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La péremption ne peut être opposée aux parties qui ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant. Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : mardi 3 octobre 2023
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L’allongement de la durée des procédures et l’encombrement des cours d’appel conduisent ces dernières, alors que les parties sont en état de plaider depuis de longs mois, à prononcer des péremptions d’instance exclusivement liées au retard de traitement des dossiers.
Dans cette perspective, les juridictions, les avocats, les parties sont actuellement en souffrance.
Article actualisé par son auteur en décembre 2024.

Il en résulte que le retard très important dans le traitement des dossiers constitue une circonstance nouvelle devant conduire à une nécessaire évolution des textes et de la jurisprudence tant que les délais d’audiencement seront supérieurs au délai de péremption

Dans ce contexte de surcharge des cours d’appel, lorsque c’est à la juridiction que sont objectivement imputés « les temps morts de procédure » dans le traitement des dossiers pouvant aller jusqu’au délai déraisonnable, la péremption ne devrait plus être opposée aux parties puisqu’elle ne sanctionne plus leur inertie.

1- La péremption de l’instance d’appel peut être relevée de plein droit d’office par le juge.

L’article 386 du Code de procédure civile instaure le principe d’une péremption d’instance qui sanctionne le demandeur à une procédure lorsque pendant un délai fixé à 2 ans, il s’abstient d’accomplir des diligences susceptibles de faire évoluer le procès.

La péremption éteint l’instance et prive notamment la partie demanderesse, lorsqu’elle est soumise à un délai de prescription, de la possibilité de ressaisir une juridiction. C’est le cas notamment pour les procédures d’appel qui sont strictement encadrées au titre des délais pour former appel.

La péremption d’instance de l’appel est présentée non seulement comme une sanction contre les parties mais également comme un mode de gestion du rôle laissé à la seule initiative des parties, ce qui n’est plus le cas depuis le décret du 6 mai 2017 qui prévoit désormais que la péremption peut être relevée d’office par le juge.

L’inactivité prolongée des parties éteint l’instance d’appel.

Celle-ci est en effet périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans [1].

La jurisprudence de la Cour de cassation estime que la péremption d’instance ne peut être due qu’à l’inertie des parties mais non pas à l’incurie des organes de la procédure et à l’inaction du Conseiller de la mise en état.

La péremption en cause d’appel se différencie de la péremption devant le premier degré de juridiction par ses effets.

En appel, la péremption confère au jugement la force de chose jugée.

Le jugement rendu au premier degré ne peut plus faire l’objet d’aucun recours.

Le jugement devient irrévocable.

2- La péremption peut être opposée aux parties même si ces dernières ont intégralement rempli dans les délais fixés par la loi, les charges de procédure qui leur étaient imposées.

Depuis le décret n°2017-891 du 6 mai 2017, les parties sont soumises à une concentration des prétentions.

En vertu de l’article 910-4 du Code de Procédure Civile, les parties ont désormais l’obligation de présenter dès leurs premières conclusions l’ensemble de leurs prétentions sur le fond.

Le principe de concentration a pour effet qu’une fois le délai de dépôt des conclusions passé, les parties ne peuvent ajouter aucune prétention. Désormais, après l’expiration des délais pour conclure et pour communiquer les pièces et le respect des délais des articles 905-2, 908 à 910 du Code de Procédure Civile, l’affaire est fixée.

L’affaire est en état d’être jugée et les parties n’ont plus de diligences à accomplir.
La péremption est donc suspendue à l’expiration des délais.

Mais l’allongement de la durée des procédures et l’encombrement des cours d’appel conduisent ces dernières, alors que les parties sont en état de plaider depuis de longs mois, à prononcer des péremptions d’instance exclusivement liées au retard de traitement des dossiers.

Il est, en effet, exigé des parties, alors qu’elles ont respecté les termes, charges et délais de la procédure engagée et qu’elles sont dans l’attente de la fixation d’une audience, qu’elles soient à l’origine d’une « impulsion procédurale » pour éviter la péremption.

Il en résulte que la pratique des Conseillers de la mise en état des cours d’appel de France connaissent des transformations du fait des allongements des délais d’audiencement et de nombreux litiges pendants se situent en effet dans deux hypothèses :

Il est évident que les parties qui ont initié une procédure et respecté l’intégralité des charges procédurales dont elles étaient débitrices, n’ont pas à subir la durée anormalement nécessaire pour le traitement des dossiers par les juridictions en se voyant opposer la préemption de l’instance qu’elles avaient engagée.

En droit, l’article 6-1 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales exige que la durée de la procédure s’inscrive dans « un délai raisonnable ».

C’est pourquoi, l’article unique de la proposition de loi n° 5076 Assemblée Nationale enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 février 2022 renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement), présentée par Mme Anne-Laurence Petel, députée tendait à voir écarter la péremption d’instance prévue par l’article 386 du Code de procédure civile au profit des justiciables ayant accompli les actes de procédure mis à leur charge, et visait à compléter l’article 386 par un principe selon lequel :

« La péremption ne peut être opposée aux parties qui ont accompli les actes de procédure mis à leur charge dans les délais qui leur étaient impartis ».

Les évolutions toutefois envisageables étant étroitement liées à la pratique juridictionnelle, la Conférence nationale des Premiers Présidents de cours d’appel et du Conseil National des Barreaux ont été saisis pour examiner la jurisprudence de la Cour de cassation au regard de la situation actuelle des cours d’appel avec le Barreau de Paris qui a souhaité participer activement afin d’éclairer les réflexions dédiées à la péremption d’instance par leurs compétences et leurs connaissances.

Dans cette perspective, souhaitons que la solution qui sera retenue permette d’accompagner les juridictions, les avocats, les parties actuellement en souffrance.

L’arrêt de la Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation du 7 mars 2024 a opéré un revirement de jurisprudence.

Le principe posé par l’arrêt du 7 mars 2024 :

« Lorsque le Conseiller de la mise en état n’a pas été en mesure de fixer avant l’expiration du délai de péremption de l’instance, la date de la clôture ainsi que celles des plaidoiries, il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de la date des débats à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption. Il résulte de la combinaison des textes 910-4, 905-2 et 908 à 910 et 386 du Code de Procédure Civile qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière ».

Cette décision d’opportunité procédurale n’est pas d’une grande logique sur le plan procédural.

Elle fait disparaître dans une certaine mesure la péremption en cause d’appel.

Le problème n’est pas tant la durée des procédures en appel mais l’incapacité des avocats à la surveiller.

Accueillons cette souplesse pour ce qu’elle vaut, mais n’oublions pas que le code de 1807 connaissait déjà la péremption.

Reste que son application pratique ne manquera pas de poser des problèmes car lorsqu’on ouvre une brèche, on ne sait pas quelles seront toutes les conséquences.

Oui, mais attention ! cette décision qui était très attendue risque d’avoir la vie très courte parce que le projet de décret annoncé pour juin prévoit une solution différente.

A suivre, donc…

La question :
En l’absence de diligences particulières à accomplir par les parties, la Cour peut-elle prononcer la péremption de l’instance ?

La réponse :
Dans un arrêt du 21 novembre 2024, la Cour de Cassation a répondu à cette question négativement.
Elle rappelle, donc, sous le visa de cet l’article 386 précité, que l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. Selon l’article R. 221-2 du Code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction issue du décret n° 2010-1234 du 20 octobre 2010, lorsqu’un tribunal d’instance est créé ou lorsque le ressort d’un tribunal d’instance est modifié par suite d’une nouvelle délimitation des circonscriptions administratives ou judiciaires, le tribunal primitivement saisi demeure compétent pour statuer sur les procédures introduites antérieurement à la date de création du tribunal ou de modification du ressort. Lorsqu’un tribunal d’instance est supprimé, toutes les procédures en cours devant cette juridiction à la date d’entrée en vigueur du décret de suppression sont transférées en l’état au tribunal d’instance dans le ressort duquel est situé le siège du tribunal supprimé sans qu’il y ait lieu de renouveler les actes, formalités et jugements régulièrement intervenus antérieurement à cette date, à l’exception des convocations, citations et assignations données aux parties et aux témoins qui n’auraient pas été suivies d’une comparution devant la juridiction supprimée. En conséquence, viole ces textes, la cour d’appel qui, pour confirmer le jugement ayant constaté la péremption de l’instance, retient que les appelants se prévalent en vain des effets de la suppression des tribunaux d’instance des arrondissements parisiens et de la création du tribunal d’instance de Paris, la suppression du tribunal d’instance de Paris 2e n’ayant pas eu d’effet sur le cours du délai de péremption, alors que la procédure en cours devant être transférée au tribunal d’instance de Paris dont la création entrait en vigueur le 14 mai 2018, en application de l’article 5 du décret n° 2017-1643 du 30 novembre 2017, les parties n’étaient tenues d’accomplir aucune diligence particulière, la direction de la procédure leur échappant.
Tel est le principe.

3- Il faut favoriser les MARD afin de permettre au justiciable de se « réapproprier » son procès civil.

L’objectif du ministère en matière de procédure civile est clair : il s’agit de « diviser par deux » d’ici la fin du quinquennat les délais de justice. Il faut donc favoriser les MARD, afin de permettre au justiciable de « se réapproprier » son procès civil, le ministre rappelant que ces procès représentent 60% du contentieux.

Pour cela, il s’agit de lancer une « véritable politique de l’amiable ». D’une manière générale, dans le projet annoncé, les dossiers prenant la voie de la résolution amiable seront prioritaires devant les juridictions, afin d’encourager les justiciables à se saisir des nouvelles procédures de règlement amiable.

A compter du 1er novembre 2023, devant le tribunal judiciaire, les parties et le juge pourront utiliser deux nouveaux modes de résolution amiable des litiges : l’audience de règlement amiable et la césure du procès.

L’idée est qu’en démultipliant l’offre, les parties, leurs avocats, les juges s’en saisissent plus volontiers, non pour réguler les flux, mais pour parvenir à des décisions de qualité.

Sources.

Articles sur le Village de la Justice :

Benoit Henry, bhenry@recamier-avocats.com Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel Barreau de Paris [->http://www.reseau-recamier.fr/] bhenry@recamier-avocats.com Président du Réseau Récamier Membre de Gemme-Médiation https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

[1Article 386 du Code de Procédure Civile.

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