Pour preuve, 61,2% des jugements du conseil des prud’hommes sont contestés en appel. L’une des causes - pour ne pas dire la principale - de cet état de fait, se trouve dans le manque criant de compétences juridiques de beaucoup de conseillers prud’hommes. Dès lors, ne faudrait-il pas supprimer l’institution et la fonction prud’homales et confier le contentieux du travail aux seuls "vrais juges" ? La question peut paraître osée, mais elle mérite d’être posée.
En France, on dénombre 210 Conseils de prud’hommes [1], pour 14 512 postes de conseillers prud’hommes [2].
Nombreuses sont les critiques dont fait l’objet la prud’homie et qui, loin de la voir comme l’avatar d’un certain idéal moderne de justice [3], la dépeignent davantage comme une institution désincarnée [4].
Parmi ces critiques, il y en a au moins une qui est des plus récurrentes : l’incompétence juridique des conseillers prud’hommes.
Les insuffisances en matière de compétence juridique des conseillers prud’hommes sont régulièrement mises en lumière, que ce soit dans les études [5], dans les chroniques de praticiens du contentieux du travail [6], ou tout simplement par les acteurs du monde professionnel [7].
Par compétence juridique, nous entendons notamment, la connaissance du droit du travail - et accessoirement de la procédure civile [8] - l’aptitude à l’analyse et au raisonnement juridiques (herméneutique juridique, syllogisme juridique, etc.), la maîtrise du langage et de la rédaction juridiques.
A titre liminaire, il est important et opportun de rappeler comment sont désignés les conseillers prud’hommes. Avant 2017, ils étaient élus respectivement par les salariés et les employeurs. L’ordonnance n° 2016-388 du 31 mars 2016 a modifié les règles de cette désignation, en passant de l’élection à la nomination. Désormais, les conseillers prud’hommes sont désignés conjointement par le ministre de la justice et le ministre chargé du travail, tous les quatre ans, sur proposition des organisations syndicales et professionnelles. Les conditions requises sont les suivantes [9] :
1° Etre de nationalité française ;
2° Ne pas avoir au bulletin n° 2 du casier judiciaire de mentions incompatibles avec l’exercice des fonctions prud’homales et n’être l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques ;
3° Etre âgés de vingt et un ans au moins ;
4° Avoir exercé une activité professionnelle de deux ans ou justifier d’un mandat prud’homal dans les dix ans précédant la candidature.
C’est tout...
Ainsi, aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune connaissance en droit, aucune qualification juridique quelconque, ne sont exigées pour exercer les fonctions de conseiller prud’hommes. Plus qu’une exception, c’est une étrangeté en Europe ! Cette situation est somme toute aberrante pour une institution qui fait partie intégrante de l’ordre judiciaire et qui, de ce fait, est censée rendre la justice.
A toutes fins utiles, nous tenons à préciser qu’il n’est point question pour nous, dans le présent billet, d’essentialiser les conseillers prud’hommes. La prud’homie n’est pas un univers homogène où toutes les biographies seraient identiques. On y trouve des personnes pétries de consistance et de rigueur intellectuelles, et ayant acquis des savoirs et des savoir-faire juridiques n’ayant rien à envier à ceux des juristes professionnels [10]. Toutefois, force est de relever, pour le déplorer, qu’on y trouve aussi, trop souvent, des profils dont les compétences juridiques sont au mieux, rudimentaires, au pire, inexistantes. Or, le mandat prud’homal est un mandat bien spécifique « dans la mesure où il requiert des compétences juridiques que tous les conseillers n’ont pas » [11].
C’est ce qui pose problème.
I - Un déficit de compétences juridiques, source d’un déficit d’acceptabilité des jugements.
Il suffit d’avoir lu un certain nombre de jugements de conseils de prud’hommes pour se rendre à l’évidence du problème : motivation lapidaire, argumentation lacunaire, fautes d’orthographe et de grammaire…
La réalité laisse ainsi, trop souvent, perplexe. Ce constat - qui au demeurant n’est pas du tout un jugement de valeur de notre part - est objectivé notamment par les rapports émanant du ministère de la justice [12] et du Sénat [13], par les récits de greffiers travaillant au sein même de ces conseils de prud’hommes [14], ou même par les avis de magistrats chevronnés.
Par exemple, Gérard Gélineau-Larrivet, président honoraire de la chambre sociale de la Cour de cassation, admet le fait que les décisions des conseils de prud’hommes ne sont pas toujours rendues selon les canons habituels et sont même parfois trop elliptiques tant sur le plan des faits qu’au niveau de l’analyse juridique [15].
L’un des points sur lesquels les jugements des conseils de prud’hommes pèchent le plus, est la motivation, c’est-à-dire l’action de donner les motifs pour justifier rationnellement en fait et en droit une décision [16]. Il s’agit d’un exercice technique qui ne s’improvise pas [17], car il doit répondre à certaines exigences méthodologiques : une véritable réponse aux moyens des parties ; une juste appréciation des faits et des preuves ; l’application des règles de droit appropriées [18]. Comme l’indique Antoine Bolze, la motivation est à la fois une justification pour convaincre et une explication pour faire accepter la décision.
C’est elle qui fait que le justiciable soit en mesure de comprendre la décision qui est rendue, surtout si elle lui est défavorable [19]. Or,
« le passage d’un délibéré oral et collégial à la rédaction d’un jugement motivé s’avère parfois un exercice difficile pour des conseillers qui exercent par ailleurs des métiers très éloignés du monde juridique » [20].
La motivation du jugement et l’acceptation de celui-ci sont intimement liées. Ainsi qu’il ressort du rapport sénatorial du 10 juillet 2019 [21], un justiciable aura d’autant plus souvent tendance à faire appel d’une décision qui lui est défavorable que sa motivation lui semblera insuffisante ou incompréhensible. La défaillance dans la motivation des jugements des conseils de prud’hommes ne peut que donner au justiciable, à juste titre, le sentiment d’être face à l’arbitraire.
Pour preuve, 61,2% des jugements des conseils de prud’hommes sont contestés en appel [22]. C’est le taux d’appel le plus élevé de toutes les juridictions civiles françaises [23] - Or, pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme, « Il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civile dans un délai raisonnable » [24] - A l’aune de ce triste record, le moins que l’on puisse dire est que la justice prud’homale n’inspire pas confiance.
Ce qui n’est guère étonnant. Quelle confiance aurait un patient envers un « médecin » lui appliquant des soins sans avoir appris la médecine ? Quelle confiance devrait avoir le justiciable en des « juges » du travail qui n’ont pas appris le droit du travail ? Pourtant,
« l’objectif majeur de tout système judiciaire doit être de faire en sorte que les citoyens aient confiance dans le fonctionnement des organes en charge du règlement des litiges » [25].
II - Les conseillers prud’hommes, juges du droit ou de l’émotion ?
Il ressort du rapport du 10 juillet 2019 du Sénat sur la justice prud’homale que
« le bon fonctionnement des conseils de prud’hommes dépend fortement de la personnalité des conseillers, en particulier des présidents et vice-présidents des CPH, ainsi que des présidents et vice-présidents de section, qui dirigent de fait les débats et les travaux des sections… » [26].
Le rapport conclut qu’une telle situation n’est pas satisfaisante du point de vue du justiciable, au regard du principe d’égalité devant la justice.
Aussi, comme le rappelle Alain Lacabarats, président de la chambre honoraire à la Cour de cassation, « la principale obligation que tout juge doit observer est celle de l’impartialité, entendue comme l’aptitude à juger sans parti pris ou préjugé, en fonction de la seule application des règles de droit applicables au litige » [27].
En l’espèce, cette exigence découle des dispositions pertinentes de l’article 12 du code de procédure civile, aux termes duquel « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Il ne doit donc se déterminer ni par la sentimentalité ni par l’équité [28].
Outre l’impartialité du juge, son indépendance et sa compétence, sont des conditions essentielles à la crédibilité de l’action des tribunaux [29]. Or la qualité juridique de certains jugements des conseils de prud’hommes est loin de satisfaire ces exigences élémentaires. La situation est d’autant plus grave que « de nombreux conseillers prud’homaux revendiquent le caractère partisan de leur intervention » [30].
Dans le prolongement, des chercheurs ont établi que pour nombre de conseillers prud’hommes salariés, « exercer le mandat prud’homal, ce n’est pas seulement « juger en droit », mais c’est aussi « faire du social » [31] ; ce qui signifie se positionner en faveur de ceux qui se retrouvent en difficultés, juridiques et économiques. Un tel état d’esprit des conseillers n’est pas de nature à leur donner la légitimité juridique qui leur fait défaut. La légitimité juridique s’acquiert par l’application juste et dépersonnalisée de la règle de droit. De ce point de vue, « le droit joue un rôle de mise à distance de l’émotion » [32].
Pour trancher sur la base des règles de droit, encore faudrait-il connaître lesdites règles. Sinon, comment peut-on raisonnablement appliquer un droit aussi technique et en évolution permanente que le droit du travail, quand on n’en est soi-même qu’un profane ? [33].
Pourquoi espérer des justiciables qu’ils acceptent « naturellement » des verdicts émanant de personnes n’étant pas plus dotées de savoir juridique que le citoyen lambda ? A priori, nous dit-on, les conseillers prud’hommes auraient le « grand atout » de connaître le monde de l’entreprise, contrairement aux magistrats professionnels [34].
Cet argument ne nous semble pas pertinent. D’abord parce que les magistrats professionnels, à supposer qu’ils ne connaissent pas le monde de l’entreprise, connaissent au moins le monde du travail puisqu’ils sont des employés de l’Etat (fonctionnaires). Ensuite, parce que nombre de factualités sur lesquelles ils sont amenés à se prononcer, comme celles relatives à la discrimination et au harcèlement, ne sont ni propres au monde de l’entreprise, ni fondamentalement différentes selon qu’elles se vivent ou se pratiquent dans la fonction publique ou dans l’entreprise privée. Enfin, parce que dans l’organisation judiciaire actuelle, le contentieux du travail se répartit entre 6 juges au moins, dont la plupart sont des juges professionnels :
le juge prud’homal, pour les litiges individuels nés du contrat de travail ;
le juge administratif (juge professionnel), dès lors que le contentieux fait intervenir l’autorité administrative ;
le juge départiteur (juge professionnel), lorsque les conseillers prud’hommes n’arrivent pas à se départager ;
le tribunal judiciaire (juge professionnel), pour les contentieux collectifs ;
le juge pénal (juge professionnel), en cas d’infraction à la législation du travail ;
le tribunal de commerce, en cas de procédure collective.
Au surplus, les litiges du travail sont traités exclusivement par des juges professionnels dans plusieurs pays européens comme l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, sans que la qualité de la justice qui y est rendue ne soit des moindres.
En tout état de cause, si l’intérêt de la justice prud’homale réside dans la connaissance qu’ont les conseillers des réalités du monde du travail, il n’en demeure pas moins que la fonction de juge exige des connaissances juridiques. Cela est d’autant plus vrai que le droit du travail s’est complexifié depuis quelques années [35]. A choisir, nous pensons qu’il vaut mieux avoir affaire à un juge qui ne connaît pas le monde de l’entreprise, qu’à un juge qui ne connait pas le droit. Convenons-en bien, pas plus qu’on n’aimerait être soigné par un « médecin » qui n’a pas appris la médecine, on n’aimerait pas non plus être jugé par un « juge » qui n’a pas appris le droit ; « l’activité juridictionnelle implique une formation juridique approfondie qui doit être au surplus sans cesse renouvelée en raison de l’évolution constante et rapide, du droit » [36].
III - Une formation sommaire, impropre à conférer la pleine légitimité juridique attendue d’un juge.
La formation des conseillers prud’hommes est une condition essentielle à la qualité de la justice prud’homale [37]. Même le recueil de déontologie des conseillers prud’hommes admet le lien indispensable entre compétence juridique et justice de qualité :
« Le conseiller prud’homme s’engage à suivre une formation initiale et continue afin de disposer des compétences juridiques nécessaires pour rendre une justice de qualité. Le devoir de légalité et l’exigence de compétence du conseiller prud’homme s’expriment dans la maîtrise de la connaissance des lois et des règles applicables, nationales et internationales, de fond comme de procédure. Il implique un impératif de formation initiale et d’actualisation régulière de ses connaissances par la formation continue. N’étant pas nécessairement un professionnel du droit, le conseiller prud’homme a l’obligation d’acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de ses fonctions juridictionnelles. Son devoir de formation relève des devoirs de sa charge » [38].
Un début de « professionnalisation » de la fonction prud’homale a été amorcé en 2015 [39], avec l’instauration d’une exigence minimale de formation pour les conseillers prud’hommes nouvellement désignés [40]. L’objectif étant de leur permettre d’acquérir les connaissances procédurales et les techniques et méthodologies utiles à l’exercice de leur fonction. Ainsi, par mandat, les conseillers prud’hommes doivent suivre une formation initiale de 5 jours au titre de la formation initiale (dont 3 jours en présentiel et 2 jours à distance), et de 6 semaines au titre de la formation continue [41].
Les 5 jours de formation initiale, délivrée par l’Ecole Nationale de la Magistrature, portent sur les quatre thématiques ci-après : l’organisation administrative et judiciaire ; le statut, l’éthique et la déontologie du conseiller prud’hommes ; le procès devant le conseil de prud’hommes ; la tenue de l’audience et la rédaction des décisions. En parallèle, les conseillers prud’hommes peuvent recevoir, de manière facultative, des formations de la part d’organismes ou d’établissements externes à l’institution judiciaire [42], par exemple, les instituts régionaux du travail [43].
Pour autant, ce dispositif de formation se révèle, en l’état, inapte à faire taire les nombreuses critiques décriant l’incompétence juridique des conseillers prud’hommes. Preuve, selon nous, que ledit dispositif est insuffisant.
IV - Une situation préjudiciable aux justiciables.
La responsabilité de trancher les conflits du travail ne doit pas être prise à la légère, tant ceux-ci portent sur des points qui sont d’une importance capitale non seulement pour la situation professionnelle d’un salarié [44], mais également pour la bonne marche d’une entreprise [45].
Malheureusement, ce sont les justiciables - salariés comme employeurs - qui font les frais de l’incompétence juridique des conseillers prud’hommes.
D’aucuns objecteront que la cour d’appel est là pour résorber les carences de la première instance. Sauf que la dévolution en appel de l’essentiel des affaires traitées par les conseils de prud’hommes, a pour conséquence fâcheuse d’engorger les cours d’appel et, par ricochet, d’alourdir les délais de règlement des litiges [46] ; ce qui ne répond pas aux normes d’une justice de qualité. De plus, la réalité statistique en appel nous conforte dans l’idée qu’il faut plutôt traiter le problème à la source : le taux de confirmation totale des jugements des Conseils de prud’hommes (28,3%) est très nettement inférieur à celui constaté pour les appels des autres juridictions (de 46 à 53,6%) [47].
Par ailleurs, l’incompétence juridique de beaucoup de conseillers prud’hommes pénalise davantage les salariés. En effet, s’il tient à être rétabli dans ses droits après avoir été débouté à tort par un Conseil de prud’hommes peu au fait de l’orthodoxie juridique, le salarié sera contraint à une bataille judiciaire longue et coûteuse en appel voire directement en cassation.
En 2019 par exemple, la durée moyenne de traitement des affaires en cause d’appel était de 15,4 mois par-devant les conseils de prud’hommes [48], auxquels s’ajoutent en moyenne 13,3 mois par-devant les cours d’appel [49], soit près de 30 mois de procédure [50].
Quant aux coûts, depuis 2016 le ministère d’avocat étant devenu obligatoire en appel, le salarié débouté à tort par l’incurie juridique des conseillers prud’hommes ayant tranché son affaire, n’aura d’autre choix que d’engager des frais d’avocats pour espérer être restauré dans ses droits en appel. Cette contrainte financière pousse d’ailleurs beaucoup à renoncer à leurs droits plutôt que de faire appel.
La résignation du fait du coût touche aussi les employeurs, notamment ceux des TPE dont la trésorerie est limitée. Nombre d’entre eux préfèrent alors exécuter des condamnations financières injustes et injustifiées, prononcées à leur encontre par des conseillers prud’hommes juridiquement déficients, dès lors que prendre un avocat pour relever appel leur coûterait plus cher que payer ce à quoi ils ont été condamnés à tort.
V - Pour une justice professionnelle plutôt qu’une justice corporatiste.
La fonction première des conseils de prud’hommes est censée être la conciliation [51].
Hélas, cette vocation principale est en pratique marginale : « le nombre d’affaires résolues par voie de conciliation est particulièrement faible, puisqu’il était en moyenne de 8% en 2018, variant de 0 à 26% d’un CPH à l’autre » [52].
Le constat d’échec auquel nous assigne cette vérité statistique, remet en cause le bien-fondé du maintien non pas seulement de l’étape procédurale qu’est la conciliation, mais aussi de la juridiction prud’homale elle-même.
Le foisonnement des propositions de réforme de la justice prud’homale [53] n’a d’égal que l’ampleur des critiques que cette juridiction suscite. D’ailleurs, il faut relever d’une part, que même ceux qui soutiennent avec ferveur la préservation de cette institution, concèdent bon gré mal gré le fait « qu’elle n’en est pas moins une institution fragilisée et donc à parfaire, dès lors que le fonctionnement du système laisse à désirer sur certains points » [54].
D’autre part, que « la majorité des conseillers sont bien conscients de leur faible légitimité juridique » [55]. Nous pensons que le contentieux du travail est une affaire beaucoup trop lourde pour les mains de personnes ne maîtrisant pas les contours d’une matière - le droit social - particulièrement complexe et sensible, aux enjeux humains et économiques forts [56].
C’est pourquoi, nous sommes favorable à l’idée que ce contentieux soit confié aux seuls magistrats professionnels, désignés en fonction de leurs aptitudes et connaissances particulières en la matière. A défaut, l’évolution vers l’échevinage [57], serait le minimum à faire dans l’intérêt des justiciables, salariés et employeurs. Du reste, il y va de la considération [58] et de la confiance [59] accordées à la juridiction prud’homale.
Cette solution subsidiaire de l’échevinage [60] aura le mérite d’être celle du consensus entre ceux qui priorisent la connaissance du droit (comme nous) et ceux qui ont à cœur la connaissance de l’entreprise et le paritarisme. L’échevinage pourrait alors prendre la forme soit du modèle proposé par le rapport Marshall de 2013 [61], et qui ferait du Conseil de prud’hommes une juridiction présidée par un juge professionnel, assisté de deux assesseurs (non professionnels), l’un représentant les salariés et l’autre les employeurs [62].
Soit la forme suggérée par Alain Supiot et qui consisterait en une répartition de la compétence matérielle entre juges professionnels et conseillers prud’hommes [63]. De surcroît, l’échevinage
« pourrait contribuer à renforcer la base légale des décisions et à améliorer l’application de la règle de droit. Le faible taux de confirmation totale des jugements des CPH en appel confirme cette intuition. Ce faisant, il pourrait en résulter une meilleure acceptation de la décision judiciaire et une baisse du taux d’appel » [64].
Enfin, nous pensons que la formation juridique des conseillers prud’hommes gagnerait à être plus consistante. Des prérequis pourraient ainsi être exigés pour être désigné conseiller prud’hommes, par exemple la possession d’un diplôme en droit, ou mieux encore, en droit social.
Ensuite, la formation initiale pourrait avoir lieu dès avant l’entrée en fonction. A l’heure où la question de la reconnaissance et de la valorisation des compétences liées au mandat prend de plus en plus d’importance [65], nous pensons que l’expérience découlant de l’exercice du mandat prud’homal pourrait ainsi être mieux reconnue, de telle sorte que les juges prud’homaux puissent le cas échéant faire reconnaître ces acquis dans la poursuite de leur carrière professionnelle [66].
Discussions en cours :
Haro sur les conseillers prud’hommes par Monsieur Ndjoko...
Car ce ne sont pas des juristes professionnels.
Certes.
Mais c’est bien sous-estimer les organisations syndicales de salariés et d’employeurs. Elles désignent sur leurs listes des personnalités qui leur semblent aptes à exercer cette fonction, dont un grand nombre disposent d’ailleurs d’un niveau de compétence juridique tout à fait substantielle. Et elles les forment. Les parties au procès sont également là pour les informer et les éclairer, et la formation est collégiale ce qui permet souvent de trouver des compétences spécifiques.
Les conseillers prud’hommes ont l’avantage d’être parties à une relation de travail et de bien connaître les milieux professionnels et les avocats spécialisés ne peuvent que le louer. Désigner des juristes feraient perdre cette compétence précieuse. Quant à trouver des magistrats pour les remplacer, encore faudrait-il en disposer, puisqu’ils sont eux-mêmes submergés, les délais de jugement en départage sont là pour le rappeler.
Pour parler délais, ils sont effectivement inacceptables, comme dans l’ensemble de la justice civile dans notre pays, mais rejeter la faute sur les juges quels qu’ils soient est un raccourci facile : la France est sous-dotée en magistrats et le budget de la Justice est indigent (la France est 22e des états européens pour son budget Justice par rapport à son PIB, elle est dans les quatre derniers pour le nombre de juges par habitants).
Les Prud’hommes et leurs juges font avec ce qu’on leur donne, et ils font plutôt plus que moins.
Sources : Rapport européen 2020 sur l’efficacité de la Justice par pays – note de synthèse
Et si l’on parlait un peu des avocats qui viennent en "touriste" au CPH et qui prennent connaissance de leurs dossiers dans la salle des pas perdus ou des avocats qui demandent systématiquement des renvois parce qu’ils ne sont pas prêts mais qui n’hésitent pas pour aurant à demander des honoraires à leurs
clients !
C’est facile de nous faire passer pour des incompétents. Mais c’est pour les conseillers prud’hommes comme pour les avocats. Il y en a des bons et des mauvais ne vous en déplaise !
Et nous faisons au mieux par rapport aux moyens qui nous sont donnés.
Cela fait bien longtemps que je prépare mes clients en leur indiquant que le Cph est un tout de chauffe ...
pas plus tard qu’aujourd’hui , 40 pages d’écritures de part et d’autres, jugement de débouté en 10 lignes
Merci Maître pour votre réaction à cet article réducteur et à charge du procureur Ndjoko
Non il n’est pas possible de mettre tous les conseillers et conseillères dans le même panier d’incompétence.
Oui nous sommes choisis et formés tout au long de notre vie prud’homale par nos organisations syndicales.
Des places sont d’ailleurs à prendre dans beaucoup de Conseil de Prud’hommes, j’encourage donc l’auteur à postuler pour venir nous aider à redresser la barre de la compétence. La critique est aisée mais l’art est difficile.
Je suis étonnée de lire , en réponse au commentaire de Lester, avocat , que les jugements puissent être de quelques lignes (sauf cas particuliers type exception d’incompétence par exemple où il n’y a nul besoin de délayer en général). Les miens et tous ceux de mes collègues présidents d’audience font au minimum 3 pages (hors procédure et rappel des demandes) et souvent 7 ou 8.
Si 61% des jugements vont en appel combien de ces jugements sont suivit par la cour d’appel ?
Il me semble que cette information est importante sur la theorie que les conseillers prud’hommes ne rédigent pas en droit, une rédaction qui est contrôlée et rectifer par le greffe ce qui dirige par ricochet vos constats d’incompétences sur des professionnel du droit.
Les conseillers prud’hommes ne sont pas tous choisis par hasard certain syndicat prépare leur futur conseiller et continue de former leur conseiller tout long de leur mandat de magistrat, ils sont formés par des juristes, ces conseillers quant ils entrent pour la première fois au conseil de prud’hommes ils ont déjà au moins 120h de formations en droit, avant de suivre la formation diligentée par l’ENM, certain arrive avec un master en droit car sa profession c’est juriste social dans un syndicat patronal ou dans une entreprise, votre developpement est un constat un peu superficiel sur la faiblesse d’un système, qui est le fait que ces magistrats ne sont pas des professionnels et cela fait un bon argument commercial pour inciter le justiciable à interjeter appel même si le jugement est bien rédigé en droit et sans fautes.
@Lucien Verto,
A l’entame de votre propos, vous posez une question dont la réponse se trouve pourtant dans l’article. En effet, vous dîtes : "Si 61% des jugements vont en appel combien de ces jugements sont suivit par la cour d’appel ?". La réponse est sous vos yeux : le taux de confirmation totale des jugements des Conseils de prud’hommes est de 28,3% (ce qui est très nettement inférieur à celui constaté pour les appels des autres juridictions (de 46 à 53,6%)).
Ensuite, vous dîtes que la rédaction des jugements est contrôlée et rectifée par le greffe ; vous en concluez que c’est sur le greffe que devrait porter le constat d’incompétence juridique. Or, la rédaction des jugements fait partie des missions des conseillers prud’hommes (Article R.1423-55 du Code du travail) et ils sont de surcroît rémunérés pour cela (Article D.1423-66 du Code du travail). Par ailleurs, ce n’est pas le greffe qui délibère, ce sont les conseillers prud’hommes, c’est donc à ces derniers et à eux seuls qu’échoit la responsabilité de motiver leur décision. La mise en forme de ladite décison, sur support papier ou électronique, doit enfin être co-signée par le greffe ET par le président (Art. 455 du code de procédure civile). Il s’ensuit qu’on ne peut pas imputer aux greffes, ni les carences décisionnelles ni les lacunes rédactionnelles des conseillers prud’hommes.
Quant à ce que vous dîtes qu’il y a des personnes juridiquement compétentes parmi les conseillers prud’hommes, je ne pense pas avoir dit le contraire. J’ai très clairement écrit ceci dans l’article : "La prud’homie n’est pas un univers homogène où toutes les biographies seraient identiques. On y trouve des personnes pétries de consistance et de rigueur intellectuelles, et ayant acquis des savoirs et des savoir-faire juridiques n’ayant rien à envier à ceux des juristes professionnels. Toutefois, force est de relever, pour le déplorer, qu’on y trouve aussi, trop souvent, des profils dont les compétences juridiques sont au mieux, rudimentaires, au pire, inexistantes". Vous n’avez manifestement - et malheureusement - retenu qu’une partie de cet extrait.
Enfin, s’agissant de la formation dispensée à l’ENM aux conseillers prud’hommes, j’en ai aussi fait mention dans l’article. Vous avez le droit de penser que 5 jours de formation à l’ENM suffisent à conférer légitimité et compétence juridiques aux conseillers prud’hommes. Pour ma part, je suis d’un avis totalement contraire. Un juge professionnel reçoit 31 mois de formation à l’ENM, soit plus de 2.5 ans de formation (en plus de son Master en droit et du concours d’entrée à l’ENM qu’il doit passer). Je vous laisse comparer cela avec les 5 jours de formation des conseillers prud’hommes...
Bien à vous.
Hermann Martial NDJOKO
Votre article confirme malheureusement ce que tous les avocats qui pratiquent cette juridiction constatent au quotidien ... en espérant qu’il ait un impact sur la formation des conseillers prud’homaux ....
Pas plus tard qu’aujourd’hui, je viens de prendre connaissance d’un jugement prud’homal : la salariée qui avait détourné plus de 200.000 € avait été licenciée pour faute lourde.
Elle contestait son licenciement et réclamait (en plus des congés payés qui lui avaient été payés puisque les professionnels du droit savent que depuis une QPC le licenciement pour faute lourde n’est plus privatif de l’indemnité de CP) différentes indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et notamment des congés payés sur les salaires et indemnité compensatrice de préavis réclamés.
Le Conseil de Prud’hommes confirme le bien fondé du licenciement (ouf avec toutes les preuves rapportées !!) mais condamne l’employeur à payer à son ancienne salariée une indemnité compensatrice de congés payés ... !!! ??? comprenne qui pourra ? ... j’attends le jugement pour connaitre la motivation juridique ... si motivation il y a ...
j’en doute fort vu l’aberration d’un tel délibéré !!!
Tous les avocats qui pratiquent cette matière pourraient vous sortir des décisions de cet ordre à la pelle .... pratiquant également d’autres matières je n’ai pas eu autant de jugements aussi juridiquement absurdes ...
Il faudrait que les conseillers prud’homaux aient connaissance des arrêts rendus par la Cour d’appel afin de se rendre compte à quel point leurs décisions sont souvent juridiquement aberrantes ... d’ailleurs comment pourrait il en être autrement ?
Si on me donnait une blouse blanche et un stéthoscope pourrais je prétendre être un médecin et surtout un bon médecin : je n’en aurais pas l’outrecuidance ...
Pour être médecin il faut avoir fait des études de médecine et passer des concours et/ou des examens ...
Aucune formation de quelques heures ne pourrait remplacer ces années d’étude ... il en va de même pour un professionnel du droit : le droit c’est complexe tant au regard du fond que de la procédure.
Je suis surprise de lire les critiques ... alors que le constat est tout simplement une évidence : on ne peut pas être un bon juge si on ne connait pas le droit et on ne peut pas connaitre le droit si on ne l’a pas appris consciencieusement à travers de longues années d’étude universitaire.
Personnellement j’ai été 12 ans Conseiller prud’homme en section encadrement. Il.est osé de dire que c’est la mauvaise motivation des jugements qui
Conduit à l’appel. C’est bien souvent pour des raisons financières que l’avocat propose de faire appel. Certes la rédaction du jugement est importante d’une façon générale cela permet de mieux comprendre le litige. Nombre de jugement est confirmé en Appel.
En matière de droit il.faudrait que certains avocats balaient devant leur porte on critique la lenteur de la Justice les demandes de renvoi systématique de la part de certains avocats est un.sujet beaucoup plus scandaleux que la critique de la prud’hommie
Je partage entièrement votre avis.
La justice prud’homale est une anomalie criante.
On ne comprend pas que cette anomalie n’ait pas encore été corrigée, depuis le temps qu’elle produit inlassablement ses méfaits insupportables.
Rien ne justifie que les litiges prud’homaux soient confiés à ces "juges" qui n’ont de juges que le nom, et qui sont pour l’écrasante majorité d’entre eux totalement incompétents et, bien trop souvent malheureusement, partiaux.
Cette chronique serait-elle un peu comme un jugement de Conseil de Prud’hommes. Suffit-il qu’un seul élément ne soit pas suffisamment étayé pour tout jeter ?
L’honorable auteur retient un taux de confirmation totale des jugements prud’homaux de 28,3 % (cf. Rapport Lacabarats). Et de là, déduit que le reste ne vaut pas tripette. Or, déjà dans le rapport pris comme source, confirmation totale plus confirmation partielle atteignent 78,8 %. Les jugements retoqués en appel ce sont la plupart du temps ceux pour lesquels le Conseil de Prud’hommes a souvent été trop pingre dans ses condamnations de l’employeur, paritarisme oblige avec nécessité pour ces juges d’aboutir à des cotes mal taillées.
Pour le reste, le refrain est connu. S’il y a une institution judiciaire qui est régulièrement critiquée dans son fonctionnement, ses résultats, son utilité, c’est bien les Conseils de Prud’hommes. Régulièrement, des réformes législatives (il y en a récemment trois de deux gouvernements successifs) prétendent régler les problèmes, mais las…
Les Conseillers Prud’hommes seraient nuls en droit (M. Ndjoko a été écrit « incompétents »). Mais quelles sont les grandes questions de droit posées devant la juridiction du travail ? Des licenciements dans 80 % des affaires. Avec toute la complexité des procédures sur les licenciements pour motifs économiques ? Non, c’est à peine 2 % du contentieux prud’homal. Quoi alors ? Des licenciements pour motifs personnels : faute, inaptitude, absences répétées désorganisant l’activité, refus d’une modification substantielle du contrat de travail au travers de laquelle l’employeur exerce son pouvoir d’organisation, insuffisance professionnelle, incompatibilité d’humeur, objectifs non atteints…
Il ne sera demandé à nos humbles juges prud’homaux issus du monde de l’entreprise que de former leur conviction au vu des éléments fournis par les deux parties, conformément à l’article L.1235-1-1 du Code du travail. Autrement dit, exercer leur contrôle sur la présence d’une cause réelle et sérieuse.
Ne demandons donc pas une thèse de droit à chaque fois aux juges prud’homaux quand il n’y a objectivement pas vraiment lieu sauf à vouloir se prendre à dessein la tête. C’est d’ailleurs une erreur de certains plaideurs : privilégier le seul angle du droit, par pure construction intellectuelle bien souvent, que bien évidemment les Conseillers Prud’hommes ne maîtrisent pas. Une confidence : le conseiller prud’homme lambda connait en tout et pour tout une cinquantaine d’articles du Code du travail (surtout) ou du Code de procédure civile (un peu). Et c’est largement suffisant !
Patrick LE ROLLAND
Auteur de : « Les Prud’hommes pour les Nuls »
Editions First.
Je pourrais dire que tous les employeurs sont des voyous, qu’ils sont incompétents, qu’ils sont appelés employeurs mais ils n’en ont que le nom (incompétent en management, en gestion, ...) et que c’est une anomalie de ne pas avoir enfin des employeurs normaux et responsables. A part, m’exprimer de manière aussi caricaturale que Monsieur de Kervedic, je n’apporterais pas grand chose. Non, les Prud’hommes ne sont pas une anomalie. C’est une justice particulière. Lorsque je vois la méconnaissance d’une immense partie des avocats de ce qu’est le monde du travail, je pense que la rencontre du droit et de la réalité des entreprises n’est pas un luxe. Des méfaits insupportables ? Lesquels ? Regardez les taux de confirmation en Cour d’Appel (partiel ou total) des jugements de première instance ! Le Juge que je suis (et j’insiste sur ce terme ; je ne suis pas là pour conseiller qui que ce soit) ne se reconnait pas dans votre critique peu étayée. Quand à la partialité, j’en doute ! Le seul fait est que, si elle existait, toutes les affaires passeraient en départage ; juges du collège employeurs et juges du collège salariés campant dogmatiquement sur la partialité que vous invoquez. Comme dans toute profession, tout mandat, il y a une hétérogénéité d’origines professionnelles, de formation initiale ou continue, d’implication, de qualités rédactionnelles, de charisme pour présider des audiences, etc. Depuis 2018, l’ENM dispense une formation aux juges. Cela complète celles dispensées par les organisations ayant mandaté les juges. Je m’interroge donc comment le qualificatif "d’incompétents" peut être attribué sans données factuelles (vous voyez, en tant que juge, je cherche des éléments factuels, même si la charge de la preuve de cette affirmation vous incombe en l’espèce ...)
Très bon article, qui a le mérite d’exposer (de manière très sourcée) ce que beaucoup pensent tout bas. Pour exercer exclusivement en droit du travail en qualité d’avocat, je suis de plus en plus effaré de la médiocrité des jugements rendus, que j’ai bien du mal à justifier auprès de mes clients. La justification tenant à ce que ces conseillers connaissent bien le monde du travail me parait franchement artificielle (ne parlons pas des représentants du personnel qui cumulent tellement de mandats dans les grandes entreprises qu’ils n’ont absolument plus le temps, en pratique, de fournir la moindre prestation de travail et sont donc déconnectés). Il faudrait a minima que les bureaux de jugement soient présidés par un magistrat professionnel. Mais attention, autre aberration : à l’ENM, on ne forme pas en droit social !! Tant et si bien que les élèves ENM cherchent déséspérément des stages en cabinets d’avocats spécialisés en droit social car c’est une formation qui leur manque...
Mais si le président est toujours un magistrat professionnel, le rôle du conseiller prud’homal devient inexistant. La plupart partiront , notamment les plus motivés . Jouer les faire valoir d’un magistrat, non merci ! Que l’Etat recrute , c’est tout. Il est bien content d’avoir une main d’œuvre sous payée ...
J’aimerais bien que l’auteur réagisse aux commentaires. Merci !