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Médiation en entreprise : levier de prévention des risques professionnels, atout de la QVCT et de la RSE. Par M.Kebir, Avocat.
Parution : mercredi 17 avril 2024
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L’écoute active, le dialogue coopératif et l’aménagement raisonnable sont à la pacification de la relation de travail ce qu’est la loyauté au contrat.
Outil efficient et porteur à bien des égards en termes de mise en œuvre de projets, la médiation est tout aussi un outil, accessible et modulable, de prévention des risques psychosociaux, des mésententes préjudiciables et de résolution des conflits.
De par ses bienfaits sur la personne et la société, l’amiable revêt une indéniable portée, sociétale et sociale, dans le droit fil des politiques et mesures réglementaires relatives de la QVCT et la RSE.

Les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) sont, de plus en plus, convoqués au travail et intègrent résolument l’appréhension et la résolution pacifiée du conflit.

Pour rappel, la Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 [1], prévoit en son article 44 que :

"L’accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire (par le greffe de la juridiction compétente), constitue un titre exécutoire...".

Sur un autre registre, la même loi prévoit la généralisation de la médiation préalable obligatoire dans la fonction publique territoriale.

Ainsi, l’essor de l’amiable et sa généralisation requièrent davantage de sensibilisation du citoyen et la formation des acteurs impliqués dans la résolution des différends :

Plus généralement, il s’agit pour le professionnel, de conseiller, expliciter au client les avantages de l’amiable. Or, au demeurant, force est de constater que cette vision éthique n’est pas intégrée de manière soutenue et habituelle dans la pratique.

A cet égard, il est recommandé à l’avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre amiablement le litige :

"Lorsque la loi ne l’impose pas, il est recommandé à l’avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes amiables ou alternatifs de règlement des différends préalablement à toute introduction d’une action en justice ou au cours de celle-ci, ou lors de la rédaction d’un acte juridique en introduisant une clause à cet effet" [2].

Quant au tribunal, dont "il entre dans la mission du juge de concilier les parties" [3], il lui est reconnu des prérogatives lui permettant de recourir aux MARD.

Ainsi, il est loisible au juge d’enjoindre aux parties de rencontrer pour information un médiateur/conciliateur, ou : "Proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation" [4].

Dès lors, de la négociation raisonnée, en passant par le processus collaboratif, la procédure participative, la médiation et la conciliation, le dispositif législatif offre une pléthore d’issues apaisées.

Au fond, le choix du mode amiable implique une étude approfondie, doublée d’une appréciation globale de la situation des parties et de leurs attentes. Ceci exige une expertise éprouvée et fine connaissance de l’alchimie du conflit. S’agissant du médiateur, ceci procède d’une :

Du point de vue de la pratique contractuelle, il est souvent inséré au contrat une clause de conciliation/médiation, stipulée dans l’intérêt des parties ; non pour fermer l’accès au juge [6].

En effet, au visa de l’article L1411-1 du Code du travail, la Cour de cassation a jugé que :

"En raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend" [7].

Néanmoins, la culture de la paix nécessite la prévention des conflits de valeurs de manière éclairée, raisonnée et durable.

Conflit de valeurs et santé au travail.

L’inadéquation des perceptions des valeurs est souvent propice à alimenter les tensions et désaccords intra-groupe.

Ici, l’échange loyal, l’intelligence relationnelle/émotionnelle assurent le maintien de l’équilibre de la vie collective. Lequel s’affaisse par l’écart entre les subjectivités légitimes face au réel. C’est pour ainsi dire que le sens perd son harmonie et sa substance :

"Le seul esprit libre et indépendant est celui qui ne se soucie pas des conséquences quand il a la certitude d’avoir été fidèle à ses valeurs !" rappelle Laurent Martinez.

D’où des oppositions d’ordre émotionnel et relationnel :

Au fond, aussi légitime qu’elle soit, la valeur, au-delà de rassembler autour du socle commun du vivre-ensemble, est encline à enraciner la rigidité au détriment du recul.

Concrètement, c’est comme reléguer au second plan l’esprit critique et la nuance.

Fondamentalement, la valeur dans le cadre du rapport au travail, est nourrie par :

En matière de santé au travail, nombre de salariés sont exposés aux conflits de valeurs [8]. Dès lors, il est à relever plusieurs profils d’exposition à ces derniers :

En conséquence, effet de perception et d’individuation, les salariés concernés par des conflits de valeurs s’exposent aux risques professionnels.

Dans ces conditions, quand bien même le lien causal est difficilement identifiable, la mission du médiateur est de :

Du reste, le rôle des acteurs de la prévention, couplé à celui du médiateur, consiste à améliorer les synergies entre les CSSCT [9], et les différents référents (harcèlement, handicap…) au sein du CSE. De la manière, il importe de développer une culture d’entreprise tournée vers l’écoute, la formation et l’autonomie : renforcer les mécanismes et actions de la QVCT et la RSE

En clair, richesse de l’être, les valeurs sont cet élan de l’âme, qui, inscrit dans le projet collectif, génère énergies et synergies d’anticipation et d’émancipation.

Le tout est de mettre en place les leviers de l’expression libre, respectueuse de l’humain. Et de la dignité, dans son entièreté. Ce qui implique du reste d’instaurer des mécanismes protecteurs contre l’escalade conflictuelle.

Conflits au travail : prévenir et réagir à l’escalade.

La mésentente, l’incompréhension et le désaccord peuvent, immanquablement, conduire à l’escalade sans fin.

Situation de tension susceptible d’altérer la santé du salarié, la cohésion du groupe et in fine la performance organisationnelle et la marque employeur.

C’est que le conflit est humainement coûteux, profondément préjudiciable à plusieurs titres. Reflet de paradoxes, incompatibilités et dysfonctionnements, comme l’esquisse Claude Bernard :

"La vie résulte d’un conflit, d’une relation étroite et harmonique entre les conditions extérieures et la constitution préétablie de l’organisme".

Conceptuellement, la surenchère est la manifestation délibérée du ressenti ; l’absence de contrôle et recul de la pondération rationnelle.

En milieu du travail, l’escalade atteint son paroxysme lorsque, au fond, aucune stratégie communicationnelle n’est mise au point. Ce qui laisse libre cours à l’interminable surenchère :

Partant, les conséquences immédiates sont on ne peut plus aliénantes :

Eu égard à la complexité et au caractère causal de la souffrance sous-jacente, l’intervention d’un tiers pacificateur se situe à plusieurs niveaux :

Dit autrement l’expérience du conflit, mise à bon escient, génère enseignements et pédagogie relationnels. En ce que le conflit condamne irrémédiablement l’innovation et bouscule les équilibres établis. Qui plus est, ses répercussions immédiates et lointaines atteignent des victimes par ricochet : la famille, les enfants, la carrière du salarié…

Ici, la mission du médiateur dépasse le cadre interpersonnel : elle interroge les dysfonctionnements organisationnels ; process managériaux ; conditions de travail. Cette intermédiation pacificatrice replace le bien-être et le dialogue au cœur de la QVCT.

Ainsi, la panne relationnelle requiert l’accompagnement apaisé, raisonné, concerté du changement (Voir l’article La médiation au travail : outil de prévention des conflits et des risques psychosociaux. Par M. Kebir, Avocat.). De là, prévenir le conflit c’est :

C’est-à -dire, embellir les esprits ; recueillir les bienfaits des valeurs humaines partagées au travers du prisme de la prévention visant à protéger la santé physique et mentale du collaborateur [10].

Les outils de prévention des conflits en entreprise

Désaccords, tensions, dégradation des relations de travail, en entreprise les conflits nuisent à la santé du salarié et altèrent la croissance.

En matière de prévention, la médiation, via les outils relationnels et communicationnels, offre un espace de parole unique. La neutralité, l’impartialité, indépendance outre la confidentialité - principes déontologiques de la médiation aidant, l’expertise du médiateur sont à même d’identifier les sources et dysfonctionnements d’éventuels différends.

Dès lors, de la simple humeur dégradée aux désordres complexes, les relations individuelles et collectives sont sujettes au perfectionnement. Notamment celles qui opposent :

Les causes, lointaines ou immédiates, conduisent immanquablement à la rupture de la communication. En cela, il ne s’agit pas de résoudre le conflit, mais précisément de l’anticiper, voire l’écarter :

Du point de vue de la prévention primaire, rattachée à l’obligation de résultat de l’employeur - prescrite par l’article L4121-1 Code du travail, l’organisation doit mettre en œuvre une culture d’anticipation. Laquelle :

Au fond, le médiateur agit sur la mécanique intra-groupe, sous l’angle de l’équilibre relationnel. Son objectif :

Concrètement, souffrance latente, colère, humiliation, isolement … sont les marqueurs du malaise, et, souvent, de la souffrance.

Plus généralement, par le biais de la formation au dialogue et la CNV [11], à la fois du manager et des collaborateurs, les parties à la relation de travail :

Qui plus est, le baromètre Pros-Consulte relève [12] que 85% des salariés estiment que :

En un mot, prévenir c’est former au dialogue, accompagner, écouter, comprendre le mal-être. Une démarche s’inscrivant harmonieusement dans le cadre de RSE [13].

La médiation, outil de la RSE.

L’entreprise éthique œuvre à intégrer, en termes d’enjeux internes et externes, la prévention et l’amiable au cœur de sa responsabilité sociétale.

La Commission européenne définit la RSE en ces termes :
"Un concept désignant l’intégration volontaire par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes".

Telle approche incite à revoir le modèle organisationnel. D’autant que l’acception large de la RSE, selon la Commission,"propose un socle de valeurs sur lequel bâtir une société plus solidaire et fonder la transition vers un système économique durable".

D’où il suit que, la RSE englobe :

Partant, l’entreprise s’inscrivant dans une démarche RSE, au-delà des bénéfices, adopte :

C’est là, précieusement, l’objectif de pacification du lien social - et la promotion de l’altérité par le dialogue, que s’assigne la médiation.

Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE du 22 mai 2019 [16], la RSE s’en trouve renforcée. A cet égard, l’article 1833 du Code civil prévoit que :

"Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux".

L’article 1835 du même code ajoute : "Les statuts peuvent préciser une raison d’être constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité".

En ce sens, la médiation, par ses vertus sus-développées, est un outil au service de la RSE.

De surcroît, dans les rapports avec les tiers, la médiation conforte la RSE :

A ce titre, la loi santé au travail du 2 août 2021 [17], favorise l’alliage indissociable QVCT et RSE.

Qui plus est, la QVCT s’inscrit dans le droit fil de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur [18].

En dernière analyse, fondée sur le bon sens et la primauté de l’humain, tout autant un outil de l’émancipation sociale, de la conduite de projets, de prévention et de règlement des litiges, la médiation offre des gages féconds de bien-être au travail, pivot de la croissance de l’organisation.

M. Kebir Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Cabinet Kebir Avocat [->contact@kebir-avocat-paris.fr] www.kebir-avocat-paris.fr www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

[2Article 6-1 Règlement intérieur national.

[3Article 21 Code de procédure civile.

[4Article 127 Code de Procédure Civile.

[5Pour aller plus loin : Pratique de l’ingénierie relationnelle, La médiation professionnelle au service des entreprises, Lascoux Jean-Louis, Eon Fabien, Sendros Mila Henri ; éd. ESF sciences humaines, septembre 2017.

[6Ch. Mixte, 14 février 2003, n°00-19423 et 00-19424.

[7Cass. Soc, 14 juin 2022 n° 22-70.004.

[8Conflits de valeurs au travail : qui est concerné et quels liens avec la santé ? Dares Analyse Mai 2021 N°27.

[9Commission santé, sécurité et des conditions de travail.

[10Article L4121-1 Code du travail.

[11Communication non violente.

[12Baromètre 2020 Pros-Consulte : contraintes liées aux conditions de travail.

[13Responsabilité sociétale de l’entreprise.

[14M. Ricard, Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance, Nil, 2013.

[15Qualité de vie et des conditions de travail.

[16Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

[17Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, misant sur la prévention primaire en matière de santé au travail.

[18Article L4121-1 et suivants Code du travail.

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