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[Série] "Tout savoir sur la SAS" : les apports lors de la constitution de la SAS (partie 1). Par Ludovic Landivaux, Avocat.
Parution : mercredi 4 janvier 2023
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Cet article est le premier d’une série qui traite de tous les aspects fondamentaux de la vie de la société par actions simplifiée (SAS) : sa création/ constitution, le sort des actes accomplis au stade de la formation de la SAS, la cas de la SAS à capital variable, les modalités de sa gouvernance, les sources de financement, la distribution des dividendes, et les moyens de protection des intérêts propres de la société.

Dans cette première partie, nous évoquerons donc les apports qui peuvent être faits par les associés fondateurs de la SAS lors de sa création et qui constituent son capital social de départ : les apports en numéraire, les apports et nature et leurs particularités et les apports en industrie.

Si vous n’avez qu’une minute, voici le résumé de l’article :
- Les apports sont constitués par les actifs (sommes d’argent, valeurs mobilières, immeubles, fonds de commerce, marques, brevets, etc.) dont les associés transfèrent la propriété à la société, qui forment le capital social, et en contrepartie desquels ils reçoivent des actions.
- Dans la SAS, un associé peut aussi apporter son industrie, c’est-à-dire mettre à la disposition de la société ses connaissances, son travail ou ses services. Les apports en industrie font l’objet d’un régime particulier car ils ne sont pas représentatifs d’une fraction du capital social.
- Il n’y a « apport » que si l’associé reçoit, en rémunération des biens qu’il transmet à la société, des actions de la société.
En cas d’apport de fonds de commerce, l’associé transmet à la société un ensemble composé d’éléments d’actif (clientèle, matériel, stocks, etc.) et de passif (dettes envers les fournisseurs notamment).
Dans ce cas, l’apport rémunéré par des actions doit correspondre à la valeur nette (actif moins passif) de l’ensemble.
- Conformément à l’article 1832 du Code civil, au moment de la constitution de la société chacun des fondateurs, pour avoir la qualité d’associé, doit obligatoirement fait un apport. Cette règle ne souffre aucune exception.
- Il n’est pas nécessaire que les apports des associés soient d’égale importance ou de même nature ; un même associé peut également apporter des biens de différentes natures (numéraire et brevet, par exemple).
- Le moyen (sous réserve qu’il soit légal) par lequel l’associé est devenu propriétaire du bien qu’il apporte, est également sans influence sur la validité de l’apport.

Les apports en numéraire.

Définition de l’apport en numéraire.

On entend par « apport en numéraire » tout apport sous forme de somme d’argent.

Obligation de libération du montant souscrit.

Les souscripteurs d’actions de numéraire doivent effectuer les versements correspondant à la fraction du capital qui doit être libérée au moment de la constitution de la société.

Cette fraction est déterminée d’un commun accord entre les futurs actionnaires.
Elle ne peut cependant pas être inférieure à la moitié du montant nominal des actions de numéraire [1].

Le défaut de libération de cette fraction est sanctionné par la suspension des droits de vote et des droits à dividende des actions correspondantes [2].

La libération du surplus doit intervenir, en une ou plusieurs fois, dans un délai de cinq ans à compter de l’immatriculation de la société sur appel de fonds du président ou des autres dirigeants [3]

Le défaut de libération du surplus peut entrainer, à la charge de l’associé défaillant, les conséquences suivantes :
- Des intérêts moratoires ;
- La condamnation à des dommages-intérêts ;
- La suspension du droit aux dividendes et du droit préférentiel de souscription ;
- La mise en vente des actions non libérées ;
- La possibilité pour la société de poursuivre l’actionnaire en justice pour obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues.

Versement des fonds.

Les versements sont faits soit directement entre les mains du dépositaire soit entre les mains des fondateurs - qui doivent alors les déposer dans un délai de huit jours chez l’un des dépositaires énoncés ci-après :
- Un notaire ;
- Une banque (cas le plus fréquent) ;
- Une entreprise d’investissement ou une société habilitée à exercer l’activité de conservation et d’administration d’instruments financiers ;
- La Caisse des dépôts et consignations.

NB : Ces versements doivent intervenir impérativement avant les formalités d’immatriculation.

A défaut, le greffier du tribunal de commerce pourrait refuser de procéder à l’immatriculation de la société.

Les versements peuvent être faits selon différents modes de paiement : principalement par dépôt de chèque ou par virement bancaire. Le paiement de l’apport n’est réputé effectué que lors de l’encaissement du chèque ou de la réalisation du virement.

En revanche, n’est pas valable tout paiement qui n’entraîne pas la mise à disposition immédiate de la société des sommes dues : il en est ainsi de la remise d’un billet à ordre ou d’une lettre de change, ou encore d’une dation en paiement d’un bien déterminé.

Capital social et actions de SAS.

La loi n’impose aucun capital social minimum dans la SAS.

Ce montant est donc librement fixé par les associés.

Les actions sont en principe attribuées aux associés en rémunération et proportionnellement à leurs apports [4].

Cas particulier des actions de préférence.

Le capital d’une société peut être constitué d’actions ordinaires et/ou d’actions de préférence (ce sujet sera traité en semaine 3).

Les actions de préférence peuvent être créées soit lors de la constitution de la société, soit au cours de son existence [5].

La création des actions de préférence correspond à l’inscription dans les statuts de la société des caractéristiques des actions de préférence (droit de vote multiple, droit à dividende renforcé…).

Ces actions étant de même valeur nominale que les actions ordinaires, lors de la création de la SAS, les apports faits par les associés titulaires d’actions de préférence sont rémunérés de la même manière que les apports réalisés par les associés titulaires d’actions ordinaires.

Par ailleurs, l’octroi de tels avantages lors de la constitution de la société est dispensé de la procédure d’évaluation [6].

Les apports en nature.

Définition de l’apport en nature.

On désigne sous le nom « d’apport en nature » tout apport d’un bien autre qu’une somme d’argent.

C’est-à-dire tout bien meuble (corporel ou incorporel) ou immeuble susceptible d’une évaluation pécuniaire et dont la propriété ou la jouissance sont transférables à la société.

Toutefois, on ne peut apporter à une société commerciale qu’un bien pouvant être exploité commercialement.

Apport en propriété.

Le régime de l’apport en société est déterminé par des dispositions spéciales [7] ainsi que par certaines règles du droit commun de la vente dans la mesure où l’apport entraîne un transfert de propriété.

L’apport en propriété est réalisé [8] :
- par le transfert à la société de la propriété des biens apportés ;
- et par la mise de ces biens à la disposition effective de la société.

Pour que ces conditions soient remplies, l’apporteur doit s’engager à transférer le bien à la société.

Cet engagement est pris par écrit soit dans les statuts, soit dans un acte distinct (l’acte d’apport) que l’apporteur signe en même temps que les statuts et qui est annexé à ceux-ci.

La clause de libération de l’apport doit préciser la nature et la valeur du bien apporté, ainsi que, pour les clauses figurant dans un acte distinct, les caractéristiques essentielles de la société à laquelle l’apport est consenti.

Evaluation des apports en nature.

L’intervention d’un commissaire aux apports chargé d’établir un rapport sur l’évaluation des apports en nature est en principe obligatoire.

Toutefois, son intervention a été rendue facultative par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique si :
- aucun apport en nature n’a une valeur supérieure à 30 000 euros ;
- et si la valeur totale de l’ensemble des apports en nature non soumis à évaluation n’excède pas la moitié du capital [9].

A défaut, les fondateurs devront désigner un commissaire aux apports (commissaire aux comptes) qui devra établir un rapport sur la valeur des apports en nature qui sera déposé au greffe du Tribunal de commerce du siège social de la société.

NB : Ces règles s’appliquent pour tous les apports en nature que ces derniers réalisés en propriété, en jouissance ou en usufruit.

Cas particulier de l’apport en jouissance.

L’apport en jouissance est la mise d’un bien à la disposition de la société pour un temps déterminé sans transfert de propriété.

La société peut user librement de ce bien, mais l’apporteur en reste propriétaire.

L’intérêt de cette formule pour l’apporteur tient au fait que celui-ci a l’assurance de récupérer son bien à la disparition de la société : ce bien ne sera pas compris dans le partage et sera soustrait à l’action des créanciers sociaux puisqu’il ne fait pas partie en propriété du patrimoine social.

L’apport en jouissance peut porter sur tous les biens susceptibles d’un apport en propriété (immeuble, fonds de commerce, matériel, etc.).

S’il porte sur des choses fongibles (par exemple, des valeurs mobilières ou une somme d’argent) ou sur tous autres biens normalement appelés à être renouvelés pendant la durée de la société (par exemple, des marchandises), celle-ci devient propriétaire des biens apportés, à charge pour elle, à l’expiration de la période convenue, d’en rendre une pareille quantité, qualité et valeur [10].

Il convient de bien préciser la portée de l’apport en nature au moment de la constitution de la société.

En effet, si les parties n’ont pas clairement indiqué dans les statuts si l’apport a été fait en propriété ou en jouissance, c’est le juge qui devra, le cas échéant, pour le déterminer, apprécier les circonstances, notamment les valeurs données aux différents apports et l’importance respective des droits attribués à chaque associé dans les bénéfices [11].

Cas particulier de l’apport en usufruit.

À la différence de l’apport en jouissance, l’apport d’un usufruit entraîne transfert en pleine propriété à la société d’un droit réel dont se départit l’apporteur.

Quoique non prévu par la loi, un tel apport semble toujours possible. Au lieu de faire apport à la société de la pleine propriété d’un bien, un apporteur peut en concéder l’usufruit seulement, ce qui situe l’apport en usufruit entre l’apport en pleine propriété et l’apport en jouissance :
- soit en le constituant lui-même au profit de la société ;
- soit en transmettant à la société l’usufruit constitué à son profit personnel par un tiers.

L’apport peut ainsi porter sur un usufruit existant.

Dans ce cas, la société ne bénéficiera des droits de l’usufruitier, s’il s’agit d’une personne physique, que jusqu’au décès de celui-ci, puisque l’usufruit s’éteint à la mort de l’usufruitier [12].

La société bénéficiera de l’usufruit jusqu’au terme prévu lors de la constitution du droit d’usufruit et ce, dans la limite de 30 ans, lorsque l’usufruit « n’est pas accordé à des particuliers » [13].

Si l’usufruit a été constitué au moment de l’apport à la société, il pourra être fixé pour 30 ans maximum [14] et s’éteindra en tout état de cause au décès de l’usufruitier [15]. La Cour de cassation prohibe des prorogations successives au-delà de trente ans de l’usufruit d’un immeuble constitué au profit d’une société [16]. L’apport d’un usufruit est soumis aux mêmes règles que l’apport en propriété en ce qui concerne la transmission du droit, la garantie et les risques.

Pour les garanties, l’apporteur est tenu de garantir la société dans les mêmes conditions qu’un vendeur à l’égard de son acheteur : garantie en cas d’éviction, garantie des vices cachés.

Concernant les risques, la société supporte seule les conséquences de la perte ou de la détérioration des biens apportés à partir du jour où elle est immatriculée au RCS.
En revanche, tant que la société n’est pas immatriculée, l’apporteur supporte seul les risques de disparation des biens qu’il a apportés, même si cette disparition intervient après la signature des statuts.

Les apports en industrie.

Initialement interdits dans la SAS, les apports en industrie y ont été expressément autorisés par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008.

En contrepartie de ces apports, la SAS émet des actions inaliénables dont les statuts déterminent les modalités de souscription et de répartition [17].

Depuis la loi de simplification du droit des sociétés du 19 juillet 2019, il n’y a plus lieu à évaluation de ces apports par un commissaire aux apports.

Définition de l’apport en industrie.

Il y a apport en industrie lorsqu’un associé met à la disposition de la société ses connaissances techniques, son travail ou ses services.

Si l’on voit généralement dans l’apporteur en industrie une personne physique, rien ne s’oppose, puisque la loi ne l’exclut pas, à ce qu’il soit une personne morale.
Les apports en industrie doivent être mentionnés dans les statuts. À défaut, ils sont considérés comme inexistants [18].

Rémunération de l’apport en industrie.

N’étant pas susceptible d’une réalisation forcée au profit des créanciers, l’apport en industrie ne peut pas être un élément constitutif du capital social.

NB : L’apporteur en industrie ne peut donc pas être rémunéré par des titres représentant une fraction du capital.

Néanmoins les actions reçues en contrepartie de l’apport donnent droit au partage des bénéfices et de l’actif net [19].

La part de l’apporteur en industrie dans les bénéfices et sa contribution aux pertes est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, sauf clause contraire des statuts [20].

En outre, ces parts ou actions donnent le droit de participer aux décisions collectives et de voter.

Obligations de l’apporteur en industrie.

L’apporteur en industrie doit rendre à la société les services promis et lui verser tous les gains qu’il pourrait réaliser par l’activité faisant l’objet de son apport [21].

Il ne peut pas exercer une activité concurrente de celle qu’il a promise à la société ; cela ne lui interdit pas cependant d’exercer une activité complètement étrangère à l’objet de la société, par exemple l’exploitation d’un brevet d’invention relatif à une autre branche d’industrie, à condition que cette activité extérieure lui laisse un temps suffisant pour se consacrer aux affaires sociales ou que le contrat de société ne lui en fasse pas défense.

L’apporteur en industrie doit exercer son activité généralement pendant la durée de la société, mais il est possible de prévoir une période moindre.

Si, pour une raison quelconque, l’apporteur ne peut continuer son activité, son apport est caduc : ses droits envers la société sont alors liquidés dans les conditions fixées par les statuts.

Il a été jugé que si la société est dissoute avant le terme statutaire, les droits de l’apporteur dans les bénéfices et sa contribution aux pertes sont réduits proportionnellement à la durée pendant laquelle l’apport devait continuer à être effectué [22].

Voici les liens vers les autres articles de cette série "Tout savoir sur la SAS" :
["Tout savoir sur la SAS" : la gouvernance (partie 2).→44784]
["Tout savoir sur la SAS" : les actes accomplis pour la SAS en formation (partie 3).44930]
["Tout savoir sur la SAS" : les sources de financement (partie 4).45028]
"Tout savoir sur la SAS" : la distribution de dividendes (partie 5).

Ludovic Landivaux, Avocat associé, Avec la participation de Lauriane Sabathier et Benjamin Vidal, Avocats Barreau de Paris Centaure Avocats

[1Article L225-3, al. 2 sur renvoi de l’article L225-12 du Code de commerce.

[2Article L225-16-1 du Code de commerce.

[3Article L225-3, al. 2 du Code de commerce).

[4Cf article 1843-2 du Code civil.

[5Article L 228-11, alinéa 1, du Code de commerce.

[6CF article L 227-1, alinéa 3, du Code de commerce.

[7Articles 1843-1 et 1843-3 du Code civil.

[8Article 1843-3, al. 2 du Code civil.

[9Articles L227-1, al. 5 et 7 et D227-3 du Code de commerce.

[10Article 1843-3, al. 4 du Code civil.

[11Voir par exemple : CA Nancy 6 décembre 1932.

[12Article 617 du Code civil.

[13Article 619 du Code civil.

[14Article 619 du Code civil.

[15Article 617 du Code civil.

[16Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n°06-12.568.

[17Article L227-1, al. 4 du Code de commerce.

[18Cass. com. 14 décembre 2004.

[19Article 1843-2, al. 2 du Code civil.

[20Article 1844-1 al. 1 du Code civil.

[21Article 1843-3, al. 6 du Code civil.

[22CA Colmar 16 juillet 1863 et, sur pourvoi, Cass. civ. 14 juin 1865.