Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice pour la période 2023-2027 (Projet de loi d’orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027, texte n°569 (2022-2023) de M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, déposé au Sénat le 3 mai 2023) prévoit la modification du Code de procédure pénale avec notamment la modification de dispositions relatives à l’enquête. Il convient dans le cadre de cet article de s’intéresser plus précisément à l’article 3 de ce projet de loi qui prévoit l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu de son propriétaire.
Le 7 juin 2023, le Sénat a adopté en première lecture cet article 3. Le 5 juillet 2023, l’Assemblée nationale a également voté en faveur de ce texte. Ces nouvelles techniques d’enquête font l’objet de controverses.
L’Observatoire des libertés et du numérique (ONL) parle de « surenchère sécuritaire du gouvernement » et souhaite mettre en garde
« si ce texte était définitivement adopté, cela démultiplierait dangereusement les possibilités d’intrusion policière, en transformant tous nos outils informatiques en potentiels espions. Il est, à cet égard, particulièrement inquiétant de voir consacrer le droit pour l’Etat d’utiliser les failles de sécurité des logiciels ou matériels utilisés plutôt que de s’attacher à les protéger en informant de l’existence de ces failles pour y apporter des remèdes ».
Ainsi, cet article 3 est composé de deux dispositions. La première est relative aux délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et la deuxième concerne les affaires de terrorisme, délinquance et criminalité organisée.
Pour les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement.
La première disposition de l’article 3 prévoit :
« Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou un délit punit d’au moins cinq ans d’emprisonnement l’exigent, le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction peut autoriser, dans les mêmes conditions que celles mentionnées aux 1° et 2° de l’article 23°-33, l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel. La décision comporte alors tous les éléments permettant d’identifier cet appareil ».
Ainsi, cette première disposition s’applique en droit commun puisqu’elle permet, pour les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement, uniquement la localisation en temps réel de l’objet électronique utilisée par la personne visée par une enquête à son insu ou sans son consentement.
Pour le terrorisme, la délinquance et criminalité organisée.
La deuxième disposition touche la criminalité organisée et permet la sonorisation et la captation d’image dans un lieu privé tel qu’un appartement ou une voiture sans qu’un dispositif technique soit mis en place par les enquêteurs. Autrement dit, il ne sera plus nécessaire pour les enquêteurs de s’introduire dans des lieux ou véhicules privés ou publics pour recueillir des images ou paroles confidentielles.
La deuxième disposition de l’article 3 dispose : « Le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction, après avis du procureur de la République, peut autoriser l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur aux seules fins de procéder aux opérations mentionnées à l’article 706-96 ».
L’article 706-96 du Code de procédure pénale mentionné ci-dessus dispose :
« Il peut être recouru à la mise en place d’un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé ».
Pour le ministre de la justice, Monsieur Éric Dupont-Morretti, ces mesures ne sont pas nouvelles puisqu’elles sont déjà utilisées par les officiers de police judiciaire avec notamment la pose de balises, de micros ou de caméras.
Selon lui, le constat qui en ressort est une perte d’efficacité et un accroissement des dangers encourus par les enquêteurs. L’adoption de cet article 3 permettrait d’une part, de protéger les enquêteurs et d’autre part, de faire face aux difficultés en matière de criminalité organisée. En effet, les personnes suspectées peuvent contournent leur connexion en passant par des systèmes cryptés, retirer les balises voire acquérir le matériel technologique nécessaire pour brouiller les signaux émis. Par conséquent, les enquêteurs n’auront plus à s’introduire dans des lieux privés puisqu’ils pourront réaliser à distance ces opérations. En d’autres termes, l’intrusion n’est plus nécessaire.
Pour cela, les enquêteurs vont pouvoir exploiter les failles de sécurité des appareils électroniques et installer un logiciel leur permettant d’en prendre le contrôle.
En outre, ces dispositions législatives semblent présenter des garanties telles que la durée limitée dans le temps de la géolocalisation d’un appareil électronique et le fait que seulement certaines infractions soient concernées. Un contrôle judiciaire est également mis en place avec une autorisation du juge pour réaliser ces opérations d’activation.
- Pour les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement : le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction à la requête du procureur de la République peut autoriser l’activation d’un appareil électronique. Ainsi, la requête déposée par le procureur de la République doit être « écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires ».
- Pour le terrorisme, la délinquance et la criminalité organisée : « le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction, après avis du procureur de la République, peut autoriser l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur ».
A l’heure actuelle, seulement le procureur de la République intervient. Cet article permettrait l’intervention du JLD qui doit donner son autorisation pour déclencher la géolocalisation d’un appareil électronique.
Des limites existent également quant aux délais d’activation des appareils électroniques à distance.
- Pour les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement : « la durée d’autorisation mentionnée au premier alinéa de l’article 706-95-16 est alors réduite à quinze jours renouvelables une fois ».
- Pour le terrorisme, délinquance et la criminalité organisée : « celle mentionnée au deuxième alinéa de ce même article est réduite à deux mois, sans que la durée totale d’autorisation des opérations ne puisse excéder six mois ».
L’article 3 prévoit une prohibition quant à l’activation d’appareils électroniques à distance pour les députés, sénateurs, avocats, magistrats, médecins et journalistes.
Néanmoins, l’article poursuit en indiquant : « S’il apparait que des données collectées au moyen de cette activation proviennent d’un appareil se trouvant dans l’un des lieux mentionnés aux articles 56-1, 56-2, 56-3 et 56-5, celles-ci ne peuvent être retranscrites ». Autrement dit, lors de l’activation d’appareils électroniques à distance, des données peuvent être collectées au sein de lieux protégés tels que les cabinets d’avocats.
L’interdiction concerne uniquement la retranscription de ces données, pas la collecte.
L’imprécision de la loi à ce sujet porte naturellement atteinte au secret professionnel et à la sincérité des échanges puisqu’un volume important de données à caractère confidentielles peuvent être collectées. Force est de constater également que cet article 3 permet un contournement des dispositions législatives en vigueur interdisant la mise sur écoute des téléphones des avocats.
En ce sens, le Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Paris a indiqué dans un communiqué en date du 17 mai 2023 :
« Cette possibilité nouvelle de l’activation à distance de tout appareil électronique dont le téléphone portable de toute personne qui se trouve en tout lieu constitue une atteinte particulièrement grave au respect de la vie privée qui ne saurait être justifiée par la protection de l’ordre public.
En outre, le projet n’interdit pas, par leur collecte, l’écoute des conversations dans son cabinet, entre l’avocat et son client, même si leur transcription est prohibée. Il s’agit là d’une atteinte inadmissible et contraire au secret professionnel et aux droits de la défense.
Ces dispositions apparaissent contraires à la Constitution, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ».
Quid de l’enregistrement de personnes tiers présentes avec la personne suspectée ? Quid de l’enregistrement ou de la captation d’images d’une personne suspectée présente dans un espace public ?
Le Conseil d’État estime qu’il s’agit là de graves atteintes à la vie privée de ces personnes. En effet, le texte fait référence à « tout appareil électronique » ce qui suppose un périmètre assez vaste. En effet, il s’agit en réalité de tout appareil disposant d’un micro, d’une caméra et d’une connexion réseau. A titre d’exemple, on peut citer, les babyphones, les assistants vocaux tels que Google Home, les télévisions connectées ou encore la caméra d’un ordinateur portable…On peut donc légitimement craindre des abus de la part des enquêteurs en raison de l’imprécision du texte législatif et du nombre d’appareils électroniques que peut détenir une personne.
Ainsi, il convient également de se questionner sur les potentielles futures dérives liées à l’utilisation de ces dispositifs qui pourraient dépasser le cadre de l’enquête pénale.
L’expansion de ces techniques qui s’avèrent encore méconnues peut entraîner de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés publiques tels que le droit au respect de la vie privée, au consentement, la liberté d’aller et venir, à l’intimité, le secret professionnel et le droit de la défense.
Toutefois, il convient de souligner que les moyens dont disposent les enquêteurs aujourd’hui ne deviendront pas plus efficaces lorsqu’ils empiètent de manière manifeste sur les droits et libertés individuelles. Il est donc essentiel de penser à un véritable équilibre entre les libertés et les exigences de sécurité.
A l’heure actuelle, le risque encouru avec l’adoption de cette disposition considérée comme « spéciale » ou « expérimentale » est qu’elle soit étendue à d’autres champs à l’avenir que celui uniquement des délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement, de la criminalité organisée ou du terrorisme.