Les ivoiriens comme tous les peuples du monde tiennent à leurs libertés. Liberté d’aller et venir, liberté de se nourrir comme ils le souhaitent, liberté de communiquer avec qui ils veulent et enfin leur liberté de culte.
Toutes ces libertés garanties par la constitution ivoirienne, fondent la base du refus par certains des mesures préventives adoptées par le gouvernement. Mais une question reste tout de même essentielle : le refus de se soumettre à des mesures de prévention sanitaire en cas d’épidémie peut-il être assimilé au refus de soins par un patient ?
Quand on sait que la prévention sanitaire concerne la population dans son ensemble et touche donc à l’ordre public. Alors que le refus de soins par le patient ne concerne que l’individu en tant que personne jouissant de droits subjectifs. La loi donne le droit à tout individu d’accepter ou non de se soumettre aux soins médicaux que lui propose un médecin. Le patient n’est plus, comme l’écrivait au XIV siècle le chirurgien montpelliérain Guy de Chauliac, ce serf qui obéissait à son seigneur le médecin . Le praticien se plaçait dans cette posture de supériorité vis-à-vis de son patient parce qu’il était lui-même dans l’ignorance du droit ou face à l’inexistence du droit.
Aujourd’hui, ce droit du patient est encadré par le Code civil (article 16-3) et le Code de déontologie médicale (article 28). Ce consentement est donné par le patient après avoir reçu de son médecin une information claire et loyale sur son état de santé. Le professeur André DEMICHEL va plus loin : « Le consentement est l’un des éléments majeurs du droit traditionnel de la santé, car il procède du contrat…il est le pilier du droit médical et même hospitalier » .
Les pouvoirs publics lorsqu’ils prennent des mesures préventives comme c’est le cas actuellement en Côte d’Ivoire le font selon le professeur DEMICHEL, dans un « impératif de protection, parce que l’action sanitaire vise à protéger les membres du corps social contre les agressions. D’où l’importance de la prévention, qui est le degré supérieur de la protection puisqu’il s’agit d’empêcher que le mal ne survienne ».
Les mesures de prévention peuvent certes surprendre et être contraignantes mais elles ont un objectif noble, protéger tous les membres du corps social sans distinction. Elles mettent tout le monde sur un pied d’égalité. Elles ne concernent plus l’individu pris seul mais le groupe dans son ensemble. Le mal qu’elles veulent prévenir s’il survenait portera atteinte il est vrai à l’intégrité physique et morale d’un individu du corps social, mais à terme, ce dernier pourrait servir de relais de transmission du mal vers l’ensemble du corps social. D’où l’absolue nécessité de freiner le mal avant même qu’il n’apparaisse dans la société. La protection de la santé est à la fois constituée de droits et de devoirs dont celui d’adopter un comportement qui ne puisse pas nuire à la santé. Il appartient donc à chacun de prendre soin de sa santé, de son corps à travers une hygiène de vie convenable.
Toute violation des mesures de prévention sanitaire sera sanctionnée parce que la responsabilité de chacun peut être engagée pour préserver son propre patrimoine santé a fortiori celui des autres. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, les mesures instaurées par le gouvernement ne sont pas respectées par la grande majorité de la population parce qu’il n’existe pas d’outils fiables de contrôles. Les ivoiriens continuent toujours de se saluer en se serrant les mains, de se faire des accolades, de chasser, de consommer et de commercialiser la viande de brousse. Il appartient donc à l’individu face à un risque connu et pour lequel il est informé de prendre lui-même les mesures visant à assurer la protection de sa santé. Face au virus Ebola, l’individu doit prendre des mesures pour protéger sa santé mais aussi celle des autres comme le recommande l’article 28 de la constitution ivoirienne qui dit que : « la protection de l’environnement et la promotion de la qualité de vie sont un devoir pour la communauté et pour chaque personne physique ou morale ».
A ce stade du contrat social, le besoin de sécurité, l’intérêt général et la protection de la santé de l’ensemble de la société priment sur les droits individuels et les libertés de chacun. Le contrat social étant l’acte d’association par lequel chacun « met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ». Et « Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie pas autre chose sinon qu’on le forcera à être libre ». Dès cet instant, le droit la santé ou la santé tout simplement devient le moteur de la liberté, le principal élément de l’équilibre social. La santé sera le point de départ de la lutte pour les libertés collectives d’abord et individuelles ensuite. D’où sa suprématie sur les libertés fondamentales.