Les syntagmes « campus antisemitism » et « antisemitism on campus », ainsi que des paraphrases de la même famille sémantique (« antisemitic incidents on college and university campuses », « antisemitism on college campuses », « antisemitic persecution at their current postsecondary institution ») apparaissent fréquemment à côté du syntagme « student antisemitism » dans les discours médiatiques, politique et juridiques aux États-Unis actuellement.
La traduction en français de ce concept a été faite par la presse francophone sous la forme de syntagmes calqués sur la structure anglo-américaine « antisemitism on campus », « antisémitisme sur les campus », « antisémitisme sur le campus », ou avec la spécification de l’origine géographique « antisémitisme sur les campus américains » [3].
Pour mémoire, la définition de travail, non-contraignante, de l’antisémitisme, adoptée par les 31 États membres de l’Alliance internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA), le 26 mai 2016 à Bucarest [4] est :
« L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte » [5].
Depuis l’attaque de l’organisation terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, cinq États américains (la Floride, la Géorgie, l’Indiana, le New Jersey et le Rhode Island) ont présenté des projets de loi pour obliger les institutions et les établissements d’enseignement publics à adopter la définition de l’IHRA [6].
La Ligue Anti-Diffamation aux États-Unis (ADL- Anti-Defamation League) dénonçait en 2023 une augmentation de plus de 300% des incidents antisémites sur les campus américains [7].
L’antisémitisme dans les universités américaines n’est pas une nouveauté. Déjà en 2021 la revue Forbes présentait un sondage réalisé par Brandeis Center for Human Rights Under Law qui faisait état de la pression ressentie par nombre d’étudiants juifs pour cacher leur identité sur le campus universitaire [8].
Cette étude venait confirmer l’augmentation sans précédent des actes antisémites contre les étudiants juifs, alors qu’au niveau national, la majorité de crimes de haine pour des motifs religieux étaient dirigées contre la communauté juive, qui ne représente que 2% de la population américaine [9].
La nouveauté, c’est que l’antisémitisme américain s’est déplacé de la droite vers la gauche, tout en continuant de s’appuyer sur des stéréotypes de longue date, comme l’explique Arie Perliger, professeur de criminologie à UMass Lowell - University of Massachusetts Lowell dans un article publié par The Conversation en octobre 2023, suite à des recherches menées avec le Development Service Group, un groupe de réflexion basé à Washington, D.C., sur un ensemble de données concernant les incidents antisémites survenus aux États-Unis entre 1990 et 2021 [10].
Le syntagme « student antisemitism » est entré dans le langage législatif américain le 2 novembre 2023 lors de l’initiative législative dans l’État de New York intitulée « "Dismantling Student Antisemitism Act", or "DSA act" » [11], en réponse à l’augmentation sans précédent des violences antisémites après les attaques terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 [12].
En février 2024 les étudiants juifs imploraient le Congrès des États-Unis de demander des comptes aux universités qui ne protègent pas leurs étudiants contre les attaques antisémites sur leurs campus.
Le New York Post employait le syntagme « campus antisemitism » dans le titre de l’article [13] qui détaillait les menaces et les actes de violences subis par les étudiants qui se sont fait cracher dessus, insultés et traités de « sales Juifs », « colonisateurs », « assassins », attaqués par des groupes antisémites auxquels participaient quelques fois même leurs enseignants et qui entonnaient « la résistance est justifiée » et « globalisons l’Intifada », phrase qui signifie un appel au génocide des Juifs [14].
Le langage administratif américain emploie aussi des périphrases comme « antisemitic persecution at their current postsecondary institution », présente dans le communiqué du 9 janvier 2024 donné par Ron De Santis, gouverneur de l’État de Floride, qui a demandé aux établissements d’enseignement supérieur de faciliter les procédures administratives de transfert pour les étudiants juifs qui craignent d’être persécutés dans leurs universités d’origine [15].
Les associations des étudiants juifs américains dénoncent la montée de l’antisémitisme dans le milieu académique et leurs cris d’alarme ainsi que leurs actions en justice sont relayés par la presse qui parle de « campus antisemitism ».
Ainsi, un article du Wall Street Journal explique les accusations contre l’Université Harvard qui « permet et favorise l’antisémitisme » [16], suivant une audition devant le Congrès américain du mois de décembre 2023 sur le sujet du « campus antisemitism » et de la tolérance par les présidentes des universités de Harvard, de Pennsylvanie et du MIT des appels au génocide des Juifs sur les campus [17].
Le procès intenté contre l’Université Harvard n’est pas le seul, et des étudiants d’origine juive, ne se sentant plus en sécurité sur les campus universitaires, continuent d’agir en justice afin d’obliger les universités de respecter leur droit de se sentir en sécurité dans un environnement d’études non-discriminatoire lorsqu’ils sont à l’université.
La présidente de l’Université Harvard a, d’ailleurs, démissionné en janvier 2024 suite à des accusations de plagiat et pour avoir tenu des propos ambigus sur des questions liées à l’antisémitisme [18], un mois après la démission de la présidente de l’Université de Pennsylvanie suite à la propagation sur le campus de déclarations antisémites qu’elle n’avait pas combattues [19].
Le cabinet d’avocats américain Kasowitz Benson Torres, qui a intenté une action en justice devant le tribunal fédéral du district du Massachusetts contre l’Université Harvard, préfère employer le syntagme complexe « Antisemitic Hostile Educational Environment », pour parler des manquements graves de cette célèbre université : violations graves les droits civils de ses étudiants juifs, qui sont soumis à un environnement éducatif hostile, antisémite omniprésent, qui s’est aggravé depuis le meurtre, le viol et l’enlèvement de 1 200 Israéliens par le Hamas, le 7 octobre 2023 [20] Les faits énumérés évoquent des actions d’harcèlement et d’intimidation, ainsi que des agressions commises par des enseignants et des étudiants contre les étudiants juifs pendant les cours ou d’autres activités universitaires, ainsi que lors de manifestations antisémites fréquentes appelant au meurtre de Juifs et à la destruction d’Israël, le seul pays juif au monde.
La tolérance montrée par l’Université Harvard à l’égard de l’antisémitisme est considérée comme mettant en évidence une double mesure discriminatoire qui montre aux étudiants juifs qu’ils ne bénéficient pas de la protection accordée aux étudiants non-juifs.
Quant au procès contre le MIT, le syntagme « antisemitism on campus » est employé par la MIT Israel Alliance dans un article paru dans la newsletter du MIT [21], ainsi que par des médias comme Associated Press qui évoque dans un titre d’article le même syntagme [22].
Le syntagme « antisemitism on campus » est utilisé aussi dans le texte juridique du dossier de cette affaire [23], déposé devant le tribunal de district du Massachusetts par StandWithUs Center for Legal Justice (SCLJ) et deux étudiants du MIT, [24] et dans lequel sont énumérés les faits suivants : approbation et facilitation par le MIT d’activités antisémites sur son campus, politiques discriminatoires, violation des droits civils des étudiants, tolérance de la discrimination et du harcèlement des étudiants et des professeurs juifs, menant à un environnement hostile pour les étudiants et les enseignants juifs [25].
Les syntagmes « campus antisemitism », « antisemitism on campus » sont chargés émotionnellement, ayant une connotation négative et implicitant des traumatismes affectifs, comme l’indiquent souvent les titres des articles qui traitent de ce sujet dans les médias américains, par exemple le titre d’un article paru sur le site web de CNN en février cette année : « ‘I have become traumatized.’ Jewish students describe campus antisemitism » [26].
Des adjectifs appartenant au domaine de la psychologie et des émotions accompagnent souvent les expressions dénommant l’antisémitisme à l’université : « Jewish Students Share Shocking Details of Antisemitism on College Campuses » [27].
Dans la presse européenne, le syntagme employé par Reuters est « antisemitism on campus » dans un article du 15 novembre 2023 qui parle du procès intenté par les étudiants juifs contre l’Université de New York [28]. Le journal britannique The Guardian emploie un synonyme phraséologique partiel, « antisemitism in UK academic settings » ainsi que la phrase plus spécifique « antisemitism on British university campuses » [29].
Au Royaume-Uni, le rapport parlementaire Campus Antisemitism in Britain 2018–2020 publié le 17 décembre 2021 [30] privilégie le syntagme plus concis dans le titre comme dans le corps du texte, qui en compte 35 occurrences, contre seulement 3 occurrences du syntagme « antisemitism on campus ». Dans la Déclaration commune des envoyés spéciaux et coordinateurs de la lutte contre l’antisémitisme de l’Union européenne [31] du 6 novembre 2023, les syntagmes « campus antisemitism » et « antisemitism on campus » n’apparaissent pas ; les auteurs dénoncent « les actes antisémites qui ont lieu sur certains campus » [32].
Dans une publication commune de l’UNESCO et de l’OSCE de 2018 intitulée « Addressing Anti-Semitism through Education. Guidelines for Policymakers », le syntagme « on-campus anti-Semitism » est employé pour parler du Royaume-Uni, alors qu’une citation issue d’un document canadien contient la phrase « incidents of anti-Semitism on some university campuses » ; les syntagmes « campus antisemitism » et « antisemitism on campus » ne sont pas utilisées [33].
Les efforts législatifs pour endiguer l’antisémitisme sur les campus américains ont également mené à la transformation d’un slogan hautement chargé affectivement en terme-concept juridique dans le domaine pénal, de la discrimination et de l’incitation à la haine.
Le 16 avril 2024, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté une loi condamnant un slogan récemment devenu populaire dans certains milieux aux États-Unis et en Occident : « From the river to the sea, Palestine will be free » (« De la rivière à la mer, la Palestine sera libre ») comme antisémite [34].
Ce slogan, adopté par l’organisation terroriste du Hamas [35], chanté aussi lors des agressions commises à l’égard des étudiants juifs sur les campus américains, désigne la zone géographique comprise entre la rivière du Jourdain et la mer Méditerranée, qui inclut Israël, et représente un appel à la purification ethnique et au génocide, à la destruction de l’État d’Israël et de l’identité collective des Juifs [36].
En octobre 2023, le parquet de la ville-État allemande de Berlin avait annoncé que le slogan anti-israélien « From the river to the sea, Palestine will be free » constituait une forme d’incitation à la haine et était passible de sanctions pénales. Par la suite, Berlin avait interdit le même slogan, jugeant qu’il enfreint le paragraphe 130 du droit allemand car il nie l’existence d’Israël ; les contrevenants s’exposent dorénavant à une peine de prison ou à une amende [37].
Dans le contexte actuel de l’aggravation de l’antisémitisme ciblant les étudiants juifs à travers le monde, l’affaire Benjamin Cohen [38] retient l’attention : suite aux attaques meurtrières commises dans un centre commercial à Sydney, en Australie, le samedi 13 avril 2024, lors desquelles un homme a poignardé sept personnes dont un bébé, assassinant cinq femmes et un homme, de fausses rumeurs ont été propagées sur les réseaux sociaux par des conspirationnistes antisémites identifiant de manière erronée Benjamin Cohen, jeune étudiant en informatique à l’Université de Sydney, comme étant l’assassin, alors que le vrai criminel était un certain Joel Cauchi âgé de 40 ans, connu par la police australienne pour ses problèmes psychiatriques. Le véritable agresseur, qui avait ciblé des femmes, a été abattu sur place par une policière. Ces rumeurs ont été transmises sans être vérifiées par la chaîne de télévision australienne 7News, qui s’est ensuite excusée en direct dimanche après-midi [39] ; une enquête a révélé que la source de cette campagne de désinformation antisémite, qui avait débuté environ une heure après l’horrible attaque, avait été un compte X appelé « Aussie Cossack » appartenant à Simeon Boikov, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour agression présumée et est hébergé au sein du consulat de la Russie à Sydney depuis un an [40].
Une autre source de cette campagne de diffamation en ligne est dénoncée par des internautes [41] et les médias en ligne [42] comme ayant été le compte X intitulé « Syrian Girl/Partisan Girl » appartenant à Maram Susli, connue aussi sous le nom de Mimi Al-Laham, une YouTubeuse australo-syrienne réputée pour ses posts violemment antisémites et ses prises de position d’extrême-droite [43].
Dans les pays de common law le délit de diffamation peut être commis sous forme orale (slander) ou écrite (libel) ; on lui oppose la liberté d’expression et la liberté de la presse [44].
En France, la diffamation publique raciale, nationale ou religieuse est punie par la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (art. 23, 29 al. 1, 32 al. 2, 4 et 5) par 1 an d’emprisonnement et une amende de 45 000 €.
L’Australie a adopté en 2006 les Uniform Defamation Laws dans tous ses états et territoires, qui ont été amendés en juillet 2021, à l’exception de l’Australie-Occidentale (WA-Western Australia) et du Territoire du Nord (NT- Northern Territory) [45].
L’étudiant Benjamin Cohen, représenté par Me Rebeka Giles, réputée avocate australienne, a intenté une action en dommages et intérêts contre la chaîne de télévision australienne 7News. La communauté juive d’Australie demandait déjà en novembre 2020 la création d’un organisme gouvernemental pour la lutte contre l’antisémitisme, un « Australian Commissioner for Antisemitism » [46].
Dans ce contexte, il est judicieux de se demander : assistera-t-on à la naissance d’un nouveau terme-concept juridique dans le domaine de la discrimination, celui de « antisemitic defamation », « diffamation antisémite » ? Affaire à suivre.