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Dire le droit et (pourtant) être compris.
Parution : mardi 20 septembre 2022
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Les destinataires de documents juridiques, en particulier le grand public, réclament de plus en plus des textes clairs qu’ils puissent comprendre aisément. Les rédacteurs juridiques se demandent toutefois comment concilier ce besoin de clarté avec la nécessité de dire le droit de manière précise.
Un magistrat et une linguiste ont relevé ce défi : expliquer en quoi consiste le langage juridique clair, énumérer ses bénéfices et surtout démontrer, par l’exemple, comment (ré) écrire une décision de Justice en langage clair pour ses destinataires : les justiciables.
Vous trouverez donc, en annexe à cet article :
- une décision de justice classique (annexe 1) ;
- sa réécriture en langage juridique clair (annexe 2) ;
- un tableau détaillant les techniques de rédaction claire utilisées pour ce faire (annexe 3).

Les décisions de Justice mécontentent, par nature, au moins une des personnes qu’elles concernent. Elles peuvent réussir à mécontenter tout le monde si elles sont, en plus, difficiles à comprendre, même pour une lectrice ou un lecteur normalement éduqué(e). En ce cas, elles manquent leur objectif d’apaiser les rapports sociaux. Elles peuvent même, parfois, accroître la colère de celles et ceux qui n’arrivent pas à en comprendre le sens et les raisons. Sans parler de l’exaspération qui peut naître en face d’une personne qui ne se préoccupe pas d’être comprise quand elle parle.

Chercher à rendre des décisions compréhensibles, tout en restant exactes juridiquement, doit être un objectif prioritaire pour les juges. Il en est de même pour les avocats et avocates dans leurs écritures, les commissaires de Justice et les notaires dans leurs actes et les services publics dans leurs décisions et leurs correspondances.

En effet, on contribue à construire une société plus fluide et plus apaisée chaque fois que l’on permet à une personne de comprendre facilement :
- ce qu’on lui dit ;
- ce qu’on attend d’elle ;
- ce qu’elle peut faire.
En outre, cela accroît la confiance dans la Justice et dans les institutions qui font cet effort d’accessibilité de leurs écrits. Enfin, cela permet aux professionnels du droit eux-mêmes de gagner en temps et en efficacité dans la lecture des décisions de Justice et des écrits de leurs confrères et consœurs.

Pour cela, les professionnels peuvent utiliser le langage juridique clair. Celui-ci est un excellent outil pour faciliter la lecture et la compréhension d’un texte, quels que soient son contenu et ses destinataires.

Qu’est-ce que le langage clair ?

Le langage clair consiste en une série de techniques de rédaction qui font qu’un texte clair est compris dès la première lecture par le public auquel il s’adresse. Correctement et sans aide.

« Une communication est claire lorsqu’elle est rédigée, structurée et présentée de façon à permettre au lecteur de trouver facilement ce qu’il cherche, de comprendre ce qu’il trouve et de bien utiliser l’information » [1].

C’est un niveau de langue équivalent au niveau B1 de l’échelle européenne qui classe les niveaux de maîtrise des langues de A1 (le plus bas) à C2 (le plus expert). Le niveau B1 correspond au début de la scolarité en lycée [2], soit approximativement 80 % de la population [3].

Rédiger en langage clair signifie donc intervenir aux trois niveaux de la rédaction :
- le contenu : se limiter à l’essentiel et le structurer logiquement pour le public cible ;
- la formulation : choisir des mots, des phrases, un style rapide à comprendre ;
- la présentation visuelle : donner à son document une mise en page qui facilite la lecture rapide.

Le langage clair est indispensable dans les écrits utilitaires (commerciaux, administratifs, juridiques, etc.), en particulier quand ils s’adressent au grand public.
Ces textes doivent être évidents à comprendre, car ils communiquent des renseignements utiles pour :
- combler un besoin,
- résoudre un problème,
- amener le destinataire à réaliser une action concrète.

Comment rédiger en langage clair ?

Rédiger en langage clair consiste à adopter une méthode [4] de rédaction qui consiste en 3 étapes et 12 bonnes pratiques [5].

Première étape : Réfléchir

1. Ciblez votre public : visualisez les destinataires de votre document et choisissez votre contenu en fonction des connaissances préalables et des besoins présumés de votre public cible.
2. Définissez l’objectif de votre texte : demandez-vous ce que vous voulez que votre destinataire pense ou fasse après avoir lu votre texte.
3. Rassemblez et triez les informations : limitez-vous aux informations qui vous permettent d’atteindre votre objectif auprès de votre public cible.
4. Structurez votre contenu : préparez le plan de votre texte en suivant la logique du destinataire : que veut-il savoir et dans quel ordre ?
5. Visualisez un ensemble d’informations qui s’y prêtent sous forme de tableau ou de schéma.

Deuxième étape : Rédiger.

6. Choisissez des mots que votre public cible comprend sans difficulté.
7. Formulez des phrases rapides à lire et faciles à comprendre.
8. Adoptez un style actuel et convivial, qui accroche l’attention de votre destinataire et l’encourage à (ré) agir si nécessaire.
9. Pratiquez la concision : éliminez tout mot ou information inutile à la compréhension de votre texte.
10. Donnez à votre texte une mise en page qui facilite la lecture rapide et la compréhension.

Troisième étape : Relire

11. Relisez votre texte avec recul et méthode
12. Faites relire votre texte par une personne proche du public cible.

Le langage clair est-il adapté pour les juristes ?

Comme le souligne la présentation du projet « Épices — le langage clair au menu du judiciaire », publié en 2018 par le Conseil supérieur de la Justice en Belgique [6] : « les juristes affectionnent la sécurité et la précision qu’offre le langage juridique traditionnel. Ils sont souvent réticents à l’idée d’utiliser un langage simple, par crainte de perdre en nuances ou en raffinement ».

L’idée d’utiliser le langage clair peut donc sembler étrange, inutile ou même néfaste pour certains professionnels du droit.

Pourtant, l’utilisation d’un langage simple et facile à comprendre est parfaitement compatible avec la précision nécessaire des notions juridiques. Il suffit, la plupart du temps, de les expliquer rapidement lorsqu’elles sont utilisées pour la première fois.
On pourra écrire, par exemple : les dépens, c’est-à-dire les frais de la procédure. Le lecteur comprend, ainsi, de quoi il s’agit.

Par ailleurs, comme le rappelle également le Conseil supérieur de la Justice, utiliser un langage simple et à un style concis oblige l’auteur à aller au cœur de son message et donc à s’assurer au préalable qu’il le maîtrise parfaitement.

Et concrètement, cela donne quoi ?

Une illustration valant mieux qu’un long discours, voici le dispositif d’une décision fixant les mesures provisoires dans le cadre d’une procédure de divorce, dans sa version initiale (annexe 1) et dans celle retravaillée en langage clair (annexe 2) (voir ci-dessous). Cette décision a été réécrite par Stéphane Wegner, vice-président du Tribunal administratif de Grenoble, co-auteur de cet article. Sa réécriture a été guidée par Anne Vervier, linguiste et experte en rédaction claire, co-autrice de cet article.

Annexe 1 - Article A. Vervier et S. Wegner Tribunal Judiciaire Grenoble- Décision Version Originale
Annexe 2 - Article A. Vervier et S. Wegner Tribunal Judiciaire Grenoble- Décision- Version Réécrite

Vous trouverez dans ce tableau (annexe 3 ci-dessous) la description chronologique des techniques de rédaction claire qui ont été utilisées pour la réécriture de cette décision.

Annexe 3 - Article A. Vervier et S. Wegner Tribunal Judiciaire Grenoble- Tableau Comparatif des versions

Ce travail est, bien sûr, très perfectible et a pour seul but de donner un aperçu des avantages du langage juridique clair, tout en démontrant comment, très pratiquement, l’appliquer à un écrit judiciaire. Il montre, nous l’espérons, tout l’intérêt pour l’institution judiciaire et les services publics au sens large d’engager une démarche collective pour rendre leurs écrits plus compréhensibles. Pour de meilleurs résultats, cette démarche devra bien sûr associer les usagers concernés.

L’expérience montre qu’un engagement affirmé et continu de la hiérarchie est indispensable pour vaincre les inévitables et naturelles résistances au changement. Changer un logiciel que les juristes ont appris et intégré depuis les bancs de l’université demande forcément du temps.
L’exemple belge montre, de manière encourageante, que lorsque cet effort est maintenu pendant plusieurs années, la culture interne finit par se transformer. Chercher à être facilement compris lorsqu’on dit le droit devient alors naturel.

Note des auteurs : Le titre de l’article fait volontairement écho à celui du remarquable et très complet ouvrage réalisé par l’association syndicale des magistrats de Belgique « Dire le droit et être compris - Comment rendre le langage judiciaire plus accessible » (éditions Anthemis – Bruxelles).
Note de la Rédaction : Lire notre article au sujet de cet ouvrage ici.

Les annexes au format PDF [7] :

ANNEXE 1
ANNEXE 2
ANNEXE 3
Anne Vervier, linguiste, Experte en communication écrite et en langage clair. Formatrice, coach et rédactrice. [->anne.vervier@redaction-claire.com] Stéphane Wegner, magistrat, Vice-président du Tribunal administratif de Grenoble. [->stephane.wegner@hotmail.fr]

[1Qu’est-ce que la communication claire ? — Plain Language Association International (PLAIN) (plainlanguagenetwork.org)

[3Les 20 % restants relèvent plutôt du Falc : français facile à lire et à comprendre.

[4Méthode proposée par Anne Vervier dans son livre "Rédaction claire : 40 bonnes pratiques pour rédiger vite et bien", EdiPro, 2011 et sur son site, en particulier sur sa « Fiche aide-mémoire du langage clair » ( https://www.redaction-claire.com/le-langage-clair/ ). Sa méthode rejoint bien sûr celle proposée sur le site international du « plain language » ( https://plainlanguagenetwork.org/plain-language/what-is-plain-language/ ).

[5Vous trouverez plusieurs exemples d’utilisation de ces bonnes pratiques dans l’annexe 3 de cet article : le tableau comparatif d’une décision judiciaire et de sa réécriture en langage clair (lien annexe 3)

[7Les décisions de justice ici ont été reproduites, anonymisées, et diffusées sous l’entière responsabilité du cabinet d’avocat auteur de cet article.