Au sommaire de cet article...
- Les justifications du caractère biennal de la prescription.
- L’opportunité d’un règlement rapide d’un sinistre.
- L’allongement de la prescription biennale.
- L’interruption de la prescription facilitée par la LRAR.
- La suspension de la prescription.
- La prescription biennale doit être formellement rappelée dans la police.
- Inopposabilité de la prescription biennale aux tiers lésés.
- La renonciation de l’assureur à la prescription biennale.
- La responsabilité de l’assureur et des intermédiaires.
- Perspectives d’amélioration.
Dans son rapport pour 2022 la Cour de Cassation pose une nouvelle fois le problème de savoir si la brièveté de ce délai n’est pas de nature à « pénaliser » l’assuré et s’il ne conviendrait pas de le supprimer.
Par dérogation à l’article 2254 du Code civil, les parties au contrat d’assurance ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci [1].
A noter que cette prescription d’ordre public et validée par le Conseil Constitutionnel [2] s’applique uniquement à l’action de l’assuré contre l’assureur pour le règlement d’un sinistre, ainsi qu’à celle de l’assureur contre l’assuré pour le règlement des primes.
Certains s’émeuvent de la justification d’un délai dont la brièveté dérogatoire à celui du droit commun risque de priver l’assuré d’un droit d’action à l’encontre d’un assureur qui, par ses tergiversations, pourrait laisser « lanterner » l’assuré jusque ce que celui-ci soit prescrit… En effet, ni les pourparlers entre l’assuré et l’assureur, ni même une « expertise amiable » n’ont d’effet interruptif, de sorte que les investigations et les discussions nécessaires au règlement d’un sinistre peuvent conduire l’assuré à se heurter finalement à cette fin de non-recevoir si elles se prolongent.
C’est pourquoi, dans son rapport pour 2022 la Cour de Cassation préconise un « alignement du délai et du régime de prescription applicables aux actions dérivant du contrat d’assurance sur celui de droit commun » ce qui « entraînerait, en outre, une simplification du droit que ne permettent pas toujours d’atteindre les évolutions jurisprudentielles nécessaires à la préservation des droits des assurés ». La DACS est favorable à cette proposition qui, selon elle, aurait le mérite de la simplicité et de la clarté.
Mais pourquoi, alors, ne pas la suggérer également dans bien d’autres domaines de courtes prescriptions tous aussi sensibles, tels celui des actions en garantie des vices cachés [3], de l’action en garantie de bon fonctionnement [4], mais aussi en Droit du Travail [5], ou dans le contentieux des loyers ?
Les justifications du caractère biennal de la prescription.
Peut-être faut-il s’interroger sur les raisons pour lesquelles le législateur a cru opportun d’instituer de courtes prescriptions dans des matières où il faut aller vite afin d’éviter, notamment, le dépérissement des preuves et de permettre un règlement rapide dans l’intérêt bien compris des parties. C’est ainsi que dès l’origine, la loi du 13 juillet 1930 à institué la règle de la prescription biennale afin d’éviter que l’assureur n’impose des délais encore plus courts dans la police, et de remédier, également, aux inconvénients de la longueur de la prescription de droit commun qui était à l’époque de trente ans.
S’il est incontestable qu’une aussi courte prescription a pour effet de protéger les « intérêts » des assureurs - à supposer que l’assureur ait des intérêts dans la mutualité qu’elle gère - elle repose d’abord sur des impératifs techniques. Un sinistre doit être réglé rapidement afin d’éviter le dépérissement des preuves, même si, aux termes de l’article L112-2 du Code des assurances, l’assuré doit déclarer le sinistre dans un délai de cinq jours à compter du jour où il en a connaissance, permettant ainsi des investigations immédiates de l’assureur, au besoin pour prendre des mesures de sauvegarde, en limiter l’ampleur et exercer des recours.
De même, il est nécessaire également que le dommage soit évalué au plus proche de sa réalisation afin de respecter le principe « indemnitaire » du contrat d’assurance.
Enfin, il était difficile à l’assureur, comme à l’assuré, de conserver des polices pendant des durées trop longues, alors que celles-ci ont tendance à « s’égarer » au fur et à mesure des cessions de portefeuilles entre assureurs. Mais, il est vrai qu’en ramenant à cinq ans la prescription de droit commun, la loi de 1998 a supprimé une partie des inconvénients d’une durée trop longue.
L’opportunité d’un règlement rapide d’un sinistre.
La prescription biennale oblige l’assuré à agir vite pour contraindre l’assureur à exécuter rapidement son obligation d’indemnisation, ce qui est finalement la finalité première de l’assurance : d’abord sauvegarder le patrimoine de l’assuré contre un risque de perte qui va bénéficier également à ses créanciers dont ce patrimoine est le gage commun [6], le mettre également à l’abri d’une dette de responsabilité et protéger l’assuré dans le cadre des garanties d’atteintes à sa personne.
C’est également l’intérêt de l’assureur de régler rapidement un sinistre afin de limiter le montant des dommages et ses coûts de gestion, notamment à l’égard de ses coassureurs et réassureurs.
Mais il est des cas où l’assuré peut se laisse « piéger » malgré lui par la brièveté du délai de deux ans, obligeant la jurisprudence à voler à son secours.
L’allongement de la prescription biennale.
Le point de départ de la prescription biennale n’est pas la date du sinistre proprement dite, mais celle du jour où les intéressés en ont eu connaissance s’ils prouvent qu’ils l’ont ignoré jusque-là, analogue à la règle générale de l’article 2224 du Code Civil. A noter également que la prescription ne court pas ou est suspendue contre les personnes incapables ou qui sont dans l’impossibilité d’agir, notamment par la force majeure en cas de sinistre [7].
Mais le régime particulier du contrat d’assurance, reporte ce point de départ dans d’autres hypothèses :
- Quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier [8] [9]
- Lorsque l’action de l’assuré a pour cause le recours d’un tiers qui s’exerce par la mise en œuvre de l’action civile devant la juridiction pénale, le point de départ du délai de la prescription biennale se situe au jour de la constitution de partie civile de ce tiers devant la juridiction pénale compétente pour connaître de la demande de réparation, dès lors que cette constitution manifeste l’intention d’engager la responsabilité civile de l’auteur du dommage, quand bien même la partie civile ne formulerait à ce stade aucune demande en paiement [10]
- La prescription est de dix ans dans les contrats d’assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur et, dans les contrats d’assurance contre les accidents atteignant les personnes, lorsque les bénéficiaires sont les ayants droit de l’assuré décédé [11]. Enfin, pour les contrats d’assurance sur la vie, les actions du bénéficiaire sont prescrites au plus tard trente ans à compter du décès de l’assuré [12]
- Depuis le 1er janvier 2023 la prescription a été portée à cinq ans pour les actions dérivant d’un contrat d’assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols, reconnus comme une catastrophe naturelle [13]
- Enfin, en cas de réticence, omission, déclaration fausse ou inexacte sur le risque couru, le délai de deux ans ne court que du jour où l’assureur en a eu connaissance, ce qui peut différer d’autant un éventuel recours contre l’assuré pour obtenir la restitution d’une indemnité versée indûment.
Le point de départ de la prescription de l’action de l’assuré pour compte à l’égard de son assureur est fixé, non pas à la date de la connaissance de l’existence de la police souscrite à son profit, mais à celle de la connaissance de l’identité de l’assureur [14].
En assurance de personne, le sinistre réside dans la survenance de l’état d’incapacité ou d’invalidité de l’assuré, et ne peut être constitué qu’au jour de la consolidation de cet état, point de départ de la prescription biennale.
Enfin, le délai de la prescription démarre au jour de l’échéance de la prime stipulée au contrat.
Les actions qui ne « dérivent » pas du contrat d’assurance restent quant à elles soumises à la prescription de droit commun, notamment en ce qui concerne l’action en nullité de contrat ou de transaction, ou en responsabilité introduite contre l’assureur pour violation de son obligation de conseil dont le point de départ de la prescription est son refus éventuel de garantie, ou celle des créanciers privilégiés contre l’assureur…
Enfin, « rien n’oblige l’assureur à agir préventivement pour faire juger qu’il est en droit d’opposer une obligation de garantie », de sorte que la prescription peut toujours être invoquée par voie d’exception [15].
L’interruption de la prescription facilitée par la LRAR.
Si la demande en justice, même en référé, interrompt le délai, la prescription biennale du Code des assurances est une des seules qu’il soit possible d’interrompre par une simple lettre recommandée avec accusé de réception [16].
Néanmoins, la lettre recommandée avec accusé de réception interruptive n’a aucun effet interversif, et il convient de bien la renouveler tous les deux ans si les discussions avec l’assureur se prolongent.
Par ailleurs, si aux termes de l’article R114-1, la désignation d’expert interrompt la prescription, celle-ci n’est pas suspendue au cours de l’expertise amiable, et l’assuré sera prescrit s’il ne prend pas soin d’interrompre la prescription dans le délai de deux ans après la désignation dudit l’expert.
Pour remédier à cet inconvénient la DGCA suggère de préciser dans le texte que la phase de discussion amiable entre l’assureur et l’assuré est une cause de suspension du délai . Ceci nécessiterait une certaine formalisation de la désignation d’expert par l’assureur et de prévoir dans ce cas une suspension de la prescription jusqu’à la communication officielle de son rapport à l’assuré.
La suspension de la prescription.
Le fait par l’assureur de se prévaloir du droit que lui confère l’assuré dans le contrat d’assurance de diriger le procès intenté à celui-ci par la victime, suspend, tant que dure cette direction, le cours de la prescription [17].
Le recours à la Médiation de l’assurance - qui devrait être le réflexe premier de tout assuré consommateur en cas de difficulté avec son assureur - suspend la prescription biennale de même que la conciliation, la médiation conventionnelle ou judiciaire ou un procédure participative [18]. Celle-ci court à nouveau pour une durée qui ne peut être inférieure à 6 mois à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée.
Elle est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès [19], laquelle est très souvent utile pour déterminer l’origine et les causes d’un sinistre ainsi que le chiffrage de dommages, notamment en matière de construction.
La prescription biennale doit être formellement rappelée dans la police.
L’article R112-1 du Code des assurances exige que les dispositions relatives à la prescription soient rappelées dans la police. Dès lors, la jurisprudence a imposé, sous peine d’inopposabilité, que la mention du délai de prescription [20], les textes applicables et les moyens de l’interrompre [21] soient rappelés dans la police, ce qui suppose que l’assuré ait une bonne connaissance de toutes ses stipulations, ou qu’il s’empresse de la lire en cas de sinistre…
Toutefois, l’assureur n’est pas tenu de préciser qu’en application de l’article 2243 du Code civil, l’interruption de prescription est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande, laisse périmer l’instance ou si sa demande est définitivement rejetée [22].
A noter que l’assureur qui n’a pas respecté les dispositions de l’article R112-1 du Code des assurances relative à la formalisation de la prescription dans sa police, ne peut pas opposer la prescription biennale à son assuré et ne peut pas prétendre davantage à l’application de la prescription de droit commun [23].
Inopposabilité de la prescription biennale aux tiers lésés.
La prescription biennale n’est pas opposable à la victime exerçant son action directe à l’encontre de l’assureur de responsabilité de l’auteur du dommage, ce tiers pouvant agir contre celui-ci dans le délai de droit commun, et tant que cet assureur est exposé au recours de son assuré, ce qui prolonge de près de deux ans la prescription de droit commun à son profit [24].
A noter que l’assureur ne pourra pas réclamer à son assuré le remboursement de ce qu’il aura du régler à une victime indemnisée au delà du délai de prescription biennal.
La renonciation de l’assureur à la prescription biennale.
La renonciation de l’assureur à invoquer une prescription peut être expresse ou tacite cette dernière résultant de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription [25].
Ainsi, un assureur, qui ne justifie pas avoir conclu avant la désignation de l’expert à laquelle il ne s’était pas opposé, autrement que par l’émission de réserves d’usage, n’a pas invoqué la prescription dès le début de la procédure au fond et a participé sans objection à cet égard aux opérations de l’expertise ordonnée par le juge de la mise en état, au cours de laquelle il a déposé un dire à expert dans lequel il n’a contesté que l’étendue de sa garantie et non le principe même de la couverture du sinistre, peut manifester ainsi sans équivoque sa volonté de renoncer à se prévaloir de la prescription biennale [26].
De plus, aux termes de l’article L 113-17 du Code des assurances, l’assureur qui prend la direction du procès est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu’il a pris la direction du procès, sauf réserves expresses.
La responsabilité de l’assureur et des intermédiaires.
Par ailleurs, dans la mesure où l’assuré dispose d’un conseil, courtier ou avocat, c’est à ce dernier qu’il incombe de conseiller à l’assuré d’interrompre la prescription sous peine d’engager sa propre responsabilité civile professionnelle à l’égard de son client.
Enfin, le contrat d’assurance repose essentiellement sur la loyauté et la bonne foi des parties, et sur l’idée de « mutualité ». Dès lors, l’assureur peut engager sa responsabilité contractuelle lorsqu’il se livre à des manœuvres dilatoires pour gagner du temps.
Ainsi, l’assureur qui garde un « silence malicieux » dans le but d’échapper au paiement grâce à la prescription et que les correspondances qu’il avait avec son assuré ont « endormi sa vigilance » sur les formalités légales qui lui incombaient commet une manquement à son « obligation de loyauté dans la mise en œuvre du processus d’indemnisation » après la survenance d’un sinistre, qui constitue une faute contractuelle dont il doit réparation [27].
Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité engagée par l’assuré contre le débiteur de ces obligations se situe au jour où il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du refus de garantie [28].
Perspectives d’amélioration.
Le délai biennal pourrait être aligné sur celui de droit commun, sans renier toutes ses autres spécificités. Il présenterait l’avantage d’éviter de précipiter des règlements de sinistre dans un contentieux judiciaire en laissant le temps de la discussion.
Néanmoins, la rapidité de l’indemnisation fait partie de la finalité de l’assurance, et il convient d’inciter l’assuré à agir au plus vite à l’encontre de l’assureur dans la mesure où toute perspective de règlement amiable d’un sinistre apparaît compromise.
Dans la mesure où l’assureur est tenu d’un devoir d’information à tous les stades de l’exécution du contrat, il suffirait que la Jurisprudence mette à sa charge une obligation renforcée d’avertir son assuré de l’imminence d’une prescription, dans le cadre de son obligation de loyauté, pour pallier les effets parfois préjudiciables d’une prescription courte.