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Tour du Monde de la Legaltech, troisième escale : l’Espagne.
Parution : jeudi 2 août 2018
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Cet été, la rédaction du Village de la justice a décidé de partir en voyage en vous emmenant dans ses bagages, avec pour toile de fond l’un de ses sujets fétiches : les Legaltech ! En attendant le prochain Village de la Legaltech en France, allons voir si l’herbe est plus verte ailleurs, et surtout si les problématiques dans l’Hexagone sont transposables en dehors de ses frontières ou si nous pouvons tirer quelques enseignements "d’ailleurs"...
Après avoir visité le continent américain puis africain, retour en Europe, du côté de l’Espagne, pour rencontrer une aficionado des Legaltech, Laura Fauqueur.

Village de la Justice : Française d’origine, vous vous intéressez tant au marché de la legaltech en Espagne qu’en France. Quelle comparaison pouvez-vous établir, quels points communs, et sur quelles innovations le marché espagnol se détache-t-il du français ?

Laura Fauqueur : "En ce qui concerne les points communs, je soulignerai un manque de maturité de la Legaltech, et une difficulté pour contrôler les risques liés à leur utilisation. Un manque d’originalité également : il y a en effet beaucoup de concurrence pour certains types d’outils, alors que d’autres sont nécessaires mais inexistants, ou balbutiants. 

Par ailleurs, dans les deux pays, ce sont les directions juridiques qui sont les plus demandeuses de legaltech car elles ont beaucoup de pression, elles doivent obtenir de meilleurs résultats avec moins de budget, et sont en outre influencées par l’évolution technologique du reste de leurs organisations. Les cabinets d’avocats courent derrière ! 

C’est le même timing dans les deux pays : une nécessaire adaptation numérique pour les juristes et les avocats, qui ne savent pas bien où trouver des solutions.

Je note aussi le même timing : les juristes et les avocats sont « stressés » par le message omniprésent de la nécessaire adaptation numérique, la dématérialisation, etc., mais ils ne savent pas bien où trouver des solutions, quels investissements effectuer, comment s’y prendre, où se former, etc.

Il n’y a pas encore d’adoption généralisée d’intelligence artificielle pour les prises de décisions, comme c’est déjà le cas aux États-Unis. 

Enfin, les universités sont en train d’essayer de mettre leurs enseignements à la page et d’intégrer l’utilisation et la création de legaltech, ainsi que les changements qu’elle implique pour les juristes de demain.

Laura Fauqueur est française d’origine, et a débuté sa carrière comme interprète dans différents tribunaux madrilènes, pour ensuite travailler dans un cabinet d’avocats, où elle se consacre à la communication et au marketing juridique, et où elle se passionne pour la legaltech. Elle se joint notamment au mouvement "Legal Hackers". En 2016, elle s’associe avec María Jesús González-Espejo, pour fonder l’Instituto de Innovación Legal. [1] En 2017, elles organisent ensemble le programme #HackTheJustice avec la collaboration du ministère de la Justice espagnol, et en avril 2018 le Legal Design Challenge pour initier les juristes à la discipline du design thinking. Enfin, Laura Fauqueur est aussi ambassadrice de la European Legal Tech Association (ELTA).

J’en viens maintenant aux différences. La France est bien plus avancée en termes d’open data que l’Espagne, cette dernière ayant donc plus de mal à développer des outils prédictifs ou d’analyse, qui restent encore (mais plus pour longtemps !) la chasse gardée des maisons d’éditions reconverties en vendeurs de logiciels juridiques.

"Il existe en France un message institutionnel en faveur de la Legaltech que je rêve, d’entendre en Espagne !"

Il existe en outre en France un message institutionnel en faveur de la Legaltech que je rêve, comme d’autres, d’entendre en Espagne ! Pour ne citer que 2 évènements que j’ai beaucoup jalousés pour l’Espagne, je citerai la #VendomeTech où les acteurs de la LegalTech se sont réunis et ont échangé et exposé leurs solutions dans l’enceinte du Ministère de la Justice, et le Forum #LegalTech qui a eu lieu au Sénat récemment. (NDLR : Organisé par la Commission des lois, en partenariat avec Open Law et le Village de la Justice - retrouvez notre article sur le sujet ici )

Côté marketing, la réglementation a changé bien avant en Espagne, donc les cabinets sont bien plus libres ici de travailler leur marketing et même de faire leur publicité. Bien sûr, quand les premiers cabinets « sérieux » l’ont fait il y a quelques années, ça a choqué beaucoup de monde, avant finalement de rentrer dans les mœurs ! Nous avons désormais un cabinet qui a ouvert des antennes dans des centres commerciaux (Arriaga), et la LegalTech Reclamador engage plus de 2500 actions en justice chaque mois ! "
 
En France, même si cela tend à s’améliorer, il existe une certaine méfiance des professionnels du droit, notamment des avocats, vis à vis de la legaltech. Cette opposition et ces débats ont-ils également lieu en Espagne ?
 
"Comme je l’avançais dans le point précédent, nous n’avons pas encore connu de problèmes comme ceux survenus en France entre acteurs « traditionnels » du secteur juridique et Legaltech. 

"Il n’y a pour l’instant pas à ma connaissance de legaltech en Espagne qui ne comptent aucun avocat dans ses rangs".

Le marché des avocats est profondément différent en Espagne et en France (pour information, il y a plus d’avocats à Madrid que dans toute la France) et il n’y a pour l’instant pas à ma connaissance de legaltech qui ne comptent aucun avocat dans ses rangs. Le concept de « braconniers du droit » n’est donc pas vraiment à la page ici." 

Les grands rendez-vous des legaltech en Espagne indiqués par Laura Fauqueur :
- Le 1er World Legal AI Summit vient d’avoir lieu à Barcelone, et tout prête à croire que ce sera un évènement annuel.
- Congreso Legal Tech 
- Computational + Blockchain Festival  organisé par Legal Hackers partout dans le monde, entre autres à Madrid et à Barcelona, ainsi que les meetups périodiques de Legal Hackers dans différentes villes en Espagne (Madrid, Barcelone, Seville, Málaga, Asturias, Bilbao, etc.)
-  L’équivalent espagnol du Conseil national des barreaux, le « Consejo General de la Abogacía » organise tous les 4 ans un grand congrès, et celui de 2019 sera essentiellement axé sur la technologie et la legaltech et incluera un hackathon. 

Prochaine étape de notre Tour du monde, à suivre : la Chine avec Nicolas Coster !

Propos recueillis par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la justice.

[1Elles y forment avocats, enseignants et autres professionnels du droit en innovation juridique, legaltech et legal design.

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