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Les Chaires en Droit ou l’alliance entre universités et entreprises : l’exemple de la chaire Droit de la consommation de Cergy Paris (1/3).
Parution : mercredi 15 juin 2022
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On peut être attaché au modèle universitaire français et à la qualité de formation qu’il dispense tout en regrettant qu’il soit parfois déconnecté du monde professionnel et de ses problématiques. Les chaires en droit permettent de venir combler cette lacune, et de renouer le lien par ce "dispositif, financé par une ou plusieurs entreprises mécènes, visant à développer la recherche et la pédagogie dans des domaines préalablement définis en accord entre les chercheurs impliqués et les entreprises partenaires." [1].
Pour vous expliquer le fonctionnement concret de ces chaires, le Village de la Justice a choisi de vous l’illustrer par trois exemples (Lire l’épisode 2 et l’épisode 3). Ici, la chaire droit de la consommation de Cergy Paris Université.

[N.D.L.R : Petit point sémantique, les chaires ici évoquées ne s’entendent pas au sens de chaire universitaire (ou "professorale") à savoir un poste permanent d’enseignement et de recherche universitaire attribué à un enseignant, qui obtient alors le titre de professeur [2].]

Le regard universitaire.

Celui de Carole Aubert de Vincelles, Professeure à CY Cergy Paris Université et Directrice de la Chaire Droit de la consommation, et de Natacha Sauphanor-Brouillaud, Professeure à l’Université Paris-Saclay (UVSQ), Co-directrice de la Chaire.

Pourquoi créer une chaire ? Quel est l’objectif ?

Les Chaires sont abritées par les fondations universitaires ; elles permettent de créer un espace entre l’Université et le monde socio-économique pour travailler ensemble sur une thématique définie. Ainsi, CY Fondation, fondation de CY Cergy Paris Université, abrite aujourd’hui dix chaires thématisées dans différents domaines, dont deux chaires en Droit.

Carole Aubert de Vincelles

Créées généralement à l’initiative d’enseignants-chercheurs, les Chaires développent ainsi des activités de recherche et/ou de formation, conjointement avec des partenaires extérieurs, sur une thématique commune à laquelle ils apportent un soutien financier par le biais du mécénat. C’est en réalité une structure très souple à disposition des enseignants-chercheurs qu’ils peuvent adapter en fonction de leurs objectifs.

Créée fin 2019, la Chaire Droit de la consommation a fait le choix de réunir dix acteurs majeurs du monde de la consommation de manière à croiser différents regards : institutions ou autorités (INC, ARPP), fédérations d’entreprise (FCA, FEVAD, FVD), association de consommateurs (UFC-Que Choisir), médiateurs (médiateur des communications électroniques, médiateur de l’AMF) et grandes entreprises (Fnac-Darty et Engie).

C’est une structure très souple à disposition des enseignants-chercheurs qu’ils peuvent adapter en fonction de leurs objectifs.

La Chaire Droit de la consommation s’est fixée deux objectifs principaux, un objectif scientifique et un objectif de formation :

- sur le volet scientifique, d’abord, la Chaire Droit de la consommation vise à évaluer la législation, proposer des évolutions et peser sur les choix stratégiques des décideurs, en développant une recherche de qualité en lien avec les besoins et les difficultés rencontrées par les acteurs du secteur de la consommation. Un pôle de réflexion sur le Droit de la consommation nous est apparu indispensable au regard de sa technicité croissante au contact des normes européennes très largement majoritaires en ce domaine, ainsi que de ses nouveaux enjeux environnementaux et numériques.

- quant à la formation, ensuite, a été créé, adossé à la Chaire, un Master de Droit des affaires parcours Droit de la consommation et des pratiques commerciales sur deux ans. Du fait de son adossement à la Chaire, les partenaires participent activement à la formation.

Qu’attendez-vous de vos mécènes et/ou partenaires ?

Tous les membres de la Chaire Droit de la consommation sont très investis, manifestant une réelle collaboration. Ils apportent une dimension pratique qui peut nous manquer, à nous universitaires, et qui s’avère nécessaire pour analyser au mieux l’effectivité, l’efficacité et l’opportunité de la législation. Leurs difficultés pratiques mettent souvent en lumière des lacunes, des insuffisances ou des effets pervers de règles existantes qui nourrissent notre réflexion.

Natacha Sauphanor-Brouillaud

Le fait d’avoir croisé différents regards – professionnels, consommateurs, institutions, etc. - apporte une très grande richesse à nos échanges. De plus, à raison de l’évolution très rapide des pratiques de consommation et des pratiques commerciales (plateformes numériques, consommation collaborative, objets connectés, …), être au contact de partenaires favorise une analyse plus rapide de l’adaptabilité de la législation. Notre regard critique sur le Droit en sort donc enrichi.

Sur la formation ensuite, l’apport des mécènes et des partenaires est inestimable pour les étudiants. Ils sont engagés dans la formation, prennent les étudiants en stage et cela dès le Master 1, sont intégrés à la formation et interviennent dans les cours, séminaires et conférences. Les étudiants comprennent plus facilement les enjeux pratiques des questions juridiques qu’ils traitent, et les partenaires disposent ainsi d’un vivier de futurs collaborateurs dont ils connaissent la qualité de la formation. Cette relation est ensuite poursuivie avec le réseau Alumni du Master qui garde contact avec ce formidable réseau professionnel.

Les étudiants comprennent plus facilement les enjeux pratiques des questions juridiques et les partenaires disposent d’un vivier de futurs collaborateurs.

Comment concrètement cela s’organise-t-il ?

La Chaire met, d’abord, en œuvre un travail de recherche collective d’analyse du Droit de la consommation et de propositions d’améliorations ou d’innovations. Cette activité scientifique prend la forme de groupes de travail, de webinaires, de rencontres, de colloques, de publications, sur une thématique déterminée en amont collectivement au sein du comité scientifique qui réunit les membres de la Chaire.

Nous venons également de créer un Prix – le Prix de la Chaire Droit de la consommation – qui récompense, tous les deux ans, le travail d’un jeune chercheur apportant un éclairage nouveau sur un domaine relevant du Droit de la consommation [3]

Enfin, les financements, gérés par CY Fondation et apportés par les mécènes et partenaires, contribuent à la réalisation de ces évènements et au développement de ces activités tout en permettant de financer chaque année un poste de post-doctorant affecté à la Chaire Droit de la consommation. La gestion opérée par CY Fondation, dont l’équipe est très réactive et dynamique, est d’une grande souplesse qui facilite beaucoup notre quotidien d’enseignant-chercheur. Je ne peux que recommander à mes collègues de se lancer dans une telle aventure !

Le regard des mécènes.

Celui d’ENGIE, représentée par Florence Lanoe, Directrice Juridique, d’ENGIE BtoC.

Pourquoi devenir mécène de la Chaire Droit de la consommation ?

Lorsqu’il y a deux ans j’ai reçu une proposition de co-fonder, avec des universitaires, des entreprises et des associations de consommateurs, la première Chaire du Droit de la consommation en France et contribuer à ses travaux je l’ai accueilli avec enthousiasme. Vous me demandez pourquoi.

Premièrement, ENGIE est un Groupe très engagé dans la RSE et a de nombreux partenariats et coopérations avec les mondes universitaire et scientifique en France et ailleurs dans le Monde pour anticiper et répondre au mieux aux besoins sociétaux de demain.

Florence Lanoe

Deuxièmement, ENGIE BtoC, dont je pilote la Direction Juridique et Ethique, est une entité d’ENGIE qui commercialise l’énergie, en offres de marché, ainsi que les services associés, à destination du grand public. Le secteur de l’énergie vit aujourd’hui des transformations sans précédent. D’une part, la France accélère le développement de nouvelles sources d’énergies (biogaz, hydrogène, solaire) et de technologies (digital). D’autre part, les enjeux climatiques et du renchérissement de l’énergie, contribue à l’accélération de la rénovation énergétique, de production d’énergie décentralisée, d’autoconsommation, de la mobilité verte.

Les recherches menées par les étudiants et les universitaires sont de nature à réconforter les analyses des juristes d’entreprise.

Enfin, compte tenu de la complexité des transformations économiques, technologiques et sociétales en cours, la protection des consommateurs étant devenue une des grandes priorités du Gouvernement français et des institutions européennes. A ce titre, je suis absolument convaincue que les accélérations évoquées ci-dessus doivent s’inscrire dans un cadre légal et régulatoire adapté tant pour les entreprises que pour les particuliers dans le respect des droits et des obligations de chaque partie. Le droit de la consommation permet cela. Mais le droit de la consommation est une discipline relativement jeune et qui ne cesse d’évoluer.

Qu’est-ce que le fait d’être mécène de la Chaire de la consommation vous apporte-t-il ?

Les recherches et analyses croisées menées par les étudiants de la Chaire et les universitaires sont de nature à réconforter les analyses des juristes d’entreprise. Et puis, savoir que demain de jeunes juristes spécialisés en droit de la consommation viendront renforcer mes équipes pour accompagner les projets d’ENGIE est rassurant. Soutenir et orienter leurs travaux procure également une grande satisfaction personnelle et professionnelle.

Celui d’Alain Bazot, Président d’UFC-Que choisir.

Pourquoi devenir partenaire de la Chaire Droit de la consommation ?

Première association de consommateurs de France, forte de 137 associations locales reparties sur tout le territoire traitant une centaine de milliers de litiges de consommation, ainsi que d’une longue et intense activité dans le contentieux au niveau national grâce à son agrément judiciaire, l’UFC-Que Choisir, promotrice d’une consommation responsable, a décidé sans aucune hésitation et avec enthousiasme d’être partenaire de la première et seule Chaire universitaire en France dans le domaine de la consommation.

Alain Bazot

En effet, le droit de la consommation est un outil de régulation des marchés au cœur de notre activité, et il nous importe, dans ce cadre, de valoriser, devant les chercheurs universitaires, et indirectement auprès des étudiants, notre expertise et notre importante expérience du contentieux et de les sensibiliser sur les enjeux très concrets de ce droit du quotidien, qui concernent notamment sa pertinence et son effectivité. Notre ONG se reconnaît dans la volonté de la Chaire de ne pas se cantonner à une vision exclusivement théorique et doctrinale du Droit de la consommation, mais de le présenter en mouvement, dans sa réalité pour les acteurs de marché, avec ces derniers.

Par la formation, l’UFC-Que Choisir entend œuvrer à éveiller les esprits quant à l’importance d’un droit qui doit rester simple, intelligible et à l’effectivité la plus grande possible.

Que vous apporte la Chaire ?

En confrontant les points de vue des différents praticiens du droit de la consommation, la Chaire permet d’avoir des échanges riches autant qu’intenses sur ce droit du quotidien, notamment à travers des conférences. Mais surtout, par la formation des étudiants, l’UFC-Que Choisir entend œuvrer à éveiller les esprits quant à l’importance d’un droit qui doit rester simple, intelligible et à l’effectivité la plus grande possible. Dans ce cadre, un accent particulier est mis à la question de l’accès au juge, à l’efficacité et l’exécution de ses décisions.

L’expérience du prétoire de l’UFC-Que Choisir nourrit sa réflexion sur la jurisprudence comme sur les textes quant aux évolutions nécessaires pour que le droit positif ne soit pas qu’un droit théorique, qu’il soit effectif, et pour cela que les manquements ou abus soient efficacement réprimés, et les victimes effectivement indemnisées. La Chaire permet à l’association de partager cette approche dans un cadre scientifique.

Pour plus d’informations...

La Chaire droit de la consommation est abritée par la fondation de CY Cergy Paris Université. Elle compte deux "grands mécènes" : ENGIE et Fnac Darty, et une dixaine de partenaires dont l’AMF [4], l’ARPP [5], l’INC, l’UFC Que Choisir.
Toutes les informations sur le site de la chaire ici.

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[2Définition : Wikipédia

[3La thèse récompensée sera publiée, sans frais pour le docteur, aux éditons Lextenso dans la collection Bibliothèque de droit privé. Le prochain évènement de la Chaire a lieu précisément le 1er juillet sur le thème des Enjeux européens des produits de consommation (durabilité des produits, passeport numérique, etc) à l’occasion de laquelle sera remis ce premier Prix (information sur cette rencontre ici).

[4Autorité des Marchés Financiers

[5Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité