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[Interview] Droits des peines : un enjeux pour les avocats ? Réponse avec Laurence Roques.
Parution : mardi 9 août 2022
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Le CNB et sa Commission Libertés et droits de l’Homme ont adopté en décembre 2021 un plan prison fondé sur trois axes : l’avocat et la prison, les droits des détenus et la perception des centres pénitentiaires par le grand public.
Laurence Roques, qui préside cette commission chargée de mettre en œuvre le plan prison en détaille les objectifs et les contenus, ainsi que les enjeux en la matière pour les avocats. A ce titre elle précise que : « le droit de visite des prisons accordé aux bâtonniers est une avancée majeure ».

Interview initialement publiée dans la Revue Actus des Barreaux n°9.

Alain Baudin : Le plan prison du CNB préconise une formation des avocats pour leur permettre d’en appréhender les problématiques juridiques. Que prévoit-elle ?

"La formation de l’avocat aux droits à la peine va de pair avec celle du magistrat."

Laurence Roques : « Elle traite d’abord des droits à la peine. Très souvent, les pénalistes s’occupent en premier lieu de plaider la réalité de l’infraction et les circonstances atténuantes. Mais lorsqu’il s’agit de plaider la peine, peu sont au fait des peines alternatives à l’emprisonnement. Lorsqu’une personne est condamnée, le champ post sententiel, recouvrant l’exécution et l’application de la peine, relève d’un droit très technique devenu aujourd’hui d’actualité dans la mesure où le juge pénal se doit de l’individualiser. Cette formation de l’avocat aux droits à la peine va d’ailleurs de pair avec celle du magistrat ».

Pourquoi ce choix des droits à la peine dans le cadre d’une formation ?

« Ces droits et le post sententiel sont peu connus et ils ne concernent qu’une dizaine d’avocats car ils constituent une niche très restreinte. Bien que ces domaines soient ultra-techniques, ils ont cependant une incidence considérable sur la surpopulation carcérale. Savoir plaider les alternatives à la peine que les magistrats consentiront à prononcer, suivre leur exécution en tenant compte d’éventuels cumuls de peines et des possibilités de saisir le magistrat chargé de leur application puis accompagner les sorties sèches relèvent du rôle classique de l’avocat. Or, ce domaine est encore méconnu ».

Comment la formation va-t-elle se dérouler concrètement ?

"Il faut donc davantage promouvoir la formation auprès des barreaux (...)."

« Initiale, elle fait déjà partie des programmes d’enseignement des élèves-avocats. Amélie Morineau, notre experte en la matière au sein de la Commission LDH du CNB, la dispense d’ailleurs à Paris. L’École nationale de la magistrature l’a également instaurée. Mais ses déclinaisons sont insuffisantes dans les écoles d’avocats et quasiment inexistantes dans le cadre de la formation continue. Il faut donc davantage la promouvoir auprès des barreaux et sensibiliser les magistrats. Certes, ils ont été initialement formés mais on peut vite oublier ce qui semblait acquis si l’on n’est pas nommé à un premier poste de juge au pénal. Les magistrats n’ont par ailleurs aucune obligation à s’engager dans une formation continue dans l’éventualité de leur retour au pénal. Certains bien-sûr le font, malgré l’absence d’obligation ».

Vous envisagez aussi des formations par e-learning. Quels en sont les contenus ?

« Le e-learning s’appuie sur un parcours pédagogique de six modules ouverts aux avocats et nous sommes en train de le mettre en place. Il va débuter par le thème de l’arrivée en détention avant d’évoluer vers les droits des détenus, puis le rôle qui incombe à Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) et les possibilités de la saisir. L’une des phases du module consistera à indiquer aux avocats la manière dont ils peuvent la saisir. Les droits de la peine, les alternatives à la détention et le travail en détention, prévu par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, seront également abordés. Les formations courtes seront dispensées par vidéos et les plus longues, portant notamment sur les contentieux judiciaire et administratif se feront en partenariat avec l’Observatoire international des prisons (OIP). Les confrères pourront participer à celles qu’ils souhaitent ».

Vous semble-t-il pertinent que les droits à la peine deviennent une spécialité ?

« Cela peut être une question d’ordre politique susceptible d’amener le public à mieux les identifier mais également à poser un autre regard sur la prison. Ces droits sont liés en tout cas à un contentieux spécifique technique qui implique une réelle connaissance des procédures disciplinaires - elles-mêmes des procédures à part - et qui nécessite de bien connaître les prisons. D’où la nécessité d’élargir les formations à l’adresse des élèves avocats mais également en développant les possibilités de stages dans les maisons d’arrêt et les centres pénitentiaires. Nous y travaillons avec Laurent Ridel, l’actuel directeur de l’administration pénitentiaire (DAP) qui ne rejette pas l’idée que l’on puisse entrer dans les lieux de détention pour en voir le quotidien ».

Est-il à ce propos important pour vous de développer les relations avec les représentants des pouvoirs publics ?

"Notre entente est propice à une uniformisation des pratiques dans les lieux de privation de liberté (...)".

« Les prisons relèvent de l’autorité des pouvoirs publics car ce sont eux qui font appliquer les lois pénitentiaires adoptées au Parlement. Pouvoir les rencontrer est très important pour la profession. Béatrice Voss, ma prédécesseure à la Commission LDH au CNB, avait d’ailleurs initié des rendez-vous réguliers avec le DAP dont j’ai maintenant pris le relais. Ils ont lieu tous les trois mois et leur intérêt est de pouvoir échanger sur la mise en œuvre de la politique pénitentiaire et sur la surpopulation carcérale. Ils permettent surtout de lui faire part de dysfonctionnements concernant les droits des détenus, de lui exprimer les difficultés que les confrères rencontrent parfois avec l’administration pénitentiaire dans leur exercice professionnel ou enfin de mettre en œuvre des formations communes. Notre entente est propice à une uniformisation des pratiques dans les lieux de privation de liberté qui me paraît essentielle ».

Vous entretenez aussi des liens privilégiés avec la Contrôleure générale des prisons.

« Nous avons une relations d’échanges avec Dominique Simonnot. Ses rapports nous aident sur les contentieux et nous la tenons au fait des difficultés qui en alimentent les contenus. De par son expérience des lieux enfermement dont nous avons besoin, nous souhaitons pouvoir l’associer à la formation des bâtonniers auxquels la loi du 22 décembre 2021 ouvre un droit de visite dans les prisons. Leurs missions, complémentaires à celles de la CGLPL, ont pour buts de vérifier des conditions de vie quotidienne et de s’assurer que les détenus disposent d’un accès digne et efficient au droit et à l’exercice de leurs droits. C’est pour nous une avancée majeure qui officialise le droit de regard de représentants particuliers de la société civile dans le sens où ils sont avocats ».

Qu-est-ce qui explique le besoin de former les bâtonniers ?

« Exercer un droit de visite objectif dans l’intérêt d’un rapport ultérieur objectif, nous, avocats, ne savons pas forcément le faire. Qu-est-ce qu’on visite ? Que pouvons-nous visiter ? Comment se déroulent les visites ? À quel moment ? Ce sont autant de questions qui nous conduisent à proposer d’organiser des formations dans les barreaux. L’idée est encore d’associer notamment la CGLPL à la rédaction d’un guide, actuellement en préparation par la profession, qui apportera toutes les réponses nécessaires ».

Comment sensibiliser l’opinion publique au monde carcéral ?

"Nos idées sont d’autant plus complexes à concrétiser que le fantasme de la prison modèle persiste dans l’opinion publique (...)"

« Nous réfléchissons aux moyens que le permettraient. Une prison est par définition un lieu fermé et y sensibiliser le public paraît compliqué. Un colloque sur le sujet n’intéresserait guère que les avocats et les juristes. À une époque, il avait été question d’un parcours prison, inspiré de celui proposé dans une enceinte pénitentiaire désaffectée d’Avignon où des œuvres d’art étaient exposées au public dans des cellules vides. Il subsistait dans ce lieu vétuste resté en l’état des traces de vie de ceux qui y avaient été enfermés, encore empreintes de violences et de solitude. C’était impressionnant.
L’idée serait aussi d’organiser des concours de plaidoirie dans les prisons, mais compte tenu de ces lieux clos, elles ne seraient réservées qu’aux avocats et peut-être aux jurés. En élargir l’auditoire aux élèves de terminale des lycées en axant leur thème sur les lieux d’enfermement est une piste de réflexion que nous n’excluons pas. La revue « Dedans-Dehors » de l’OIP pourrait être en outre diffusée par abonnement dans les établissements scolaires dans le cadre d’une éducation populaire.

Nos idées sont d’autant plus complexes à concrétiser que le fantasme de la prison modèle persiste dans une opinion publique encore convaincue que les détenus sont bien traités. Avec la présidentielle, le sujet n’était pas non plus dans l’air du temps. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faille pas aller à l’encontre de l’air du temps ».

La Revue Actus des Barreaux n°9 est à retrouver ici

Interview de Laurence Roques réalisée par Alain Baudin pour la Revue Actus des Barreaux.