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Avocat et coaching : une relation paradoxale ? (2/2)
Parution : samedi 8 février 2020
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Partie 2 : Alors qu’ils font partie de ceux qui en ont le plus besoin !
(Retrouvez la première partie de cet article ici.)

La solitude de l’avocat, profession libérale par excellence, génère naturellement un besoin d’accompagnement.

La profession d’avocat est connue pour être l’une des professions où le sentiment de solitude est le plus développé (cf. l’étude réalisée aux Etats-Unis par le Washington Post qui classe le métier d’avocat au premier rang en terme de sentiment de solitude et, pour la France, un article publié sur Village de la justice).

Cela est confirmé par l’auteur du rapport sur l’avenir de la profession d’avocat [1] qui précise, dans une interview [2] :
« Ce qui est certain en toute hypothèse, et c’est quelque chose que j’ai gardée et qui est une obsession chez moi lorsque je réfléchis à la manière dont on peut accueillir les plus jeunes avocats dans la profession, c’est une profession dans laquelle on est seul dans les premières années. C’est à dire qu’on est très très entouré dans les écoles d’avocats, on nous bombarde de formations, etc. Et une fois qu’on a prêté serment, alors là on est totalement livré à nous-mêmes. »

Kami Haeri, dans la même interview, parle même de « forteresses » dans lesquelles les avocats sont enclavés.

« Nous créons des forteresses dans nos têtes. [...] Notre sens de la dialectique et de la rhétorique fait que nous neutralisons immédiatement toute question qui arrive dans notre tête. Je pense que nous sommes des produits plus difficiles à désenclaver. »

Le coaching peut justement permettre, d’une part, à court terme, de répondre aux effets néfastes du sentiment de solitude. Ainsi, via le soutien inconditionnel qu’il apporte à l’avocat, le coach peut permettre à ce dernier de se sentir à nouveau soutenu et de développer sa confiance en lui. Autrement dit, de se ressourcer.

D’autre part, il peut permettre à l’avocat, en le sortant de sa « forteresse », de repenser son cadre de vie professionnelle et privée afin de parer, sur le long terme, aux effets néfastes que génèrent le sentiment de solitude. Ceci afin d’avoir une vie (professionnelle) plus épanouissante.

La culture de la souffrançocratie génère un risque élevé de burn out qui peut être limité par le recours au coaching.

La Process Communication Model [3], typologie de personnalités mise au point dans les années 80 par le psychologue américain Taibi Kalher afin notamment de prévoir comment les individus se comportent en situation de stress, a mis en lumière 6 types de personnalité dont le type « travaillomane ».

La spécificité de ce type, c’est que, d’une part, son besoin fondamental est de se sentir compétent et d’autre part que, en situation de stress, il a tendance à travailler encore plus. Taibi Kahler a montré que la distribution d’une population entre les différents types au sein d’un pays n’est pas identique mais dépend de la culture du pays en question. En l’occurrence, la culture française favoriserait le développement du type « travaillomane », en particulier chez les personnes passées par les formations considérées en France comme élitistes. A cet égard, la lecture d’un article du Figaro intitulé « Les cabinets de conseil, des prisons dorées pour les salariés » est intéressante ( [4]. Il évoque lui le profil de « perfectionniste anxieux ». Dans cette perspective, il est logique de trouver un grand nombre d’avocats disposant de ce type de personnalité.

Or, si l’on combine ce type de personnalité avec la culture de la souffrançocratie qui domine dans le monde des avocats, on comprend que le risque de burn out est plus élevé que la moyenne dans cette profession.

En effet, si, d’une part, face au stress, on augmente sa charge de travail et que, d’autre part, on ignore tous les signaux d’alertes que nous envoie notre corps car on considère qu’il est normal de souffrir, il est logique que la fin probable de ce cercle vicieux soit le burn out. A ce propos, le site de l’INRS précise que le burn out se caractérise par trois dimensions : un épuisement émotionnel, une dépersonnalisation ou du cynisme, un sentiment de non-accomplissement personnel au travail.

Le coaching peut être un moyen de limiter les risques de burn out notamment en faisant évoluer certaines croyances de l’avocat. En particulier, la croyance en la souffrançocratie, croyance bien décrite par Idriss Aberkane [5] :
« J’adore ce que je fais. Et ça c’est un sujet qui crée une dissonance cognitive essentielle parce qu’il y a plein de gens dans ce monde, et ça c’est le sujet de mon travail et de mes conférences, qui pensent que si tu ne souffres pas, si tu n’es pas en train de te faire des milkshakes au prozac tous les matins, tu ne peux pas être productif. Tu as des gens qui ont un logiciel qui tourne au fond de leur tête qui est que la méritocratie en fait, c’est la souffrançocratie. Et que si tu n’es pas vraiment dépressif, tu ne peux pas travailler. »

Le coaching peut également être un moyen de développer son « système immunitaire psychologique », expression reprise d’un discours de Sheryl Sandberg. Elle précise à cette occasion :
« Être capable d’identifier un piège peut nous éviter d’y tomber. De même que notre corps possède un système immunitaire physiologique, notre cerveau est doté d’un système immunitaire psychologique que l’on peut apprendre à mettre en œuvre. »

Une avocate témoigne ainsi des apports du coaching dans sa vie professionnelle
 [6] :
« Ce que j’ai aimé dans le coaching, c’est que ça te donne des solutions opérationnelles, pragmatiques. [...] On ne se demande pas que pourquoi on est comme ça mais aussi comment on va faire telle chose. [...] On pourrait trouver des tas de moyen, chez les plus jeunes, à apprendre à s’écouter. De leur assurer qu’on n’est pas obligé de souffrir pour obtenir des choses. Ça ne veut pas dire qu’on n’est pas obligé de faire des efforts. Il y a la souffrance et faire des efforts. Je suis persuadée que l’effort est fondamental. »

Le coaching peut ainsi limiter le risque pour un avocat de se trouver en situation de burn out.
 
Le nombre de départs de la profession peut s’expliquer en partie par un niveau de connaissance de soi des avocats ne leur permettant pas d’identifier le type de cabinet dans lequel ils peuvent s’épanouir
 
Le rapport sur l’avenir de la profession d’avocat publié en février 2017 met en lumière un élément intéressant à cet égard, à savoir que 25 à 30% des avocats, selon leur année de prestation de serment quittent la profession avant leur dixième année d’exercice. Par exemple, en date de fin 2015, 30% de départs pour les avocats ayant prêté serment en 2007 et 25% de départs pour ceux ayant prêté serment un an plus tôt, en 2006.

Or, le fait qu’il existe un très grand nombre de façons d’exercer le métier d’avocat (en libéral ou en salariat, à Paris ou en région, en conseil ou en contentieux, de façon généraliste ou plus spécialisée) mais aussi de disciplines (des droits aussi variés que le droit pénal, le droit de la propriété intellectuelle ou le droit commercial pour n’en citer que trois sur les soixante-dix codes juridiques en vigueur) ou de cabinets (chaque cabinet offrant des conditions de travail spécifiques) interroge quant à l’impossibilité pour un avocat de trouver une façon d’exercer qui lui corresponde.

Le coaching peut être un moyen de répondre à ce besoin de connaissance de soi afin de permettre à un avocat de (re)trouver une façon d’exercer le métier de façon épanouissante.
 
Le coaching peut permettre une prise de recul salutaire dans un quotidien marqué par une importante charge de travail.
 
Pour finir, le coaching peut permettre une prise de recul salutaire dans un quotidien marqué par une importante charge de travail. Cela peut permettre ainsi à l’avocat de lever la tête du guidon et de cesser d’être comme un hamster qui court dans sa roue toujours plus vite sans trop savoir pourquoi.

Un processus de coaching peut ainsi être l’occasion de (re)choisir de faire les choses en conscience pour vivre pleinement sa vie. Typiquement, il peut permettre de prendre le temps d’effectuer le test de l’éternel retour, test cher au philosophe Nietzsche. En résumé, ce test revient à se demander si on mène sa vie de façon à ce qu’on serait prêt à la revivre éternellement. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a sans doute des éléments à changer. On peut faire l’exercice avec l’année qu’on vient de vivre.

C’est essentiel puisque comme le dit le psychothérapeute Irvin Yalom :
« Moins votre vie a été vécue, plus grande est votre angoisse de mort. Plus vous échouez à vivre pleinement votre vie, plus vous craindrez la mort ».

Conclusion.

« La cohérence est le maître mot de la psychothérapie. » (Irvin YALOM. La méthode Schopenhauer. 2005.)

Si l’on pousse jusqu’au bout la figure de style de personnification, la profession d’avocat gagnerait sans doute à suivre une psychothérapie afin de gagner en cohérence, et ainsi être capable de répondre aux besoins de ses membres.

Cela permettrait peut-être de banaliser le coaching en tant qu’outil de formation, en l’occurrence sur soi-même et permettant notamment le développement des intelligences intra-personnelle et interpersonnelle via l’acquisition de soft skills, au même titre que toutes les formations suivies dans le cadre d’une perspective de « la formation professionnelle tout au long de sa vie » prévue par l’article 6111-1 du code du travail.

Cela permettrait peut-être à un plus grand nombre d’avocats d’oser se faire accompagner afin de mettre toutes les chances de leur côté pour s’épanouir dans ce métier.

Cela permettrait peut-être aussi de répondre à une préoccupation récurrente des instances ordinales, à savoir endiguer le nombre de départs de la profession. Et ce d’autant plus que des signes montrent que la thématique du bien-être au travail, notamment chez la jeune génération moins encline semble-t-il à se conformer à la culture de la « souffrançocratie », prend de l’importance comme en atteste les évènements récemment organisés à ce sujet.

Cela permettrait peut-être enfin de faire du métier d’avocat un métier non seulement au service de la justice, mais également un métier plus juste, chacun ayant légitimement le droit de s’épanouir dans son travail.

Ainsi, si ce métier, qui est considéré à juste titre comme un beau métier, souhaite le rester, ne serait-il pas nécessaire que la profession prenne davantage en compte les besoins de ceux qui l’exercent au quotidien ?

Précaution (Note de l’auteur) : psychothérapie et coaching, si les deux s’abreuvent à la même source, à savoir notamment la psychologie, ne sont évidemment pas à confondre. Entre autres, ces deux modes d’accompagnement diffèrent par leur durée : 1 séance par semaine pendant plusieurs années pour la psychothérapie contre 6 à 10 séances sur 3 à 6 mois pour le coaching.

Benoît Rolland de Ravel Juriste Coach fondateur du cabinet de coaching ProSense
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