A. Contexte : paritarisme et gouvernance.
L’accord sur la gouvernance des groupes paritaires de protection sociale (GPS) du 8 juillet 2009, signé par toutes les confédérations (OS et OP), stipule un cadre de fonctionnement institutionnel du paritarisme de gestion « assurantiel ». En marge, le champ de la formation professionnelle et de l’emploi bénéficie d’une clarification normative plus forte par les dispositions du code du travail et du code de la sécurité sociale. En complément, un accord du 17 février 2012, ayant valeur d’accord national interprofessionnel (ANI), visé par décret et publié au Journal officiel, vient préciser les règles de fonctionnement d’un GPS.
S’agissant du paritarisme de gestion « assurantiel », les dispositions législatives et réglementaires se superposent à des accords dont la puissance normative demeure incertaine.
La loi du 20 août 2008 est venue bouleverser les règles traditionnelles de représentativité abolissant l’acquis historique de la représentativité de droit. S’est alors ouvert un jeu de rapprochement et de fiançailles aux fins de conserver des postes détachés ou des avantages de représentation entre confédérations, sections syndicales et syndicats.
Enfin, à l’image des mouvements internes des partis politiques, les syndicats sont transportés par des questions liées à l’orientation politique de leurs ensembles induisant tensions, réticences et émergence de bastions au sein des confédérations.
En particulier, les institutions de prévoyance (IP), dont les articles L 931-1 et suivants du code de la sécurité sociale précisent le régime, se posent comme des cas d’espèce d’appréhension des enjeux de gouvernance paritaire et de représentation des confédérations par des unions locales. Il existe trois catégories d’IP :
Les IP interprofessionnels : les statuts en confèrent la gouvernance aux confédérations nationales, les 5 OS et les 3 OP traditionnelles.
Les IP professionnels : les statuts précisent quelles fédérations professionnelles siègent dans la représentation des membres adhérents (entreprises) et des membres participants (salariés). C’est d’ailleurs ce régime de principe que les dispositions législatives prévoient.
Les IP d’entreprise : les statuts permettent la représentation des intérêts circonstanciés d’une entreprise dans un groupe en fonction des audiences établies au sein de l’entreprise.
Les IP interprofessionnelles coalisent l’ensemble des enjeux de gouvernance. Les confédérations nationales y sont représentées par des mandataires expressément désignés pour les IP des grands groupes de protection sociale. Mais quid des IP interprofessionnelles territoriales ?
B. Architecture des mandats de représentation.
Dans une IP interprofessionnelle déployant des activités localement circonstanciées, qui détient le pouvoir d’engager les confédérations nationales ? S’agit-il de la confédération nationale elle-même ou de ses unions locales ?
C. Régime des mandats.
Les statuts d’une IP interprofessionnelle territoriale renvoient la gouvernance à la compétence des confédérations nationales. Ces dernières sont néanmoins représentées par des mandataires désignés par leurs unions locales. Les confédérations nationales des OP et OS structurent en leur sein la physionomie institutionnelle de leur déploiement juridique.
Les statuts des confédérations nationales stipulent la création d’instances en charge du suivi et/ou de ses mandataires (comité des mandats au MEDEF, article 9 des statuts). Statutairement, ce sont les confédérations nationales patronales et salariales qui se posent comme pleinement titulaires des droits politiques de gouvernance d’une IP interprofessionnelle.
Les unions régionales de représentation des OS et OP précisent également que l’objet de leurs statuts emporte les prérogatives de représenter les confédérations sur le plan interprofessionnel auprès des instances locales et organismes privés ou publics (statuts CFDT Lorraine).
Il apparaît donc que les confédérations nationales se révèlent comme des mandants et les unions locales comme des mandataires par un jeu de renvoi de stipulation statutaire concordante.
L’article 1984 du code civil dispose que le mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire. Rappelons que les dispositions de l’article 1985 du code civil cadrent un régime souple en matière de formalisme. En l’espèce, les unions locales se confèrent le droit de représenter les confédérations nationales dans les instances et organismes locaux. Les confédérations leur reconnaissent tacitement ce droit.
L’accord de 2009 au sein des GPS prévoit l’existence et la supériorité d’une instance faîtière appelée association sommitale. Celle-ci, en position de sublimer les entités du groupe, détient le pouvoir de définition des orientations stratégiques et de la ligne politique de leur confédération au sein du GPS.
Alors se pose une double question en termes de régime :
Les représentants paritaires des entités d’un GPS sont-ils tenus par la ligne portée par les représentants paritaires de leur confédération au niveau de l’association sommitale ?
Les représentants des unions locales sont-ils tenus par la ligne officielle de la confédération nationale ?
D. Les obligations des parties.
Le régime du mandat est aisément caractérisable. Il comporte plusieurs obligations pour les parties.
- 1. Les obligations du mandataire :
Le mandataire est tenu d’accomplir jusqu’à son terme son mandat (article 1991). Il est tenu par les limites de son mandat. En clair, ce dernier doit exécuter ce que lui demande le mandant, ni plus ni moins. Surtout, il doit rendre compte des actes exécutés dans le cadre de son contrat. (article 1993 du Code civil).
Appliqué à l’espèce, les unions locales seraient donc tenues d’appliquer la ligne de leur confédération. Au sein d’une IP interprofessionnelle, une union locale d’OS ou d’OP doit respecter les décisions des mandants de la confédération. Dans les faits, le titulaire de la qualité de mandant au niveau de la confédération porte soit le titre de directeur de la protection sociale, soit une position statutaire (secrétaire général, vice-président, en charge des mandats…). Précisons que l’union locale est mandataire de la confédération et mandante de l’individu qu’elle charge de représenter ses intérêts au sein des organismes susmentionnés. Les individus désignés, souvent par une lettre de mission, sont donc évidemment tenus de respecter les limites du mandat fourni par l’union locale, cette dernière étant elle-même tenue dans les limites en tant que mandataire du mandat de la confédération. Que se passe-t-il quand l’union locale confie un mandat « hors ligne officielle de la confédération » ?
Tout d’abord, rappelons que le mandataire répond du sous-mandataire (article 1994). Cet article précise aussi que dans tous les cas, le mandant peut agir contre la personne à laquelle le mandataire s’est substitué. A cet effet, le mandant initial dispose d’une action directe conte le mandataire substitué (Civ. 1ère, 27 décembre 1960), que la substitution ait été ou non autorisée par le mandant (Com., 9 novembre 1987). En clair, une confédération nationale peut démandater un mandataire substitué d’une union locale. Il est inutile de rappeler que le mandat en matière de protection sociale et de paritarisme de gestion ne fait l’objet d’aucune norme en termes de formalisme. Il n’y a donc pas lieu d’un quelconque parallélisme des formes pour la notification du démandatement au mandataire substitué. L’apparence du mandataire substitué au tiers vient renforcer la prérogative de démandatement de la confédération.
- 2. Les obligations du mandant.
Le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu’au temps qu’il a ratifié expressément ou tacitement (article 1998 du Code civil). Subséquemment, le mandant n’est pas tenu d’exécuter les actes faits par son mandataire au-delà du pouvoir qui lui a été donné.
En l’espèce, la délibération d’une instance d’une IP interprofessionnelle contraire aux lignes officielles des confédérations, au vu et au su de tous les administrateurs de cette IP, est non valide, car constitutive d’un dépassement de pouvoir. En effet, les parties en présence ne peuvent légitimement croire que les mandataires substitués agissent en vertu du mandat de la confédération et dans les limites de celui-ci.
E. La hiérarchie des instances.
Si l’article 3 de l’accord de 2009 sur la gouvernance paritaire des GPS ne stipule pas expressément que les représentants des unions locales sont tenus par la ligne de leurs représentants des confédérations à la sommitale, le régime établi par la logique de mandat (et de mandat substitué) emporte le même effet. Plus concrètement, l’accord ne dit pas clairement qu’un représentant OS ou OP doit prendre une délibération conforme à son homologue de la sommitale, mais par le fait qu’ils sont mandataires d’union locale elle-même mandataire de la confédération, ils ne peuvent, sans engager leur responsabilité ainsi que celle de l’union, sortir de la ligne officielle, soit exécuter en toute bonne foi le contrat de mandat.