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Quels recours contre les décisions statuant sur une fin de non-recevoir et sur la question de fond ? Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : mercredi 22 juin 2022
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Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 en attribuant ce nouveau pouvoir au Juge de la mise en état de statuer sur une fin de non-recevoir dont on sait qu’il est partagé avec le Conseiller de la mise en état par renvoi de l’article 907 du Code de Procédure Civile, les praticiens sont confrontés à de multiples questionnements traduits en incidents de procédure.

Si l’on comprend à l’évidence que le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, qu’en est-il du Conseiller de la mise en état lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond ?

C’est la question la plus délicate.

Elle suscite des interrogations pratiques.

En ajoutant un 6° dans l’énoncé de l’article 789 du Code de Procédure Civile, les rédacteurs pouvaient-ils imaginer déclencher un tel torrent de perplexité et d’interrogations ?

L’ordonnance du juge de la mise en état statuant sur une fin de non-recevoir et sur la question de fond a-t-elle autorité de la chose jugée ?

L’article 794 du Code de Procédure Civile dispose :

« Les ordonnances du juge de la mise en état n’ont pas, au principal, l’autorité de la chose jugée à l’exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir, sur les incidents mettant fin à l’instance et sur la question de fond tranchée en application des dispositions du 6° de l’article 789 ».

L’autorité de la chose jugée s’exprime tant au regard du dispositif qui a abordé la question de fond que de la fin de non-recevoir puisque le texte prévoit que le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l’ordonnance ou du jugement.

L’ordonnance du juge de la mise en état a autorité de la chose jugée qu’elle retienne ou non le moyen d’irrecevabilité.

Attention !

A défaut d’appel de l’ordonnance qui écarterait la fin de non-recevoir, celle-ci aurait autorité de la chose jugée.

Les parties ne peuvent donc pas compter sur le juge statuant au fond si elles n’ont pas formé de recours après que le juge de la mise en état ou la formation de jugement sur la question de fond a statué.

En effet, en cas d’absence de recours contre l’ordonnance qui écarte la fin de non-recevoir, celle-ci a autorité de la chose jugée et le Tribunal amené à statuer au fond ne peut plus la relever d’office quand bien même celle-ci serait d’ordre public.

L’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du juge de la mise en état prend le pas même sur le caractère d’ordre public de la fin de non-recevoir.

Le Conseiller de la mise en état peut-il connaître des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état ou par le Tribunal et de celles bien que n’ayant pas été tranchées en première instance le sont en appel ?

Les articles consacrés aux compétences du conseiller de la mise en état devant la cour n’ont pas été modifiés par le décret du 11 décembre 2019.

Seul l’article 907 du Code de procédure civile a fait l’objet d’une modification pour prévoir l’application des articles relatifs à la mise en état devant le tribunal devant la cour, soit les articles 780 à 807 dudit Code.

Cela pose la question du sort d’une fin de non-recevoir tranchée par le juge de la mise en état ou du Tribunal et du du sort d’une fin de non-recevoir qui n’a pas été jugée en première instance mais l’est en appel : recevabilité ou irrecevabilité ?

La combinaison de l’ensemble des dispositions des articles 907, 795 et 123 du Code de Procédure Civile autorise-t-elle le Conseiller de la mise en état à statuer sur une fin de non-recevoir déjà tranchée en première instance par le juge de la mise en état ou le Tribunal ce qui revient à donner à ce dernier le pouvoir de confirmer, infirmer ou annuler la décision du premier juge alors même que ce pouvoir n’est dévolu qu’à la cour en application de l’effet dévolutif de l’article 542 du Code de procédure civile ?

Doit-on au contraire considérer, par analogie avec le régime applicable aux exceptions de procédure, que l’étendue du pouvoir du conseiller de la mise en état en matière de fins de non-recevoir est limitée aux fins de non-recevoir soulevées pour la première fois en cause d’appel et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision du juge de la mise en état ou du tribunal ?

Par avis n°15008 du 3 juin 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a retenu :

« Le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge ».

Le conseiller de la mise en état n’est pas juge d’appel.

Il est exclusivement le juge des incidents nés au cours de la procédure d’appel.

En conséquence, il n’a pas le pouvoir de confirmer ou d’infirmer la décision du premier juge.

Il ne pourra donc être saisi d’une fin de non-recevoir et d’une question de fond sur laquelle le juge de la mise en état ou le premier juge aura déjà statué, ni d’une fin de non-recevoir qui n’aurait pas été jugée en première instance qui aurait des conséquences si elles étaient accueillies de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.

Ainsi seule la cour d’appel le peut en vertu de l’effet dévolutif.

Quand voudra-t-on entendre enfin les acteurs du procès avant d’engager une réforme ?

L’ajout de l’alinéa 6 aussi concis dans son énoncé par les rédacteurs du décret du 11 décembre 2019 à apporter de la confusion.

Le minimalisme procédural comme architectural se conçoit s’il est accompagné et s’il repose sur une base solide.

Assurément ce n’était pas le cas, s’agissant d’un conseiller de la mise en état dont on ne savait pas à quelle date il devenait compétent pour statuer sur des fins de non-recevoir au moyen d‘ordonnances dont on ne savait pas si elles avaient autorité de la chose jugée et contre lesquelles aucune voie de recours n’était prévue.

De là à comprendre quelles étaient exactement les fins de non-recevoir que le Conseiller de la mise en état pouvait trancher, c’était trop demander.

La compétence partagée du juge de la mise en état et du Conseiller de la mise en état sur des fin de non-recevoir et questions de fond ne fait que susciter des interrogations et a provoqué partout en France un maxi bazar.

Ce manque de précision qui n’est peut-être pas volontaire est néanmoins malheureux.

Nous ne pensons pas que le législateur, sournoisement ait entendu introduire une nouvelle chausse-trappe.

Mais ce faisant volontaire ou non, il a ouvert la porte à une autre sanction qui pourrait être la responsabilité des avocats.

Il est toutefois heureux de constater surtout que sur ces grandes questions, la deuxième chambre civile continue toujours à servir de boussole si ce n’est de pompier de service.

Car disons-le d’emblée, cet avis est d’une portée pratique considérable.

Le Conseiller de la mise état cela semble évident est donc juge des fins de non-recevoir non tranchées en première instance.

Il sera parfois incompétent si aucun juge n’a statué sur cette fin de non-recevoir en première instance.

L’avis le dit : son intervention ne doit pas avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi ou de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.

Comment peut-on en effet admettre l’idée d’un conseiller de la mise en état qui puisse juger de l’excès de pouvoir du premier juge ?

Comment peut-on en effet admettre l’idée d’un conseiller de la mise en état saisi d’un incident d’irrecevabilité d’un recours en révision qui puisse apprécier les conditions de son ouverture et qui l’amènerait à rétracter un arrêt d’appel ?

Comment un conseiller de la mise état qui qualifierait des demandes comme nouvelles devant la Cour et les jugeraient irrecevables ne remettrait-il pas en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge, ne serait-il pas amené à méconnaître les effets de l’appel ?

C’est sans doute la problématique qui sera la plus délicate à trancher pour les proches années à venir.

Dans la première hypothèse, certaines fins de non-recevoir non tranchées en première instance et qui pourraient a priori ressortir de ses attributions pourraient ne pas être de sa compétence tant elles intéressent l’action même des parties en première instance.

Pra exemple. On complique ainsi à l’envie les choses en s’interrogeant à l’aune des conditions posées par l’avis du 3 juin 2021 sur la possibilité pour l’appelant non comparant en première instance de saisir le conseiller de la mise en état d’une prescription de l’action ?

Dans la seconde hypothèse, certaines fins de non-recevoir qui ne relèvent à l’évidence pas de la première instance et qui pourraient a priori ressortir de ses attributions pourraient ne pas être de sa compétence tant elles touchent aux pouvoirs juridictionnels de la Cour.

Par exemple. On complique ainsi à l’envie les choses en s’interrogeant à l’aune des conditions posées par l’avis du 3 juin 2021 par exemple sur certaines fins de non-recevoir qui sont en effet spécifiques à l’appel.

On pense par exemple à l’irrecevabilité des demandes nouvelles en cause d’appel interdites par l’article 564 du Code de Procédure Civile ou à celles des conclusions qui ne précisent pas les mentions exigées par l’article 960 du Code de Procédure Civile.

On le voit que la révolution annoncée par l’attribution des fins de non-recevoir au juge de la mise en état ne s’étend surtout pas, compte tenu de la spécificité de l’appel au conseiller de la mise en état.

La chancellerie navigue à vue en procédure civile, il n’y a plus de pilote dans l’avion !

​Pour aller plus loin sur le sujet :
- La structuration des conclusions devant le tribunal judiciaire ;
- Focus sur le décret d’application du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile ;
- Guide pratique du décret d’application du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile ;
- Guide pratique du décret du 11 décembre 2019 : quels pièces et actes à produire devant le tribunal judiciaire par type de contentieux ;
- Avis n°15008 du 3 juin 2021 de la Deuxième Chambre Civile de la Cour de cassation.

Benoit Henry, Avocat Spécialiste de la Procédure d'Appel [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau Récamier Membre de Gemme-Médiation https://www.facebook.com/ReseauRecamier/