d’heures supplémentaires, dès lors que le forfait-jour est jugé sans effet.

En effet, l’employeur qui a conclu avec le salarié une convention de forfait-jour ne dispose pas d’élément déterminant relatif au contrôle hebdomadaire des temps, puisque ce besoin est inexistant dans un temps contemporain de l’accomplissement du travail sous forfait-jour. Il ne peut qu’expliquer, a posteriori et après contrôle judiciaire (annulation de la clause notamment), ce qu’a pu être le temps de travail du salarié pour les besoins de sa défense judiciaire.

C’est pourquoi l’ensemble des jurisprudences de la Cour de Cassation citées précédemment relative au degré de preuve requis associé à une demande d’heures supplémentaires sont contestables : considérer que le salarié « étaye » son dossier par des éléments relevant le plus souvent de la preuve à soi-même (tableau récapitulatif, agendas susceptibles d’être complétés a posteriori ...) par le seul constat que l’employeur ne démontre aucun « élément de contrôle de la durée du travail », qu’il est impossible d’obtenir au moment du procès, est manquer singulièrement de pragmatisme. Appliquer aveuglément une règle n’est pas nécessairement « rendre justice ».

En effet, il ne faut pas refaire le passé, et le droit de la preuve ne peut s’accommoder de théories, mais doit s’ancrer dans une réalité, avec un degré d’exigence spécifique.

La Cour d’appel de Metz l’a bien compris, en ces termes :

« Il résulte de l’article L3171-4 du Code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties, que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié et que le juge doit se déterminer au vu de ces éléments et de ceux produits par le salarié.

Le salarié étant en demande, il lui appartient néanmoins de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, tant sur l’existence des heures dont il revendique le paiement que sur leur quantum, à charge pour l’employeur de les contester ensuite en produisant ses propres éléments.

Ces éléments doivent être suffisamment sérieux et précis quant aux heures effectivement réalisées pour permettre à l’employeur d’y répondre.

En l’espèce, M. X produit un unique document, un tableau excel indiquant jour après jour, mois après mois, du 28 juillet 2014 au vendredi 31 mars 2017, une heure de début et de fin de travail le matin et la même chose l’après-midi, et la durée quotidienne de travail, à partir de laquelle il a calculé une durée hebdomadaire, en imputant selon le cas des heures supplémentaires au taux de 25 et 50%.

Ce tableau détermine ensuite le montant des heures supplémentaires dû mensuellement et le repos compensateur dû annuellement, au-delà du contingent de 130 heures prévu par la convention collective applicable.

M. X n’explique pas sur quelle base il a établi ce document, dont il ressort des horaires d’arrivée le matin variant dans une fourchette de 7h15 à 8h00, des pauses méridiennes d’une durée variable de 1 à 1h30 en moyenne et aussi des heures variables de départ le soir s’échelonnant de 17h30 à rarement plus de 18h30, représentant une amplitude journalière variant de 8 à rarement plus de 10 heures, et le fait que le salarié a toujours disposé de deux jours de repos consécutifs chaque semaine, le samedi et le dimanche.

Rappel étant fait que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, ce document est notoirement insuffisant à étayer sa demande, tant sur l’existence de ces heures que sur leur quantum, à défaut de tous autres éléments extérieurs au salarié ou même émanant de l’entreprise, tels des agendas, plannings de travail ou échange de mails par exemple, pouvant le rendre vraisemblable, notamment justifier comment M. X aurait pu, après son départ à la retraite, retracer aussi précisément tous ses horaires journaliers, cette seule précision ne suffisant pas en elle-même à fournir la preuve préalable qui lui incombe.

En l’occurrence, il doit être rappelé que M. X, en tant que cadre autonome et même cadre dirigeant puisqu’à partir de 2010, il a été responsable de l’unité de production de Folschviller où il était affecté, avait une totale liberté pour décider de l’organisation de ses tâches et de son temps de travail, en cette qualité de cadre et pas seulement en raison de la convention de forfait, sans que l’employeur ne dispose de moyen de contrôle des heures effectuées, le relevé hebdomadaire n’ayant porté que sur les jours travaillés, de sorte qu’il convient de se montrer particulièrement exigeant en matière de preuve de faits susceptibles d’étayer la demande, pour permettre à cet employeur de répondre en produisant ses propres éléments, or dans une telle situation, à défaut de tout élément extrinsèque au salarié venant conforter le seul document qu’il s’est établi à lui-même, il est impossible pour la société XX d’apporter des éléments contraires ».

Il s’en déduit que la seule production d’un simple tableau par un salarié, cadre disposant d’une autonomie d’organisation, visant à justifier son temps de travail, est jugée comme n’étayant pas suffisamment la demande judiciaire.

Cet arrêt d’espèce vient certes à l’encontre de certains arrêts de la Cour de Cassation, mais ce pragmatisme, et cette rigueur, sont à saluer.

Espérons que la Cour de cassation saura distinguer cette situation spécifique forfait-jour inapplicable / heures supplémentaires, nécessairement plus exigeante en matière probatoire, de la situation plus classique relative à la preuve des temps de travail hors forfait-jour.

Grégory Chatynski Responsable juridique droit social Ancien Conseiller prud\'homal Employeur, Industrie Conseiller prud\'homal Employeur, Encadrement (2023-2025)

[1Article L3171-4 du Code du travail.

[2Chambre sociale-section 1, 30 mars 2021, n° 18/01632, arrêt n° 21/00294.

[3Article L3121-58 du Code du travail susvisé.

[4Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 février 2022, 20-15.744.

[5Par exemples : Cass. Soc., 17 janvier 2018 n° 16-15.124 ; Cass. Soc., 6 novembre 2019 n° 18-19.752 ; Cass. Soc., 21 octobre 2020 n° 18-24.668 ; Cass. Soc. 10 mars 2021, n° 20-11.888 ; Cass. Soc., 24 mars 2021 n° 19-12.208 ; Cass. Soc., 13 octobre 2021 n° 19-20.561.

[6Cass. Soc., 9 février 2022 n° 20-18.602.

[7Cass. Soc., 19 décembre 2018 n° 17-18.725.

[8Cass. Soc., 16 février 2022 n° 19-17.871.

[9Cass. Soc., 17 novembre 2021 n° 19-16.756.

[10Par ex, en 2020 Cass. Soc., 18 mars 2020 n° 18-10.919 ; Cass. Soc., 3 juin 2020 n° 18-19.308 ; Cass. Soc., 8 juillet 2020 n° 18-20.293 et n° 18-26.385 ; Cass. Soc., 23 septembre 2020 n° 18-19.988 ; Cass. Soc., 21 octobre 2020 n° 18-26.697 ; Cass. Soc., 9 décembre 2020 n° 19-15.815.

[11Par ex, en 2021 : Cass. Soc., 29 septembre 2021 n° 20-12.973 ; Cass. Soc., 30 juin 2021 n° 19-23.319 ; Cass. Soc., 16 juin 2021 n° 19-25.051 ; Cass. Soc., 2 juin 2021 n° 19-17.475, n° 19-22.601 et n° 20-10.425 ; Cass. Soc., 19 mai 2021 n° 20-15.385 ; Cass. Soc., 3 mars 2021 n° 19-17.981 ; Cass. Soc., 17 février 2021 n° 18-15.972, n° 19-17.355 et n° 19-13.784 ; Cass. Soc., 6 janvier 2021 n° 19-22.849 et n° 19-13.866 ; Cass. Soc., 20 janvier 2021 n° 19-21.097 ; Cass. Soc., 7 juillet 2021 n° 19-23.475 et n° 19-24.901 ; Cass. Soc., 20 octobre 2021 n° 19-23.844 ; Cass. Soc., 8 septembre 2021 n° 19-25.502.

[12Par ex, en 2022 : Cass. Soc., 9 février 2022 n° 20-18.602, n° 20-18.529, n°20-13.711 et n° 20-12.518 ; Cass. Soc., 16 février 2022 n° 20-16.171.

[13Arrêt du 25 mars 2019, n° RG 18/00402 ; arrêt du 8 avril 2019, RG 18/00394.