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La baisse du nombre d’avocats dans 58 barreaux représente-t-elle un danger ?
Parution : jeudi 4 avril 2024
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Un constat : au niveau national, le nombre d’avocats en France continue de progresser. En un an (de janvier 2023 à janvier 2024), nous sommes passés de 74 882 avocats à 76 273, soit un gain de 1 391 nouveaux professionnels (une hausse de 2%).
La problématique est l’inégalité de la répartition des avocats sur l’ensemble du territoire et pour 58 barreaux, la baisse de leur effectif. N’y a-t-il pas un risque, comme en matière de santé, qu’apparaissent des "déserts en matière de réponse juridique" dans certaines localités et dans d’autres une sur-population de ces spécialistes du droit ? Autrement dit : dans un avenir plus ou moins proche, les barreaux peuvent-ils connaître la même crise que subissent les hôpitaux actuellement ?
C’est une question que pose ici la Rédaction du Village de la Justice.
Suite à l’étude des chiffres d’effectifs établis par le Conseil national des barreaux, nous vous proposons une réflexion et un état des lieux sur le dynamisme des barreaux en France. Quelle est l’incidence de ce dernier vis-à-vis de la réponse juridique proposée localement ? Quels sont les éléments qui jouent sur l’attractivité des barreaux, comment ces derniers (ré)agissent-ils en la matière ? Les instances représentatives perçoivent-elles cette disparité de la répartition de ses professionnels comme un danger potentiel ?

Pour commencer, dressons le portrait des barreaux par nombre d’avocats, en janvier 2024 :

58 barreaux (sur 164) ont donc perdu des avocats en un an ! (Nous verrons plus en détail l’ampleur dans les graphes ci-dessous).
Notre questionnement a été corroboré par des témoignages de bâtonniers ou d’avocats, dont celui d’une avocate au Barreau de la Meuse qui se réjouissait, dans un récent post sur les réseaux sociaux, de la venue de deux nouveaux avocats pour son barreau, "un événement rare" pour ce dernier qui n’avait pas connu cela depuis 15 ans [1]. Son message comme celui de bon nombre de bâtonniers de petits et moyens barreaux : « Le Barreau a besoin d’autres jeunes, rejoignez-nous ! »

En effet, lorsque l’on constate que sur les 1 391 nouveaux avocats, 914 (plus de la moitié) ont intégré le Barreau de Paris -les 477 autres se répartissant sur le reste du territoire français- on comprend clairement que certains barreaux sont moins bien dotés que d’autres et que cela peut, à terme, être un problème crucial quant au nombre suffisant d’avocats présents sur un territoire donné et la réponse juridique apportée localement à la population.

Par nos rencontres, nos recherches, nous sentons que certains bâtonniers ont pris en compte cette problématique et qu’ils ont la volonté (alors que cela ne fait pas partie de leurs attributions premières) d’attirer de nouveaux avocats, de développer leur barreau afin que ce dernier ne s’éteigne pas petit à petit.

La dynamique des barreaux étudiée de près, en chiffres et en graphiques.

Nous avons observé ici l’évolution du nombre d’avocats inscrits par barreau, entre janvier 2023 et janvier 2024.
Les situations sont très variables et même s’il faut prendre garde à la taille du barreau (rapportée à la population locale) pour analyser ce que représente la perte ou le gain d’un même nombre d’avocats (4 par exemple) dans un barreau, il semble évident que les effets sont importants sur l’offre juridique locale, quand un cabinet ferme ou ouvre (puis deux, puis trois...).


Voici quelques éléments de réflexion (liste non exhaustive) inspirés par cette dynamique extrêmement variée des barreaux...

Quelques premiers éléments de réflexion sur deux de ces points...

De la centralisation des écoles d’avocats à la délocalisation des étudiants de leur lieu d’études initial...

Il existe 11 écoles d’avocats [3] en formation initiale pour 164 barreaux ; elles sont réparties ainsi : Bordeaux, Bruz, Issy-les-Moulineaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Poitiers, Strasbourg, Toulouse et Viroflay. À noter que de telles écoles n’existent pas dans les DROM, les étudiants de ces territoires doivent venir en métropole. Les régions dessinées par cette situation centralisée des Écoles d’avocats sont-elles trop vastes ?

Selon les témoignages de bâtonniers, il semblerait que la situation géographique de l’école d’avocat dans une grande ville se fait au détriment des plus petits barreaux liés à cette école ou de ceux les plus éloignés. C’est ce que nous expliquait Me Girot-Marc, bâtonnier de Grenoble, dans un entretien de février 2024 : "Depuis que Grenoble a perdu son école de formation des avocats, l’école des avocats pour la région ayant été centralisée à Lyon (EDERA), peu d’avocats reviennent sur Grenoble, alors qu’ils sont natifs de cette ville ou qu’ils y ont fait leurs études. Et c’est pareil pour Chambéry, Annecy, ou encore Albertville...". Si cela pose un problème pour le barreau de Grenoble (ce dernier faisant tout de même partie de la "Conférence des 100" plus grands barreaux), alors que dire pour des barreaux plus petits et/ou plus éloignés... ou encore pour les barreaux ultra-marins dont les étudiants sont délocalisés sur le continent pour accéder à l’une des écoles d’avocats...

Même constat de la part d’Urielle Sébire, bâtonnière de Lisieux, barreau à la fois éloigné des centres universitaires de droit et des écoles d’avocats (Rennes, Lille, Paris). Son constat, le cursus pour devenir avocat étant de minimum 7 ans, beaucoup d’entre eux commencent leur vie près du lieu où ils ont fini leurs études et donc... pas à Lisieux [4].

... aux outils mis en place par les barreaux pour rester attractifs et "fidéliser" leurs avocats.

Parmi ces outils, on peut désigner les politiques volontaristes de certains barreaux en matière de diversité des formations continues, de QVCT, de RSE...

Politique de formation et d’accompagnement, c’est par exemple le Barreau de Nantes qui propose des formations continues dédiées aux avocats nouvellement installés traitant de la structuration de son activité, des démarches en début d’activité ou des bons réflexes au moment de l’installation [5].
Le Barreau d’Arras qui complète la formation pratique des jeunes avocats en matière de procédure pénale par un système de tutorat assuré par des avocats plus anciens [6]. Ou encore le Barreau de Grenoble qui propose à ses avocats une offre de formation continue très variée, allant des domaines les plus classiques (droit pénal, droit de la famille, droit du travail, droit des sociétés, droit fiscal...) aux plus pointus (RGPD, environnement, cybersécurité, finances, inter-professionnalité, RSE...).

Politique en matière de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et Qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) : comme dans toute profession, ces deux notions prennent tout leur sens auprès des avocats qui y sont de plus en plus sensibles, même si comme nous le disait Me Girot-Marc, la profession a près de 20 ans de retard en la matière (voir notre article). Et c’est ainsi, que certains barreaux mettent en place des politiques volontaristes en ce sens pour préserver l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle et éviter que leurs avocats ne quittent la profession, cette dernière devenant incompatible avec leurs valeurs, leur santé, leur vie familiale.
Cela passe par exemple par la création de crèche afin de faciliter l’organisation vie professionnelle/vie privée des avocats (Barreau de Bordeaux), par donner la priorité de passage aux audiences aux avocates enceintes (Barreau de Lyon [7]), par mettre en place une commission « Qualité de vie au travail à l’ordre », une cellule d’aide et des partenariats entre des psychologues et le barreau, le tout pour lutter contre le burn-out (Barreau de Grenoble). C’est aussi doter son barreau d’une commission RSE, car les avocats souhaitent donner du sens à leur métier et sont sensibles à l’incidence de ce dernier sur leur environnement (Barreau de Nantes)...

Politique de communication : un autre moyen de devenir attractif, c’est de se rendre visible et c’est ce qu’ont bien compris un bon nombre de barreaux et de Bâtonniers en communiquant sur le site internet du barreau, sur les réseaux sociaux, les médias [8]...


En conclusion, si pour le moment, au vu du nombre d’avocats présents en France, la dynamique des barreaux n’est pas en danger, il faut tout de même que les instances représentatives de ces professionnels restent vigilantes et en réflexion pour être prêtes à agir et accompagner les barreaux en difficulté.

Retrouvez ici au format pdf les statistiques des 164 Barreaux (sur 1 an)

Nous poursuivrons cette réflexion, et publierons chaque année une mise à jour de ces chiffres pour des tendances à plus long terme.

Marie Depay et Christophe Albert Rédaction du Village de la Justice.

[3Liste à retrouver sur le site du CNB.

[8Comme le Village de la Justice au travers de notre rubrique "L’actu des barreaux et juridictions" et notre magazine "Actus des Barreaux".