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Cadre dirigeant : statut inapplicable au DRH en l’absence de délégation de pouvoirs. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-Avocate.
Parution : vendredi 26 mai 2023
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Dans un arrêt du 15 mars 2023 (n°21-21.632), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la qualité de cadre dirigeant ne pouvait pas être appliquée à un salarié qui ne bénéficiait pas d’une délégation de pouvoirs du Conseil d’administration.

1) Faits et procédure.

Un homme a été engagé en qualité de directeur des ressources humaines et de la communication interne le 19 juillet 2010 par l’association IRP Auto gestion.

La relation de travail était soumise à la convention collective nationale de travail du personnel des institutions de retraite complémentaire et de prévoyance du 9 décembre 1993.

Le salarié a été en arrêt de travail à compter du 8 septembre 2015.

Le salarié a été licencié le 1er mars 2017.

Il a saisi la juridiction prud’homale le 25 septembre 2017 de demandes se rapportant à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.

La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 24 juin 2021, a jugé que le salarié avait la qualité de cadre dirigeant et l’a donc débouté de ses demandes en paiement d’heures supplémentaires, de rappel de salaire pour heures travaillées pendant les congés et la maladie, outre congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non-respect des temps de repos et dépassement de la durée maximale de travail et d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

2) Moyens.

Le salarié fait grief à la Cour d’appel d’avoir jugé qu’il avait la qualité de cadre dirigeant, et de l’avoir en conséquence débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires, d’heures travaillées pendant les congés payés et la maladie, outre congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non-respect des repos et durées maximales du travail et d’indemnité pour travail dissimulé, alors qu’il n’était pas titulaire d’une délégation de pouvoirs du conseil d’administration contrairement à ce qu’exige l’article 2-3 c) de l’annexe VII à la convention collective nationale du personnel des institutions de retraite complémentaire.

3) Solution.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux.

Elle commence par rappeler la définition donnée du cadre dirigeant par l’article L3111-2 du Code du travail :

« Sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise ».

La Cour de cassation vient ensuite rappeler la teneur de l’article 2-3 c) du titre II de l’annexe VIII réduction et aménagement du temps de travail, à l’accord du 17 novembre 2000 de la convention collective nationale de travail du personnel des institutions de retraite complémentaire et de prévoyance du 9 décembre 1993, applicable à la relation de travail litigieuse :

« Les cadres dirigeants doivent répondre simultanément aux trois critères suivants :

  • Ils jouissent d’une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps ;
  • Ils bénéficient, dans le cadre des orientations données par le conseil d’administration de l’institution, d’une large autonomie de décision au moyen de délégations qui leur permettent d’engager, de manière substantielle, le fonctionnement de l’institution ;
  • Leur classification dans la convention collective nationale est au moins égale à la classe 8 niveau D, et leur rémunération se situe de surcroît dans les niveaux les plus élevés du système de rémunération de l’institution ».

Après avoir exposé le raisonnement tenu par la Cour d’appel de Bordeaux, la chambre sociale conclut qu’elle a violé les textes susvisés en retenant que le salarié avait la qualité de cadre dirigeant alors que :

« Alors qu’il ressortait de ses constatations que le salarié bénéficiait, de la part du directeur général, seul titulaire des délégations de la part du conseil d’administration, de subdélégations et qu’il devait, en dépit d’une grande autonomie dans l’exercice de ses fonctions, en référer au directeur général, qu’il ne signait ni les lettres de convocation à l’entretien préalable, ni les lettres de licenciement, ce dont elle aurait dû déduire que le salarié n’avait pas la qualité de cadre dirigeant ».

4) Analyse.

Tout l’enjeu des faits d’espèce consistait à déterminer si le DRH avait ou non la qualité de cadre dirigeant.

En effet, les cadres dirigeants étant exclus des règles relatives à la durée du travail [1], le bien-fondé des demandes du salarié dépendait de son appartenance ou non à la catégorie des cadres dirigeants.

En l’espèce, le salarié bénéficiait d’une grande autonomie, et la cour d’appel a considéré qu’il avait le statut de cadre dirigeant notamment car il avait la responsabilité des procédures de licenciement quand bien même les courriers afférents à la procédure étaient signés par le directeur général.

Pour arriver à cette conclusion, la Cour d’appel de Bordeaux a relevé que le DRH menait systématiquement les entretiens préalables, avait toute latitude pour définir le quantum des provisions sur risque lié aux licenciements effectués, et disposait d’une grande marge de manœuvre dans la définition des orientations stratégiques en matière juridique et de risque lié aux ruptures de contrats de travail envisagées.

Toutefois, la Cour de cassation ne suit pas le raisonnement de la cour d’appel. Elle considère au contraire que le salarié bénéficiait seulement de subdélégations de la part du directeur général qui était seul titulaire des délégations de la part du Conseil d’administration.

Ainsi, le salarié devait rendre compte des procédures au directeur général, qui lui seul pouvait signer les lettres de convocation à entretien préalable et les lettres de licenciement.

Selon la Cour de cassation, ce défaut de pouvoir de signature faisait obstacle à ce que le DRH ait la qualité de cadre dirigeant.

Cependant, la portée de cet arrêt reste incertaine.

En effet, il se pourrait que la décision de la Cour de cassation dépende en grande partie de la convention collective applicable en l’espèce qui prévoit que les cadres dirigeants doivent bénéficier

« d’une large autonomie de décision au moyen de délégations qui leur permettent d’engager, de manière substantielle, le fonctionnement de l’institution ».

Par conséquent, le critère de la délégation de pouvoir pourrait ne pas être repris dans une autre affaire, où une autre convention collective ne contiendrait pas une telle exigence.

Sources.

- Cass. Soc., 15 mars 2023, n°21-21.632
- Cadre dirigeant : la Cour de cassation confirme qu’une DRH de Publicis Consultants France n’est pas cadre dirigeant (C. cass. 1er déc. 2021, n°20-19.755) [2]
- Cadres dirigeants : panorama de jurisprudence 2018 - 2019
- Droit des cadres dirigeants : panorama de la jurisprudence 2016/2017

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Article L3111-2 du Code du travail.