L’intéressé a alors assigné en justice la société Google Inc pour avoir refusé de retirer définitivement les contenus litigieux en ce qu’il ne lui appartenait pas de « faire la police sur internet » et qu’il ne pesait sur elle aucune obligation « de surveillance a priori des contenus indexés ».
Les juges du fond relèvent que la responsabilité de la société Google est incontestablement engagée dès lors qu’elle a refusé de supprimer les images litigieuses, lesquelles figuraient sur son moteur de recherche, alors qu’elle avait eu connaissance de l’atteinte que ces images portaient à la vie privée du demandeur.
Le Tribunal condamne donc la société Google et ordonne, sous astreinte de 1 000 € par manquement constaté de « retirer et de cesser, pendant une durée de cinq années, l’affichage sur le moteur de recherche Google Images que la société Google exploite, de neuf images dont Max Mosley a demandé l’interdiction ».
Bien que la portée de cette décision soit incertaine (II), ce jugement livre un message fort en condamnant la société Google pour violation du droit au respect de la vie privée (I).
I. Vers un renforcement du respect de la vie privée sur internet
Ce jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de grande instance de Paris, chambre compétente pour tous les contentieux relatifs au droit de la presse, est intéressant puisqu’il s’inscrit dans la lignée d’une solution jurisprudentielle bien acquise : l’application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 aux atteintes perpétrées par tout moyen de communication en ligne.
En effet, il convient de rappeler qu’à l’origine et telle que pensée par ses rédacteurs, la loi du 29 juillet 1881 avait vocation à s’appliquer uniquement en matière de presse écrite sur support papier. Cependant, l’avènement et le développement des nouvelles technologies a permis aux internautes de s’exprimer, communiquer, d’écrire et de diffuser à plus grande échelle leurs messages et contenus par l’intermédiaire des nouvelles technologies. Dans cette perspective, la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 27 mars 2005 que la loi du 29 juillet 1881 s’applique à toute communication au public exercée par voie électronique. Si bien que toute atteinte perpétrée par le biais des nouvelles technologies est susceptible d’être condamné sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.
En l’espèce, le Tribunal fait une exacte application de cette jurisprudence puisqu’il condamne la société Google Inc pour avoir porté atteinte au droit à la vie privée du demandeur alors que celui-ci avait entrepris toutes les démarches nécessaires pour faire cesser ces atteintes.
Outre la condamnation de la société exploitante du moteur de recherche sur ce fondement, la décision prononcée par le Tribunal de Grande Instance de Paris semble infléchir en faveur d’une prise en compte du droit à l’oubli numérique, aspect dépendant du droit à la vie privée.
Effectivement, le Tribunal condamne Google à retirer « l’affichage » des neuf images litigieuses dans son moteur de recherche tout en laissant à la société Google le soin de mettre en place les mesures qu’elle juge appropriées pour faire cesser cette atteinte pendant une durée de cinq ans. Le Tribunal condamne donc la société Google a effacer durablement tout indexe ou lien vers ces images afin que les internautes ne puissent plus y accéder.
Le droit à l’oubli définit comme « le droit pour chaque individu à ce que des éléments relevant de sa vie privés soient retirés des contenus en ligne », est à ce jour implicitement consacré à l’article 6 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 et se définit.
Néanmoins, conscients des problèmes suscités par les nouvelles technologies et leurs évolutions, une proposition de règlement européen du 25 janvier 2012 votée par le Parlement européen le 21 octobre dernier, prévoit un article 17 relatif au « droit à l’oubli numérique et à l’effacement » fixant ses conditions de mise en œuvre.
Néanmoins, si cette décision doit être approuvée en ce qu’elle sanctionne les atteintes à la vie privée réalisées dans le cyberespace, la portée de cette décision est, à tout le moins, incertaine.
II. La portée incertaine de cette décision
Dans cette décision, le Tribunal de grande instance de Paris se contente d’imposer à la société Google de retirer les neuf images apparaissant sur le moteur de recherche. Cette décision est vecteur de plusieurs difficultés.
D’une part, le Tribunal impose le retrait des neuf images prises à partir d’une vidéo attentatoire à la vie privée de Monsieur Mosley. A contrario, si d’autres images prises à partir de cette même vidéos apparaissaient dans le moteur de recherche Google, celles-ci ne pourrait pas être retirées sans notification préalable du demandeur dans la mesure où la condamnation prononcée par le Tribunal serait dépourvue d’effet pour ces autres images apparues.
D’autre part, il convient de constater que seule la société Google Inc a été condamnée dans la mesure où le Tribunal a mis hors de cause la société Google France. Or, on peut s’interroger sur l’effectivité de cette décision dans la mesure où la société exploitante du moteur de recherche refuse souvent d’exécuter les décisions de condamnation prononcées à son encontre. En effet, il convient de rappeler, à titre d’illustration, que la société Google Inc a refusé d’exécuter, dans une affaire de contrefaçon, le jugement du Tribunal de commerce de Paris en 2008, puis l’arrêt de la Cour d’appel en 2010. C’est d’ailleurs pour défaut d’exécution de l’arrêt rendu par la Cour d’appel que le pourvoi en cassation de la société Google Inc a été radié.
Aussi, on peut considérer qu’en mettant hors de cause la société Google France, le demandeur aura les plus grandes difficultés à faire exécuter cette décision aux Etats-Unis.
Enfin, on peut regretter que cette décision ne prenne pas position pour la mise en place d‘un système de filtrage. En effet, le Tribunal de grande instance aurait pu se prononcer en ce sens comme d’autres tribunaux précédemment. A titre d’exemple, le Tribunal de commerce de Paris a imposé à la société DMIS, le 26 juillet 2007, la mise en place d’un système de filtrage durant six mois.
Plus récemment le Tribunal de grande instance de Créteil a obligé Youtube à « installer sur son site un système de filtrage efficace et immédiat des vidéos dont la diffusion a été ou sera constatée par l’INA qui n’est pas incompatible avec la qualification d’hébergeur ».
En conclusion, cette décision met en lumière la volonté manifeste d’instaurer un cadre juridique plus efficient et plus protecteur de la vie privée des individus.