En l’espèce, le requérant, Y.Y. était un ressortissant turc, né en 1981 et inscrit sur le registre d’état civil comme étant de sexe féminin. Cependant, Y.Y. s’était toujours considéré appartenir au sexe masculin et avait vécu sa vie comme tel.
Aussi, le 30 septembre 2005, il avait saisit le Tribunal de grande instance de Mersin (Turquie) dans le but d’obtenir l’autorisation de recourir à une opération de changement de sexe.
Le 27 juin 2006, le Tribunal avait refusé de lui accorder une telle autorisation, en se basant sur des rapports médicaux selon lesquels Y.Y n’était pas, de manière définitive, dans l’incapacité de procréer et ne répondait dès lors pas à l’une des exigences de l’article 40 du Code civil turc. La Cour de cassation avait, par la suite, repris cette analyse et confirmé le jugement rendu.
La requête de Y.Y fut introduite le 6 mars 2008 devant la CEDH, notamment au moyen de l’article 8, à savoir le droit au respect de la vie privée.
Le requérant alléguait que la contradiction entre sa perception de lui-même en tant qu’homme et sa constitution physiologique avait été établie par des rapports médicaux. Il critiquait d’autre part la teneur de l’article 40 du Code civil turc dans la mesure où l’exigence biologique de stérilité reproductive imposée ne pouvant être satisfaite que par le biais d’une intervention chirurgicale de stérilisation volontaire. Aussi, selon son argumentation, l’impossibilité d’avoir accès à une telle intervention chirurgicale privait irrévocablement les personnes concernées de toute possibilité de changement de sexe.
Déclarant la requête recevable, la CEDH a alors constaté, qu’effectivement, en déniant au requérant la possibilité d’accéder à une opération de changement de sexe, de par sa non stérilisation définitive, l’État turc avait méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée. La Cour a, en conséquence, conclut à la violation de l’article 8.
En France, suite à sa condamnation par la CEDH le 25 mars 1992 pour le même motif, et sur le fondement des articles 60 (changement de prénom) et 99 (rectification acte de l’état civil) du Code civil, les transsexuels peuvent changer de prénom et de genre sur leur état civil à compter du moment où, pour reprendre la jurisprudence de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992 [2] “à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspondant son comportement social, le principe de respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence ; que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification.”
Mais malgré cette jurisprudence claire, on a pu noter l’apparition de difficultés au fil des années. Certaines juridictions exigeaient en effet systématiquement une expertise, même en présence de certificats médicaux hospitalier, tandis que d’autres imposaient que les requérants aient subis des interventions chirurgicales et qu’ils aient notamment eu une réassignation sexuelle (opération de changement de sexe). Ces conditions apparaissaient alors discriminatoires, car dépendant des juridictions.
Aussi, une circulaire du Ministère de la Justice du 14 mai 2010 est venue régulariser la situation, en prévoyant que les juges peuvent « donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage…), ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux. » et que les magistrats ne devront « solliciter d’expertises que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur ».
Dans tous les autres cas, les juridictions sont désormais appelées à fonder leur avis « sur les diverses pièces, notamment les attestations et comptes rendus médicaux fournis par le demandeur à l’appui de sa requête, qui engagent la responsabilité des praticiens les ayant établis. »
Bien que cette circulaire ne s’impose pas aux magistrats, elle est depuis très suivie d’effet, si bien que la situation des transsexuels demandant un changement d’état civil s’en est trouvée fortement améliorée.
Dans tous les cas, néanmoins, la Cour de cassation semble continuer à exiger clairement “la réalité du syndrome transsexuel dont la personne est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence“,“pour justifier d’une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance”, tel qu’elle la rappelé dans un attendu de principe [3].
Sources :
http://www.lexisnexis.fr/depeches/index2.jsp?depeche=13-03-2015/04#top
la décision complète de la CEDH envers la Turquie
la décision complète de la CEDH envers la France