Le projet dit des "Mille arbres" des architectes Manal Rachdi et Sou Fuji-Moto - projet phare et de l’appel à projet "Réinventer Paris", lancé par la Mairie de Paris en 2016, ne verra certainement jamais le jour, pas davatange que ceux de la "Ville Multi Strates" des agences Jacques Ferrier et Chartier Dalix Architectes. Dans un arrêt du 06 octobre 2022, la Cour Administrative d’Appel de Paris vient en effet de confirmer l’annulation des permis de construire afférents aux projets.
Adieu donc aux 127 logements/ hôtel/ bureaux et commerces qui devaient surplomber le périphérique entre Neuilly sur Seine et la porte Maillot dans un entrelas de verdure et d’arbres, enterrant un peu plus le périphérique parisien et que le promoteur OGIC avait commencé à commercialiser il y a peu.
Pour mémoire, la mairie de Paris envisage depuis quelques années la transformation du périphérique parisien et multiplie les annonces autour d’une ville fantasmée pour le 21ème siècle. A cet effet, l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) a créé en 2019 les Ateliers du Boulevard Périphérique, destinés à rassembler l’ensemble des parties prenantes, notamment les communes desservies par le boulevard, afin d’y débattre « de leur vision du périphérique, et plus largement des questions de société, de mobilité, de pollution, de cadre de vie liées aux autoroutes urbaines, et des enjeux paysagers de l’évolution du boulevard et de ses abords ». Le résultat de cette consultation s’est traduit par la publication d’un livre blanc intitulé « Nouvelle ceinture verte et transformations du boulevard périphérique » au sein duquel sont développés de futures orientations d’urbanisme pour le boulevard pour 2024 et 2030.
Parmi les orientations fixées, la volonté de densification immobilière autour du boulevard périphérique s’est rapidement imposée. C’est ainsi la transformation de 22 de ses portes en places permettant l’intégration de nouvelles lignes de transport en commun, et de pistes cyclables reliant Paris intra-muros aux communes adjacentes, qui ont été annoncées. De nombreux projets en font toujours aujourd’hui l’illustration, de la porte de Montreuil à la porte de Saint-Mandé et au-delà.
Dans ce cadre, la Mairie de Paris avait accordé en 2019 deux permis de construire pour deux projets immobiliers dits « Ville Multi strates » et « Milles arbres », situés respectivement Porte des Ternes et Porte Maillot, sur des dalles recouvrant le périphérique.
Le Tribunal administratif de Paris avait déjà procédé à l’annulation de ces permis de construire par deux jugements du 2 juillet 2021, au motif que les projets étaient de nature à porter atteinte à la salubrité publique.
La Cour administrative d’appel de Paris a confirmé ces jugements par deux arrêts du 6 octobre 2022, avec une motivation similaire à celle des juges de première instance :
« le lieu d’implantation du projet est marqué par un niveau élevé de pollution de l’air, au-delà des valeurs limites fixées par le code de l’environnement et les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé pour la concentration de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines, (…), [la réalisation du projet] entrainera toutefois une augmentation de plus de 20 % de dioxyde d’azote en plusieurs points de mesure aux alentours ainsi qu’une augmentation de la concentration en benzène pouvant atteindre ponctuellement 66 % ».
La motivation des juges apparait sans appel : les services de l’urbanisme, lors de l’examen du dossier de PC, n’ont pas apprécié convenablement la faisabilité du projet, notamment eu égard aux dispositions de l’article R111-2 du Code de l’urbanisme. Les juges sanctionnent ici l’insuffisance des analyses d’impact des mesures de réduction produites par la ville de Paris et par les porteurs de projet, les mesures de réduction de la pollution envisagées ne permettant pas « d’améliorer significativement les concentrations de polluants mesurées sur les points de mesure ».
Faisant une application de la jurisprudence récente relative aux permis de construire modificatifs (PCM), la Cour administrative d’appel conclut logiquement que le vice n’est pas régularisable en l’espèce :
« S’agissant des prescriptions spéciales dont est assorti le permis de construire, et ainsi que l’a relevé le jugement, leur caractère général et leur réalisation incertaine et hypothétique ne permettent pas de compenser les atteintes que le projet est susceptible de porter à la santé publique. (…) Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il existerait des techniques permettant d’assurer la conformité du projet sans apporter à ce dernier un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».
Un projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. Encore faut il que ces prescriptions spéciales soient suffisamment précises et justifiées au regard de l’atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique visée.
Depuis deux arrêts CE, 26 juillet 2019, Deville, n°412429 et CE, 22 juillet 2020, n°426139, le juge administratif pratique une analyse en 3 temps des prescriptions spéciales : (i) Il analyse d’abord la conformité du projet aux dispositions réglementaires ; (ii) puis, il évalue la possibilité d’assortir le projet de prescriptions spéciales afin de le mettre en conformité avec la réglementation ; (iii) enfin, il annule le permis si aucune prescription ne peut permettre la mise en conformité du projet.
Le commentaire du rapporteur public Olivier Fuchs dans l’arrêt Deville résume le mode d’emploi suivi par le juge administratif :
« Lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime qu’il n’est pas légalement possible d’accorder ce permis en l’assortissant de prescriptions spéciales permettant d’assurer la conformité de la construction avec ces dispositions. En d’autres termes, entre l’édiction de prescriptions et le refus de permis, l’autorité compétente n’est pas libre de choisir : elle doit délivrer une autorisation assortie de prescriptions lorsque les conditions en sont réunies et ce n’est qu’en cas d’impasse, c’est-à-dire d’impossibilité d’assurer la conformité de la construction par l’édiction de prescriptions, que le permis demandé peut être refusé ».
En dépit de ce contexte juridique relativement favorable aux pétitionnaires d’autorisations d’urbanisme, les projets « Villes Multi strates » et « Milles arbres » n’ont pu aboutir. En effet, aucune des techniques de construction novatrices envisagées par leurs constructeurs ne permettaient ici de réduire la pollution atmosphérique en deçà des seuils acceptables, et les prescriptions spéciales fixées par les services d’urbanisme de la Ville de Paris étaient également insuffisantes.
Selon la Cour Administrative d’Appel :
« pour apprécier si les atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique sont de nature à justifier un refus du permis de construire, l’autorité compétente doit tenir compte, le cas échéant, de l’effet cumulé des différents risques et nuisances, dont celles résultant de la pollution de l’air, auxquels serait exposée la construction projetée, ainsi que ses alentours, même s’ils ne sont pas directement liés entre eux ».
C’est donc une étude globale - dépassant la seule construction projetée et incluant ses alentours que les services instructeurs doivent donc mener, pour apprécier le risque d’atteinte à la santé et la salubrité publique.
L’obligation parait en outre particulièrement renforcée, s’agissant de logements destinés à l’habitation : « cette exigence s’imposant particulièrement dans le cas où la construction est destinée à l’habitation ». Force est de constater que les juges administratifs ont à l’esprit de ne pas reproduire les errements passés, notamment visibles porte de Bagnolet - où les habitants des immeubles d’habitation élevés en limite de périphérique sont contraints de vivre dans des conditions dangereuses et indécentes, du fait de la pollution immédiate sous leurs fenêtres.
Il sera intéressant de s’interroger sur l’appréciation des futurs projets, à l’aune de cette jurisprudence climatique, mais également du plan de la future ceinture verte annoncée à grands coups de renforts médiatiques par la Ville de Paris.
Quoiqu’il en soit, la Cour Administrative d’appel estime qu’un permis de construire doit être refusé dès lors que l’addition de ces risques ou nuisances est de nature à compromettre gravement les conditions et le cadre de vie des futurs occupants de l’immeuble, ainsi que des occupants des immeubles situés à proximité, quand bien même aucun d’entre eux ne serait de nature, à lui seul, à justifier ce refus.
A ce titre, sont également rappelés dans l’arrêt les dispositions du I de l’article R221-1 du code de l’environnement pour en conclure que le risque d’exposition est en l’espèce caractérisé. Dès lors que l’exposition de longue durée à ce polluant emporte nécessairement un risque important pour la santé des personnes exposées, le dépassement des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote constitue, pour les zones concernées, une méconnaissance des dispositions des articles L221-1 et R221-1 du Code de l’environnement.
Les juges administratifs considèrent en l’espèce qu’il ressortait des pièces du dossier :
Qu’en raison du déplacement des polluants issus de la circulation automobile à l’entrée et à la sortie du tunnel d’une longueur conséquente créé par le projet, la réalisation de celui-ci entraînera également une augmentation de la concentration de dioxyde d’azote en plusieurs points de mesure aux alentours, en particulier rue Gustave Charpentier, dans laquelle sont situés des immeubles d’habitation et de bureaux et des établissements recevant du public, dont une résidence pour les personnes âgées ;
Que les solutions envisagées afin de diminuer les conséquences d’une augmentation des polluants dans l’air entraîneront une augmentation significative de la concentration de dioxyde d’azote sur plusieurs points de mesure aux alentours du terrain d’assiette du projet dans un environnement où l’air est déjà très pollué ;
Que les mesures de protection envisagées par le pétitionnaire, lesquelles doivent être menées en concertation avec le porteur du projet "Mille Arbres", circonstance qui en rend par ailleurs la réalisation incertaine, ne sont pas suffisantes pour compenser les atteintes du projet à la santé publique.
L’impact attendu du projet sur le niveau de pollution [sur le terrain d’assiette et aux alentours] résultant de la circulation, à la date de la décision attaquée, n’a donc pas été correctement apprécié par les services compétents, alors que la réduction à long terme de ladit pollution est quant à elle incertaine.
Le projet portant atteinte - par sa nature - à la salubrité publique, la Cour administrative d’appel confirme l’annulation des permis - déjà acquise en première instance, devant le Tribunal Administratif.
Cette décision constitue une nouvelle illustration de la jurisprudence "climatique" des juridictions administratives parisiennes, ayant déjà donné lieu à des condamnations de l’Etat français [1].
C’est un coup majeur qui est ici porté au projet d’importance qu’est le "remodelage" du secteur de la Porte Maillot. Il sera intéressant d’observer ce qui se produit pour les projets similaires au nort et à l’est parisien, autour des portes de Montreuil, des portes de Saint-Mandé et de la porte de Bercy. Une grande partie des projets d’urbanisme envisagés en surplomb du périphérique parisien devraient en effet à l’avenir se heurter à des difficultés similaires, et pourraient ainsi être revus à la baisse.
Affaires [climatiques] à suivre donc...